Le vendredi 27 octobre 1944.
371> 55.1 – Ce matin, revenant d'un très lourd
sommeil de plusieurs heures, pendant que je prie en attendant le jour, j'ai
la reprise de la vision. Je dis la reprise car nous sommes encore dans le
même endroit : la cuisine, large et basse aux murs tout enfumés, à peine
éclairée par une petite lampe à huile posée sur la table rustique, longue et
étroite à laquelle sont assises huit personnes : Jésus et ses
disciples, et en plus le maître de maison, quatre de chaque côté.
Jésus est encore tourné sur son tabouret. Il n'y a en effet que des tabourets
à trois pieds et sans dossier, vrai mobilier rustique. Jésus parle encore
avec Thomas. La main de Jésus est descendue sur l'épaule du nouveau
venu. Jésus lui dit :
"Lève-toi, ami. As-tu soupé ?"
"Non, Maître. J'ai fait quelques mètres avec l'autre qui m'accompagnait et puis je l'ai laissé, revenant sur
mes pas, lui disant que je voulais parler au lépreux guéri... Je lui ai dit cela car je pensais qu'il aurait
dédaigné de s'approcher d'un homme impur. J'avais deviné juste. Mais moi,
c'était Toi que je cherchais, pas le lépreux... Je voulais te dire :
" Prends-moi ! "... J'ai tourné autour de l'oliveraie jusqu'à ce
qu'un jeune homme m'a demandé ce que je faisais. Il a dû me prendre pour
un individu mal intentionné... il était près d'une borne, là où commence la
propriété."
Le maître
de maison sourit.
"C'est mon fils" explique-t-il ensuite, et il ajoute : "Il
monte la garde au pressoir. Nous avons dans des caves, sous le pressoir
presque toute la récolte de l'année. Elle a été excellente. Elle a produit
beaucoup d'huile. Quand il y a foule, il s'y mêle des malandrins qui
cambriolent les endroits qui ne sont pas gardés. Il y a huit ans exactement à
la parascève, ils nous ont tout volé. Depuis lors, chacun à notre tour nous
prenons la garde de nuit. La mère est allée
lui porter le souper."
"Eh bien, il m'a dit : "Que veux-tu ?", et il me l'a dit sur
un tel ton que, pour me garantir les épaules des coups de bâton, je me suis
vite expliqué : "Je cherche le Maître qui habite ici".
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372> Il m'a alors répondu : "Si c'est vrai, ce que tu
dis, viens à la maison". Et il m'a accompagné jusqu'ici. C'est lui qui a
frappé à la porte et il s'en est allé quand il a entendu mes premières
paroles."
"Tu habites loin ?"
"Je loge de l'autre côté de la ville tout près de la Porte
Orientale."
"Tu es seul ?"
"J'étais avec les parents. Mais ils sont allés chez d'autres parents sur
la route de Bethléem. Je suis resté pour te chercher nuit et jour, jusqu'à
ce que je te trouve."
Jésus sourit et dit : "Alors, personne ne t'attend ?"
"Non, Maître."
"La route est longue, la nuit est noire. Les patrouilles romaines
sillonnent la ville. Je te dis : si tu veux, reste avec nous."
"Oh ! Maître !" Thomas est heureux.
"Faites-lui place, vous. Et donnez tous quelque chose au frère. Sur sa
part, Jésus prélève la portion de fromage qui était devant lui. Il explique à
Thomas : "Nous sommes pauvres, et le repas est presque fini, mais c'est
de tout cœur que tout le monde t'offre. À Jean, assis à côté de Lui, il dit :
" Cède ta place à l'ami."
Jean se lève tout de suite et va s'asseoir au coin de la table, côté du
patron.
"Assieds-toi, Thomas, mange."
55.2 –
Puis à tous : " C'est ainsi que toujours vous ferez, amis, pour
pratiquer la loi de charité. Le pèlerin est déjà protégé par la Loi de Dieu.
Mais maintenant en mon nom, vous devrez l'aimer encore davantage. Quand
quelqu'un vient vous demander un pain, un abri, une gorgée d'eau, au nom de
Dieu, donnez-le, au nom de Dieu aussi. Et Dieu vous en récompensera .
Cela, vous devez le faire avec tous, même
avec les ennemis. C'est la Loi nouvelle, Jusqu'à maintenant, il vous était
dit "Aimez ceux qui vous aiment et haïssez vos ennemis".
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373> Mais Moi je vous dis : "Aimez même ceux
qui vous haïssent" . Oh ! Si vous saviez comme vous seriez aimés de Dieu si
vous aimez comme je vous dis ! Quand quelqu'un peut dire : "Je veux
être votre compagnon dans le service du Seigneur le Dieu Véritable et suivre
son Agneau" alors, il doit vous être plus cher qu'un frère de même sang,
parce que vous serez uni par un lien éternel : celui du Christ." !
"Mais si ensuite on s'aperçoit que quelqu'un n'est pas sincère ?
Dire : "Je veux faire ceci et cela" c'est facile. Mais la parole ne
correspond pas toujours à la vérité" dit Pierre plutôt
fâché. Je ne sais pas, il n'a pas son humeur, à l'ordinaire jovial.
"Pierre écoute. Tu parles avec bon sens
et justice. Mais vois, il vaut mieux pécher par bonté d'âme et par confiance, que
par défiance et dureté. Si tu fais du bien à un indigne, quel mal en
résultera pour toi ? Aucun. Mais au contraire la récompense de Dieu sera
pour toi toujours fidèle, pendant que l'autre aura le démérite d'avoir trahi
ta confiance."
"Aucun mal ? Eh ! Il arrive des fois qu'un indigne ne s'arrête
pas à l'ingratitude, mais il va plus loin et arrive aussi à nuire à la
réputation, au patrimoine, à la vie elle-même."
"C'est vrai. Mais cela diminuerait-il ton mérite ? Non. Même si
tout le monde ajoutait foi aux calomnies, même si tu étais réduit à devenir
plus pauvre que Job, même si le cruel t'enlevait la vie, qu'est-ce qui serait
changé aux yeux de Dieu ? Rien. Il y aurait pour toi un changement, mais
en mieux, au mérite de la bonté s'ajouteraient les mérites d'un martyre de
l'esprit, de la perte de ton bien, de la perte de la vie."
"Bien, bien ! Ce sera comme çà." Pierre ne parle plus.
Boudeur, il reste la tête appuyée sur sa main.
55.3 –
Jésus se tourne vers Thomas :
"Ami, je t'ai dit d'abord dans l'oliveraie : Quand je reviendrai de
ma tournée, si tu le veux encore, tu seras mien. Maintenant, je te dis :
Es-tu disposé à faire plaisir à Jésus ?"
"Sans aucun doute."
"Mais si ce plaisir peut te demander un sacrifice ?"
"Rien ne me coûtera pour te servir. Que veux-tu ?"
"Je voulais te dire... mais si tu as des relations, des
affections... "
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374> "Rien, rien ! J'ai
Toi ! Parle "
"Écoute. Demain, dès l'aube, le
lépreux quittera les tombeaux pour
trouver quelqu'un qui avertisse le prêtre. Tu commenceras par aller aux
tombeaux. C'est charité, et puis tu diras à haute voix : " Toi, qui hier
as été purifié, viens dehors. Celui qui m'envoie vers toi, c'est Jésus de Nazareth,
le Messie d'Israël. Celui qui t'a guéri". Fais en sorte que le monde des
"morts-vivants" connaisse mon Nom et frémisse d'espérance. Que
celui qui a l'espérance, jointe à la foi, vienne à Moi, pour que je le
guérisse. C'est la première manifestation de la pureté, que j'apporte, de la
résurrection dont j'ai la maîtrise. Un jour, je donnerai une pureté plus
profonde... Un jour les tombeaux scellés vomiront les vrais morts qui
apparaîtront pour rire, de leurs yeux vides, de leurs mâchoires décharnées
pour la joie lointaine, et pourtant ressentie par les squelettes, des esprits
libérés de l'attente des Limbes. Ils apparaîtront pour rire à cette
libération et pour frémir en sachant à quoi ils la doivent... Toi, va. Il
viendra vers toi. Tu feras ce que lui te demandera de faire, tu l'aideras en
tout comme si c'était ton frère. Et tu lui diras aussi
: "Quand tu seras totalement purifié, nous irons ensemble sur la route
du fleuve au-delà de Docco et Éphraïm. Là, le Maître Jésus t'attend et m'attend pour nous
dire en quoi nous devons le servir "
"Je ferai cela. Et l'autre ?"
"Qui ? L'Iscariote ?"
"Oui, Maître."
"Pour lui, dure mon conseil. Laisse-le se décider de lui-même et
réfléchir longtemps. Évite même de le rencontrer."
"Je resterai près du lépreux. Dans la vallée des tombeaux, il n'y a que
les impurs qui se déplacent ou ceux qui s'en approchent par pitié."
55.4 –
Pierre bougonne quelque chose. Jésus l'entend. "Pierre, qu'est-ce que tu
as ? Tu te tais ou tu murmures. Tu sembles
mécontent. Pourquoi ?"
"Je le suis. Nous sommes les premiers et Toi, tu ne nous fais pas cadeau
d'un miracle. Nous sommes les premiers et Toi, tu fais asseoir près de Toi,
un étranger. Nous sommes les premiers et Toi, à lui tu confies des charges,
mais pas à nous. Nous sommes les premiers et... oui voilà exactement, il
semble que l'on soit les derniers. Pourquoi les attends-tu sur le chemin du
fleuve ? Sûrement pour leur donner quelque mission. Pourquoi à eux et
pas à nous ?"
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375> Jésus le regarde. Il n'est pas fâché.
Il lui sourit même ! comme on sourit à un enfant. Il se lève, va
lentement vers Pierre, lui met la main sur l'épaule et lui dit en
souriant : "Pierre, Pierre ! Tu es un grand vieux
bambin ! " et à André, assis près de son frère, il lui dit : "Va à ma
place " et il s'assied à côté de Pierre, lui met un bras sur les
épaules et lui parle en le tenant ainsi contre son épaule : "Pierre, il
te semble que je commette une injustice, mais ce n'est pas une injustice que
je fais. C'est au contraire la preuve que je sais ce que vous valez.
Regarde. Qui a besoin d'être mis à l'épreuve ? Celui qui encore n'est
pas sûr. Eh bien ! Je vous savais si sûrs de Moi que je n'ai pas éprouvé
le besoin de vous donner des preuves de ma puissance. Ici, à Jérusalem, il
faut des preuves là où le vice, l'irréligion, la politique, tant de choses du
monde obscurcissent les esprits au point qu'ils ne peuvent voir la Lumière
qui passe. Mais là-bas, sur notre beau lac, si pur, sous un ciel si pur
aussi, là parmi des gens honnêtes et désireux de bien, les preuves ne sont
pas nécessaires. Vous les aurez, les miracles.
À pleins fleuves, je verserai sur vous les grâces. Mais, regarde comme
je vous ai estimés. Je vous ai pris sans exiger de preuves et sans éprouver
le besoin de vous en donner, parce que je sais qui vous êtes : chers,
tellement chers, pour Moi et tellement fidèles."
Pierre retrouve sa sérénité : "Pardonne-moi, Jésus."
"Oui, je te pardonne, car ta bouderie, c'est de l'amour. Mais, n'ait
plus d'envie, Simon fils de Jonas. Sais-tu ce qu'est le cœur de ton Jésus ?
Tu n'as jamais vu la mer, la vraie mer ? Si ? Eh bien !
mon cœur est bien plus vaste que son étendue. Il y a de la place pour tous.
Pour toute l'humanité. Et le plus petit y a place comme le plus grand.
Et le pécheur y trouve l'amour comme l'innocent. À ceux-ci je donne une mission. Bien sûr.
Veux-tu m'empêcher de la leur donner ? Je vous ai choisis, et non
pas vous Moi . Je suis donc libre de juger comment je dois vous
employer. Et si ceux-ci je les laisse ici avec une mission - qui peut être
aussi une épreuve comme peut être une miséricorde le laps de temps laissé à
l'Iscariote - peux-tu m'en faire reproche ? Sais-tu si à toi je n'en
réserve pas une plus importante ? Et n'est-ce pas la plus belle preuve
d'amour que de t'entendre dire : "Tu viendras avec Moi
" ?"
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376> "C'est vrai, c'est vrai. Je suis une bête !
Pardon..."
"Oui. Je pardonne tout et chaque chose. Oh ! Pierre... Mais, je
vous en prie tous : ne discutez jamais sur les mérites et sur les
places. J'aurais pu naître roi. Je suis né pauvre, dans une étable. J'aurais
pu être riche. J'ai vécu de mon travail et maintenant de charité. Et
pourtant, croyez-le, amis, personne n'est plus grand aux yeux de Dieu que
Moi. De Moi-même, qui suis ici, serviteur de l'homme."
"Toi, serviteur ? Non jamais !"
"Pourquoi, Pierre ?"
"Parce que c'est moi qui te servirai."
"Même si tu me servais comme une mère soigne son enfant, je suis venu
pour servir l'homme. Pour lui je serai Sauveur. Quel service comparable à
celui-là ?"
"Oh ! Maître ! Tu expliques tout. Et ce qui était obscur se
fait tout à coup lumineux."
55.5 –
"Content, maintenant, Pierre ? Alors laisse-moi finir de parler à
Thomas. Es-tu certain de reconnaître le lépreux ? Il n'y a que lui de
guéri. Mais il pourrait bien être déjà parti à la lueur des étoiles pour
trouver un voyageur complaisant, Et un autre, désirant entrer dans la ville
pour voir des parents, peut-être qu'il pourrait se substituer à lui.
Voici son portrait. J'étais tout à côté de lui et au crépuscule, je l'ai bien
observé. Il est grand et maigre. Il a le teint foncé d'un sang-mêlé, des yeux
profonds et très noirs sous des sourcils blancs comme la neige, des cheveux
couleur du lin et plutôt frisés, un nez long épaté à l'extrémité, comme les
Libyens, des lèvres épaisses, surtout l'inférieure, et proéminentes. Il est
tellement olivâtre que la lèvre tire sur le violet. Au front, une vieille
cicatrice est restée et ce sera l'unique tache, maintenant qu'il est purifié
des croûtes et des crasses."
"C'est un vieux, s'il est tout blanc."
"Non, Philippe, il semble mais il ne l'est pas. C'est la lèpre qui l'a
blanchi"
"Qu'est-il ? Un sang-mêlé ?"
"Peut-être, Pierre. Il ressemble aux populations d'Afrique."
"Sera-t-il Israélite, alors ?"
"Nous le saurons, mais s'il ne l'était pas ?"
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377> "Eh ! s'il ne l'était pas, il pourrait s'en
aller. C'est déjà beaucoup d'avoir eu la chance d'être guéri."
"Non, Pierre. Même s'il était idolâtre, Moi, je ne le chasserais pas,
Jésus est venu pour tout le monde. Et en vérité je te dis que les peuples des
ténèbres surpasseront les fils du peuple de la Lumière..."
Jésus soupire. Puis il se lève. Il rend grâce au Père en récitant un hymne et
il bénit.
La vision cesse ainsi.
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