Le
dimanche 15 avril 1945.
429/450> 137.1 – Jésus traverse
avec ses apôtres, les champs plats de "La Belle-Eau", La journée
est pluvieuse et l'endroit désert. Ce doit être environ midi, car cette larve de soleil qui sort de temps à autre de
derrière le rideau gris des nuages descend perpendiculairement.
Jésus parle avec l'Iscariote à qui il donne la charge d'aller au pays pour les
achats les plus urgents. Quand il reste seul, André le rejoint
et toujours timide dit doucement :
"M'écoutes-tu, Maître ?"
"Oui, viens avec Moi, marchons."
Et il allonge le pas, suivi de l'apôtre, en se séparant de quelques mètres
des autres.
"La femme n'est plus là, Maître ! dit André affligé.
Et il explique :
"Ils l'ont poursuivie et elle s'est enfuie. Elle était blessée, et
saignait. Le régisseur l'a vue. J'ai devancé, en disant que j'allais voir
s'il n'y avait pas de piège. Mais c'est parce que je voulais aller tout de
suite la chercher. J'espérais tant l'amener à la Lumière. J'ai tant prié en
ces jours à cette intention !... Maintenant elle fuit. Elle va se
perdre. Si je savais où elle est, je la rejoindrais... Je ne dirais pas cela
aux autres, mais à Toi, parce que tu me comprends. Tu sais qu'il n'y a pas de
sentiment dans cette recherche mais seulement le désir, oh ! si grand,
au point de me tourmenter d'amener au salut une sœur à moi."
"Je le sais, André, et je te dis : malgré tout ce qui s'est passé ton désir
s'accomplira. Elle n'est jamais perdue la prière faite dans cette intention.
Dieu s'en sert et elle se sauvera."
"Tu le dis ? Oh ! ma douleur se fait plus douce !"
137.2 – "Ne voudrais-tu pas
savoir ce qu'elle va devenir ? N'as-tu pas un souci, de ne pas être même
celui qui me l'amènera ? Ne te demandes-tu pas comment elle va
faire ?" Jésus sourit doucement, avec un éclair de lumière dans ses
pupilles azurées. Il est incliné vers l'apôtre qui marche à ses côtés. Il a
un de ces sourires et de ces regards qui sont un des secrets de Jésus pour
conquérir les cœurs.
André, de ses doux yeux châtains le regarde et dit :
"Il me suffit de savoir qu'elle vient à Toi. Et puis, moi ou un autre,
qu'est-ce que cela fait ? Comment fera-t-elle ? Ça tu le sais et il
n'est pas nécessaire que je le sache. J'ai tout en ce que tu m'assures et
j'en suis heureux."
Jésus lui passe le bras derrière les épaules et l'attire à Lui en un
embrassement affectueux qui met en extase le bon André. Et il parle en le
tenant ainsi :
"C'est le privilège du véritable apôtre. Tu vois, mon
ami, ta vie et celle des futurs apôtres sera toujours faite ainsi. Parfois
vous saurez que vous êtes des "sauveurs". Mais, le plus souvent,
vous sauverez sans le savoir, les personnes que vous voudriez le plus sauver.
Ce n'est qu'au Ciel que vous verrez venir à votre rencontre, ou monter au
Royaume Éternel, ceux que vous aurez sauvés; et votre joie de bienheureux
augmentera pour chaque personne sauvée. Parfois, vous le saurez dès cette
terre. Ce sont les joies que je vous donne pour vous infuser une vigueur
encore plus grande pour de nouvelles conquêtes.
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431> Mais bienheureux le prêtre qui n'aura pas besoin d'être
ainsi aiguillonné pour faire son propre devoir ! Bienheureux celui qui
ne se désole pas parce qu'il ne voit pas de triomphes, et qui ne dit
pas : "Je ne fais plus rien parce que je n'ai pas de
satisfactions". La satisfaction de l'apôtre, considérée comme l'unique
encouragement au travail, dénote une absence de formation apostolique, abaisse
l'apostolat qui est une chose spirituelle au niveau d'un travail humain
ordinaire. Il ne faut jamais tomber dans l'idolâtrie du ministère. Ce n'est
pas vous qui devez être adorés, mais le Seigneur votre Dieu. À Lui seul la
gloire de ceux qui sont sauvés. À vous le travail du salut en attendant, au
temps du Ciel, la gloire d'avoir été des "sauveurs".
137.3 – Mais tu me disais que le
régisseur l'a vue. Raconte-moi."
"Trois jours après notre départ, des pharisiens sont venus pour te chercher .
Ils ne nous ont pas trouvés, naturellement. Ils ont fait le tour du pays et
des maisons de la campagne en se donnant comme empressés de te voir. Mais
personne ne l'a cru. Ils se sont installés à l'hôtellerie en la débarrassant
de tous ceux qui s'y trouvaient, disant qu'ils ne voulaient pas de contacts
avec des étrangers inconnus qui pouvaient aussi les profaner. Et, tous les
jours, ils allaient à la maison. Après quelques jours, ils ont trouvé la
pauvrette qui venait toujours là parce qu'elle espérait te trouver et avoir
ta paix. Ils l'ont mise en fuite, la poursuivant
jusqu'à son refuge dans l'étable du régisseur. Ils ne l'ont pas attaquée tout
de suite, parce que lui était sorti avec ses fils, armés de matraques. Mais
ensuite, le soir, quand elle est sortie, ils sont revenus et ils étaient avec
d'autres. Quand elle est allée à la fontaine, ils lui ont lancé des pierres
en l'appelant "prostituée" et en la montrant du doigt pour que le
pays la méprise. Et comme elle s'enfuyait, ils l'ont rejointe, maltraitée, lui
ont arraché son voile et son manteau pour que tout le monde la voie. Ils
l'ont frappée, s'imposant par leur autorité au chef de la synagogue pour qu'il la maudît et la fît lapider, et qu'il te
maudît, Toi, qui l'avais amenée dans le pays. Mais lui n'a pas voulu le
faire, et maintenant, il attend l'anathème du Sanhédrin. Le régisseur l'a arrachée aux mains de ces canailles
et l'a secourue. Mais pendant la nuit elle est partie, laissant un bracelet
avec un mot sur un morceau de parchemin. Elle a écrit : "Merci.
Prie pour moi". Le régisseur dit qu'elle est jeune et très belle, bien
que très pâle et amaigrie.
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432> Il l'a cherchée à travers la campagne car elle était
sérieusement blessée. Mais il ne l'a pas trouvée. Et il ne sait pas comment
elle aura pu aller au loin. Peut-être est-elle morte en quelque endroit...
sans pouvoir se sauver ..."
"Non."
"Non ? Elle n'est pas morte ? Elle ne s'est pas
perdue ?"
"La volonté de se racheter est déjà absolution. Fût-elle morte, elle
serait pardonnée parce qu'elle a cherché la Vérité en foulant aux pieds
l'Erreur. Mais elle n'est pas morte. Elle gravit les premières pentes de la
montagne du rachat. Je la vois... Courbée sous les larmes du repentir; mais
sa peine la rend de plus en plus forte, pendant que son fardeau s'allège. Je
la vois. Elle va à la rencontre du Soleil. Quand elle aura gravi toute la montée,
elle sera dans la gloire du Soleil-Dieu. Elle monte... Aide-la
par ta prière."
"Oh! mon Seigneur !"
André est presque abasourdi de pouvoir aider une âme à se sauver. Jésus
sourit avec une plus grande douceur :
"Il faudra ouvrir les bras et le cœur au chef de la synagogue persécuté,
et aller bénir le bon régisseur
. Allons vers les compagnons pour leur en parler."
137.4 – Ils refont à rebours le chemin
déjà fait et rejoignent les dix qui se sont arrêtés à l'écart, comprenant
qu'André est en colloque secret avec le Maître. À ce moment l'Iscariote arrive en courant. On dirait un gros papillon qui court
sur le pré tant il court rapidement, avec son manteau qui vole en arrière
pendant qu'il se livre à une vraie joute de signes.
"Mais qu'a-t-il ? demande Pierre. Est-il
devenu fou ?"
Avant que personne ne puisse lui répondre, l'Iscariote arrivé à proximité
peut crier, tout essoufflé :
"Arrête, Maître. Écoute-moi avant d'aller à la maison... Il y a un
piège... Oh ! quels lâches !..." et il court.
Il a rejoint le groupe :
"O Maître ! On ne peut plus y aller ! Les pharisiens sont dans
le pays, et tous les jours, ils viennent à la maison . Ils t'attendent pour te faire du mal. Ils chassent
ceux qui viennent pour te chercher. Ils les effrayent avec des anathèmes
horribles. Que veux-tu faire ? Ici tu serais persécuté et ton travail
serait neutralisé... L'un d'eux m'a vu et m'a attaqué. Un vilain vieux au gros nez qui me connaît parce que c'est un
des scribes du Temple.
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433> Il y a aussi des scribes. Il m'a attaqué, en me griffant et en m'insultant de sa
voix de faucon. Tant qu'il m'a insulté et griffé, regarde... (et il montre un
poignet et une joue où l'on voit clairement la trace des ongles) je l'ai
laissé faire. Mais quand il a bavé sur Toi, je l'ai pris au collet..."
"Mais, Judas !" crie Jésus.
"Non, Maître, je ne l'ai pas étranglé. Je l'ai seulement empêché de
blasphémer contre Toi, et puis je l'ai laissé aller. Maintenant il est là-bas
qui meurt de peur à cause du danger qu'il a couru... Mais nous,
éloignons-nous, je t'en prie. D'ailleurs personne ne pourrait plus venir vers
Toi..."
"Maître !"
"Mais c'est une horreur !"
"Judas a raison."
"Comme des hyènes, ils sont aux aguets !"
"Feu du ciel qui es descendu sur Sodome, pourquoi ne reviens tu
pas ?"
"Mais, sais-tu que tu as été brave, garçon ? C'est dommage que je n'étais pas là. Je t'aurais aidé."
"Oh ! Pierre ! si tu avais été là, ce petit faucon aurait pour
toujours perdu ses plumes et sa voix."
"Mais, comment as-tu fait pour... pour ne pas y aller jusqu'au
bout ?"
"Mais !... Ça a été un éclair dans mon esprit. Une pensée m'est
venue de je ne sais quelles profondeurs du cœur : "Le Maître
condamne la violence" et je me suis arrêté. Cela m'a donné un coup
encore plus fort que le choc que j'avais reçu de la part du mur contre lequel
m'a jeté le scribe quand il m'a attaqué. J'en ai eu les nerfs presque
brisés... au point que je n'aurais pas eu la force de frapper. Comme il est
dur de se vaincre !..."
"Tu as été vraiment brave ! N'est-ce pas, Maître ? Tu ne dis
pas ta pensée ?"
Pierre est si heureux de la conduite de Judas qu'il ne voit pas comment Jésus
est passé du lumineux visage qu'il avait à un visage sévère qui assombrit son
regard, Lui serre la bouche qui paraît devenir plus fine.
Il l'ouvre pour dire :
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434> "Je dis que je suis plus dégoûté de votre façon de
penser que de la conduite des Juifs. Eux sont des disgraciés qui sont dans
les ténèbres. Vous qui êtes avec la Lumière vous êtes durs, vindicatifs,
murmurateurs, violents. Comme eux, vous approuvez la brutalité. Je vous dis
que vous me donnez la preuve d'être toujours ce que vous étiez quand vous
m'avez vu pour la première fois. J'en ressens de la douleur. En ce qui
concerne les pharisiens, sachez que Jésus Christ ne fuit pas. Pour vous,
retirez-vous. Je vais les affronter. Je ne suis pas un lâche. Quand j'aurai
parlé avec eux, sans arriver à les persuader, je me retirerai. On ne doit pas
dire que je n'ai pas essayé de toutes manières de les attirer à Moi. Eux
aussi sont des fils d'Abraham. Je fais mon devoir jusqu'au bout. Leur
condamnation doit venir uniquement de leur mauvaise volonté et pas de ma
négligence leur égard."
Et Jésus va vers la maison dont on voit le toit bas au-delà d'une rangée
d'arbres dépouillés.
Les apôtres le suivent, tête basse, en parlant doucement entre eux ...
137.5 – Les voilà dans la maison. Ils
entrent en silence dans la cuisine et s'affairent autour du foyer. Jésus
s'absorbe dans ses pensées.
Ils sont sur le point de prendre la nourriture quand un groupe de personnes
se présente à la porte.
"Les voilà" murmure l'Iscariote.
Jésus se lève immédiatement et va vers eux. Il est si imposant que le groupe
recule un instant. Mais le salut de Jésus les rassure :
"La paix soit avec vous. Que voulez-vous ?"
Alors ces lâches croient pouvoir tout oser et Lui intiment avec
arrogance :
"Au nom de la Loi Sainte, nous t'ordonnons de quitter ce lieu. À Toi qui
troubles les consciences, qui violes la Loi, qui
corromps les tranquilles cités de Judée. Tu ne crains pas la punition du
Ciel, Toi qui singes le juste qui baptise au Jourdain, Toi qui protèges les
prostituées ? Sors de la terre sainte de Judée !
Que ton souffle n'arrive pas dans l'enceinte de la Cité Sacrée."
"Je ne fais rien de mal. J'enseigne comme rabbi, je guéris comme
thaumaturge, je chasse les démons comme exorciste. Toutes ces catégories
existent aussi en Judée. Et Dieu qui les veut, les fait respecter et vénérer
par vous. Je ne demande pas la vénération. Je vous demande seulement de me
laisser faire du bien à ceux qui ont une infirmité dans leur chair, dans leur
tête, ou dans leur esprit. Pourquoi me le défendez-vous ?"
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435/436> "Tu es un
possédé. Va-t'en."
"L'insulte n'est pas une réponse. Je vous ai demandé pourquoi vous le
permettez aux autres."
"Parce que tu es un possédé. Tu chasses les démons et tu fais des
miracles avec l'aide des démons."
"Et vos exorcistes, alors, avec l'aide de qui est-ce qu'ils les
font ?"
"Par leur vie sainte. Tu es un pécheur et pour augmenter ta puissance tu
te sers des prostituées, car l'union avec elles accroît le pouvoir de la
force démoniaque. Notre sainteté a purifié la région de ta complice. Mais
nous ne permettons pas que tu restes ici pour attirer d'autres femmes."
"Mais, est-ce que cette maison est à vous ?" demande Pierre
qui est venu près du Maître avec un air peu rassurant.
"Ce n'est pas notre maison. Mais toute la Judée et tout Israël est aux
mains saintes des purs d'Israël."
"Que vous êtes, vous !" termine l'Iscariote, venu sur le seuil
et qui conclut par un éclat de rire moqueur. Et puis il demande :
"Et l'autre, votre ami, où est-il ? Tremble-t-il encore ? Vous
honteux, allez-vous-en ! Et tout de suite. Autrement je vous ferai
regrette de..."
"Silence, Judas. Et toi, Pierre retourne à ta place.
137.6 – Écoutez, vous pharisiens et
scribes. Pour votre bien, par pitié pour votre âme je vous prie de ne pas
combattre le Verbe de Dieu. Venez à Moi Je ne vous hais pas. Je comprends
votre mentalité et je la plains Mais, je veux vous amener à une mentalité
nouvelle, sainte, capable de vous sanctifier et de vous donner au Ciel. Mais,
croyez-vous que je sois venu pour vous combattre ? Oh ! non !
Je suis venu pour vous sauver. C'est pour cela que je suis venu. Je vous prends
sur mon cœur. Je vous demande amour et compréhension. Justement parce que
vous êtes les plus sages en Israël, vous devez, plus que tous, comprendre la
vérité. Soyez âme et non pas corps. Voulez-vous que je vous en supplie à
genoux ? L'enjeu, votre âme est telle que je me mettrais sous vos pieds
pour la gagner au Ciel assuré que le Père ne regarderait pas comme une erreur
mon humiliation. Parlez ! Dites une parole à Moi, qui
l'attends !"
"Malédiction ! c'est ce que nous disons."
"Ça va bien. C'est dit. Partez simplement. Moi aussi je vais
partir."
Et Jésus se retourne et revient à sa place. Il incline la tête sur la table
et il pleure.
Barthélemy ferme la porte pour qu'aucun de ces cruels qui l'ont
insulté et qui s'en vont avec des menaces et des blasphèmes contre le Christ,
voie ses larmes.
Un long silence, puis Jacques
d'Alphée caresse la tête de son Jésus
et dit :
"Ne pleure pas. Nous t'aimons. Même à leur place."
Jésus lève son visage et dit :
"Ce n'est pas pour Moi que je pleure, mais pour eux, qui se tuent,
sourds à toute invitation."
"Qu'allons-nous faire, Seigneur ?" demande l'autre Jacques.
"Nous irons en Galilée. Demain matin nous partirons."
"Pas aujourd'hui, Seigneur ?"
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