Vision du samedi 17 août 1946.
364> 475.1 - "Levez-vous
et partons" commande Jésus aux siens qui dorment lourdement sur du foin,
plutôt des joncs que du foin, entassés sur un champ près d'un ruisseau qui
attend les pluies d'automne pour remplir d'eau son lit.
Les apôtres obéissent sans parler, encore à moitié endormis. Ils ramassent
les sacs, mettent leurs manteaux dont ils s'étaient servis comme couvertures
pendant la nuit, et se mettent en route avec Jésus.
"Nous allons par le Carmel ?" demande Jacques d'Alphée.
"Non, par Sephoris. Et ensuite nous prendrons la route pour Mageddo. Nous avons à peine le temps... "
répond Jésus.
"Oui. Et les nuits se font trop humides et trop fraîches pour dormir
dans les champs, quand pour quelque raison une maison ne nous accueille
pas" observe Mathieu.
"Les hommes ! Mais comme ils oublient facilement !
Seigneur ? Mais en sera-t-il toujours ainsi ?" demande André.
"Toujours."
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365> "Et alors ! S'il en est
ainsi avec Toi, quand ce sera nous qui agirons, dès qu'on aura tourné le dos,
tout sera effacé" dit Thomas découragé.
475.2 - "Moi, je dis
pourtant qu'il y a ici quelqu'un qui fait oublier. Car les hommes, oui,
oublient facilement. Mais ils n'oublient pas toujours. Je vois que parmi
nous, parmi nous hommes, nous nous souvenons des choses que nous avons eues
et données. Pour Toi, par contre... Non. Ce sont toujours les mêmes qui
travaillent à effacer le souvenir de Toi" dit Pierre.
"Ne juge pas sans avoir une base certaine" dit Jésus.
"Maître, c'est que la base, je l'ai !"
"Tu l'as ? Qu'as-tu découvert ?" demande l'Iscariote très
intéressé, et avec lui d'autres demandent également. Mais l'intérêt de Judas
est le plus vif, je dirais inquiet.
Pierre, qui regardait Jésus, se tourne et regarde l'Iscariote... un regard
attentif, éveillé, soupçonneux, et il se tait, en le regardant, pendant un
moment. Puis il dît :
"Oh ! rien... et tout, si
cela ne t'ennuie pas de le savoir. Au point, si j'étais un homme à employer
tous les moyens pour réussir, au point de courir dénoncer beaucoup de choses
à ceux qui nous gouvernent, et je suis sûr que quelqu'un aurait des ennuis.
Mais je préfère ne pas réussir plutôt que d'avoir de l'aide de ce côté. Dans
les choses de Dieu, je n'admets que l'aide de Dieu, et il me semblerait
apporter la profanation dans les choses de Dieu, à employer... leur... aide
pour écraser les reptiles. Eux aussi sont des reptiles... et... je ne m'y
fierais pas... Capables d'écraser en même temps ceux qui sont dénoncés et les
dénonciateurs... Ainsi... j'agis par moi-même. Voilà !"
"Mais tu ne t'aperçois pas que. tu offenses le Maître ?"
"Moi? Pourquoi ?"
"Parce que Lui les fréquente."
"Lui, c'est Lui. et s'il les fréquente, ce n'est pas par intérêt mais
pour les amener à Dieu. Lui peut le faire... et il le fait. Mais il ne court
pas après eux... Tu vois que... c'est à eux de venir à Lui pour entendre le
"philosophe", comme ils disent. Mais maintenant ils ne le désirent
plus autant, me semble-t-il. Et moi, je ne pleure pas."
"Tu paraissais content toi aussi à Pâque !"
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366> "Il semblait. L'homme est
souvent un sot. Mais il ne semble plus, et cela n'est plus. Et j'ai
raison."
"Comme créature qui ne mélange pas l'intérêt humain aux choses
spirituelles, tu as raison, Simon" dit Jésus. "Mais comme apôtre
qui se réjouit que d'autres s'éloignent de la Lumière, non. Tu n'as pas
raison. Si tu réfléchissais que toute âme gagnée à la Lumière est une gloire
pour ton Maître, tu ne parlerais pas ainsi."
Judas Iscariote regarde Pierre avec un sourire sarcastique.
Pierre le voit... mais il se domine et ne dit rien.
Jésus le voit aussi, et s'adressant à Pierre, mais comme s'il parlait pour
tous, il dit :
"Sachez
pourtant que plus excusable est un excès de scrupule religieux, pour une
bonne fin, que de passer sans souci sur tout pour atteindre un but
humain. Je vous l'ai dit plusieurs fois : c'est la volonté bonne ou
mauvaise qui donne du poids à l'action. Et dans ce cas, c'est une volonté
bonne, même si elle est imparfaite dans sa forme, de s'opposer à amener
l'humain dans le surhumain, et ce que l'on considère comme immonde auprès de
Dieu. Son intransigeance n'est pas juste parce que je suis venu pour tout le
monde. Mais il est très voisin de la perfection son jugement que, dans les
choses de Dieu, on ne doit recourir qu'à son aide surnaturelle, sans mendier
une aide humaine intéressée ou utilitaire."
Et avec cette appréciation équitable, Jésus met fin à la discussion.
475.3 - Ils ont passé à
pied sec un autre lit de ruisseau brûlé par l'été et rejoint la route
principale qui va de Sicaminon vers la Samarie. Je crois, si j'ai bon
souvenir, que c'est un endroit que j'ai vu une autre fois. La route est très
fréquentée à cause de la proximité de la fête et elle a déjà pris l'aspect
caractéristique des routes palestiniennes aux époques des pèlerinages
obligatoires au Temple. Voyageurs, ânes, chars qui portent des personnes,
avec des tentes, du mobilier pour les haltes entre les étapes, et dans
Jérusalem elle-même, toujours envahie lors des solennités, au point de
conseiller de camper sur les collines qui l'entourent, pourvu que la saison
le permette. Puis, dans cette fête des Tabernacles, elle est encore
plus sensible cette émigration de familles entières, non pas que les pèlerins
soient plus nombreux que pour la Pâque ou la Pentecôte, mais parce que, devant
vivre sous des cabanes pendant plusieurs jours, ils ont le mobilier que dans
les autres solennités tous évitent de traîner derrière eux.
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367> C'est vraiment l'exode d'un peuple
qui se déverse de toutes les routes vers la capitale, comme le sang afflue au
cœur par toutes les veines.
475.4 - Pour comprendre
même maintenant la religion obstinée d'Israël, si tenace, si unie - c'est
pourquoi les coreligionnaires s'aident entre eux, en quelque endroit qu'ils
se trouvent poussés par le sort et, quelle que soit la nation où ils sont
nés, et cela n'est pas un obstacle, car un autre juif d'une autre nation se
sent toujours frère et compatriote du coreligionnaire qu'il rencontre - il faut se souvenir qu'eux, dispersés.
persécutés, méprisés, apparemment sans une vraie Patrie, ne se sentent rien
de tout cela. Ils ont leur Patrie, celle que leur Jéhovah
leur a donnée. Ils ont leur capitale : Jérusalem, et c'est là, de
toutes les parties du monde, que converge le meilleur de leur être : leur esprit, leur cœur. Ils ont péché ? Dieu
les a punis ? Les prophéties se sont réalisées ? Oui. c'est vrai.
Mais il reste celle-là, lumineuse, cause pour eux d'une lumineuse espérance,
de la reconstruction du royaume d'Israël... de ce Messie qui doit venir... Et
dans la douleur qui craint d'avoir démérité de Dieu, et dans une perpétuelle
question : "Mais Jésus de Nazareth était-il le vrai Messie ?",
ils cherchent à se reconstituer en Nation, pour l'avoir, ce Messie, Ils
cherchent à conserver cette foi tenace à leur religion pour mériter le pardon
de Dieu et voir s'accomplir la promesse.
Je suis une pauvre femme, et je ne connais rien aux problèmes politiques, je
ne me suis jamais intéressée aux hébreux d'aujourd'hui et à leurs malheurs.
Quelquefois même, j'ai ri d'eux de ce qu'ils attendent encore Celui qui est
venu et qu'ils ont crucifié, il me semblait qu'ils versaient peut-être des
larmes de crocodiles, leur conduite ne m'a pas semblé et ne me semble pas
telle qu'elle puisse mériter ce qu'ils espèrent de Dieu, non pas le Christ
qui désormais ne viendra qu'au Dernier Jour, mais pas non plus le
rassemblement de la race hébraïque dispersée dans une Nation indépendante.
Mais pourtant, maintenant que je vois,
spirituellement, les pères des hébreux actuels, je comprends leur drame
séculaire et leur ténacité, la source de cette ténacité qu'ils gardent
toujours. C'est encore le Peuple de Dieu qui. par la volonté de Dieu,
converge vers la Terre promise aux Pères, aux Patriarches, le peuple qui
depuis des centaines de siècles accomplit le rite mosaïque, en pensant à
Jérusalem, à son Temple qui resplendit sur le Moriah. Ils ne peuvent y
aller ? Si. Mais ils s'y rendent en esprit.
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368> Les baïonnettes, les canons, les
prisons servent contre l'homme, pas contre l'esprit. Israël ne peut périr, car
il est resté dans sa religion. Théorique, pharisaïque, rituelle, privée
de ce qui est la vraie vie d'une religion : la correspondance de
l'esprit au rite matériel ? Tout ce que vous voulez. Mais autour de ce
corps émietté qui fut une Nation, et qui est maintenant une infinité de
fragments épars sur toute la Terre, il reste pour les garder unis un ensemble
d'idées, de rites, de préceptes séculaires, venus des prophètes et des rabbis
et, comme un phare visible de toutes les parties du monde, un lieu
resplendit: Jérusalem, et son nom est comme un appel au rassemblement, il est
comme un étendard déployé pour le rappel, le souvenir, la promesse. Non. Ce
peuple ne peut être réduit au silence par aucune force humaine.
Il y a en lui une force plus qu'humaine. Tout cela se comprend quand on
observe ce peuple qui s'en va par des chemins impossibles, dans des saisons
pénibles, insoucieux de tout ce qui est peine, joyeux de la joie d'aller à la
Cité Sainte. Tout cela se comprend quand on les voit aller, les riches avec
les pauvres, les enfants avec les vieux, de la Palestine ou de la Diaspora,
vers leur cœur : Jérusalem. Tout cela se comprend quand on les
entend chanter leurs cantiques... Et, je l'avoue, moi je voudrais que nous,
les chrétiens et les catholiques, nous soyons comme eux. que nous ayons pour
le cœur du Catholicisme, Rome, l'Église, et pour celui qui y vit : le
Pierre d'aujourd'hui, les sentiments de ceux que je vois aller, aller, aller;
je voudrais que nous ayons ce qu'ils ont eux, en plus de notre Foi parfaite
parce que chrétienne.
On me dira : "Ils sont pleins de défauts." Et nous ? En
sommes-nous exempts? Exempts, nous fortifiés par la Grâce et les
Sacrements ? Nous qui devrions être "parfaits comme le Père qui est
dans les Cieux ?"
475.5 - J'ai fait une
digression. Maïs, en suivant la marche des apôtres confondus avec les foules
d'Israël, ma pensée travaillait...
Et elle travaille jusqu'au moment où, à un croisement de routes, un groupe de
disciples aperçoit le Maître et se serre autour de Lui. Parmi eux se trouve Abel de
Bethléem, qui se jette tout de suite
aux pieds de Jésus en disant :
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369> "Maître, j'ai tant prié le
Très-Haut pour qu'il me fît te rencontrer. Je ne l'espérais plus. Mais Il m'a
exaucé. Toi, maintenant, exauce ton disciple."
"Que veux-tu, Abel ? Viens là, au bord du champ. Ici, il y a trop
de gens, et nous dérangeons."
Ils se rendent en masse à l'endroit que Jésus indique et là Abel dit ce qu'il
veut.
"Maître, tu m'as sauvé de la mort et de la calomnie
et tu as fait de moi un de tes disciples. Tu m'aimes donc
beaucoup ?"
"Comment peux-tu le demander ?"
"Je le demande pour être certain que tu exauces ma prière. Quand tu m'as
sauvé, tu as infligé à mes ennemis un horrible châtiment. Tu l'as infligé, il
est certainement juste. Mais, oh ! Seigneur ! il est bien
horrible ! J'ai cherché ces trois. Chaque fois que je venais chez ma
mère, je les cherchais, sur les montagnes, dans les cavernes, dans ma ville.
Et je ne les trouvais jamais."
"Pourquoi les as-tu cherchés ?"
"Pour leur parler de Toi, Seigneur. Pour que, croyant en Toi, ils
t'invoquent et obtiennent le pardon et la guérison. C'est seulement pendant
l'été que je les ai trouvés, et pas ensemble. L'un d'eux, celui qui me
haïssait à cause de ma mère, s'est séparé des autres qui sont allés plus
haut, vers les monts plus élevés de Jiphtaël. Ils
m'ont dit où il est... Et de ceux-ci j'ai eu la trace par des bergers de
Bethléem
qui t'ont donné l'hospitalité ce soir-là. Les bergers, avec leurs troupeaux,
vont de tous côtés, et ils savent tant de choses. Ils savaient que c'était à
la montagne de la Belle Source que se trouvaient les deux lépreux que je
cherchais. J'y suis allé. Oh !..." L'horreur se peint sur le visage
du jeune homme, encore tout jeune.
"Continue."
"Ils m'ont reconnu. Moi, je ne pouvais reconnaître mes concitoyens en
ces deux monstres… Ils m'ont appelé... et ils m'ont prié, comme si j'étais un
dieu... Le serviteur surtout m'a fait pitié ,
à cause de son pur repentir. Il ne veut que ton pardon. Seigneur... Aser veut
aussi la guérison. Il a une vieille mère, Seigneur, une vieille mère qui
meurt de chagrin dans la ville..."
"Et l'autre ? Pourquoi s'est-il séparé ?"
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370> "Parce que c'est un démon.
Principal coupable, déjà adultère quand il est devenu homicide, il a poussé
Aser, corrompu le serviteur de Joël, qui est un peu sot et facilement
influençable, il continue à être un démon. De sa bouche sort la haine et le
blasphème, de son cœur la haine et la cruauté. Je l'ai vu lui aussi... Je
voulais le rendre bon. Il s'est rué sur moi comme
un vautour et ce n'est qu'à ma fuite, rapide et résistante pour moi parce que
je suis jeune et sain, que j'ai dû mon salut. Mais je ne désespère pas de le
sauver. Je retournerai... Une fois, deux fois, autant qu'il faudra avec des
secours, avec amour. Je me ferai aimer. Lui croit que je vais pour me moquer
de son malheur. Moi, j'y vais pour le réédifier. S'il peut arriver à m'aimer,
il n'écoutera; s'il m'écoute, il finira par croire en Toi. C'est ce que je
veux. Les autres, oh ! cela a été facile car
par eux-mêmes ils ont médité et compris. Et le serviteur est devenu le simple
maître de l'autre parce qu'il a tant de foi, un si grand désir de pardon.
475.6 - Viens,
Seigneur ! Je leur ai promis de te conduire à eux quand je t'aurais
rencontré."
"Abel, leur crime était grand : plusieurs crimes en un. Bien court
est le temps qu'ils ont expié..."
"Grand a été leur tourment et leur repentir. Viens."
"Abel, eux te voulaient mort."
"N'importe, Seigneur. Je veux pour eux la vie."
"Quelle vie ?"
"Celle que tu donnes, celle de l'esprit, le pardon, La rédemption."
"Abel. c'étaient tes Caïns et ils t'ont haï
comme on ne le peut davantage. Ils voulaient t'enlever tout : la vie,
l'honneur et ta mère..."
"Ils ont été mes bienfaiteurs, puisque c'est grâce à eux que je t'ai eu,
Toi. Moi, je les aime pour ce don qu'ils m'ont fait, et je te demande qu'ils
soient où moi je suis : à ta suite. Je veux leur salut comme le mien,
plus que le mien, car plus grand est leur péché."
"Quelle offrande ferais-tu à Dieu en échange de leur salut, s'il te le
demandait ?"
Abel réfléchit un moment... puis il dit avec assurance :
"Même moi-même, ma vie. Je perdrais une poignée de boue, pour posséder
le Ciel. Une perte heureuse. Un profit grand, infini : Dieu, le Ciel. Et
deux pécheurs sauvés : les premiers-nés du troupeau que j'espère te
conduire et t'offrir, ô Seigneur."
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371> Jésus fait un geste qu'il ne fait
jamais ainsi en public. Il se penche car il est beaucoup plus grand qu'Abel
et, prenant la tète d'Abel dans ses mains, il dépose un baiser sur la bouche
en disant : "Qu'il en soit ainsi", je crois du moins que c'est
ce que signifie son "Marana Tha".
Et il ajoute :
"Pour tes sentiments, qu'il te soit fait selon ce que demandent tes
paroles. Viens avec Moi, tu me conduiras. Jean, viens avec Moi. Et vous,
allez en avant, par la route de Mageddo à Engannim. Vous m'attendrez là, si vous ne m'avez pas encore rencontré."
"Et nous prêcherons Toi et ta doctrine" dit l'Iscariote.
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