Le lundi 16 avril
1945.
436> 138.1 – "Seigneur, je n'ai fait
que mon devoir envers Dieu, envers mon maître et envers ma conscience. Cette femme, je l'ai
surveillée pendant le temps qu'elle était mon hôte et je l'ai toujours vue
honnête. Si elle a été d'abord une pécheresse, maintenant elle ne l'est pas.
Pourquoi dois-je enquêter sur un passé qu'elle a gommé pour l'annuler ?
Moi j'ai des fils qui sont jeunets et pas laids. Elle n'a jamais montré son
visage vraiment beau, ni fait entendre sa voix. Je peux dire que j'ai entendu
le son de sa voix argentine quand elle a crié à cause de sa blessure.
Autrement elle, pour le peu qu'elle demandait, et toujours à moi ou à ma
femme, elle le murmurait derrière son voile, et si doucement qu'on avait du
mal à comprendre. Vois aussi comme elle a été prudente : Quand elle a
craint que sa présence puisse nuire, elle s'en est allée... Je lui avais
promis de la défendre et de l'aider, mais elle ne s'en est pas prévalue. Non,
ce n'est pas ainsi qu'agissent les femmes perdues ! Je prierai pour
elle, comme elle l'a demandé, et même sans ce souvenir. Prends-le Seigneur.
Fais-en des aumônes, pour son profit spirituel. Faites par Toi, elles lui
vaudront certainement la paix."
Haut de page.
437> Le régisseur parle respectueusement à Jésus. C'est un
bel homme, au visage honnête et au corps trapu. Derrière lui il y a six
jeunes garçons qui ressemblent à leur père, six visages francs et
intelligents, et il y a l'épouse, une petite femme fine et très douce qui
écoute son mari comme elle écouterait un dieu, ne cessant de l'approuver par
des signes de tête.
Jésus prend le bracelet d'or et le passe à Pierre en lui
disant :
"Pour les pauvres."
Puis il se retourne vers le régisseur :
"Ce ne sont pas tous qui ont ta droiture en Israël. Tu es sage parce que
tu distingues le bien du mal et tu suis le bien sans mettre en valeur
l'intérêt humain qu'il y a à l'accomplir. Au nom de l'Éternel Père, je te
bénis, tes fils, ton épouse, ta maison. Gardez-vous toujours dans ces dispositions
spirituelles et le Seigneur sera toujours avec vous et vous aurez la vie
éternelle. Maintenant je m'en vais, mais il n'est pas dit que jamais plus on
ne se revoie. Je reviendrai et vous pourrez toujours venir vers Moi. Pour
tout ce que vous avez fait pour Moi et pour cette pauvre créature, que Dieu
vous donne sa paix."
Le régisseur, les enfants et en dernier la femme, s'agenouillent et baisent
les pieds de Jésus qui, après un dernier geste de bénédiction, s'éloigne avec
ses disciples, se dirigeant vers le pays.
138.2 – "Et si ces brutes sont
encore ici ?" demande Philippe.
"On ne peut empêcher personne d'aller sur les chemins du monde."
répond Jude d'Alphée.
"Non, mais nous, pour eux, nous sommes "anathèmes"
"Oh ! laisse-les faire ! T'en préoccupes-tu ?"
"Moi, je n'ai d'autre préoccupation que celle que le Maître veut :
éviter des violences. Et eux, qui le savent, s'en prévalent" bougonne
Pierre dans sa barbe. Et il croit certainement que Jésus, qui parle avec Simon et l'Iscariote, ne l'entend pas.
Mais Jésus entend. Il se tourne, moitié
sévère, moitié souriant :
"Tu crois que je vaincrais par la violence ? Mais c'est un pauvre procédé humain, et qui
sert, temporairement, pour des victoires humaines. Combien de temps dure
l'abus de pouvoir ? Le temps qu'il produise de lui-même, chez ceux qu'il
brime, des réactions qui, en s'unissant, produisent une plus grande violence
qui met par terre l'abus de pouvoir préexistant. Je ne veux pas un royaume
temporaire. Je veux un royaume éternel : le Royaume du Ciel. Combien de
fois vous l'ai-je dit ? Combien de fois je devrai vous le dire ? Le
comprendrez-vous jamais ? Oui, il viendra un moment où vous le
comprendrez."
Haut de page.
438> "Quand, mon Seigneur ? J'ai hâte de
comprendre pour être moins ignorant." dit Pierre.
"Quand ? Quand vous serez moulus comme le grain entre les pierres
de la douleur et du repentir. Vous pourriez et même vous devriez comprendre
auparavant. Mais pour cela vous devriez briser votre humanité et laisser
libre l'esprit. Et vous ne savez pas faire cet effort sur vous-mêmes. Mais,
vous comprendrez... vous comprendrez. Et alors, aussi, vous comprendrez que
je ne pouvais user de violence, moyen humain, pour établir le Royaume des
Cieux : le Royaume de l'esprit. Mais, en attendant, n'ayez pas peur : Ces
hommes qui vous inquiètent ne vous feront rien. Il leur suffit de m'avoir chassé."
"Mais n'était-il pas plus facile de faire prévenir le chef de la synagogue de venir chez le régisseur, ou de nous attendre sur la
grand-route ?"
"Oh ! quel homme prudent, aujourd'hui que mon Thomas !
Mais ce n'était pas facile, ou plutôt, ça aurait été plus facile, mais ce
n'était pas juste. Lui a montré de l'héroïsme à mon égard. Il a été insulté dans sa maison à cause de Moi. Il est juste que Moi
j'aille dans sa maison pour le consoler."
138.3 – Thomas hausse les épaules et
ne parle plus.
Voici le pays, étendu, mais pays de campagne avec les maisons au milieu des
vergers, en ce moment dépouillés et beaucoup de parcs à brebis. Ce doit être
un endroit favorable à l'élevage car j'entends de tous côtés des bêlements de
troupeaux qui vont ou viennent des pâturages de la plaine. Les rues forment,
comme à l'ordinaire, un carrefour formant la place du village avec la
fontaine. C'est là que se trouve la maison du chef de la synagogue.
Une femme âgée, qui a des signes manifestes de larmes sur son visage, vient
ouvrir. Pourtant, en voyant le Seigneur, elle a un mouvement de joie et elle
se prosterne pour le bénir.
"Lève-toi, mère. Je suis venu vous dire adieu. Où est ton
fils ?"
"Il est là... et elle indique une pièce au fond de la maison. Tu es venu
le consoler ? Moi je n'en suis pas capable..."
"Il est donc désolé ? Il souffre de m'avoir défendu ?"
Haut
de page.
439> "Non, Seigneur. Mais il est pris
par un scrupule. Mais tu vas l'entendre. Je l'appelle."
"Non, j'y vais. Vous, attendez ici. Allons-y femme." Jésus parcourt
les quelques mètres du vestibule, pousse la porte, entre dans la pièce et
s'avance doucement vers un homme assis, penché vers le sol, absorbé dans une
douloureuse méditation.
"La paix à toi, Timon."
"Seigneur ! Toi !"
"Moi.
Pourquoi es-tu si triste ?"
"Seigneur... moi... Ils m'ont dit que j'ai péché. Ils m'ont dit que je suis
anathème. Je m'examine, et il ne me semble pas de l'être. Mais eux, ce sont
les saints d'Israël et moi le pauvre chef de la synagogue. Ils ont
certainement raison. Maintenant je n'ose plus lever les yeux vers le visage
courroucé de Dieu. Et j'en aurais tant besoin à cette heure ! Je le
servais avec un véritable amour et je cherchais à Le faire connaître.
Maintenant je suis privé de ce bien parce que le Sanhédrin
sûrement me maudit."
"Mais qu'est-ce que ta douleur ? De n'être plus chef de la
synagogue ou d'être mis dans l'impossibilité de parler de Dieu ?"
"Mais c'est cette dernière chose qui me donne de la douleur ! Je
pense que tu veux me dire s'il me déplaît de n'être plus le chef de la
synagogue à cause de l'intérêt et de l'honneur qui vient de la fonction. De
cela je ne me soucie pas. Je n'ai que ma mère qui est originaire d'Aéra où
elle a une petite maison . Il y a là, pour elle un toit et des moyens
d'existence. Pour moi... je suis jeune, je travaillerai. Mais je n'oserai
plus jamais parler de Dieu, moi qui ai péché."
"En quoi as-tu péché ?"
"Ils disent que je suis complice de... O Seigneur ! Ne me le fais
pas dire !…"
"Non. C'est Moi qui en parle. Je ne le dis pas non plus
. Moi et toi, nous connaissons leurs accusations et Moi
et toi nous savons qu'elles ne sont pas vraies. Par conséquent tu n'as pas
péché. C'est Moi qui te le dis."
"Alors, je puis encore lever les yeux vers le Tout-Puissant ?"
"Quoi, mon fils ?"
Jésus est toute douceur pendant qu'il se penche sur l'homme qui s'est arrêté
brusquement comme effrayé.
Haut de page.
440> "Quoi ? Mon Père le cherche ton
regard. Il le veut. Et Moi, je veux ton cœur et ta pensée. Oui, le
Sanhédrin va te frapper. Moi je t'ouvre les bras et je te dis :
"Viens". Veux-tu être mon disciple ? Moi, je vois en toi tout
ce qui est nécessaire pour être un ouvrier du Maître Éternel. Viens à ma vigne..."
138.4 – "Mais, le dis-tu pour de
bon, Maître ? Mère... mais tu entends ! Je suis heureux, ma
Mère ! Je... bénis cette douleur car elle m'a donné cette joie. Oh !
Faisons une grande fête, mère. Et après j'irai avec le Maître et tu
retourneras à ta maison. Je viens tout de suite, mon Seigneur, toi qui as
supprimé toute crainte et la douleur et la peur de Dieu."
"Non, tu attendras la parole du Sanhédrin, avec le cœur serein et sans
rancœur. Reste à ton poste tant qu'on t'y laissera. Ensuite tu me rejoindras
à Nazareth ou à Capharnaüm.
Adieu. La paix soit avec toi et avec ta mère."
"Tu ne t'arrêtes pas dans ma maison ?"
"Non, je viendrai à la maison de ta mère."
"Le pays est peu fidèle."
"Je lui enseignerai la fidélité. Adieu, mère. Es-tu heureuse
maintenant ?"
Jésus la caresse, comme il le fait toujours avec des femmes âgées auxquelles,
je le remarque, il donne presque toujours le nom de "mère".
"Heureuse, Seigneur. J'avais élevé un garçon pour le Seigneur. Le
Seigneur me le prend comme serviteur de son Messie. Que le Seigneur en soit
béni. Béni sois-tu, Toi qui es son Messie. Bénie l'heure où tu es venu. Bénie
ma créature appelée à ton service."
"Bénie soit
la mère sainte comme Anne d'Elqana
. La paix soit avec vous."
|