Le mardi 26 juin
1945.
322/323> 201.1 – Ce doit être la matinée du
mercredi, car la troupe des apôtres et des femmes, précédée de Jésus et de
Marie avec le petit au milieu d'eux, s'approche de la Porte des Poissons.
Avec eux se trouve aussi Joseph d'Arimathie qui, fidèle à la parole donnée,
est allé à leur rencontre.
Jésus cherche du regard le soldat Alexandre, mais ne le voit pas.
"Il n'est pas là non plus aujourd'hui. Je voudrais avoir de ses
nouvelles..."
Mais la foule est si grande qu'il n'y a pas moyen de s'adresser aux soldats,
ce serait peut-être imprudent aussi, car les juifs sont plus intransigeants
que jamais, la fête étant imminente et à cause de la rancœur pour la capture
du Baptiste dont ils regardent aussi comme complices Pilate et ses
satellites. Je comprends tout cela par les épithètes et les prises de bec,
qui s'échangent continuellement à la Porte entre soldats et citadins et les
insultes... pittoresques et peu diplomatiques qui éclatent à chaque instant
comme le feu d'une continuelle girandole.
Les femmes de Galilée en sont scandalisées et s'enveloppent plus strictement
que jamais dans leurs voiles et dans leurs manteaux. Marie rougit, mais
marche avec assurance, droite comme un palmier en regardant son Fils. Jésus,
de son côté, ne tente même pas de chercher à faire raisonner les hébreux
exaltés ni de conseiller aux soldats la pitié à leur égard. Comme quelques
épithètes peu respectueuses s'adressent aussi au groupe des galiléens, Joseph
d'Arimathie se présente devant, auprès de Jésus, et la foule, qui le connaît,
se tait par respect pour lui.
On franchit finalement la Porte des Poissons et ce fleuve humain, qui se
déverse à flots dans la ville, mêlé aux ânes et aux troupeaux, se disperse
dans les rues...
201.2 – "Nous
voici, Maître !" dit en le saluant Thomas qui est avec Philippe et
Barthélemy au-delà de la Porte.
"Judas n'est pas là ?" "Pourquoi ici ?"
demandent plusieurs.
"Non. Nous sommes ici depuis le début de la matinée par crainte que tu
ne viennes plus tôt, mais lui, on ne l'a pas vu. Moi, hier, je l'ai
rencontré. Il était avec Sadoc le scribe, tu sais, Joseph ? Ce vieil
homme, maigre avec une verrue sous l’œil et il y en avait d'autres aussi ...
des jeunes, ceux-là. Je lui ai crié: "Je te salue, Judas" mais il
ne m'a pas répondu, feignant de ne pas me connaître. J'ai dit :
"Mais qu'est-ce qu'il a celui-là ?" et je l'ai suivi quelques
mètres. Il s'est séparé de Sadoc, avec qui il paraissait être un lévite, et
il s'en est allé avec les autres de son âge qui... n'étaient sûrement pas des
lévites... Et maintenant il n'est pas là... Et il savait que nous avions
décidé de venir ici !"
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324> Philippe ne dit
rien. Barthélemy serre les lèvres au point de les supprimer comme pour
arrêter le jugement qui monte de son cœur.
"Bien, bien ! Allons-y quand même ! Je ne pleurerai
certainement pas son absence" dit Pierre.
"Attendons
encore un peu. Peut-être a-t-il été arrêté en route" dit sérieusement
Jésus.
Ils s'adossent au mur du côté de l'ombre, les femmes ensemble, les hommes
formant un autre groupe.
Ils sont tous en habits de fête. Pierre est vraiment en tenue luxueuse. Il
arbore une coiffure toute neuve, blanche comme la neige et que tient un galon
brodé, rouge et or. Il a son meilleur habit, couleur grenat très foncé,
embelli par une ceinture neuve qui ressemble au galon du couvre- chef et d'où
pend le couteau avec gaine comme un poignard, avec une poignée ciselée et le
fourreau de laiton tout ajouré au travers duquel luit le fer très brillant de
la lame. Les autres aussi sont tous plus ou moins armés. Seul Jésus est sans
armes en vêtement de lin très blanc, avec un manteau couleur bleuet que
certainement Marie a tissé pendant l'hiver. Marziam a un vêtement rouge clair
avec un galon plus foncé au cou et aux poignets, et un galon du même genre
brodé, à la hauteur de la ceinture et aux bords du manteau que cependant
l'enfant garde plié sur son bras. Il le caresse content, levant de temps en
temps son petit visage, moitié souriant, moitié préoccupé... Pierre a aussi à
la main un paquet qu'il tient soigneusement.
201.3 – Le
temps passe... et Judas ne vient pas.
"Il n'a pas daigné..." grommelle Pierre et peut-être il ajouterait
quelque chose, mais l'apôtre Jean dit :
"Peut-être il nous attend à la Porte Dorée..."
Ils se rendent au Temple, mais Judas n'y est pas.
Joseph d'Arimathie perd patience et dit :
"Allons."
Marziam pâlit légèrement et il donne un baiser à Marie en disant :
"Prie !... prie !"
"Oui, chéri. N'aie pas peur. Tu sais si bien..."
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325> Marziam s'attache alors à Pierre.
Il serre nerveusement sa main et, ne se sentant pas encore en sécurité,
voudrait la main de Jésus.
"Moi, je ne viens pas, Marziam. Je vais prier pour toi. Nous nous
verrons après."
"Tu ne viens pas, Maître ? Pourquoi ?" dit Pierre étonné.
"Parce que cela vaut mieux..."
Jésus est très sérieux, je dirais triste et il ajoute :
"Joseph, qui est juste, ne peut qu'approuver ma conduite."
En effet, Joseph ne réplique pas et, par son silence et un soupir éloquent,
il approuve.
"Alors... allons..."
Pierre est un peu affligé.
Marziam s'attache alors à Jean et ils vont, précédés de Joseph qu'on salue
continuellement par de profondes inclinations. Avec eux vont Simon et Thomas.
Les autres restent avec Jésus.
201.4 – Ils
entrent dans la salle où Jésus entra en son temps. Un jeune homme, qui est en
train d'écrire dans un coin, se lève de suite en voyant Joseph et s'incline
jusqu'à terre.
"Dieu soit avec toi, Zacharie. Va chercher promptement Azraël et
Jacob."
Le jeune homme s'éloigne pour revenir presque aussitôt avec deux rabbins,
chefs de synagogues, scribes, je ne sais pas. Deux personnages renfrognés qui
n'inclinent leur suffisance que devant Joseph. Par derrière entrent huit
autres moins imposants. Ils s'assoient, laissant debout les demandeurs,
Joseph d'Arimathie y compris.
"Que veux-tu, Joseph ?" demande le plus ancien.
"Présenter à votre sagacité ce fils
d'Abraham qui est arrivé à l'âge prescrit pour entrer dans la Loi et se
diriger par lui-même."
"Ton parent ?"
Et ils regardent étonnés.
"En Dieu, nous sommes tous parents. Mais l'enfant est orphelin et cet
homme, de l'honnêteté duquel je me porte garant, l'a pris pour que son foyer
ne soit pas privé de descendance."
"Qui est l'homme ? Qu'il réponde par lui-même."
"Simon de Jonas de Bethsaïde en Galilée, marié sans enfant, pêcheur pour
le monde, fils de la Loi pour le Très-Haut."
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326> "Et toi, galiléen, tu assumes
cette paternité ? Pourquoi ?"
"Il est dit dans la Loi
d'avoir de l'amour pour l'orphelin et la veuve. Je le
fais."
"Mais celui-ci peut-il connaître la Loi au point de mériter de... Mais
toi, enfant, réponds, Qui es-tu ?"
"Yabeç Marziam de Jean, des campagnes d'Emmaüs âgé de douze ans."
"Juif, donc. Est-il permis à un galiléen de s'en charger ?
Interrogeons les lois."
"Mais, que suis-je ? Lépreux ou maudit ?"
Le sang de Pierre commence à bouillir.
"Tais-toi, Simon. Je parle pour lui. Je vous ai dit que je me porte
garant de cet homme. Je le connais comme s'il était de ma maison. Joseph
l'Ancien ne proposerait jamais une chose contraire à la Loi, ni non plus aux
lois. Veuillez examiner l'enfant avec justice et empressement. La cour est
pleine d'enfants qui attendent l'examen. Ne lambinez pas par amour pour
tous."
"Mais, qui prouve que l'enfant a douze ans et qu'il a été racheté au
Temple ?"
"On peut le prouver par les écritures. Recherche ennuyeuse, mais que
l'on peut faire. Enfant, tu m'as dit que tu es l'aîné ?"
"Oui, Seigneur. Tu peux le voir puisque j'ai été consacré au Seigneur et
racheté avec la taxe imposée."
"Cherchons alors ces attestations..." dit Joseph.
"Inutile, répondent sèchement les deux chicaneurs.
201.5 – Viens
ici, enfant. Dis le décalogue."
L'enfant le récite avec assurance.
"Donne-moi ce rouleau, Jacob. Lis, si tu sais lire."
"Où, rabbi ?"
"Où tu veux. À l'endroit sur lequel ton œil tombe" dit Azraël.
"Non. Ici. Donne-le-moi" dit Jacob.
Il ouvre le rouleau jusqu'à un endroit donné, puis il dit :
"Ici."
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327> "Alors, il leur dit
secrètement : 'Bénissez le Dieu du Ciel et louez-Le en présence de tous
les vivants, car Il a usé de miséricorde envers vous. Certainement il est
bien de tenir caché le secret du roi, mais pourtant il est honorable de
révéler..."
"Assez ! Assez ! Qu'est-ce que c'est ?" demande
Jacob en montrant les franges de son manteau.
"Les franges sacrées, seigneur : nous les portons pour nous
rappeler les commandements du Seigneur Très-Haut."
"Est-il permis à un israélite de manger n'importe quelle viande ?
..." demande Azraël.
"Non, seigneur, seulement celles qui sont déclarées pures."
"Dis-moi les préceptes..."
Et docilement l'enfant attaque la litanie des :
"Tu ne feras pas..."
"Assez, assez ! Pour un galiléen, tu en sais presque trop. Homme,
il t'appartient de jurer que ton fils est majeur."
Pierre avec la meilleure grâce dont il est encore capable après tant
d'impolitesses, prononce son petit discours paternel :
"Comme vous l'avez remarqué, mon fils arrivé à l'âge prescrit, est
capable de se diriger, connaissant la Loi, les préceptes, les coutumes, les
traditions, les cérémonies, les bénédictions, les prières. Par conséquent,
comme vous l'avez constaté, sa majorité peut être demandée par moi et par
lui. Vraiment, cela devait être dit d'abord par moi, mais ici les coutumes
ont été violées et non par nous, galiléens, et l'enfant a été interrogé avant
le père. Mais maintenant je vous dis : étant donné que vous l'avez reconnu
capable, à partir de ce moment, je ne suis plus responsable de ses actions,
ni devant Dieu, ni devant les hommes."
"Passez à la synagogue."
Le petit cortège passe à la synagogue entre les visages hargneux des rabbins
que Pierre a remis en place.
Devant les pupitres et les lampes, Marziam subit la coupe des cheveux que
l'on raccourcit depuis les épaules jusqu'aux oreilles. Puis Pierre, qui a
ouvert son petit paquet, en tire une belle ceinture de laine rouge avec des
broderies jaune or. Il la serre à la taille de l'enfant. Puis, pendant que
les prêtres lui attachent au front et au bras des bandelettes de cuir, Pierre
s'affaire à fixer au manteau que Marziam lui a passé les franges sacrées. Il
est bien ému, Pierre, quand il entonne la louange au Seigneur !...
201.6 – La
cérémonie est finie. Ils se glissent dehors rapidement et Pierre dit :
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328/329> "Heureusement !
Je ne me contenais plus ! Tu as vu, Joseph ! Ils n'ont même pas
accompli le rite. Peu importe. Toi... toi, mon fils, tu as quelqu'un qui te
consacre... Allons prendre un petit agneau pour le sacrifice de louange au
Seigneur. Un petit agneau, tendre comme toi. Je te remercie, Joseph !
Toi, dis aussi "merci" à ce grand ami. Sans toi, ils nous auraient
traités très mal."
"Simon, je suis content d'avoir été utile à un juste comme toi, et je te
prie de venir à ma maison de Bézéta pour le banquet. Avec toi, tous, c'est
naturel"
"Allons le dire au Maître. Pour moi... c'est trop d'honneur !"
dit l'humble Pierre, mais son visage rayonne de joie.
Ils traversent de nouveau les cours et les atriums jusqu'à la cour des femmes
où toutes félicitent Marziam. Puis les hommes passent dans l'atrium des
israélites où se trouve Jésus avec les siens. Ils sont tous unis en une même
communion de bonheur et, pendant que Pierre va sacrifier l'agnelet, ils se
dirigent à travers les portiques et les cours jusqu'à la première enceinte.
201.7 – Comme
il est heureux, Pierre, avec son enfant, parfait israélite désormais !
Au point de ne pas voir la ride qui barre le front de Jésus, au point de ne
pas remarquer le silence plutôt accablant de ses compagnons. Quand l'enfant,
à la question rituelle sur ce qu'il a l'intention de faire plus tard déclare :
"Je serai pêcheur comme mon père" c'est seulement là, dans la salle
de la maison de Joseph qu'à travers ses larmes Pierre se souvient et comprend...
"Pourtant... Judas a mis une goutte de poison dans cette fête... Et tu
en es meurtri, Maître... et les autres en sont attristés. Pardonnez-moi tous
si je ne m'en suis pas rendu compte plus tôt... Ah ! ce Judas… !"
Je crois que son soupir se trouve dans tous les cœurs... Mais Jésus, pour
enlever le poison, s'efforce de sourire et dit :
"Ne te tourmente pas, Simon. Il ne manque que ton épouse
à la fête... et je pensais aussi à elle, si bonne et toujours sacrifiée. Mais
bien vite elle aura sa joie inattendue et qui sait comment bien accueillie.
Pensons au bien qu'il y a dans le monde. Viens. Alors Marziam a très bien
répondu ? Je le savais d'avance..."
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