Le samedi 25 mai
1946.
76> 443.1 - Jésus a déjà quitté les femmes car il est avec les
apôtres, Isaac et Marziam. Ils sont en train de descendre les dernières pentes
vers la plaine d'Esdrelon pendant que la nuit descend lentement.
Marziam est très content que le Seigneur le conduise chez son cher
grand-père. Moins contents sont les apôtres qui se rappellent le récent
incident avec Ismaël. Mais ils se taisent, sérieux, pour ne pas affliger le
jeune homme qui se réjouit de ne pas avoir touché au miel que Porphyrée lui a
donné "parce que j'avais l'espoir que le Seigneur contenterait mon cœur
en me faisant voir mon père, je ne sais pourquoi... Mais depuis quelque
temps, je l'ai présent à mon esprit comme s'il m'appelait. Je l'ai dit à Porphyrée
et elle m'a dit : "Cela me fait la même chose quand Simon est au
loin". Mais ce ne doit pas être comme elle le dit, car avant cela ne
s'est jamais produit."
"Parce qu'avant tu étais en enfant, Maintenant tu es un homme et ta
pensée pense davantage" lui dit Pierre.
"J'ai encore deux petits fromages et un peu d'olives. Ce que j'ai pu
emporter de ce qui était à moi, pour mon père bien-aimé. Et puis j'ai une
tunique de chanvre et un vêtement de chanvre. Porphyrée voulait les faire pour moi. Mais je lui ai dit :
"Si tu m'aimes, fais-les pour le vieux père". Il est toujours
déguenillé, tellement en sueur dans ses habits de mauvaise laine !... Il
sera plus au frais."
"Et en attendant toi, tu restes sans vêtements
frais et tu es trempé comme une éponge dans ces habits de laine" lui dit
Pierre.
"Oh ! N'importe ! Le père est resté tant de fois sans manger
pour me le donner quand j'étais dans le bois... Je puis, enfin, moi aussi lui
donner quelque chose. Si je pouvais mettre assez de côté pour le
libérer !"
"Combien as-tu jusqu'à présent ?" lui demande André.
"Peu. Du poisson, j'ai retiré cent dix didrachmes, mais je vais vendre bientôt les agneaux, et alors... Si
je pouvais le faire avant le grand froid !..."
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"C'est vous qui allez le prendre ?" dit Nathanaël à Pierre.
"Oui, nous ne nous ruinerons pas si ce pauvre vieux prend une bouchée de
notre plat..."
"Et puis... Il peut faire quelques petits travaux... Venir à Bethsaïde,
chez nous, n'est-ce pas Philippe ?"
"Bien sûr, bien sûr... Nous t'aiderons, Simon, pour faire plaisir à
notre bon Marziam et au vieil homme..."
443.2 - "Espérons que Yokhanan (Giocana) n’est pas là" dit Jude Thaddée.
"Moi, je vais aller en avant pour avertir" dit Isaac.
Ils marchent rapidement au clair de lune... À un certain moment, Isaac se
détache et accélère encore plus sa marche alors que le groupe le suit plus
lentement. La plaine est tout à fait silencieuse. Même les rossignols se
taisent.
Ils avancent toujours jusqu'au moment où ils voient deux ombres qui courent
vers eux.
"L'un est Isaac certainement... L'autre... peut-être Michée, ou
l'intendant. Ils ont la même taille..." dit Jean.
Désormais ils sont près, tout près. C'est précisément l'intendant suivi
d'Isaac qui paraît consterné.
"Maître... Marziam... pauvre fils !... Venez vite... Ton père,
Marziam, est malade... très malade..."
"Ah ! Seigneur… !" crie le jeune homme avec douleur.
"Allons, allons... Sois courageux, Marziam"
Et Jésus lui prend la main en se mettant presque à courir alors qu'il dit aux
apôtres :
"Vous, suivez-nous."
"Oui... mais faites doucement... à cause de Yokhanan" crie
l'intendant qui est déjà loin.
443.3 - Le
pauvre vieux est dans la maison de Michée. Le premier imbécile venu peut
comprendre qu'il est vraiment mourant. Il se tient abandonné, les yeux
fermés, les traits déjà relâchés comme quelqu'un qui est en train de mourir.
Il a le teint cireux, sauf aux pommettes où la congestion laisse une trace de
rouge.
Marziam se penche sur le grabat en appelant :
"Père ! Mon père ! C'est moi, Marziam !
Comprends-tu ? Marziam ! Jabé ! Ton Jabé !... Oh !
Seigneur ! il ne m'entend plus... Viens ici, Seigneur... Viens ici.
Essaie, Toi... Guéris-le ... Fais qu'il me voie, qu'il me parle... Mais
dois-je voir mourir ainsi tous les miens, sans qu'ils me disent
adieu… ?"
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78> Jésus s'approche, se penche sur le mourant, lui met une
main sur la tête en disant :
"Fils de mon Père, écoute-moi."
Comme quelqu'un qui sort d'un sommeil profond, le vieillard pousse un profond
soupir, ouvre ses yeux déjà vitreux et il regarde vaguement les deux visages
penchés sur le sien. Il essaie de parler mais sa langue s'y refuse. Pourtant,
un instant il doit avoir reconnu, car il sourit et cherche à prendre les
mains des deux pour les porter à ses lèvres.
"Père... j'étais venu... J'ai tant prié pour venir !... Je voulais
te dire... que bientôt, nous aurons assez... pour te donner de quoi te
libérer... et venir avec moi, chez Simon et Porphyrée qui sont si bons, avec
ton Jabé… avec tous..."
Le vieillard réussit à remuer la langue et il dit avec peine :
"Que Dieu les récompense et... qu'il te récompense... Mais c'est tard...
Je m'en vais chez Abraham... pour ne plus souffrir..."
Il se tourne vers Jésus, et tout angoissé il demande :
"Oui, n'est-ce pas ?"
"Oui,
reste en paix !"
Et Jésus se redresse, imposant, pour dire :
"Moi, par mon pouvoir de Juge et de Sauveur, je t'absous de ce que, dans
ta vie, tu peux avoir commis de fautes ou d'omissions, et des sentiments de
l'âme contre la charité et envers qui t'a haï. Je te pardonne tout, ô fils,
va en paix !"
Jésus a étendu les mains en les levant sur le lit, comme s'il était à un
autel, Lui prêtre, pour consacrer la victime.
443.4 - Marziam pleure, alors que le vieillard sourit doucement
en murmurant :
"On s'endort en paix, grâce à Toi... Merci, Seigneur..."
Et il s'affaisse...
"Père ! Père ! Oh ! il meurt ! il meurt !
Donnons-lui un peu de miel... il a la langue sèche... il a froid... le miel
réchauffe..." crie Marziam.
Et d'une main il essaie de fouiller dans son sac, alors que de l'autre il
soutient la tête de l'aïeul qui s'alourdit.
Sur le seuil sont apparus les apôtres... et ils observent silencieux...
"Fais donc, Marziam. Le père, je vais le soutenir"
dit Jésus...
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Et ensuite, à Pierre :
"Simon, viens ici..."
Et Simon avance tout ému. Marziam essaie de donner un peu de miel au
vieillard. Il plonge un doigt dans le vase et le retire couvert de miel
filant pour le mettre sur les lèvres de l'aïeul qui rouvre les yeux, le
regarde, lui sourit en disant :
"C'est bon."
"Je l'ai fait pour toi... Et aussi le vêtement frais de chanvre..."
Le vieillard lève sa main tremblante et il essaie de la poser sur la tête
brune, en disant :
"Tu es bon... plus que le miel... C'est... c'est ta bonté qui me fait du
bien... Mais ton miel... il ne sert plus... Ni non plus le vêtement frais...
Garde-les... garde-les avec ma bénédiction..."
Marziam glisse à genoux, la tête appuyée sur le bord du lit en
gémissant :
"Seul ! Je reste seul !"
Simon tourne autour du lit et, d'une voix plus rauque que jamais à cause de
l'émotion, il dit en caressant les cheveux de Marziam :
"Non... Seul, non... Moi, je t'aime bien. Porphyrée t'aime bien... Les
disciples... autant de frère ... Et puis... Jésus... Jésus qui t'aime bien...
Ne pleure pas, mon fils !"
"Ton... fils... oui… moi, heureux... Seigneur !... Seigneur…"
Le vieillard murmure, s'embrouille, sent venir la fin.
443.5 - Jésus l'entoure de sort bras, le soulève, entonne
lentement :
"J'ai levé les yeux vers les monts, d'où viendra mon secours"
Et il poursuit le psaume 120. Puis il s'arrête, observant l'homme qui meurt dans ses
bras, apaisé par ces paroles... Il entonne le psaume 121, mais il en dit peu
car il a à peine commencé le quatrième verset qu'il s'interrompt pour
dire :
"Pars en paix, âme juste !"
Et il le recouche lentement en lui abaissant avec la main les paupières.
Une mort si tranquille que personne, sauf Jésus, ne s'est aperçu du trépas.
Pourtant ils le comprennent par le geste du Maître et il s'ensuit un bruit de
voix.
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Jésus fait signe de se taire. Il se tourne du côté de Marziam qui, pleurant,
la tête appuyée sur le lit, ne s'est aperçu de rien. Il se penche, il
l'embrasse en cherchant à le relever et il lui dit :
"Il est en paix, Marziam ! Il ne souffre plus. La plus grande grâce
de Dieu pour lui, c'est cela : la mort, et dans les bras du
Seigneur ! Ne pleure pas, cher fils. Regarde-le, comme il est en paix...
En paix… Il y en a peu en Israël qui aient eu la faveur qu'a eue ce juste de
mourir sur la poitrine du Sauveur. Viens ici, dans mes bras... Tu n'es pas
seul. Et puis il y a Dieu, et c'est tout, qui t'aime pour tout le
monde."
443.6 - Le
pauvre Marziam fait vraiment peine à voir, mais il trouve encore la force de dire :
"Merci, Seigneur, d'être venu... Et à toi, Simon, de m'avoir amené... Et
à tous, à tous merci... de ce que vous m'avez donné pour lui... Mais rien ne
sert plus... Pourtant... le vêtement si... Nous sommes pauvres... Nous ne
pouvons pas faire l'embaumement... Oh ! mon père ! Je ne puis même
pas te donner un tombeau ! ...Mais si vous avez confiance, si vous
pouvez... faites les dépenses et je vous donnerai en octobre le prix des
agneaux et du poisson..."
"Ohé ! Mais tu as encore un père ! Moi, je m'occupe de
tout ! Même s'il faut vendre une barque. Nous donnerons au vieil homme
tous les honneurs. Le principal est d'avoir un prêt... et quelqu'un qui donne
un tombeau.
L'intendant dit :
"À Jezraël, il y a des disciples parmi le peuple. Ils ne refuseront
rien. Je pars de suite et je reviendrai pour tierce..."
"Bon, mais... le pharisien ?"
"Ne craignez pas. Je lui fais savoir qu'il y a un mort, et pour ne pas
se contaminer, il ne va plus sortir de la maison. Je pars..."
Et pendant que Marziam, penché sur son grand-père, pleure et le caresse, et
que Jésus parle doucement avec les apôtres et avec Isaac, Michée et les
autres vont et viennent pour préparer les derniers honneurs à leur compagnon
défunt.
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