Tentation inutile du démon contre l’écrivain.
Vision de Notre-Dame de Lourdes.
Cette catéchèse a été anciennement introduite dans l’édition française de
1985, au chapitre 2.4.
Lourdes : la grotte des apparitions, par Charles Mercereau
(1822-1864).
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112> À la lecture du fascicule, aujourd’hui, je remarque
une phrase de Jésus qui peut servir de règle.
Vous disiez ce matin que vous ne pourrez faire connaître mes
descriptions à cause de leur style. Et moi, pour qui être connue est une
véritable phobie, j’en ai été bien contente. Mais ne vous semble-t-il pas que
cela s’oppose à ce que le Maître dit dans la dernière dictée du
fascicule ? «Plus tu seras minutieuse et précise, plus nombreux seront
ceux qui viennent à moi.» Cela
implique que les descriptions doivent être notées, sinon comment
peut-il y avoir des âmes nombreuses qui vont à Jésus grâce à elles ?
Je vous soumets ce point ; faites ensuite ce qui vous paraît être le
mieux, car cela m’est indifférent. D’ailleurs, humainement, je suis du
même avis. Mais nous ne sommes pas ici dans le domaine de l’humain, et même
le côté humain du porte-parole doit disparaître.
Dans la dictée d’aujourd’hui encore, Jésus dit :
«... en te montrant l’Évangile, je fais une tentative plus forte
d’amener les hommes à moi. Je ne me limite plus à la parole... J’ai recours à
la vision et je l’explique pour la rendre plus claire et plus attractive.»
Alors ?
Cependant, comme je suis un pauvre rien qui, de moi-même, me
replie aussitôt sur moi, je vous dis que votre observation m’a troublée — et
l’Envieux en profite —, au point de me faire penser à ne plus écrire ce que
je vois, mais uniquement les dictées. Il me souffle dans le cœur: «Alors, tu
vois ? Tes fameuses visions ne servent vraiment à rien ! Tout juste
à te faire passer pour folle, ce que tu es, en vérité. Que vois-tu ? Les
fantasmes de ton esprit dérangé. Il faut bien autre chose pour mériter de
voir le ciel !»
Il m’a tenue sous le jet corrosif de sa tentation toute la journée. Je vous
assure que je n’ai pas souffert de mes grandes douleurs physiques autant que
j’ai souffert — encore maintenant, d’ailleurs — à cause de cela. Il veut me
faire désespérer. Mon vendredi est aujourd’hui un vendredi de tentation
spirituelle. Je pense à Jésus au désert et à Jésus à Gethsémani...
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113> Mais je ne me donne pas pour vaincue, pour ne pas faire rire ce
rusé démon ; c’est donc en luttant contre lui et contre mon côté moins
spirituel que je vous écris ma joie de ce jour, tout en vous assurant aussi
que, pour ma part, je serais bien heureuse que Jésus me retire ce don de voir
qui fait ma plus grande joie. Il me suffit qu’il me garde son amour et sa
miséricorde.
Cet après-midi, j'ai vu l’apparition de Lourdes.
Je voyais clairement la grotte creusée dans la montagne avec ses
protubérances rocheuses sur lesquelles ont poussé les petites plantes des grottes,
en profitant d’un peu de terre déposée sur les fissures : des herbes
frêles, de la mousse, des câpriers, ou plutôt de l’herbe pariétaire,
du lierre sauvage aux tiges pendantes et, près de la paroi de droite (par
rapport à moi), sur les côtés de la grotte, un rosier sauvage épineux qui
étend ses rameaux encore privés de feuilles vers l’intérieur et vers le haut;
là se trouve une fente dans la roche, une fente qui s’enfonce à la manière
d’un couloir qui monte, sombre et étroit.
La grotte — ne riez pas de mon gribouillage — est ainsi faite:
Cette espèce de fenêtre
est la fente et ces gribouillages qui y montent du sol veulent représenter le
rosier sauvage. Les deux lignes derrière la fente indiquent le parcours
présumé du couloir rocheux. Sur le sol, il y a de la terre mêlée à des
cailloux et à de l’herbe, cette herbe courte et luisante caractéristique de
certains endroits de montagne.
À un certain moment, la fente s’illumine d’une clarté jaune-rosée très douce,
comme si un rayon de soleil était entré dans son ombre pour la rendre dorée,
ou comme si une lampe cachée l’avait illuminée de sa clarté joyeuse. C’est
une lumière qui rend heureux.
De la lumière apparaît ensuite Notre-Dame si douce, la Mère que
je connais bien désormais. Elle sourit; son visage ressemble à un lys, son
regard est plein d’amour et de réserve. Elle est tout de blanc vêtue comme
quand je l’ai vue au Paradis, mais elle porte une
longue ceinture faite dans une magnifique soie céleste; nouée à la taille
sous le cœur, celle-ci descend presque jusqu’en bas de sa robe très longue,
dont sortent les pointes des pieds délicats et roses.
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114> Deux roses sont plantées sur l’ourlet de la
robe, au-dessus des pieds, deux magnifiques roses qui semblent en filigrane
d’or. Un long voile, d’une légèreté pourtant compacte, la couvre de la tête
aux pieds. Un long rosaire, qui semble formé de perles reliées en or, est
posé sur ses mains jointes. Ce rosaire m’a paru complet: quinze dizaines.
J’oubliais de vous dire que, quand la lumière s’est faite dans la fissure de
la roche, la touffe de rameaux du rosier, qui se trouvait aux pieds et le
long de la paroi droite de la fente, s’est agitée comme si un vent faisait
plier ses rameaux d’épines et les feuilles qui y restaient, toutes
recroquevillées par le gel et d’une couleur vert-roux, une couleur de
rouille.
Marie sourit sans parler, toute nimbée de sa lumière dorée qui la fait
paraître encore plus blanche comme neige dans sa robe, et aussi par la
couleur de ses mains, du cou et de son visage si pur de jeune fille à peine
sortie de l’adolescence. On ne lui donnerait pas plus de vingt ans, et encore
bien portés.
Marie descend vers l’ouverture de la fente, jusqu’au bord. Je vois sa
démarche légèrement ondulante, comme je l’ai déjà vue les autres fois que je
l’ai vue marcher: c’est la démarche caractéristique des personnes habituées
aux sandales, sans aucun talon. Parvenue au bord de l’ouverture, juste
au-dessus du rosier, elle s’arrête.
Marie fait le signe de croix. Elle m’apprend à faire le
signe de croix. On peut avoir honte à la pensée de la manière dont nous
le faisons ! L’ange de la vision du paradis m’a appris à dire : «Je
vous salue, Marie», Marie m’apprend à dire:
«Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.»
Elle ouvre ses mains jointes en attitude de prière, pose la gauche sur son
cœur et, de la droite, qui ne tient pas le rosaire, elle touche son front en
regardant le ciel, puis sa poitrine et ses épaules. Ensuite elle incline la
tête au moment du "Ainsi soit-il", et joint ses mains comme
auparavant, en souriant de nouveau. Avant, quand elle faisait le signe de
croix, elle n’était ni sérieuse ni souriante: elle était tout absorbée en
Dieu. Son geste est très ample et lent. Pas même un lointain parent des
nôtres qui paraissent être... des chasse-mouches et dont les mots sont
mutilés.
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115> Elle commence ensuite à égrener son chapelet.
Lentement, elle dit à haute voix, en baissant fortement la tête comme pour
s’incliner, le "Gloire au Père". Pendant que je récite les "Je
vous salue, Marie" et les "Notre Père", elle sourit en
silence. De temps en temps, le vent fait bouger l’extrémité de sa ceinture en
soie. Un vent léger.
Finalement, elle ouvre les bras et les tend vers le sol, en
courbant la tête et son corps svelte pour s’incliner légèrement en signe
d’humilité. Puis elle dit de son inimitable voix, si douce : «Je suis
l’Immaculée Conception» et, en même temps, elle relève la tête et joint les
mains une nouvelle fois, tout en regardant le ciel d’un œil humide d’émotion
surnaturelle.
Elle n’en dit pas plus. Mais son geste, son sourire, son regard me font
comprendre qu’elle est "la servante du Seigneur", qu’elle se considère
toujours comme telle (cela se voit à sa manière de baisser humblement les
bras et la tête), qu’elle l’est par la grâce de Dieu et non par son mérite
personnel (voilà la signification de son geste initial), et qu’elle l’est par
le Seigneur à qui la louange est due pour l’avoir donnée au monde comme
premier pardon accordé à l’humanité coupable (c’est le sens de la seconde
partie de son geste, dans lequel on retrouve à la fois la louange, la
gratitude et un recueillement modeste).
Ce n’est rien de le dire. Mais quand on le voit, que de choses ce seul geste
enseigne !
Puis elle se recueille, comme plongée en une prière intérieure, le regard
extasié en Dieu, qu’elle voit, et elle disparaît ainsi pour retourner au
paradis, laissant en moi la lumière, la musique, le parfum de sa pureté et la
spiritualité de sa prière.
J’ai écrit en triomphant des obstacles que le Tentateur et ma
propre humanité me créaient. Je reste tranquille maintenant, le rosaire entre
les mains, et j’essaie d’imiter Marie, la Mère-Maîtresse venue m’enseigner
comment prier et louer le Seigneur pour tout ce qu’il fait de nous.
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