Le jeudi 15
novembre 1945
243> 331.1 –
"Est-ce que le Maître est avec toi ?" demande le vieux paysan Jonas à Jude, qui entre
dans la cuisine.
Déjà le feu est allumé pour chauffer le lait et réchauffer la pièce, car il
fait frisquet en ces premières heures d'une matinée de fin janvier, je crois,
ou de début février. La matinée est très belle, mais le froid est un peu
piquant.
«Il doit être sorti pour prier. Il sort souvent à l'aube, quand il sait qu'il
peut être seul. Il va bientôt arriver. Pourquoi le demandes-tu ?
– Je l'ai demandé aussi aux autres, qui se sont maintenant dispersés pour le
chercher, car il y a une femme à côté, avec mon épouse. C'est une femme d'un
village d'au-delà de la frontière. Je ne sais vraiment pas dire comment elle
a appris que le Maître est ici, mais elle le sait et elle veut lui parler.
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244> – C'est bien. Elle lui parlera. Peut-être est-elle
celle qu'il attend, avec une fillette malade. C'est son esprit qui l'aura
conduite ici.
- Non. Elle est seule, elle n'a pas d'enfant avec elle : je la connais bien,
parce que les villages sont si voisins... et la vallée appartient à tous. Et
puis, moi je pense qu'il ne faut pas être cruel avec ses voisins, même
phéniciens, pour servir le Seigneur. Je peux me tromper mais...
- C'est aussi ce que le Maître dit toujours : qu'il faut avoir pitié de
tous.
- C'est ce qu'il fait, n'est-ce pas ?
- Oui.
- Hanne m'a dit aussi que, même maintenant, il a été traité
mal. Mal, toujours mal !... En Judée, comme en Galilée, partout.
Pourquoi donc Israël est-il si mauvais avec son Messie ? Je veux parler
des plus grands parmi nous en Israël, car le peuple l'aime.
- Comment sais-tu tout cela ?
- Oh ! je vis ici, au loin, mais je suis un juif fidèle.
Il me suffit d'aller au Temple pour les fêtes d'obligation pour savoir tout le bien et tout le mal ! Et on
connaît moins le bien que le mal, parce que le bien est humble et ne se vante
pas. Les bénéficiaires devraient le proclamer, mais peu nombreux sont ceux
qui sont reconnaissants après avoir reçu des grâces. L'homme reçoit le
bienfait et l'oublie... Le mal, au contraire, fait résonner ses trompettes et
retentir ses paroles, même aux oreilles de ceux qui ne veulent rien entendre.
Vous qui êtes ses disciples, ne savez-vous pas à quel point, au Temple, on
dénigre et on accuse le Messie ? Les scribes ne font plus d'enseignement
autre que sur son compte. Je crois qu'ils ont mis au point un recueil
d'instructions sur la manière d'accuser le Maître et de faits qu'ils
présentent comme des motifs valables d'accusation. Et il faut avoir la
conscience très droite, ferme et libre, pour savoir résister et juger avec
sagesse. Mais lui, est-il informé de ces manœuvres ?
- Il les connaît toutes. Nous, plus ou moins, nous sommes aussi au courant,
mais lui ne s'en soucie guère. Il continue son travail et le nombre des
disciples ou des croyants augmente chaque jour.
- Dieu veuille qu'ils tiennent bon jusqu'à la fin, mais les pensées de
l'homme sont instables. Il est faible... 331.2 -
Voici le Maître qui vient vers la maison avec trois disciples.»
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245> Et le vieillard sort, suivi de
Jude, pour vénérer Jésus qui, plein de majesté, se dirige vers la maison.
«Que la paix soit avec toi, aujourd'hui et toujours, Jonas.
- Gloire et paix avec toi, Maître, toujours.
- Paix à toi, Jude. André
et Jean ne sont-ils pas encore
revenus ?
- Non, et je ne les ai pas entendus sortir. Personne. J'étais fatigué et j'ai
dormi comme une souche.
- Entre, Maître. Entrez. L'air est frais ce matin. Dans le bois il devait
faire très froid. Voilà du lait chaud pour tout le monde.»
Ils sont en train de boire le lait et tous, sauf Jésus, y trempent de bons
morceaux de pain, quand surviennent André, Jean et Hanne, le berger.
«Ah ! tu es ici ? Nous revenions pour dire que nous ne t'avions pas
trouvé...» s'écrie André.
Jésus donne le salut de paix aux trois hommes, et ajoute :
«Vite, prenez votre part et partons car je veux arriver, avant le soir, au
moins au pied de la montagne d'Aczib. Ce soir commence le sabbat.
- Mais mes brebis ?" demande le berger perplexe.
Jésus sourit et répond :
«Elles seront guéries dès que je les aurai bénies.
- Mais je suis à l'est de la montagne ! Et toi, pour trouver cette
femme, tu vas vers le couchant...
- Laisse faire Dieu, et il pourvoira à tout.»
331.3 -
Le repas fini, les apôtres montent chercher leurs sacs de voyage pour le
départ.
-Maître...
il y a une femme qui est là... tu ne l'écoutes pas ?
- Je n'ai pas le temps, Jonas. La route est longue et, du reste, je suis venu
pour les brebis d'Israël. Adieu, Jonas. Que Dieu te récompense de ta charité.
Ma bénédiction est sur toi et sur toute ta parenté. Allons-y.»
Mais le vieillard se met à crier à tue-tête :
«Enfants ! Femmes ! Le Maître part ! Venez vite !»
Et de même qu'une nichée de poussins éparpillés dans un poulailler accourt au
cri de la mère poule qui les appelle, ainsi de tous les côtés de la maison
accourent femmes et hommes occupés à leurs travaux ou encore à moitié
endormis, et les enfants à demi nus qui sourient, le visage à peine éveillé...
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246> Ils se pressent autour de Jésus qui
se tient au milieu de la cour; les mères enveloppent les enfants dans leurs
jupes amples pour les protéger de l'air, ou bien elles les serrent dans leurs
bras jusqu'à ce qu'une servante se précipite avec des petits vêtements vite
enfilés.
331.4 -
Mais voilà que survient une
femme qui n'est pas de la maison, une
pauvre femme en larmes, honteuse... Elle marche toute courbée, presque en
rampant et, arrivée près du groupe au milieu duquel se trouve Jésus, elle se
met à crier :
«Aie pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma petite fille est toute
tourmentée par le démon qui lui fait commettre des choses honteuses. Aie
pitié parce que je souffre beaucoup et que je suis méprisée par tous à cause
de cela. Comme si ma fille était responsable de ce qu'elle fait... Aie pitié,
Seigneur, toi qui peux tout. Elève ta voix et ta main, et ordonne à l'esprit
impur de sortir de Palma. Je n'ai que cette enfant et je suis veuve... Oh ! ne
t'en va pas! Pitié !...»
En effet, Jésus, qui a fini de bénir chaque membre de la famille et qui a
réprimandé les adultes d'avoir parlé de sa venue - et eux s'en excusent en
disant : "Nous n'avons pas parlé, Seigneur, tu peux en être
sûr !" - s'éloigne. Il fait preuve d'une dureté inexplicable envers
la pauvre femme qui se traîne sur les genoux, les bras tendus en une
supplication fébrile, en disant :
«C'est moi, moi qui t'ai vu hier passer le torrent, et j'ai entendu qu'on
t'appelait "Maître". Je vous ai suivis parmi les buissons et j'ai
entendu vos conversations. J'ai compris qui tu es... Et ce matin, je suis
venue alors qu'il faisait encore nuit, pour rester ici sur le seuil comme un
petit chien jusqu'au moment où Sarah s'est levée et m'a fait entrer. Oh !
Seigneur, pitié ! Pitié pour une mère et une fillette !»
Mais Jésus marche rapidement, sourd à tout appel. Les habitants de la maison
disent à la femme :
«Résigne-toi ! Il ne veut pas t'écouter. Il l'a dit : c'est pour
les fils d'Israël qu'il est venu...»
Mais elle se lève, à la fois désespérée et pleine de foi, et elle
répond :
«Non. Je vais tellement le prier qu'il m'écoutera.»
Et elle se met à suivre le Maître sans cesser de crier ses supplications qui
attirent sur le seuil des maisons du village tous ceux qui sont éveillés et
qui, comme ceux de la maison de Jonas, se mettent à la suivre pour voir
comment tout cela va se terminer.
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247> 331.5 - Pendant ce temps, les apôtres,
étonnés, se regardent les uns les autres et murmurent :
«Pourquoi agit-il ainsi ? Il ne l'a jamais fait !»
Jean dit :
«À Alexandroscène, il a pourtant guéri ces deux malheureux.
— C'étaient cependant des prosélytes, répond Jude.
— Et celle qu'il va guérir maintenant ?
— Elle est prosélyte, elle aussi, dit le berger Hanne.
— Ah ! mais que de fois il a guéri même des païens ! Et la petite Romaine,
alors ?» dit André d'un ton désolé.
Il ne sait pas rester paisible devant la dureté de Jésus envers la femme
cananéenne.
«Je vais vous dire ce qu'il y a» s'exclame Jacques de Zébédée.
«C'est que le Maître est indigné. Sa patience est à bout devant tant
d'assauts de la méchanceté humaine. Ne voyez-vous pas comme il est
changé ? Il a raison ! Désormais, il ne va se donner qu'à ceux
qu'il connaît. Et il fait bien !
— Oui. Mais en attendant, cette femme nous poursuit de ses cris, avec une
foule de gens à sa suite. S'il veut passer inaperçu, il a trouvé moyen
d'attirer l'attention même des arbres, bougonne Matthieu.
— Allons lui dire de la renvoyer... Regardez le beau cortège qui nous suit !
Si nous arrivons ainsi sur la route consulaire, nous allons être frais ! Et
elle, s'il ne la chasse pas, elle ne va pas nous lâcher...» dit Jude, fâché,
qui, de plus, se retourne et intime à la femme :
«Tais-toi et va-t'en !
Jacques d'Alphée,
solidaire de son frère, en fait autant.
Mais, sans se laisser impressionner par ces menaces et ces injonctions, onctions,
la femme supplie de plus belle.
«Allons le dire au Maître, pour qu'il la chasse lui-même, puisqu'il ne veut
pas l'exaucer. Cela ne peut pas durer ainsi ! dit Matthieu, alors qu'André
murmure :
— La pauvre !»
Et Jean ne cesse de répéter :
«Moi, je ne comprends pas... Je ne comprends pas...»
Jean est bouleversé de la façon d'agir de Jésus. Mais à présent, en
accélérant leur marche, ils ont rejoint le Maître qui marche rapidement comme
si on le poursuivait.
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248> «Maître ! Renvoie donc cette femme
! C'est un scandale ! Elle crie derrière nous ! Elle nous fait remarquer par
tout le monde ! La route se remplit de toujours plus de gens... et beaucoup la
suivent. Dis-lui de partir.
— Dites-le-lui vous-mêmes. Moi, je lui ai déjà répondu.
— Elle ne nous écoute pas. Allons ! Dis-le-lui, toi. Et avec sévérité.»
331.6 -
Jésus s'arrête et se retourne. La femme prend cela pour un signe de grâce,
elle hâte le pas et hausse le ton déjà aigu de sa voix; son visage pâlit car
son espoir grandit.
«Tais-toi, femme, et retourne chez toi ! Je l'ai déjà dit: "C'est pour
les brebis d'Israël que je suis venu." Pour guérir les malades et
rechercher celles qui sont perdues. Toi, tu n'es pas d'Israël.
Mais la femme est déjà à ses pieds et les baise en l'adorant et serrant ses
chevilles, comme si elle était une naufragée qui a trouvé un rocher où se
réfugier. Elle gémit :
«Seigneur, viens à mon secours ! Tu le peux, Seigneur. Commande au
démon, toi qui es saint... Seigneur, Seigneur, tu es le Maître de tout, de la
grâce comme du monde. Tout t'est soumis, Seigneur. Je le sais. Je le crois.
Prends donc ce qui est en ton pouvoir et sers-t'en pour ma fille.
— Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants de la maison et de le
jeter aux chiens de la rue.
— Moi, je crois en toi. En croyant, de chien de la rue je suis devenue chien
de la maison. Je te l'ai dit: je suis venue avant l'aube me coucher sur le
seuil de la maison où tu étais, et si tu étais sorti de ce côté-là, tu aurais
buté contre moi. Mais tu es sorti de l'autre côté et tu ne m'as pas vue. Tu
n'as pas vu ce pauvre chien tourmenté, affamé de ta grâce, qui attendait pour
entrer en rampant là où tu étais, pour te baiser ainsi les pieds, en te demandant
de ne pas le chasser...
— Il n'est pas bien de jeter le pain des enfants aux chiens, répète Jésus.
— Pourtant, les chiens entrent dans la pièce où le maître prend son repas
avec ses enfants, et ils mangent ce qui tombe de la table, ou les restes que
leur donnent les gens de maison, ce qui ne sert plus. Je ne te demande pas de
me traiter comme une fille et de me faire asseoir à ta table. Mais donne-moi,
au moins, les miettes...»
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249> 331.7 - Jésus sourit. Oh ! comme son visage
se transfigure dans ce sourire de joie... ! Les gens, les apôtres, la femme,
le regardent avec admiration... sentant que quelque chose va arriver. Et
Jésus dit :
«Femme ! Ta foi est grande. Et par elle, tu consoles mon âme. Va donc, et
qu'il te soit fait comme tu le désires. Dès ce moment, le démon est sorti de
ta petite. Va en paix. Et comme, de chien perdu, tu as su vouloir être chien
domestique, sache à l'avenir être fille, assise à la table du Père. Adieu.
- Oh! Seigneur ! Seigneur ! Seigneur !
... Je voudrais courir pour voir ma Palma chérie... Je voudrais rester avec
toi, te suivre ! Tu es béni ! Tu es saint !
- Va, va, femme. Va en paix.»
Jésus reprend alors sa route tandis que la Cananéenne, plus leste qu'une
enfant, rebrousse chemin en courant, suivie de la foule curieuse de voir le
miracle...
«Mais pourquoi, Maître, l'as-tu tant fait te prier pour ensuite
l'écouter ? demande Jacques de Zébédée.
- A cause de toi et de vous tous. Cela n'est pas une défaite, Jacques. Ici,
je n'ai pas été chassé, ridiculisé, maudit... Que cela relève votre esprit
abattu. J'ai déjà eu aujourd'hui ma nourriture très douce. Et j'en bénis
Dieu.
331.8 -
Et maintenant allons trouver cette autre femme qui sait croire et attendre
avec une foi assurée.
- Et mes brebis, Seigneur ? Bientôt je devrai prendre une autre route
que la tienne pour aller à ma pâture...» redemande le berger Hanne.
Jésus sourit sans répondre.
Il est beau de cheminer, maintenant que le soleil réchauffe l'air et fait
resplendir comme des émeraudes les feuilles nouvelles des bois et les herbes
des prairies, changeant en chaton tout calice de fleur sous les gouttes de
rosée qui brillent dans les pétales multicolores des petites fleurs des
champs. Jésus marche en souriant. Et les apôtres, qui ont subitement repris
courage, le suivent en souriant aussi...
Ils arrivent au carrefour. Le berger Hanne, navré, dit :
«C'est ici que je devrais te quitter... Tu ne viens donc pas guérir mes
brebis? Moi aussi, j'ai foi, et je suis prosélyte... Tu me promets, au moins,
de venir après le sabbat ?
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250> -Oh, Hanne ! Tu n'as donc
toujours pas compris que tes brebis sont guéries depuis le moment où j'ai
levé la main vers Lesemdan ?
Va donc, toi aussi, pour voir le miracle et bénir le Seigneur. »
Je crois que, lorsque la femme de Loth a été changée en sel,
elle n'a pas été différente du berger qui est resté comme il était, un peu
incliné, mais la tête relevée vers Jésus pour le regarder, un bras à demi
tendu en l'air... On dirait une statue. Et on pourrait lui mettre
l'inscription: "Le suppliant." Mais ensuite il se redresse et se
prosterne, en disant :
«Béni sois-tu ! Tu es bon ! Tu es saint ! Mais je t'ai promis
beaucoup d'argent, et je n'ai ici que quelques drachmes... Viens, viens chez
moi après le sabbat...
-
Je viendrai, non pour l'argent, mais pour te bénir encore pour ta simple foi.
Adieu, Hanne. Que la paix soit avec toi.
Et
ils se séparent...
«Et cela aussi n'est pas une défaite, mes amis ! Et ici aussi, je n'ai pas
été ridiculisé, chassé et maudit !...
331.9 -
Allons, du nerf ! Il y a une mère qui nous attend depuis plusieurs
jours..."
Et la marche continue, avec un petit arrêt pour manger du pain et du fromage,
et boire à une source...
Le soleil est au midi quand ils voient apparaître le carrefour. Voici le
commencement de l'escalier de Tyr,
là au fond » dit Matthieu.
Et il se réjouit à la pensée que la plus grande partie du parcours est faite.
Justement, adossée à une borne romaine, se tient une femme. A ses pieds, sur
un strapontin, une fillette de sept à huit ans. La femme regarde dans toutes
les directions, vers l'escalier taillé dans les rochers, vers la route de Ptolémaïs, vers celle que parcourt
Jésus, et de temps à autre elle se penche pour faire une caresse à sa fille,
lui protéger la tête du soleil par une toile, recouvrir d'un châle ses pieds
et ses mains...
- Voilà la femme ! Mais où aura-t-elle dormi pendant ces jours ? demande
André.
- Peut-être dans cette maison, tout près du carrefour. Il n'y en a pas
d'autres dans le voisinage, répond Matthieu.
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251> - Ou à la belle étoile, dit Jacques d'Alphée.
- Non. À cause de la fillette, non, répond son frère.
- Oh ! pour obtenir la grâce... dit Jean.
331.10 -
"Jésus garde le silence, mais il sourit. Tous en rang, trois d'un côté,
trois de l'autre, et lui au milieu, ils prennent toute la route à cette heure
de pause des voyageurs, occupés à déjeuner là où les a pris le milieu du
jour.
Jésus sourit, grand, beau, au milieu d'eux. On dirait que toute la lumière du
soleil s'est concentrée sur son visage, tant il est radieux. Il semble
diffuser des rayons.
La femme lève les yeux... Ils sont désormais à une cinquantaine de mètres de
distance. Peut-être Jésus a-t-il attiré son attention, distraite par une
plainte de la fille, par son regard fixé sur elle. Elle regarde... Elle porte
les mains à son cœur en un mouvement involontaire provoqué par l'angoisse et
sursaute.
Le sourire de Jésus s'épanouit. Et ce sourire
resplendissant, inexprimable, doit être très parlant pour la femme qui, non
plus anxieuse mais souriante comme si déjà elle éprouvait son futur bonheur,
se penche pour prendre sa petite fille ; elle la soulève de son siège,
la porte les bras tendus comme si elle l'offrait à Dieu, s'avance et, quand
elle arrive aux pieds de Jésus, elle s'agenouille en levant le plus qu'elle
le peut la fillette allongée qui regarde, extasiée, le très beau visage de
Jésus.
La femme ne dit pas un mot. D'ailleurs, que dire de plus profond que ce
qu'elle exprime par toute son attitude ?
Et Jésus ne dit qu'un seul mot,
petit, mais puissant, béatifiant comme le "Fiat" de Dieu à la
création du monde :
«Oui.»
Et il pose sa main sur la petite poitrine de l'enfant étendue.
Alors l'enfant, avec un cri d'alouette libérée de la cage, s'écrie
«Maman !» et elle s'assied tout d'un coup, glisse à ses pieds, et
embrasse sa mère qui, épuisée, vacille et va tomber à la renverse,
s'évanouissant par suite de la fatigue, de l'angoisse subitement apaisée, de
la joie qui dépasse les forces de son cœur déjà affaibli par tant de
souffrances passées.
Jésus la soutient promptement. Son intervention est plus efficace que celle
de la fillette qui, alourdissant de son poids les bras maternels, ne l'aide
pas précisément à la soutenir. Jésus la fait asseoir et lui transmet sa
force... Et il la regarde pendant que des larmes muettes coulent sur le
visage à la fois las et bienheureux de la mère.
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252> 331.11 - Puis viennent les
mots :
«Merci,
mon Seigneur ! Merci et bénédictions ! Mon espérance a été
comblée... Je t'ai tant attendu... Mais maintenant je suis heureuse...»
La femme, une fois con malaise dissipé, se remet à genoux et adore, tenant
devant elle la fillette que Jésus caresse. Elle explique :
«Il y a deux ans, un os s'est détérioré dans sa colonne vertébrale, ce qui
l'a paralysée et l'amenait à la mort lentement en la faisant beaucoup
souffrir. Nous l'avions montrée à des médecins d'Antioche, de Tyr, de Sidon
et même de Césarée
et de Panéade,
faisant tant de dépenses en médecins et en remèdes que nous avons dû vendre
la maison que nous possédions en ville et nous retirer dans celle de
campagne, congédier les serviteurs de la maison pour ne garder que ceux de la
campagne, vendre nos productions, qu'auparavant nous consommions... Et cela n'a
servi à rien ! Je t'ai vu. Je savais ce que tu avais fait ailleurs. J'ai
espéré obtenir ta grâce pour moi aussi... Et je l'ai eue ! Maintenant, je
retourne à la maison, légère, joyeuse... et je vais faire cette joie à mon
époux... A mon Jacques, lui qui m'a mis au cœur l'espérance, en me racontant
ce qui était arrivé par ta puissance en Galilée et en Judée. Ah ! si nous
n'avions pas craint de ne pas te trouver, nous serions venus avec la
fillette. Mais tu es toujours en route.
- C'est en faisant route que je suis venu vers toi... Mais où as-tu séjourné
pendant ce temps ?
- Dans cette maison... Mais la nuit, ma fillette seule y restait. Il y a là
une brave femme : elle en prenait soin à ma place. Moi, je suis restée
tout le temps ici, par crainte de te manquer si tu passais de nuit.»
Jésus pose sa main sur sa tête :
«Tu es une bonne mère. Dieu t'aime pour cela. Tu vois qu'il t'a aidée en
tout.
- Oh, oui ! Je l'ai bien senti pendant que je venais. J'étais venue de
la maison à la ville, croyant t'y trouver, par conséquent avec peu d'argent
et seule. Puis, suivant le conseil de l'homme,
j'ai poursuivi ma route vers cet endroit. J'ai envoyé prévenir à la maison et
je suis venue... et il ne m'a rien manqué. Ni pain, ni abri, ni force.
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253> - Toujours avec ce fardeau dans les
bras ? Ne pouvais-tu pas louer un char ? demande Jacques d'Alphée,
apitoyé.
- Non. Elle aurait trop souffert, à en mourir. C'est dans les bras de sa mère
que ma Jeanne est venue à la grâce.»
Jésus leur caresse les cheveux à toutes les deux :
«Maintenant partez et soyez toujours fidèles au Seigneur. Que le Seigneur
soit avec vous ainsi que ma paix.
Jésus reprend sa marche sur la route qui mène à Ptolémaïs.
«Et cela non plus n'est pas une défaite, mes amis. Là aussi, je n'ai été ni
chassé, ni ridiculisé, ni maudit.»
331.12 -
En suivant la route directe, ils ont vite fait de rejoindre la maréchalerie,
près du pont. Le maréchal-ferrant romain se repose au soleil, assis contre le
mur de la maison. Il reconnaît Jésus et le salue. Jésus lui rend son salut et
il ajoute :
«Me permets-tu de rester ici pour me reposer un peu et manger un peu de
pain ?
- Oui, Rabbi. Ma femme voulait te voir... car je lui ai raconté ce que
j'avais entendu de ton discours de l'autre fois. Esther est juive. Mais je
n'osais te le dire, moi qui suis romain. Je te l'aurais envoyée...
- Appelle-la donc.»
Et Jésus s'assied sur le banc, adossé au mur, pendant que Jacques de Zébédée,
distribue pain et fromage...
Une femme d'environ quarante ans sort, confuse, rouge de honte.
«Paix à toi, Esther. Il t'est venu le désir de me connaître ?
Pourquoi ?
- A cause de ce que tu as dit... Les rabbins nous méprisent, nous qui avons
épousé un Romain... Mais j'ai porté tous mes enfants au Temple et les garçons
sont tous circoncis. Je l'avais dit d'avance à Titus, quand il a voulu
m'épouser... Et il est bon... Il me laisse toujours faire avec les enfants.
Coutumes, rites, tout est juif ici ! ... Mais les rabbins comme les chefs de
synagogues nous maudissent. Pas toi... Tu as des paroles de pitié pour
nous... Ah ! sais-tu ce que cela signifie pour nous ? C'est comme sentir
autour de soi les bras du père et de la mère qui nous ont répudiées et
maudites, ou qui sont sévères avec nous... C'est comme remettre les pieds
dans la maison que l'on a quittée et ne plus s'y sentir étrangère... Titus
est bon.
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254> Pendant nos fêtes, il ferme la
maréchalerie, quitte à perdre beaucoup d'argent, et il m'accompagne avec les
enfants au Temple, car il assure que l'on ne peut rester sans religion. Lui
dit que la sienne est celle de la famille et du travail, comme auparavant
c'était celle du devoir de soldat... Mais moi... Seigneur... j'ai voulu te
demander quelque chose... Tu as dit
que ceux qui suivent le vrai Dieu doivent prélever un peu de leur levain
saint et le mettre dans la bonne farine pour la faire fermenter saintement.
C'est ce que j'ai fait avec mon mari. Depuis vingt ans que nous sommes
ensemble, j'ai cherché à travailler son âme qui est bonne avec le levain
d'Israël. Mais il ne se décide jamais... et il est âgé... Je voudrais qu'il
soit avec moi dans l'autre vie... Unis par la foi, comme nous le sommes par
l'amour... Je ne te demande pas la richesse, le bien-être, la santé. Ce que
nous avons nous suffit, Dieu soit loué ! Mais cela, je le désire... Prie pour
mon mari ! Qu'il appartienne au vrai Dieu...
- Oui, il aura cette grâce. Sois-en sûre. Tu demandes une chose sainte et tu
l'obtiendras. Tu as compris les devoirs de la femme envers Dieu et envers son
époux. Si c'était le cas de toutes les épouses ! En vérité, je te dis que
beaucoup devraient t'imiter. Reste telle que tu es et tu auras la joie d'avoir
ton Titus à tes côtés, dans la prière et au Ciel.
331.13 -
"Montre-moi tes enfants.»
La femme appelle ses nombreux enfants :
«Jacob, Judas, Lévi, Marie, Jean, Anne, Elise, Marc !»
Puis elle entre dans la maison et en ressort avec un enfant qui marche à
peine et un bébé de trois mois tout au plus :
«Lui, c'est Isaac, et la toute petite, c'est Judith, dit-elle pour terminer
la présentation.
- Quelle abondance !» s'exclame en riant Jacques de Zébédée.
Et Jude s'écrie :
«Six garçons ! Et tous circoncis ! Et avec des noms purs ! Bravo !»
La femme est heureuse et elle fait l'éloge de Jacob, Judas et Lévi qui aident
leur père "tous les jours sauf le sabbat, jour où Titus travaille seul
pour mettre les fers préparés d'avance", dit-elle. Et elle loue Marie et
Anne "qui aident leur mère". Mais elle ne se fait pas faute de
mettre en valeur les quatre plus petits, qui sont "bons et ne font pas
de caprices. "
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254> Titus m'aide à les éduquer, lui qui
a été un soldat discipliné» dit-elle en regardant affectueusement l'homme
qui, adossé à l'huisserie, une main sur la hanche, a écouté tout ce qu'a dit
sa femme avec un franc sourire sur son visage ouvert, et qui maintenant se
rengorge en entendant rappeler ses mérites de soldat.
«Très bien. Dieu ne réprouve pas la discipline des armes quand le devoir du
soldat est accompli avec humanité. L'important, c'est d'être toujours
moralement honnête, dans tout travail, pour être toujours vertueux. Cette
discipline d'autrefois que tu transmets à tes enfants doit te préparer à un
service plus élevé : celui de Dieu. Maintenant, nous te quittons.
J'aurai juste le temps d'arriver à Aczib
avant la fin du crépuscule. Paix à toi, Esther, et à toute ta maison.
Appartenez, bientôt, tous au Seigneur.»
La mère et les enfants s'agenouillent pendant que Jésus lève la main pour les
bénir. L'homme, comme s'il était de nouveau le soldat de Rome devant son
empereur, se met au garde-à-vous, en saluant à la romaine.
331.14 -
Et ils s'en vont... Après quelques mètres, Jésus pose la main sur l'épaule de
Jacques :
-Et encore une fois, la quatrième de la journée, je te fais remarquer que ce
n'est pas une défaite, ce n'est pas être chassé, ridiculisé, maudit... Et
maintenant, qu'en dis-tu ?
—Que je suis un benêt, Seigneur, répond vivement Jacques de Zébédée.
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