Le jeudi 29 novembre
1945
351> 333.1 – Le repas
est terminé dans la maison hospitalière. Jésus sort avec les douze, les
disciples et le vieux maître de maison. Ils reviennent à la "Grande
Source", mais ne s'y arrêtent pas. Ils continuent leur route en
allant toujours en direction du nord.
La route qu'ils ont prise, bien que
montante, est pratique car c'est une vraie route que peuvent suivre les chars
et les chevaux. Tout en haut, au sommet d'une montagne, il y a un château
massif ou une forteresse, qui étonne à cause de sa forme singulière. On
dirait deux constructions établies avec une différence de niveau de quelques
mètres l'une par rapport à l'autre, de sorte que celle qui est le plus en
arrière et la mieux fortifiée, est surélevée par rapport à l'autre et la
domine et la défend. Un mur élevé et large, dominé par des tours massives de
forme carrée, relie les deux constructions qui pourtant forment un
ensemble unique car elles sont entourées d'une enceinte unique avec
des pierres en saillie, verticales ou un peu obliques à la base pour donner
un meilleur appui au poids du bastion. Je ne vois pas le côté ouest, mais les
deux côtés nord et sud tombent à pic ne formant qu'un avec la montagne qui
est isolée et qui descend à pic de ces deux côtés et je crois qu'il en est de
même du côté ouest.
Le vieux Benjamin, à
cause de la fierté de tout habitant envers sa cité, fait valoir le château du
Tétrarque, qui
est en même temps qu'un château une défense de la ville, et il en énumère la
beauté et la puissance, la solidité, la commodité des citernes et des
bassins, des espaces libres, le large champ de vision, sa situation, etc.
etc.
"Les romains eux-mêmes disent qu'il est beau. Et eux s'y connaissent… !"
termine le vieillard. Et il ajoute :
"Je connais l'intendant, aussi je puis vous faire entrer. Je vais vous faire
voir le plus vaste et le plus beau panorama de la Palestine."
Jésus écoute avec bienveillance. Les autres sourient un peu, eux qui ont vu
tant de panoramas... mais le vieillard est si bon qu'ils n'ont pas le cœur de
le mortifier et ils l'approuvent dans son désir de montrer de belles choses à
Jésus.
345.2 – Ils
arrivent au sommet. La vue est vraiment belle, même de la petite place qui
est devant le portail de fer qui donne accès. Mais le vieillard dit :
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352> "Venez, venez !... Dedans, c'est plus beau.
Nous allons monter sur la partie la plus haute de la citadelle. Vous allez
voir..."
Ils pénètrent dans l'entrée sombre creusée dans la muraille large de
plusieurs mètres, jusqu'à une cour où les attendent l'intendant et sa
famille. Les deux amis se saluent et le vieillard explique le but de sa
visite.
"Le. Rabbi d'Israël ?! Dommage que Philippe soit absent. Il
désirait le voir, car sa renommée était parvenue jusqu'à lui. Il aime les
vrais rabbis car ce sont les seuls qui ont défendu son droit, et aussi pour
faire la nique à Antipas qui ne les aime pas.
Venez, venez… !"
L'homme a d'abord lorgné Jésus, puis il a pensé bien faire de l'honorer en
Lui faisant une inclination digne d'un roi.
Ils traversent une nouvelle entrée, voilà une seconde cour et une nouvelle
porte de fer qui donne accès à une troisième cour au-delà de laquelle se
trouve un fossé profond et la muraille garnie de tours de la citadelle. Des
visages curieux d'hommes d'armes et d'ordonnances se font voir de tous côtés,
Ils pénètrent dans la citadelle et puis, par un escalier, ils montent sur le
bastion et de là à une tour. Dans la tour entrent seulement Jésus avec
l'intendant, Benjamin et les douze. Davantage serait impossible, car ils sont
déjà serrés comme des anchois. Les autres restent sur le bastion.
Mais quelle vue quand Jésus et ceux qui l'accompagnent sortent sur la petite
terrasse qui couronne la tour et ils penchent tous leurs visages du haut du
parapet de pierre ! En se penchant sur le mur qui se trouve sur ce côté
ouest, le plus élevé du fort, on voit Césarée toute entière qui s'étend au
pied de ce mont et on la voit bien car elle aussi n'est pas en plaine, mais
sur des pentes douces. Au-delà de Césarée, s'étend toute la plaine fertile
qui précède le lac de
Mérom. On dirait une petite mer d'un vert
tendre avec des facettes d'eaux claires couleur de turquoise qui brillent sur
l'étendue verte comme des lambeaux du ciel serein. Et puis des collines
plaisantes, mises comme des colliers vert émeraude foncé strié par l'argent
des oliviers répandus çà et là aux abords de la plaine, et puis ce sont les
panaches aériens des arbres en fleurs ou bien des massifs d'arbres fleuris...
Mais en regardant vers le nord et l'est voici le Liban puissant, l'Hermon qui
brille au soleil avec ses neiges perlées et les monts de l'Iturée, puis la
vallée du Jourdain, enserrée dans le berceau qui se forme entre les collines
de la mer de Tibériade et les monts de la Gaulanitide, apparaît dans un
raccourci hardi, qui se perd, dans un lointain de rêve.
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353> "Beau ! Beau ! Très beau !"
s'exclame Jésus en admirant, et il semble bénir ou embrasser ces lieux
merveilleux avec ses bras qui s'ouvrent et son visage souriant. Et il répond
aux apôtres qui Lui demandent telle ou telle
explication, en indiquant les endroits où ils ont été, ou bien les régions et
les directions où elles se trouvent.
"Mais je ne vois pas le Jourdain" dit Barthélemy.
"Tu ne le vois pas, mais il est dans cette vaste étendue entre deux
chaînes de montagnes. Tout de suite après celle de l'ouest se trouve le
fleuve. Nous descendrons par là car la Pérée et la Décapole attendent encore
l'Évangélisateur."
345.2 – Mais à
ce moment il se retourne, semblant interroger l'air à cause d'une lamentation
longue, étouffée, qui frappe ses oreilles et ce n'est pas la première fois.
Et il regarde l'intendant comme pour lui demander ce qui arrive.
"C'est une des femmes du château, une épouse. Elle est sur le point
d'avoir un enfant. Le premier et le dernier car son époux est mort aux
calendes de Casleu, Je ne sais même pas s'il va vivre, car la femme, depuis
qu'elle est veuve, ne fait que fondre en larmes. Ce n'est plus qu'une ombre.
Tu entends ? Elle n'a même plus la force de crier... Certainement...
Veuve à dix-sept ans... et ils s'aimaient beaucoup. Ma femme et sa belle-mère
lui disent : "Dans ton fils, tu retrouveras Tobie". Mais ce
sont des mots..."
Ils descendent de la tour et font le tour des bastions, en admirant toujours
l'endroit et le panorama. Puis l'intendant veut absolument offrir des
boissons et des fruits aux visiteurs et ils entrent dans une vaste pièce sur
le devant du fort, où les serviteurs apportent ce qui est commandé.
La lamentation est plus déchirante et plus proche, et l'intendant s'excuse
aussi parce que cela retient sa femme loin du Maître. Mais un cri encore plus
pénible que la lamentation d'avant lui succède et font rester en l'air les
mains qui portaient les fruits ou les coupes à la bouche.
"Je vais voir ce qui est arrivé" dit l'intendant. Et il sort
pendant que la cacophonie des cris et des pleurs entre encore plus forte par
la porte entrouverte.
L'intendant revient :
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354> 345.4 – "Son
enfant est mort à peine né... Quel tourment ! Elle essaie de le ranimer
avec les forces qui lui restent… Mais il ne respire plus. Il est noir… !"
Et il secoue la tête en ajoutant :
"Pauvre Dorca !"
"Apporte-moi le bébé."
"Mais il est mort, Seigneur !"
"Apporte-moi l'enfant, te dis-je, comme il est. Et dis à la mère qu'elle
ait foi."
L'intendant s'éloigne. Il revient :
"Elle ne veut pas. Elle dit qu'elle ne le donnera à personne. Elle
semble folle. Elle dit que nous faisons cela pour le lui prendre."
"Conduis-moi au seuil de sa pièce pour qu'elle me voie."
"Mais..."
"Laisse courir ! Je me purifierai après, si jamais..."
Ils vont rapidement par un couloir sombre jusqu'à une porte fermée. Jésus
l'ouvre Lui-même en restant sur le seuil, en face du lit sur lequel une
créature diaphane serre sur son cœur un petit être qui ne donne pas signe de
vie.
"La paix à toi, Dorca. Regarde-moi. Ne
pleure pas. Je suis le Sauveur. Donne-moi ton petit..."
Ce qu'il y a dans la voix de Jésus, je ne sais pas. Je sais que la femme
désespérée, qui au premier regard avait férocement serré le nouveau-né sur
son cœur, le regarde et son œil qui était tourmenté et fou s'ouvre à une
lumière douloureuse, mais pleine d'espoir. Elle remet le petit être,
enveloppé dans des linges fins, à la femme de l'intendant... et elle reste
là, les mains tendues, la vie, la foi dans ses yeux dilatés, sourde aux
prières de sa belle-mère qui voudrait la faire étendre.
345.5 – Jésus
prend le paquet de chair à demi refroidie et de linge, et il tient le petit
tout droit par les aisselles, et il appuie sa bouche sur les lèvres
entrouvertes en se tenant penché car la petite tête pend en arrière. Il
souffle fortement dans la gorge inerte... Il reste un instant les lèvres
appuyées sur la petite bouche, puis il s'écarte... et un pépiement tremble
dans l'air immobile... un second plus fort... un troisième... et enfin un
vrai vagissement tout en essayant de remuer sa petite tête, en agitant ses
mains, ses pieds, alors que dans un long pleur triomphal de nouveau-né se
colore sa petite tête sans cheveux, sa figure minuscule... et le cri de la
mère lui répond :
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355> "Mon enfant ! Mon amour ! La descendance
de mon Tobie ! Sur mon cœur ! Sur le cœur de maman... que je meure
heureuse..." dit-elle dans un murmure qui s'éteint dans un baiser et une
réaction d'abandon bien compréhensible.
"Elle meurt !" crient les femmes.
"Non. Elle entre dans un repos bien mérité. Quand elle va s'éveiller,
dites-lui d'appeler l'enfant : Jésaï-Tobie. Je la reverrai au Temple le jour de sa purification.
Adieu. La paix soit avec vous."
Il referme lentement la porte et se détourne pour revenir où il était, vers
ses disciples. Mais ils sont tous là, groupe ému qui a vu et qui le regarde
avec admiration.
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