Vision du jeudi
15 août 1946.
(Fête de l’Assomption).
358/359>
474.1 - Comme souvent ils
le font pendant qu'ils cheminent, peut-être pour alléger par cette distraction
la monotonie de la marche continuelle, les apôtres parlent entre eux en
rappelant et commentant les derniers événements, questionnant de temps à
autre le Maître qui généralement parle peu, seulement pour n'être pas
discourtois, réservant cette fatigue seulement pour le cas où il faut
instruire les gens ou ses apôtres, en corrigeant les idées fausses, on
réconfortant des malheureux.
Jésus était la "Parole", mais il n'était certainement pas le
"bavardage" ! Patient et gentil comme nul autre, sans jamais
montrer d'être ennuyé de devoir répéter une idée, une, deux, dix, cent fois,
pour la faire entrer dans les têtes cuirassées par les préceptes pharisaïques
et rabbiniques, sans se soucier de sa fatigue, qui parfois est si grande
qu'elle devient une souffrance, pour enlever la souffrance physique ou morale
à une créature. Mais
il est visible qu'il préfère, se taire, s'isoler dans un silence méditatif
qui peut durer plusieurs
heures s'il n'y est pas arraché par quelqu'un qui l'interroge.
Généralement, il est un peu en avant de ses apôtres et il va alors la
tête un peu inclinée, la levant de temps en temps pour regarder le ciel, la
campagne, les personnes, les animaux. Regarder, ai-je dit, mais c'est mal
dit. Je dois dire : aimer. Car c'est un sourire, un sourire de Dieu, qui
se déverse de ces pupilles pour caresser le monde et les créatures, un
sourire-amour. Car c'est un amour qui transparaît, qui se répand, qui bénit,
qui purifie la lumière de son regard, toujours intense, mais extrêmement
intense quand il sort du recueillement...
474.2 - Que peuvent bien
être ses recueillements ? Je pense - et je suis
certaine de ne pas me tromper, car il suffit d'observer l'expression de son
visage pour voir ce qu'ils sont - je pense qu'ils sont
bien plus que nos extases dans lesquelles la créature vit déjà au Ciel. Ce
sont "la réunion sensible de Dieu avec Dieu". La Divinité était
toujours présente et unie au Christ qui était Dieu comme le Père. Sur la
Terre comme au Ciel le Père est dans le Fils, et le Fils est dans le Père qui
s'aiment et qui en s'aimant engendrent la Troisième Personne. La puissance du
Père, c'est la génération du Fils, et l'acte d'engendrer et d'être engendré
crée le Feu, c'est-à-dire l'Esprit de l'Esprit de Dieu. La Puissance se
tourne vers la Sagesse qu'elle a engendrée, et celle-ci se tourne vers la
Puissance dans la joie d'être l'Un pour l'Autre et de se connaître pour ce
qu'ils sont. Et comme toute bonne connaissance réciproque
crée l'amour - même nos connaissances imparfaites - voici l'Esprit Saint...
Voilà Celui qui, s'il était possible d'établir une perfection dans les
perfections divines, devrait être appelé la Perfection de la Perfection.
L'Esprit Saint ! Celui dont la seule pensée remplit de lumière, de joie,
de paix...
Haut de page.
360> Dans les extases du Christ, quand
l'incompréhensible mystère de l'Unité et de la Trinité de Dieu se renouvelait
dans le très Saint Cœur de Jésus, quelle complète, parfaite, incandescente,
sanctifiante, joyeuse, pacifique production d'amour ne devait pas s'engendrer
et se répandre comme la chaleur venant d'une ardente fournaise, comme
l'encens d'un encensoir allumé, pour baiser avec le baiser de Dieu les choses
créées par le Père, faites par l'intermédiaire du Fils-Verbe, faites pour
l'Amour, pour le seul Amour, parce que toutes les opérations de Dieu sont
Amour…
Et cela c'est le regard de l'Homme-Dieu, quand en Homme et en Dieu, il lève
ses yeux, qui ont contemplé en Lui-même le Père, Lui-même et l'Amour, pour
regarder l'Univers en admirant la puissance créatrice de Dieu, comme Homme,
dans la jubilation de pouvoir la sauver dans les créatures royales de cette
création : les hommes, comme Dieu.
474.3 - Oh ! On ne
peut, personne ne pourra, ni poète, ni artiste, ni peintre, rendre visible
aux foules ce regard de Jésus sortant de l'embrassement, de l'union sensible
avec la Divinité, unie hypostatiquement
à l'Homme toujours, mais pas toujours si profondément sensible à l'Homme qui était
Rédempteur et qui par conséquent à ses nombreuses souffrances, à ses nombreux
anéantissements, devait ajouter aussi celui-là, très grand, de ne
pouvoir plus être toujours dans le Père, dans le grand tourbillon de l'Amour
comme il était au Ciel : tout-puissant... libre... joyeux. Splendide la
puissance de son regard de miracle, très douce l'expression de son regard
d'homme, très triste la lumière de douleur dans les heures de douleur... Mais
ce sont des regards encore humains, bien que parfaits d'expression.
Celui-là, ce regard de Dieu qui s'est contemplé et aimé dans l’Unité
Triniforme
ne peut se comparer, il n’y a pas d’adjectif pour lui…
Mon âme se prosterne devant lui, en admiration, “anéantie” par
la connaissance de Dieu, toute au bonheur de contempler son infini amour… Des
torrents de délices se déversent en moi… Je suis bienheureuse ! Chaque
souffrance, chaque mauvais souvenir s’efface sous les vagues de l’amour de
Jésus… et ces vagues m’élèvent au Ciel, au Ciel, vers toi !…
474.4 - Merci,
mon adorable Amour ! Merci ! Je te sers encore… La créature est redevenue
femme, elle est redevenue le “porte-parole” après avoir été un instant
“séraphin”. Elle redevient femme ; elle redevient une créature martyre,
peut-être un autre tourment la menace-t-il déjà… Mais dans mon âme brille la
lumière que tu m’as accordée, la béatitude de t’avoir contemplé ; aucun
torrent de larmes, aucune cruelle torture ne saurait l’éteindre. Merci, mon
Béni ! Toi seul m’aimes !
Haut
de page.
361> Je
comprends Paul mieux que jamais ! “Qui nous séparera de l’amour du Christ ? […]
En tout cela, nous sommes vainqueurs par Celui qui nous a aimés… J’en ai
l’assurance : ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni
les vertus, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni la hauteur, ni
la profondeur, ni aucune autre
créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de
Dieu manifesté en Jésus-Christ, notre Seigneur.” C’est le chant de victoire
et de jubilation qui retentit dans les armées des vainqueurs, des hommes
vibrants d’amour, sauvés par l’amour, car voilà la sainteté : le salut obtenu parce qu’on a été aimé et qu’on est aimé. Il retentit déjà ! Et l’âme, encore prisonnière sur terre,
l’entend et chante sa joie, sa confiance, sa certitude… Alors la lumière arrive,
elle ne cesse de croître, et les paroles lumineuses de l’Apôtre s’éclairent
toujours plus… “L’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, notre Seigneur…”
Je comprends maintenant ce que me disait Azarias cet hiver : “Jésus est la synthèse de l’amour des Trois.” Voilà ! Tout
l’amour est en lui. Nous pouvons trouver cet amour de Dieu, nous les hommes,
sans attendre notre retour en Dieu, sans attendre le Ciel, mais en aimant
Jésus. Voilà ! À l’homme de foi s’ouvrent des sources d’eau vive intérieures,
des sources de lumière, des sources d’amour : en effet, celui qui croit va à
Jésus, il croit que Jésus se trouve dans l’Eucharistie avec son Corps, son
Sang, son Âme et sa Divinité, tel qu’il était sur terre, tel qu’il est au
Ciel, avec son Cœur, avec son Cœur ! Or dans le Cœur de Jésus se trouve tout
l’amour de Dieu. Par conséquent, quand l’homme reçoit le Corps très saint de
Jésus, il accueille en lui le Cœur de Jésus. Il a donc en lui non seulement
Jésus, mais aussi l’amour de Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, puisque
l’amour de Dieu est la sainte Trinité, qui est tout Amour. Cet Amour se
divise en trois flammes pour nous rendre triplement heureux : heureux d’avoir
un Père, un Frère, un Ami, heureux d’avoir quelqu’un qui pourvoit, qui
enseigne, qui aime, heureux d’avoir Dieu !
Haut
de page.
362> 474.5 - Ah ! je
n’en peux plus ! Seigneur, ton don est trop grand ! Qui, dans les Cieux,
me l’obtient ? Est-ce toi, bienheureuse Mère, contemplée dans ton éclat de
Reine élevée au Ciel ? Est-ce toi, doux Jean de Bethsaïde, toi qui aimais
tant le Christ, toi mon ami ? Est-ce toi, vénéré Joseph, aimable Patriarche
protecteur des persécutés, toi qui es toujours prompt à nous accorder du
réconfort ? Est-ce toi, ma grande sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus, qui m’obtiens ce que je demande depuis vingt-et-un ans : que
débordent dans mon âme les vagues de l’amour ? Oh ! si c’est toi, parachève ton œuvre : obtiens-moi de ne pas
mourir pendant l’un de ces assauts d’amour. Je suis une petite âme, moi
aussi, et je ne désire rien d’extraordinaire. Mais de mourir après l’un de ces assauts d’amour,
quand je redeviens “une petite âme, toute petite”, rendue encore plus petite
après avoir connu ce qu’est l’infini Amour, après l’un de ces assauts, car après, on est comme rebaptisé
par l’amour et il ne reste plus la moindre trace de tache en nous. L’amour
brûle… Ou bien est-ce toi, mon cher ami Azarias, qui, grâce à toutes les
larmes que tu as recueillies à mes paupières et portées au Ciel, m’a obtenu
cette heure de béatitude ? Si c’est toi, sois-en
béni !
Néanmoins, je ne te demande pas, pas plus qu’à Thérèse, à Joseph, à Jean ou à
Marie la très sainte, que cette extase se renouvelle et me comble encore de
joie et de feu. Mais je vous demande, je vous supplie même, qu’elle envahisse
d’autres cœurs, plus spécialement ceux que vous savez, ces cœurs qui
torturent le mien et déplaisent à Dieu, qui ne savent ni entendre ni obéir.
Si ces cœurs connaissaient ne serait-ce qu’une seconde ces assauts d’amour,
ils se convertiraient à l’Amour, au véritable Amour. Ils aimeraient, de tout
leur être. Avec leur intelligence, surtout, d’où tomberaient les murailles du
rationalisme, de la science humaine qui nient et s’opposent à une foi simple
et bonne, et qui mettent des limites à la puissance de Dieu. Et avec le cœur
fondraient, comme cire au feu, les croûtes de l’égoïsme, de l’envie, de la
haine…
Faites cela, mes très chers. Moi, j’accepte de ne plus jamais poser les
lèvres sur le calice restaurateur de l’amour, j’accepte de toujours boire,
jusqu’à mon retour à Dieu, à la coupe amère de toutes les renonciations. Mais
je désire qu’ils reviennent sur le sentier lumineux, qu’ils se sanctifient
par chacun de leurs actes pour mériter le regard de Jésus-Dieu, comme il m’a
été accordé d’en profiter aujourd’hui : le mériter ici, le posséder pour toujours
au Ciel, tout comme, moi aussi, mettant mon espoir dans le Seigneur, je crois
avec confiance que je le posséderai.
Haut
de page.
363> Ce même
jour, à midi.
474.6 - Je me
relis. Je pense aux théologiens qui liront ces pages. Peut-être trouveront-ils des erreurs dans ma manière de m’exprimer
sur l’extase, sur les recueillements de Jésus. Qu’ils se souviennent que je
suis, moi, une pauvre ignorante, que je ne connais rien de la théologie ni du
vocabulaire théologique, et que je m’efforce seulement de décrire ce que je
vois comme je le peux et avec les phrases que ma pauvre intelligence peut
former…
Catéchèse du vendredi 16
août 1946.
474.7 - Je dis à
Jésus :
"Seigneur, hier tu m’as emportée, et toute la vision s’est perdue en
toi…"
Il sourit avec une douce joie divine et répond en me faisant une caresse :
"Tu as fait mieux que raconter, tu as chanté. Tu as chanté. Hier, tout
le Paradis chantait les gloires de ma Mère, et tu as chanté avec lui. À un
certain moment, il t’a même écouté chanter en solo. Tu sais quand ? Quand tu as demandé de ne pas profiter d’un autre assaut de
l’Amour, mais que “ eux ” soient envahis par l’amour pour être sauvés. Le Ciel aimant t’a écoutée, toi, parce que renoncer à la
béatitude afin que d’autres aient la Vie n’est accordé qu’à ceux qui, bien
qu’étant encore sur terre, sont déjà des citoyens du Ciel. Par ton chant, les
saints se sont rappelés quand ils en faisaient de même sur la terre. En
t’écoutant, les anges regardaient ton Azarias et le félicitaient
fraternellement. Marie a souri en offrant ton chant à l’Amour. Et l’Amour — ô
ma Maria ! — et l’Amour t’a embrassée… et t’embrasse encore. Sois dans la
joie. Tu as compris l’Amour. Je suis en toi, et en moi il y a Dieu un et
trine comme tu l’as compris. Parcours aujourd’hui les voies de la joie
surnaturelle au lieu des routes de Palestine à la rencontre de la douleur de
ton Jésus… Maria, n’es-tu pas heureuse de te trouver dans les conditions qui
étaient les miennes pendant ma dernière année ? Cela aussi, c’est un don, et
une lumière pour me comprendre. Sans une expérience personnelle, et
proportionnée, la créature ne pourrait comprendre ce qu’a été ma longue
Passion. Mais aujourd’hui, comme hier, parcours les voies de la joie céleste.
Dieu est avec toi. Sois en paix."
Haut
de page.
364> 474.8 - C’est
ainsi que sont sorties de ma mémoire les discussions des apôtres sur les
événements de Giscala, sur le miracle de l’enfant aveugle, sur Ptolémaïs vers
laquelle ils se dirigent, sur la route à gradins taillés dans le roc où ils
se sont engagés pour arriver au dernier village de frontière entre la
Syro-Phénicie et la Galilée — ce doit être celle que j’ai vue quand ils allaient à Alexandroscène —, sur Gamaliel, etc. Ou
plutôt, pour ce que j’en ai entendu, tous ces sujets sont restés dans mon
cœur.
|