| Vision du mercredi 7 août 1946. 326>
   470.1 – Les monts boisés et fertiles,
  où se trouve Giscala, présentent un repos de verdure, de brises, d'eaux et
  d'horizons toujours magnifiques et variés selon le point cardinal vers lequel
  on se tourne. Au nord, c'est une succession de cimes boisées avec les verts
  les plus variés, on dirait que la Terre s'élève vers l'azur du firmament
  auquel elle paraît offrir, en hommage reconnaissant de l'eau et des rayons de
  soleil qu'il lui donne, toutes les beautés de sa végétation. Au nord-est, l’œil après s'être arrêté fasciné sur le joyau, dont les
  couleurs changent selon les heures et la lumière, du grand Hermon qui dresse
  son plus haut sommet, semblable à un gigantesque obélisque de diamant,
  d'opale, de très pâle saphir, ou de rubis très adouci, ou d'acier à peine
  trempé - selon que le soleil le baise ou le quitte et les nuées ébouriffées,
  amenées par les vents, font des jeux de lumière sur ses neiges éternelles -
  descend le long des pentes couleur d'émeraude de ses plateaux, de ses crêtes,
  des gorges et des pics, qui forment la base du géant royal. Et puis, voilà
  qu'en tournant un peu plus vers l'est, s'étend le vaste haut plateau vert de
  la Gaulanitide et de l'Auranitide, borné à son
  extrémité orientale par des monts qui s'estompent dans le brouillard
  lointain, et a l'occident par le vert différent qui longe le Jourdain et en
  marque la vallée. Et plus proches, splendides comme deux saphirs, les deux
  lacs de Mérom qui forme le fond d'une plaine bien irriguée, et de Tibériade,
  gracieux comme un délicat pastel au milieu des collines qui l'entourent,
  différentes de formes et de teintes et ses rives éternellement
  fleuries : rêve d'orient avec ses bouquets de palmiers dont la brise des
  monts proches fait onduler la cime, poésie de nos plus beaux lacs pour la
  paix de ses eaux et les cultures de ses rives. Et puis, au sud, le Thabor
  avec son sommet caractéristique, et le petit Hermon tout vert qui veille sur
  la plaine d'Esdrelon dont on mesure l'étendue dans le cadre d'un horizon que
  n'interrompe aucune élévation montagneuse, et encore plus bas, vers le midi,
  les monts élevés et puissants de la Samarie qui se perdent au-delà de la vue
  en direction de la Judée. Le seul côté qu'on ne voit pas est le côté ouest,
  où doit se trouver le Carmel et la plaine qui remonte vers Ptolémaïs, cachés
  par une chaîne plus haute. 
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 327>
 
 J’essaie d’en donner une vue topographique ,
  car je crois ne l’avoir jamais indiqué depuis les monts où se trouve Giscala
  (l).            
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 328> On a là un des panoramas les plus
  beaux de la Palestine (et que personne ne rie de la
  pauvre dessinatrice que je suis, mon esquisse est horrible…)
 
 
  470.2 – Jésus avance en suivant la
  route au milieu des montagnes, tantôt seul, tantôt rejoint par l'un ou
  l'autre de ses apôtres. 
 Il s'arrête une fois pour caresser les enfants d'un berger qui jouent près du
  troupeau, et il accepte le lait que le berger Lui offre "pour Toi et
  pour les tiens" car il a reconnu en Jésus le Rabbi que lui ont décrit
  d'autres qui l'ont vu.
 
 
  470.3 – Une autre fois il écoute une
  petite vieille qui, ne sachant pas qui il est, Lui raconte les peines de
  famille que lui donne sa bru grincheuse et sans respect. 
 Tout en compatissant la petite vieille, Jésus l'exhorte à être patiente, pour
  amener à la bonté par la bonté :
 
 "Tu dois être pour elle une mère, même si elle n'est pas une fille pour
  toi. Sois sincère : si au lieu d'être une bru, c'était ta fille, ses
  défauts te paraîtraient-ils aussi graves ?"
 
 La petite vieille réfléchit et puis elle avoue :
 
 "Non... Mais une fille c'est toujours une fille…"
 
 "Et si une de tes filles te disait que dans la maison de son époux sa
  belle-mère la maltraite, que dirais-tu ?"
 
 "Qu'elle est méchante. Car elle devrait lui apprendre les usages de la
  maison - chaque maison a les siens - avec bonté, surtout si l'épouse est
  jeune. Je dirais qu'elle devrait se rappeler du temps où elle était nouvelle
  épouse, et comme elle était charmée par l'amour de sa belle-mère si elle
  avait eu assez de chance pour la trouver bonne, et comme elle avait souffert
  si elle avait eu une belle-mère méchante. Et ne pas faire souffrir ce qu'elle
  n'avait pas souffert, ou ne pas faire souffrir parce qu'elle sait ce que
  c'est que de souffrir. Oh! je la défendrais ma fille !"
 
 "Quel âge a ta bru ?"
 
 "Dix-huit, Rabbi. Elle a épousé Jacob il y a trois ans"
 
 "Très jeune. Est-elle fidèle à son mari ?"
 
 "Oh ! oui. Toujours à la maison et toute aimante pour lui et le
  petit Lévi, et la petite, la petite qui s'appelle Anne, comme moi. Elle est
  née à Pâque... Elle est si belle !..."
 
 "Qui a voulu qu'elle s'appelle Anne ?"
 
 "Marie, hein ! Lévi était le nom du beau-père et Jacob l'a donné au
  premier-né. Et Marie, quand elle a eu la petite, a dit : "À
  celle-ci le nom de ta mère"
 
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 329> "Et cela ne te paraît pas amour
  et respect ?"
 
 La petite vieille réfléchit... Jésus enchaîne :
 
 "Elle honnête, elle toute à sa maison, elle épouse affectueuse et mère
  aimante, elle soucieuse de te faire plaisir... Elle pouvait donner à la fille
  le nom de sa propre mère. Elle a donné le tien. Elle honore ta maison par sa
  conduite..."
 
 "Oh ! pour cela, oui ! Elle n'est pas comme cette malheureuse
  de Jisabel."
 
 "Alors, pourquoi ces lamentations et ces plaintes à son sujet ? Ne
  te paraît-il pas d'avoir deux mesures en portant sur la bru un jugement
  différent de celui que tu porterais sur une fille ?"
 
 "C'est que... c'est que... elle m'a pris l'amour de mon fils. Avant, il
  était tout pour moi, maintenant, il l'aime plus que moi..." L'éternelle
  véritable raison des préjugés des belles-mères déborde finalement du cœur de
  la petite vieille en même temps que les larmes de ses yeux.
 
 "Ton fils te fait-il manquer de quelque chose ? Te néglige-t-il
  depuis qu'il est marié ?..."
 
 "Non, je ne puis le dire. Mais, en somme, maintenant il appartient à sa
  femme..." elle gémit et pleure plus fort.
 
 
  470.4 – Jésus a un sourire apaisé de
  compassion pour la petite vieille jalouse. Mais, doux comme il l'est toujours,
  il ne lui fait pas de reproches. Il compatit à la souffrance de la mère et
  cherche à l'apaiser. Il pose sa main sur l'épaule de la petite vieille, comme
  pour la guider car les larmes l'aveuglent, peut-être pour lui faire sentir
  par ce contact tant d'amour qu'elle en soit consolée et guérie. 
 Il lui dit :
 
 
  "Mère,
  n'est-ce pas bien qu'il en soit ainsi ? Ton mari l'a fait avec toi, et
  sa mère l'a, non pas perdu comme tu le dis et tu le penses, mais elle a eu moins
  son amour parce que ton époux le partageait entre sa mère et toi. Et le père
  de ton mari, de son côté, a cessé d'appartenir tout entier à sa mère pour
  aimer la mère de ses enfants. Et ainsi de génération en génération, en
  remontant le long des siècles jusqu'à Eve : la première mère qui vit ses
  enfants partager avec leurs épouses l'amour qu'ils avaient d'abord
  exclusivement pour leurs parents. Mais la Genèse ne dit-elle pas :
  "Voilà finalement l'os de mes os et la chair de ma chair... 
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 330> L'homme quittera pour elle son père
  et sa mère et il s'unira à sa femme et les deux seront une seule chair " ?
  Tu diras : "Ce fut une parole l'homme". Oui, mais de quel
  homme ? Il était en état d'innocence et de grâce. Il reflétait donc sans
  ombre la Sagesse qui l'avait créé, et il en connaissait la vérité. Par la
  Grâce et l'innocence, il possédait aussi les autres dons de Dieu dans une
  mesure toute pleine. Ses sens étant soumis à la raison, il avait un esprit
  que n'offusquaient pas les vapeurs de la concupiscence. Grâce à la science
  proportionnée à son état, il disait des paroles de vérité.
  Il
  était donc prophète, car tu sais que prophète veut dire qui parle au nom d'un
  autre. Et puisque les vrais prophètes parlent toujours de choses qui
  se rapportent à l'esprit et à l'avenir, même si en apparence elles se
  rapportent au présent et à la chair. En effet, c'est dans les péchés de la
  chair et les faits du temps présent que se trouvent les semences des
  punitions futures, ou bien les faits de l'avenir ont leur racine dans un
  événement ancien : par exemple la venue du Sauveur tire son origine de
  la faute d'Adam, et les punitions d'Israël, prédites par les prophètes, ont
  leur semence dans la conduite d'Israël. Ainsi Celui qui meut
  les lèvres des prophètes pour dire des choses de
  l'esprit ne peut être que l'Esprit éternel qui voit tout dans un éternel
  présent. Et c'est l'Esprit Éternel qui parle dans les saints, car il ne peut
  habiter chez les pécheurs.  Adam était saint, c'est-à-dire la
  justice était pleine en lui, et il avait en lui la présence de toutes les
  vertus car Dieu avait versé dans sa créature la plénitude de ses dons. A
  présent, pour arriver à la justice et à la possession des vertus, l'homme
  doit beaucoup peiner, parce qu'il porte en lui les foyers du mal. Mais en
  Adam ces foyers n'existaient pas, niais au contraire il avait la Grâce pour
  le rendre inférieur de peu à son Créateur. C'étaient donc des paroles de
  grâce que disaient ses lèvres. C'est donc une parole de vérité que
  celle-ci : "L'homme quittera pour sa femme son père et sa mère, et
  il s'unira à sa femme, et ils seront une seule chair". Cela est
  tellement absolu et vrai, que le très Bon, pour réconforter les pères et
  mères, mit ensuite dans la Loi le quatrième commandement : "Honore
  ton père et ta mère". Ce commandement ne prend pas fin avec le mariage
  de l'homme, mais dure après le mariage. Auparavant, instinctivement, ceux qui
  étaient bons honoraient leurs parents même après les avoir quittés pour
  fonder une nouvelle famille. 
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 331> Depuis Moïse, c'est une obligation
  de la Loi. Et cela pour tempérer les douleurs des parents qui trop souvent
  étaient oubliés par leurs enfants après le mariage. Mais la Loi n'a pas
  annulé la parole prophétique d'Adam : "L'homme pour sa femme
  quittera père et mère". C'était une parole juste et vivante : elle
  reflétait la pensée de Dieu. Et la pensée de Dieu est immuable parce que
  parfaite.
 
 
  470.5 – Toi, mère, tu dois donc
  accepter, sans égoïsme, l'amour de ton fils pour sa femme, et tu seras sainte
  toi aussi. Du reste tout sacrifice a sa récompense dès cette Terre. Ne
  t'est-il pas doux d'embrasser tes petits-enfants, les enfants de ton
  fils ? Et ne sera-t-il pas paisible le soir de ta vie et ton dernier
  sommeil avec, tout proche, le délicat amour d'une fille pour prendre la place
  de celles que tu n'as plus dans ta maison ?..." 
 "Comment sais-tu que mes filles, toutes plus âgées que le garçon, sont
  mariées et loin d'ici ?... Es-tu prophète aussi ? Tu es un rabbi.
  Les nœuds de ton vêtement l'indiquent et même si tu ne les avais pas, ta
  parole le dirait, car tu parles comme un grand docteur. Serais-tu ami de Gamaliel ?
  Il était ici avant-hier. Maintenant, Je ne sais pas... Et il avait beaucoup
  de rabbis avec lui et beaucoup de ses disciples préférés. Mais Toi tu es
  peut-être arrivé en retard."
 
 "Je connais Gamaliel, mais je ne vais pas le trouver. Je n'entre même
  pas à Giscala..."
 
 "Mais qui es-tu ? Un rabbi certainement, et tu parles encore mieux
  que Gamaliel..."
 
 "Et alors, fais ce que je t'ai dit, et tu auras la paix en toi. Adieu,
  mère. Moi, je continue. Toi, certainement, tu entres dans la ville."
 
 "Oui... Mère !... Les autres rabbis ne sont pas si humbles devant
  une pauvre femme... Certainement Celle qui t'a porté est sainte plus que
  Judith, si elle t'a donné ce doux cœur pour toute créature."
 
 "Elle est sainte, en vérité."
 
 "Dis-moi son nom."
 
 "Marie."
 
 "Et le tien ?"
 
 "Jésus."
 
 "Jésus !..."
 
 La petite vieille est stupéfaite. La nouvelle la paralyse et la cloue sur
  place.
 
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 332> "Adieu, femme. La paix soit
  avec toi"
 
 Et Jésus s'en va rapidement, presque en courant, avant qu'elle revienne de sa
  réflexion.
 
 
  470.6 – Les apôtres le suivent du même
  pas, alors que volent au vent leurs vêtements, poursuivis vainement par les
  cris de la femme qui supplie : 
 "Arrêtez-vous ! Rabbi Jésus ! Arrête-toi ! Je veux te
  dire quelque chose..."
 
 Ils ralentissent lorsque désormais le feuillage des monts boisés les a de
  nouveau cachés, et on ne voit plus le chemin qui mène à Giscala en partant de
  ce sentier muletier.
 
 "Comme tu as bien parlé à la femme" dit Barthélemy.
 
 "Une leçon de docteur ! Dommage qu'elle était seule..."
  remarque Jacques d'Alphée.
 
 "Je veux me rappeler ces paroles..." s'écrie Pierre.
 
 "La femme a compris, ou presque, après avoir su ton Nom... Maintenant
  elle va aller parler de Toi dans la ville..." dit Thomas.
 
 "Pourvu qu'elle ne pique pas les guêpes et ne les lance pas à notre
  poursuite ! "
  murmure Judas de Kériot.
 
 "Oh ! nous sommes loin désormais !... Et on ne laisse pas de
  traces à travers ces bois, et nous ne serons pas dérangés" dit André
  optimiste.
 
 "Même si on l'était !... C'est la paix dans une famille que j'ai
  reconstruite" répond Jésus à tout le monde.
 
 "Mais comme elles sont ! Toutes pareilles les
  belles-mères !" dit Pierre.
 
 "Non. Nous en avons connu de bonnes. Tu te rappelles la belle-mère de Jérusa de Doco ? 
  Et la belle-mère de Dorca de Césarée de
  Philippe ? "
 
 "Mais oui, Jacques… Il y en a quelques unes de bonnes…" reconnaît
  Pierre, mais certainement il pense que la sienne est une plaie.
 
 "Arrêtons-nous ici et mangeons, Nous nous reposerons ensuite pour
  arriver au village de la vallée pour la nuit" ordonne Jésus.
 
 Ils s'arrêtent dans une petite
  cuvette de verdure qui semble l'intérieur d'une grande coquille smaragdine  incrustée dans la montagne et
  ouverte pour accueillir les pèlerins dans sa paix. La lumière est douce,
  malgré l'heure, à cause des arbres hauts et puissants qui forment sur le pré
  une voûte bruissante.
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