Le samedi 28 octobre
1944
377> 56.1 – Vous êtes vraiment belles, rives du
Jourdain, comme vous l'étiez au temps de Jésus ! Je vous regarde et je
me délecte de la majestueuse paix de vos flots vert azur où le bruit des eaux
et la fraîcheur des frondaisons chante comme une douce mélodie.
Je suis sur une route assez large et bien entretenue. Ce doit
être un chemin de grande communication, ou mieux : une route militaire,
que les Romains ont ouverte pour relier les différentes régions à la
capitale, Elle court près du fleuve, mais pas exactement le long du fleuve.
Elle en est séparée par une bande boisée qui, je crois, sert à consolider les
berges et à résister aux eaux en périodes de crues. Sur l'autre côté de la
route, le bois continue en sorte que le chemin paraît une galerie naturelle
au-dessus de laquelle s'entrelacent les branches touffues. Repos agréable
pour les voyageurs dans ces pays de grand soleil.
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378> Le fleuve, et conséquemment la
route, au point où je me trouve, forme un arc de faible courbure en sorte que
je vois la suite de la berge couverte de frondaisons qui forment comme un mur
de verdure qui enclorait un bassin d'eaux tranquilles. On dirait un lac de
parc seigneurial. Mais l'eau n'est pas l'eau immobile d'un lac. Elle coule,
bien que lentement, ce que montre le bruissement de l'eau contre les premiers
roseaux, les plus hardis qui ont poussé tout en bas sur la grève et les longs
rubans ondulants des feuilles qui pendent à la surface de l'eau et que le
courant met en mouvement. Il y a aussi un groupe de saules pleureurs qui
laissent aller dans le fleuve l'extrémité de leur verte chevelure. Il semble
la peigner en la caressant gracieusement, l'étirant doucement au fil du
courant.
Silence et paix à cette heure matinale. Seuls les chants et les appels des
oiseaux, le bruissement de l'eau sur les feuillages et l'éclat des gouttes de
rosée sur l'herbe verte et longue qui pousse entre les arbres que le soleil
d'été n'a pas durcie ni jaunie, mais qui est tendre et toute nouvelle. Elle
est née après les premières pluies printanières qui ont nourri la terre,
jusqu'au plus profond, de fraîcheur et de principes fertilisants.
56.2 – Trois voyageurs sont arrêtés à ce
tournant de la route, exactement au sommet de l'arc. Ils regardent en haut et
en bas, au sud vers Jérusalem et au nord vers Samarie. Ils cherchent entre
les troncs des arbres pour voir s'il arrive quelqu'un qu'ils attendent.
Ce sont Thomas, Jude
Thaddée et le lépreux guéri. Ils parlent. "Tu ne vois rien ?"
"Moi ? Non !"
"Ni moi non plus."
"Et pourtant, c'est bien l'endroit convenu."
"En es-tu sûr ?"
"Sûr, Simon. Un des six m'a dit pendant
que le Maître s'éloignait au milieu des acclamations de la foule après le
miracle du mendiant estropié guéri à la Porte des Poissons : "Maintenant nous
sortons de Jérusalem", Attends-nous à cinq milles entre Jéricho et
Docco, à la courbe du fleuve, le long de l'avenue". Celle-ci. Il a dit
aussi : "Nous y serons d'ici trois jours, à l'aurore. C'est le troisième
jour, et la quatrième veille nous a trouvés ici."
"Est-ce qu’il viendra ? Peut-être aurait-il mieux valu le suivre
depuis Jérusalem."
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379> "Tu ne pouvais encore venir à travers la foule,
Simon."
"Si mon cousin a dit de venir ici, il y viendra. Il tient toujours ses
promesses. Il n'y a qu'à attendre."
56.3 –
"As-tu été toujours avec Lui ?"
"Toujours. Depuis son retour à Nazareth, il a toujours été pour moi un bon compagnon. Toujours
ensemble. Nous sommes de même âge, moi, un peu plus vieux. Et puis, j'étais
le préféré de son
père, frère de mon père. Et puis aussi sa Mère m'aimait bien J'ai grandi plus avec Elle qu'avec ma
mère."
"Elle t'aimait... Est-ce que maintenant Elle ne t'aime pas
autant ?"
"Oh ! si ! mais nous sommes un peu divisés du moment où Lui
s'est fait prophète. Cela n'a pas fait plaisir à mes parents."
"Quels parents ?"
"Mon père et les deux aînés.
L'autre est hésitant... Mon père est très vieux, et je n'ai pas eu le cœur de
le mécontenter. Mais maintenant... maintenant, ce n'est plus la même
chose. Maintenant, je vais là ou mon cœur et mon esprit se trouvent attirés
Je vais vers Jésus. Je ne crois pas offenser la Loi en agissant ainsi Mais,
déjà... si ce n'était pas juste, ce que je veux faire, Jésus me le dirait. Je
ferai ce qu'il me dit. Un père a-t-il le droit de s'opposer à un fils qui
cherche le bien ? Si j'ai conscience que là est mon salut pourquoi
m'empêcher d'y arriver ? Pourquoi les pères sont-ils alors pour nous des
ennemis ?"
Simon soupire comme si on lui rappelait de tristes souvenirs. Il baisse la
tête, mais ne parle pas.
Thomas, au contraire répond : "J'ai déjà franchi l'obstacle. Mon père
m'a écouté et m'a compris. Il m'a béni en disant : "Va que cette Pâque
soit pour toi la libération de l'esclavage de l'attente. Heureux, toi qui
peux croire. Pour moi, j'attends. Mais si c'est bien
‘Lui’ et tu t'en apercevras en le suivant, viens vers ton vieux père pour lui
dire : "Viens ! Israël possède l'Attendu".
"Tu as plus de chance que moi ! Et dire que nous avons vécu à ses
côtés ! ...et que nous ne croyons pas, nous qui sommes de sa famille...
et que nous disons ou plutôt qu'ils disent : "Il a perdu la tête
!"
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56.4 – "Voilà, voilà un groupe de
personnes" crie Simon. C'est Lui, c'est Lui ! Je reconnais sa tête
blonde. Oh ! venez ! courons !"
Ils se mettent à marcher rapidement vers le sud. Les arbres, maintenant
qu'ils ont rejoint le sommet de l'arc cachent la suite de la route, de façon
que les deux groupes se trouvent en face l'un de l'autre, au moment où ils
s'y attendaient le moins. On dirait que Jésus sorte du fleuve parce qu'il se
trouve entre les arbres de la berge.
"Maître ! "
"Jésus !
"
"Seigneur ! "
Les trois cris du disciple, du cousin, du miraculé retentissent exprimant
l'adoration et la joie.
"Paix à vous !"
Voilà la belle voix, qui ne peut se confondre avec une autre, pleine, sonore,
paisible, expressive, nette, virile, douce et pénétrante.
56.5 –
"Toi aussi, Jude, mon cousin ?"
Ils s'embrassent. Jude pleure. "Pourquoi ces larmes ?"
"Oh ! Jésus ! Je veux rester avec Toi !"
"Je t'ai toujours attendu. Pourquoi n'es-tu pas venu ?" Jude
baisse la tête et se tait.
"Ils n'ont pas voulu ! Et maintenant ?"
"Jésus, moi... moi, je ne peux leur obéir. Je ne veux obéir qu'à
Toi seul."
"Mais, Moi, je ne t'ai pas donné d'ordre."
"Non, Toi, non; mais c'est ta mission qui commande. C'est Celui qui t'a
envoyé qui parle ici, au milieu de mon cœur et qui me dit : " Va vers
Lui". C'est Celle qui t'a
engendré et qui m'a été une douce maîtresse,
qui de son regard de colombe me dit, sans paroles : "Sois à Jésus".
Puis-je, moi, ne pas tenir compte de cette voix d'en Haut qui me pénètre le
cœur ? De cette prière d'une Sainte qui, sûrement, me supplie pour mon
bien ? Alors que je suis ton cousin, par Joseph, ne dois-je pas te
connaître pour ce que Tu es alors que le Baptiste t'a reconnu, lui qui ne t'avait jamais vu, ici, sur les
rives de ce fleuve et t'a salué "Agneau de Dieu"?
Et moi, moi qui ai grandi avec Toi, qui me suis rendu bon en te suivant, moi
qui suis devenu fils de la Loi grâce à ta Mère et qui ai aspiré en moi, non
seulement les 613 préceptes des rabbins en plus de l'Écriture et des prières,
mais leur âme à eux tous, je ne devrais être capable de rien ?"
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"Et ton père ?"
"Mon père ? Il ne lui manque ni le pain, ni l'assistance... et puis
Tu m'as donné l'exemple. Tu as pensé au bien du peuple plutôt qu'au bien
particulier de Marie. Et Elle est seule. Dis-moi, Toi mon Maître, n'est-il
pas peut-être permis, sans manquer de respect à un père de lui dire :
"Père, je t'aime. Mais au-dessus de toi il y a Dieu, et je Le suis
?"
"Jude, parent et ami, je te le dis : tu es très
avancé sur le chemin de la Lumière. Viens. Il est permis de parler ainsi à
son père quand c'est Dieu qui appelle. Il n'y a rien au-dessus de Dieu. Même les lois du
sang disparaissent, ou plutôt se subliment
parce que, avec nos larmes, nous donnons à nos parents, aux mères un plus
grand secours, et pour un but éternel auprès duquel ne compte pas la journée
du monde. Avec nous, nous les attirons vers le Ciel et, par la même voie du
sacrifice des affections, ver Dieu. Reste donc, Jude, je t'ai attendu et je
suis heureux de t'avoir de nouveau, ami de ma vie de Nazareth."
Jude est profondément ému.
56.6 –
Jésus se tourne vers Thomas :
"Tu as obéi fidèlement. Première vertu du disciple."
"Je suis venu pour t'être fidèle."
"Et tu le seras. Je te le dis. Viens, toi qui reste tout honteux dans
l'ombre. Ne crains pas."
"Mon Seigneur !" L'ancien lépreux est aux pieds de Jésus.
"Lève-toi. Ton nom ?"
"Simon."
"Ta famille ? "
"Seigneur... elle était puissante... moi aussi j'étais considéré. Mais
rancœur de sectes et... et erreurs de jeunesse, ont blessé sa puissance. Mon
père... Oh ! je dois parler contre lui qui m'a coûté des larmes qui ne
venaient pas du ciel ! Tu le vois, tu as vu quel cadeau il m'a
fait ! "
"Il était lépreux ?"
"Pas lépreux, moi non plus, mais atteint d'une maladie qui porte un
autre nom et que nous, d'Israël nous classons avec les diverses lèpres.
Lui... alors sa maison était encore puissante, il a vécu et il est mort,
considéré dans sa maison. Moi... si tu ne m'avais pas sauvé, je serais mort
au milieu des tombeaux."
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"Tu es seul ?"
"Seul, j'ai un serviteur
fidèle qui prend soin de ce qui me
reste. Je l'ai fait prévenir."
"Ta mère ?"
"Elle... est morte." L'homme paraît gêné.
Jésus l'observe attentivement. "Simon, tu m'as dit : "Que dois-je
faire pour Toi ? Maintenant, Je te dis : Suis-Moi".
"Tout de suite ! Seigneur!... mais... mais
moi... Laisse-moi te dire une chose. Je suis, on m'appelait "Zélote" à
cause de la caste à laquelle j'appartenais et "Chananéen" à cause de ma mère. Tu vois. Je
suis de basse condition. En moi, j'ai du sang d'esclave. Mon père n'avait pas
de fils de sa femme légitime, et il m'eut d'une esclave. Son épouse, une
brave femme m'éleva comme son fils et eut soin de moi au milieu de mes
innombrables maladies, jusqu'à sa mort... "
"Il n'y a pas aux yeux de Dieu d'esclaves ni d'affranchis. Il n'y a, à
ses yeux, qu'un seul esclavage : le péché. Et je suis venu le supprimer.
Je vous appelle tous, parce que le Royaume appartient à tous. Es-tu
cultivé ?"
"Je suis cultivé. Je tenais aussi mon rang parmi les grands. Tant que le
mal fut caché sous les vêtements. Mais, quand il parut à la vue... Mes
ennemis furent heureux à l'utiliser pour me confiner parmi les
"morts". En effet comme le dit un médecin romain de Césarée, que je
consultai, mon mal n'était pas la vraie lèpre, mais un serpigo héréditaire, il me suffisait donc de ne pas procréer pour ne pas le
propager. Puis-je, moi, ne pas maudire mon père ?"
"Tu ne dois pas le maudire. Il t'a causé toutes sortes de maux..."
"Oh ! oui ! Il a dilapidé le patrimoine. Il était vicieux,
cruel, sans cœur, sans affection. Il m’a refusé la santé, les caresses, la
paix. Il m'a marqué d'un nom qui me fait mépriser et m'a transmis une maladie
déshonorante... Il s'est rendu maître de tout, même de l'avenir de son fils.
Il m'a tout enlevé, même la joie d'être père."
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383>
"Pour cette raison, Je te dis :
"Suis-moi !". À mes côtés, à ma suite, tu trouveras un père et
des fils. Élève ton regard, Simon. Là, le vrai Père te sourit. Porte ton
regard sur l'étendue de la terre sur les continents, à travers les pays. Il y
a là des fils et des fils : fils spirituels pour ceux qui n’ont pas
d'enfants. Ils t'attendent. En attendent beaucoup comme toi. Sous mon Signe,
il n'y a plus d'abandons. En mon Signe, il n'y a plus de solitude, ni de
différences. C'est le Signe d'amour. Et il donne
l'amour. 56.7 – Viens, Simon qui n'as pas eu de fils.
Viens Jude, qui perds ton père pour mon amour. Je vous unis dans un même sort."
Jésus les approche tous les deux. Il tient les mains sur leurs épaules, comme
pour en prendre possession, comme pour leur imposer un joug commun. Puis il
dit : "Je vous unis, mais pour l'instant je vous sépare. Toi, Simon, tu
resteras ici avec Thomas. Avec lui tu prépareras les voies pour mon retour.
D'ici peu je reviendrai et je veux qu'il y ait beaucoup de peuple pour
m'attendre. Dites aux malades, toi tu peux le dire, que Celui qui guérit
vient. Dites à ceux qui attendent que le Messie est parmi son peuple. Dites
aux pécheurs qu'il y a quelqu'un qui pardonne pour donner la force de
s'élever…"
"Mais, serons-nous capables ?"
"Oui, vous n'avez qu'à dire :
"Lui est arrivé. Il vous appelle. Il vous attend. Il vient pour vous
faire grâce. Soyez empressé pour le voir" et à ces paroles ajoutez le récit
de ce que vous savez. Et toi, Jude, cousin, viens avec Moi et avec ceux-ci,
mais toi, tu resteras à Nazareth. "
"Pourquoi, Jésus ? "
"Parce que tu dois me préparer le chemin dans notre patrie. Tu crois que
c'est une petite mission ? En vérité, il n'y en a pas de plus
importante..." Jésus soupire.
"Et est-ce que je réussirai ?"
"Oui et non, mais tout sera suffisant pour que nous soyons
justifiés."
"De quoi ? Et auprès de qui ?"
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384> "Auprès de Dieu. Auprès de la patrie. Auprès de la
famille. Ils ne pourront nous reprocher de ne pas leur avoir offert ce qui
est bien. Et si la patrie et la famille le dédaignent, nous n'aurons pas la
responsabilité de leur perte."
"Et nous ?"
"Vous, Pierre. Vous retournerez à vos filets."
"Pourquoi ?"
"Parce que je vous instruirai lentement et je vous prendrai quand vous serez
prêts."
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