Vision du samedi 10 février 1945
174> 103.1 – Jésus marche à
côté de Jonathas le long
d'une chaussée verte et ombragée. Derrière, les apôtres qui parlent entre
eux. Mais Pierre se détache, va en avant et, franc comme toujours,
demande à Jonathas :
"Mais n'était-elle pas plus courte, la route qui va à Césarée
de Philippe ? Nous avons pris
celle-là... et quand allons-nous arriver ? Toi, avec la maîtresse, tu
avais pris l'autre ?"
"Avec une malade, j'ai tout risqué. Mais tu dois penser que j'appartiens
au personnel d'un courtisan d'Antipas, et Philippe après cet inceste honteux, il ne voit pas d'un bon œil les
courtisans d'Hérode... ce n'est pas pour moi, tu sais, que je crains. Mais
pour vous, et pour le Maître en particulier, je ne veux pas vous donner des
ennuis et vous créer des ennemis. Dans la Tétrarchie de Philippe, il faut la
Parole comme dans celle d'Antipas... et, s'ils vous haïssent, comment cela
serait-il possible ? Au retour, vous prendrez l'autre route, si vous la
croyez meilleure."
"Je loue ta prudence, Jonathas, mais au retour je compte passer par le
territoire de la Phénicie." dit Jésus.
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175> "Elle est enveloppée dans les ténèbres de
l'erreur."
"J'irai sur les frontières pour leur rappeler qu'il existe une
Lumière."
"Tu crois que Philippe se vengerait sur un serviteur du tort que lui a
fait son frère ?"
"Oui, Pierre. L'un vaut l'autre. Ils sont dominés par tous les plus bas
instincts et ne font pas de distinction. Ils semblent de animaux et non pas
des hommes, crois-le."
"Et pourtant nous, je veux dire Lui, parent de Jean, devrait lui être cher. Au fond, Jean, en parlant au
nom de Dieu, a parlé aussi en son nom et en sa faveur."
"Il ne vous demanderait même pas d'où vous venez, ni qui vous êtes. Si
on vous voyait avec moi, si on me reconnaissait ou si j'étais dénoncé par un
ennemi de la maison d'Antipas comme serviteur de son Procurateur,
on vous emprisonnerait tout de suite. Si vous saviez quelle fange il y a
derrière les vêtements de pourpre ! Vengeances, injustices,
dénonciations, luxure et vols c'est la nourriture de leur âme. Âme ? …
Nous parlons ainsi, mais je crois qu'ils n'ont même plus d'âme. Vous le
voyez. Ça s'est bien terminé mais pourquoi Jean a-t-il été libéré ? Par
suite d'une querelle entre deux officiers de la cour et d'une vengeance. L'un
d'eux pour se débarrasser de l'autre, qu'Antipas avait favorisé en lui
donnant la garde de Jean, contre une somme, ouvrit pendant la nuit la prison…
Je crois qu'il avait étourdi son rival avec du vin épicé et le matin
suivant... le malheureux fut décapité à la place du Baptiste évadé. C'est un
dégoûtant, je te le dis."
"Et ton patron y reste ? Il me paraît bon."
"Oui, mais il ne peut faire autrement. Son père et son grand-père
appartenaient à la cour d'Hérode le Grand et le fils doit forcément y rester.
Il n'approuve pas, mais il ne peut que se borner à garder son épouse loin de
cette cour vicieuse."
"Et, ne pourrait-il pas dire : ''Cela me dégoûte'' et s'en
aller ?"
"Il le pourrait, mais, si bon qu'il soit, il n'en est pas encore
capable. Cela voudrait dire certainement la mort. Et qui est-ce qui veut mourir
par une fidélité, spirituelle, portée à son plus haut degré? Un saint comme
le Baptiste. Mais nous, pauvrets !"
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176> 103.2 – Jésus, qui les a laissés
parler entre eux, intervient :
"Dans peu de temps, sur tous les points de la terre connue, on verra,
aussi nombreux que les fleurs sur un pré en avril, les saints contents de
mourir pour cette fidélité à la Grâce et pour l'amour de Dieu."
"Vraiment ? Oh ! il me plairait saluer ces saints et leur dire
: "Priez pour le pauvre Simon de Jonas !" dit Pierre.
Jésus le regarde en face, en souriant.
"Pourquoi me regardes-tu ainsi ?"
"Parce que tu les verras quand tu les assisteras et ils te verront quand
ils t'assisteront."
"À quoi, Seigneur ?"
"À devenir la Pierre consacrée du Sacrifice sur laquelle se célébrera et
s'édifiera mon Témoignage."
"Je ne te comprends pas."
"Tu comprendras."
Les autres disciples, qui s'étaient approchés et ont entendu, conversent
entre eux.
Jésus se retourne :
"En vérité je vous dis que, par un supplice ou un autre, vous serez tous
mis à l'épreuve.
Pour l’instant c'est celui du renoncement à vos aises, à vos affections, à
vos intérêts. Après, ce sera un sacrifice de plus en plus vaste, jusqu'au
sacrifice suprême qui vous ceindra d'un diadème immortel. Soyez fidèles. Mais
vous le serez tous. C'est le sort qui vous attend."
"Nous serons mis à mort par les Juifs, par le Sanhédrin,
peut-être à cause de l'amour que nous avons pour Toi ?"
"Jérusalem lave les seuils de son Temple avec le sang de ses prophètes
et de ses saints. Mais le monde aussi attend d'être lavé... Il s'y trouve des
temples et des temples de divinités horribles. Ils seront dans l'avenir des
temples du vrai Dieu, et la lèpre du paganisme sera purifiée avec l'eau
lustrale faite avec le sang des martyrs."
"Oh ! Dieu Très-Haut ! Seigneur ! Maître ! Je ne
suis pas digne d’un pareil sort ! Je suis faible ! J'ai peur du
mal ! Oh ! Seigneur ! ...Plutôt renvoie ton inutile serviteur
ou bien, donne-moi, Toi, la force. Je ne voudrais pas qu'on te défigure,
Maître, à cause de ma lâcheté."
Pierre s'est jeté aux pieds du Maître et le supplie d'une voix qui révèle
vraiment son cœur.
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177> "Lève-toi, mon Pierre. N'aie pas peur. Tu as
encore beaucoup de chemin à faire... et l'heure viendra où tu ne voudras plus
qu'accomplir le dernier sacrifice. Et alors tu auras toute la force venant du
Ciel et de toi-même. Je serai là plein d'admiration à te regarder."
"Tu le dis... et je le crois. Mais je suis un si pauvre
homme !"
103.3 – Ils se remettent à marcher ...
...et après une assez longue interruption, je recommence à avoir la vision
quand déjà ils ont quitté la plaine pour gravir une montagne boisée sur un
chemin qui ne cesse de monter. Ce ne doit pourtant pas être le même jour, car
précédemment la matinée était torride et maintenant c'est une belle aurore
naissante qui sur toutes les tiges d'herbes, allume des diamants liquides. On
a franchi des bois et encore des bois de conifères, on les domine de plus
haut et, comme des dômes de verdure, ils accueillent entre leurs troncs les
pèlerins infatigables.
Vraiment ce Liban est une chaîne extraordinaire. Je ne sais si le Liban c'est
tout cet ensemble ou bien cette seule montagne. Je sais que je vois des
massifs boisés qui se dressent en un enchevêtrement de crêtes et
d'escarpements, de vallées et de plateaux le long desquels courent, pour
retomber ensuite dans les vallées des torrents qui semblent des rubans
d'argent légèrement verts azurés. Des oiseaux de toutes sortes remplissent de
leurs chants et de leurs vols les bois de conifères. On respire à cette heure
matinale tout un parfum de résine. En se tournant vers la vallée, ou plutôt
vers l'occident, on aperçoit la mer qui rit au loin, immense, paisible,
solennelle, et toute la côte qui s'étend au nord, au sud avec ses villes, ses
ports et les rares cours d'eau qui se jettent dans la mer, en traçant à peine
une virgule brillante sur la terre aride avec leur peu d'eau que le soleil
d'été sèche, et une traînée jaunâtre sur l'azur de la mer.
"Ce sont de beaux paysages." observe Pierre.
"Il ne fait plus aussi chaud." dit Simon.
"Avec ces arbres, le soleil nous gêne peu..." ajoute Matthieu.
103.4 – "C’est ici qu'on a pris
les cèdres du Temple ?" demande Jean.
"Oui, c'est ici. Ce sont ces forêts qui donnent les bois les plus beaux.
Le maître de Daniel et de Benjamin en possède un très grand nombre sans compter des riches
troupeaux. On les scie sur place et on les porte à la vallée par ces canaux
ou à la main. C'est un travail difficile quand les troncs doivent être
employés tout entier comme ce fut le cas pour le Temple. Mais le patron paie
bien et il a beaucoup de gens à son service. Et puis, il est assez bon. Il
n'est pas comme ce féroce Doras. Pauvre Jonas !" répond Jonathas.
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178> "Mais comment se fait-il que ses serviteurs sont
presque des esclaves ? Je disais à Jonas : "Mais laisse-le en
plan et viens avec nous. Simon de Jonas aura toujours du pain pour toi";
mais il répondait : "Je ne peux si je ne me rachète pas".
Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?"
"Voilà comment opère Doras, et il n'est pas le seul en Israël :
quand il découvre un bon serviteur, il l'amène par une subtile astuce, à
devenir esclave, Il lui met sur son compte des sommes inexactes que le
pauvret ne peut payer, et quand il arrive à une certaine somme, il dit :
"Maintenant tu es mon esclave pour dettes"
"Oh ! quelle honte ! Et c'est un pharisien !"
"Oui. Et Jonas, tant qu'il a eu des économies, il a pu payer... puis...
Une année, ce fut la grêle, une autre la sécheresse. Le blé et la vigne
rapportèrent peu de chose et Doras multiplia la perte par dix et encore par
dix... Puis Jonas fut malade par excès de travail. Et Doras lui prêta une
somme pour qu'il se soigne, mais il exigea le douze pour un, et Jonas
n'ayant pas de quoi lui rendre, il l'ajouta au reste. Bref : quelques
années après, il devint esclave pour les dettes. Et il ne le laissera jamais
partir... Il trouvera toujours des raisons et de nouvelles dettes... "
Jonathas est triste en pensant à son ami.
"Et ton maître ne pouvait-il pas... "
"Quoi ? Le faire traiter en homme ? Et qui peut se mettre à dos les pharisiens
? Doras en est un des plus puissants. Je crois qu'il est parent aussi du
Grand-Prêtre... Du moins, on le dit. Une fois, quand Jonas subit une
bastonnade mortelle et que je l'appris, je pleurai tant que Kouza me dit :
"Je le rachète moi pour te faire plaisir" .Mais Doras lui rit au
nez et ne voulut rien savoir. Eh ! cet homme... il a les terres les plus
riches d'Israël... mais, je te le jure : elles sont engraissées par le
sang et les larmes de ses serviteurs."
Jésus regarde le Zélote et le Zélote le regarde. Tous les deux sont
attristés.
"Et le maître de Daniel,
est-il bon ?"
"Il est humain, au moins. Il est exigeant mais n'accable pas. Et comme
les bergers sont honnêtes, il les traite amicalement. Ils sont à la tête du
troupeau. Moi, il me connaît et me respecte parce que je suis le serviteur de
Kouza... et que je pourrais servir ses intérêts... Mais, pourquoi, Seigneur,
l'homme est-il si égoïste ?"
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179> "Parce que l'amour a été étranglé au Paradis
terrestre, mais je suis venu dénouer le lacet et rendre la vie à
l'amour."
103.5 – "Nous voici sur les
terres d'Élisée. Les pâturages sont encore loin, mais à cette heure, les
troupeaux sont presque toujours au bercail à cause du soleil. Je vais voir
s'ils y sont." Et Jonathas part presque en courant.
Il revient quelque temps après, avec deux pâtres grisonnants et robustes qui
se précipitent littéralement sur la pente pour rejoindre Jésus.
"Paix à vous. "
"Oh ! Oh ! Notre Bébé de Bethléem !" dit l'un, et
l'autre : "Paix de Dieu, venue vers nous, que Tu sois bénie."
Les hommes sont allongés sur l'herbe. On ne salue pas aussi profondément un
autel comme ils saluent le Maître.
"Relevez-vous. Je vous rends votre bénédiction et suis heureux de le
faire, car elle vient joyeusement sur ceux qui en sont dignes."
"Oh ! dignes, nous !"
"Oui, vous, toujours fidèles."
"Et
qui ne l'aurait été ? Qui pourrait faire oublier cette heure ! Qui
pourrait dire : "Ce n'est pas réel ce que nous avons vu ?"
Qui pourrait oublier que tu nous as souri pendant des mois, quand revenant le
soir avec nos troupeaux, nous t'appelions et que tu battais les mains au son
de nos flûtes ?...Tu te le rappelles Daniel ? Presque toujours vêtu
de blanc dans les bras de sa Mère quand tu nous apparaissais dans un rayon de
soleil sur le pré d'Anne ou à la
fenêtre, et que tu semblais une fleur posée sur la neige du vêtement
maternel."
"Et cette fois que tu es venu, quand tu faisais tes premiers pas pour
caresser un agnelet moins frisé que Toi ? Comme tu étais heureux !
Et nous, nous ne savions que faire de notre rustique personne. Nous aurions
voulu être des anges pour te paraître moins grossiers..."
"Oh ! mes amis ! Je voyais votre cœur et c'est lui que je vois
maintenant."
"Et tu nous souris comme alors !"
"Et tu es venu jusqu'ici chez de pauvres bergers !"
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180> "Chez mes amis. Maintenant, je suis content. Je
vous ai tous retrouvés et je ne vous perdrai plus. Pouvez-vous donner
l'hospitalité au Fils de l'homme et à ses amis ?"
"Oh ! Seigneur ! Tu le demandes ? Le pain et le lait ne
nous manquent pas, mais si nous n'avions qu'une seule bouchée de pain nous te
la donnerions pour te garder avec nous. N'est-ce pas, Benjamin ?"
"Notre cœur, nous te le donnerions en nourriture, ô notre désiré
Seigneur !"
"Allons alors, nous allons parler de Dieu..."
"Et de tes parents, Seigneur, de Joseph, si
bon ! de Marie... Oh ! la Mère ! Voici : vous voyez ce frais
narcisse . Sa tête est belle et pure, on dirait une étoile de
diamant. Mais Elle... Oh ! ce narcisse n'est que crasse en comparaison
d'elle ! Un de ses sourires vous purifiait. C'était une fête de la
rencontrer, sa parole vous sanctifiait. Te souviens-tu de ses paroles toi
aussi, Benjamin ?"
"Oui, je peux te les redire, Seigneur, car tout ce qu'Elle nous a dit,
dans les mois où nous pûmes l'entendre, est écrit ici (et il se frappe la
poitrine). C'est la page de notre sagesse et nous la comprenions nous
aussi car c'est une parole d'amour. Et l'amour... oh ! l'amour, c'est
une chose que tout le monde comprend ! Viens, Seigneur, entre dans cette
heureuse demeure et bénis-la."
Ils entrent dans une pièce
près du vaste bercail et tout prend fin.
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