Vision du lundi 30 juillet 1945.
74> 238.1 – Il
y aura peut-être de la tempête aujourd'hui, Maître. Tu vois ces bandes couleur
de plomb qui arrivent de derrière l'Hermon ? Et tu vois comme le lac se
plisse ? Et tu sens les souffles de la tramontane qui alternent avec les
chaudes bouffées du sirocco. Des tourbillons, signe évident de tempête."
75> "Dans combien de temps, Simon ?"
"Avant la fin de l'heure de prime. Regarde comme les pêcheurs se hâtent de revenir. Ils
sentent le lac qui menace. Sous peu lui aussi aura la couleur du plomb, puis
de la poix et puis viendra la furie."
"Mais il semble si calme !" dit Thomas incrédule.
"Toi, tu connais l'or, et moi je connais l'eau. Ce sera comme je dis. Ce n'est
même pas une tempête imprévue. Elle se prépare avec des signes évidents.
L'eau est calme en surface, à peine ce crêpe qui semble une plaisanterie.
Mais, si tu étais en barque ! Tu sentirais comme des milliers de
chiquenaudes qui heurtent la carène et secouent étrangement la barque. L'eau
bout déjà en dessous. Attends que le ciel donne le signal, et tu verras
ensuite !... Laisse la tramontane se mêler au sirocco ! Et
puis !... Ohé, les femmes ! rentrez ce que vous avez étendu et
mettez vos bêtes à l'abri. Il va bientôt pleuvoir des pierres et de l'eau à
pleins seaux."
En effet le ciel
devient de plus en plus verdâtre avec des traînées couleur d'ardoise par
l'arrivée continuelle de bandes de nuages qui semblent être vomies par le
grand Hermon. Elles repoussent l'aurore de la direction d'où elle venait,
comme si l'heure revenait vers la nuit au lieu d'avancer vers le midi.
Seule une éclaircie continue de fuir en oblique de derrière
le barrage des nuages couleur de poix et envoie un irréel coup de pinceau
jaune-vert sur la cime d'une colline au sud-ouest de Capharnaüm. Le lac a
déjà perdu, sa couleur d'azur pour prendre une couleur bleue foncée, et les
premières écumes entre les vagues petites, brisées, semblent d'une blancheur
irréelle sur le fond obscur de l'eau. Sur le lac, il n’y a plus une barque.
Les hommes se hâtent d'échouer les barques et de ramener les filets, les
paniers, les voiles et les rames ou, si ce sont paysans, de débarquer leurs
denrées, d'assurer les pieux et les cordages, de renfermer les bêtes dans les
étables. Les femmes hâtent d'aller à la fontaine avant qu'il ne pleuve, ou
bien rassemblent les enfants levés avec le soleil et les font rentrer à la
maison, et ferment les portes, soucieuses comme des mères poules, qui sentent
arriver la grêle.
238.2 – "Simon,
viens avec Moi. Appelle le serviteur de Marthe et appelle Jacques, mon frère. Prends une grosse toile, grosse et large.
Deux femmes sont sur la route et il faut aller à leur rencontre."
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76> Pierre le regarde, curieux, mais
obéit sans perdre de temps.
Et, sur la route, alors qu'en courant ils traversent le pays en allant vers
le sud, Simon demande :
"Mais qui sont-elles ?"
"Ma Mère et Marie de Magdala."
La surprise est telle que Pierre s'arrête un moment comme cloué au sol et il
dit : "Ta Mère et Marie de Magdala ?!!!
Ensemble ?!!!" Puis il se remet à courir parce que Jésus ne
s'arrête pas et que ne s'arrêtent pas Jacques et le serviteur. Mais il dit de
nouveau : "Ta Mère et Marie de Magdala !
Ensemble !... Depuis quand !"
"Depuis qu'elle n'est plus que Marie de Jésus. Mais vite, Simon. Voilà
les premières gouttes..."
Et Pierre essaie d'aller aussi vite que ses compagnons plus grands et plus
rapides que lui. La poussière s'élève maintenant en nuage de la route brûlée,
élevée par un vent qui prend de la force d'un instant à l'autre, un vent qui
brise le lac et le soulève en formant des crêtes qui commencent à se briser
avec fracas sur le rivage. Quand il est possible de voir le lac, on le voit
devenir un gigantesque chaudron où l'eau bout furieusement. Des vagues d'un
mètre au moins le parcourent dans tous les sens, se heurtent, s'élèvent en se
confondant, se séparent en courant dans des directions opposées à la
recherche d'une autre vague pour s'y heurter. C'est tout un duel d'écumes, de
crêtes, de bosses pansues, de bruits éclatants, de
mugissements, de gifles qui atteignent les maisons les plus proches de la
rive.
Quand les maisons cachent la vue, le lac fait sentir sa
présence par un fracas plus fort que le sifflement du vent qui plie les
arbres en leur arrachant les feuilles et en faisant tomber les fruits, et le
grondement des coups de tonnerre qui se prolongent, menaçants, précédés
d'éclairs de plus en plus fréquents et puissants.
"Qui sait quelle peur doivent avoir ces femmes !" dit Pierre à
bout de souffle.
"Ma mère, non. Quant à l'autre, je ne sais pas. Mais sûrement si nous ne
faisons pas vite, elles vont être trempées."
238.3 – Ils
ont dépassé Capharnaüm de quelques centaines de mètres quand, dans des nuages
de poussière, au milieu du premier grondement d'une averse qui se précipite
en oblique avec violence, en rayant l'air obscurci, en devenant tout de suite
une cataracte qui se pulvérise, qui aveugle, qui coupe la respiration, ils
voient alors deux femmes qui courent à la recherche d'un abri sous un arbre
touffu.
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77> "Les voilà !
Courons !"
Mais bien que son amour pour Marie lui donne des ailes, lui, avec ses jambes
courtes et qui n'ont rien d'un coureur, arrive quand Jésus et Jacques ont
déjà recueilli les femmes sous un lourd morceau de voile.
"Ici, on ne peut pas rester. On court le risque d'être foudroyés et
d'ici peu, la route sera un torrent. Allons, Maître, au moins jusqu'à la
première maison" dit Pierre essoufflé.
Ils marchent, avec les femmes au milieu, en tenant la toile étendue sur leurs
têtes et leurs dos.
238.4 – Le
premier mot que Jésus dit à Marie-Madeleine, qui a encore le vêtement du soir
du banquet dans la maison de Simon mais avec, sur les épaules, un manteau de Marie Très
Sainte, c'est pour dire:
"Tu as peur, Marie ?"
Elle, qui est toujours restée la tête inclinée sous le voile de sa chevelure
qui en courant s’est défaite, rougit, baisse encore davantage la tête et
murmure :
"Non, Seigneur."
La Madone aussi a perdu ses épingles et semble une fillette avec les tresses
qui lui retombent sur les épaules. Mais elle sourit à son Fils qui est à côté
d'elle et Lui parle avec son sourire.
"Tu es trempée, Marie" dit Jacques d'Alphée en touchant le voile et
le manteau de la Madone.
"Cela ne fait rien, et maintenant nous sommes à l'abri. N'est-ce pas,
Marie ? Il nous a sauvées aussi de la pluie" dit doucement Marie à
Marie-Madeleine dont elle sent le douloureux embarras. Celle-ci, de la tête,
fait signe que oui.
Ta sœur sera
contente de te revoir. Elle est à Capharnaüm. Elle te cherchait" dit
Jésus.
Marie lève un moment la tête et fixe de ses yeux splendides le visage de
Jésus qui lui parle avec le même naturel qu'aux autres disciples. Mais elle
ne dit rien. Elle est brisée par trop d'émotions.
Jésus ajoute :
"Je suis content de l'avoir retenue. Je vous laisserai aller après vous
avoir bénies."
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78> 238.5 – Sa
parole se perd dans le claquement d'un coup de foudre proche. Marie-Madeleine
a un geste de frayeur ... Elle porte les mains à son
visage et se courbe en éclatant en sanglots.
"N'aie pas peur !" dit Pierre pour la rassurer. "Le coup
est passé, et avec Jésus, il n'y a rien à craindre."
Jacques aussi, qui est à côté de Marie-Madeleine, lui dit :
"Ne pleure pas. Les maisons sont toutes proches."
"Je ne pleure
pas de peur... Je pleure parce qu'il m'a dit qu'il me bénira ... Moi...
moi..." et elle ne peut dire autre chose.
La Vierge intervient pour la calmer en disant :
"Toi, Marie, tu as déjà franchi ton orage. N'y pense plus.
Maintenant, tout est sérénité et paix, N'est-ce pas, mon Fils ?"
"Oui, Mère, c'est tout à fait vrai. Sous peu le soleil va revenir, et
tout sera plus beau, plus pur, plus frais qu'hier. Ce sera la même chose pour
toi, Marie."
La Mère reprend, en serrant la main de Marie-Madeleine :
"Je dirai à Marthe ce que tu as dit. Je suis contente de pouvoir la voir
tout de suite et de lui dire combien sa Marie est pleine de bonne
volonté."
Pierre, qui patauge dans la boue et supporte le déluge avec patience, quitte
l'abri pour aller vers une maison demander un refuge.
"Non, Simon. Nous préférons tous revenir dans notre maison, n'est-ce
pas?" dit Jésus.
Tous approuvent, et Pierre revient sous la toile.
238.6 – Capharnaüm
est un désert. y règnent en maîtres le vent, la pluie, le tonnerre, les
éclairs, et maintenant la grêle qui résonne et rebondit sur les terrasses et
les façades. Le lac est effrayant tant il en impose. Les maisons voisines
sont giflées par les vagues car la petite plage n'existe plus. Les barques,
tirées à l'abri près des maisons, semblent naufragées tant elles sont
remplies d'eau que chaque vague va rejoindre en faisant déborder celle qui y
est déjà.
Ils entrent en courant dans le jardin, devenu un énorme marécage où flottent
des débris sur l'eau agitée, et de là dans la cuisine où tout le monde est
rassemblé. Marthe pousse un cri aigu quand elle voit sa sœur que Marie tient
par la main.
Elle se jette à son cou sans remarquer comme elle se mouille
en le faisant, elle l'embrasse, l'appelle :
"Miri, Miri, ma joie !"
Peut-être était-ce le diminutif qui leur servait quand Marie-Madeleine était
toute petite.
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78> Marie pleure, penchée, la tête sur
l'épaule de sa sœur, couvrant le vêtement sombre de Marthe d'un lourd voile
d'or, unique chose qui brille dans la cuisine obscure où brûle seulement un
feu de brindilles pour dissiper les ténèbres que n'arrive pas à vaincre une
petite lampe allumée.
Les apôtres sont stupéfaits et aussi le maître de maison et sa femme qui se
sont montrés, au cri de Marthe, mais qui après un moment de curiosité
compréhensible se retirent discrètement.
238.7 – Quand
la fureur des embrassements s'est un peu calmée, Marthe pense de nouveau à Jésus,
à Marie, à l'étrangeté de leur arrivée tous ensemble et elle demande à sa
sœur, à la Madone, à Jésus, et je ne saurais dire à qui avec plus
d'insistance :
"Mais comment ? Comment se fait-il que nous soyons tous
ensemble?"
"L'orage, Marthe, approchait. Je suis allé avec Simon, Jacques et ton
serviteur à la rencontre des deux voyageuses."
Marthe est tellement étonnée qu'elle ne réfléchit pas au fait que Jésus
allait ainsi avec assurance à leur rencontre et elle ne demande pas :
"Mais tu savais ?"
C'est Thomas qui le demande à Jésus, mais il n'obtient pas de réponse, car
Marthe dit à sa sœur :
"Mais, comment se fait-il que tu sois avec Marie?"
Marie-Madeleine baisse la tête. La Madone vient à son secours en la prenant
par la main et en disant :
"Elle est venue chez moi comme une voyageuse qui s'en va où on peut lui
enseigner le chemin pour arriver à son but. Et elle m'a dit :
"Apprends-moi comment faire pour appartenir à Jésus". Oh !
Comme elle a une volonté vraie et complète, elle a tout de suite compris et
appris cette sagesse ! Et moi, je l'ai trouvée tout de suite prête pour
la prendre par la main, comme je fais, afin de la conduire à Toi, mon Fils, à
toi, bonne Marthe, à vous, frères disciples, et pour vous dire :
"Voici la disciple et la sœur qui ne donnera que de surnaturelles joies
à son Seigneur et à ses frères". Veuillez me croire et l'aimer tous,
comme Jésus et moi nous l'aimons."
238.8 – Alors
les apôtres s'approchent pour saluer la nouvelle sœur, Il n'est pas exclu qu'il
y ait de la curiosité... mais comment faire ?! Oui, ce sont encore des
hommes...
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79> C'est avec son bon sens que Pierre dit :
"Tout va bien. Vous les assurez de votre aide et de votre amitié sainte.
Mais il faudrait penser que la Mère et la sœur sont trempées... Nous le
sommes nous aussi, à vrai dire... Mais pour elles c'est pire. Leurs cheveux
dégouttent comme les saules après l'ouragan, les vêtements sont salis par la
boue et trempés. Faisons du feu, demandons des vêtements, préparons de la
nourriture chaude..."
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