Vision du lundi 20 mars 1944
508> 494.1 – Je vois l'intérieur de
l'enceinte du Temple, c'est-à-dire une des si nombreuses cours entourées de
portiques. Et je vois aussi Jésus bien enveloppé dans le manteau qui
couvre son vêtement, qui n'est pas blanc mais rouge foncé (il semble que ce
soit une lourde étoffe de laine). Il parle à la foule qui l'entoure.
Je dirais que c'est une journée d'hiver, car tous les gens sont emmitouflés,
et il fait plutôt froid car, au lieu de rester immobiles, les gens marchent
vivement comme pour se réchauffer. Il y a du vent qui remue les manteaux et
soulève la poussière des cours.
Le groupe qui se serre autour de Jésus, le seul qui reste en place alors que
tous les autres, autour de tel ou tel maître, vont et viennent, s'ouvre pour
laisser passer un détachement de scribes et de pharisiens gesticulants et
plus que jamais venimeux. Ils giclent le venin par leurs regards, leurs
visages empourprés, leurs bouches. Quelles vipères ! Plutôt qu'ils ne la
conduisent, ils traînent une femme d'environ trente ans, échevelée, les
vêtements en désordre, comme une personne que l'on a maltraitée, et en
larmes. Ils la jettent aux pieds de Jésus comme un tas de chiffons ou une
dépouille morte. Et elle reste là, recroquevillée sur elle-même, le visage
appuyé sur ses deux bras, qui la cachent et lui font un coussin entre son
visage et le sol.
"Maître, cette femme a été prise en flagrant
délit d'adultère.
Son mari l'aimait, ne lui faisait manquer de rien. C'était la reine de sa
maison. Et elle l'a trahi car c'est une pécheresse, une vicieuse, une
ingrate, une profanatrice. C'est une adultère, et comme telle doit être
lapidée. Moïse l'a dit.
Dans sa loi, il commande que de telles femmes soient lapidées comme des bêtes
immondes. Et elles sont immondes car elles trahissent la foi conjugale et
l'homme qui les aime et les soigne, car elles sont comme une terre jamais
rassasiée, toujours affamée de luxure. Elles sont pires que des courtisanes,
car sans la morsure du besoin, elles se donnent pour donner une nourriture à
leur impudicité. Elles sont corrompues. Elles sont contaminatrices. Elles
doivent être condamnées à mort. Moïse l'a dit. Et Toi, Maître, qu'en dis-tu
?"
Haut
de page.
509> 494.2 – Jésus, qui avait interrompu
son discours à l'arrivée tumultueuse des pharisiens et avait regardé la meute
haineuse d'un regard pénétrant et puis avait penché son regard sur la femme
avilie, jetée à ses pieds, se tait. Il s'est penché, tout en restant assis,
et avec un doigt il écrit sur les pierres du portique que la poussière
soulevée par le vent couvre d'une couche de terre. Eux parlent, et Lui écrit.
"Maître, nous parlons à Toi. Écoute-nous. Réponds-nous. Tu n'as pas
compris ? Cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Dans sa
maison, dans le lit de son mari. Elle l'a souillé par sa passion."
Jésus écrit.
"Mais c'est un idiot cet homme ! Vous ne voyez pas qu'il ne comprend
rien et qu'il trace des signes sur la poussière comme un pauvre fou ?"
"Maître, pour ton bon renom, parle. Que ta sagesse réponde à nos
questions. Nous te le répétons : cette femme ne manquait de rien. Elle avait
vêtements, nourriture, amour. Et elle a trahi."
Jésus écrit.
"Elle a menti à l'homme qui avait confiance en elle. De sa bouche
menteuse elle l'a salué et en souriant l'a accompagné jusqu'à la porte, et
puis elle a ouvert la porte secrète et elle a fait entrer son amant. Et
pendant que son homme était absent et travaillait pour elle, elle, comme une
bête immonde, s'est vautrée dans sa luxure."
"Maître, elle a profané la Loi en plus
de la couche nuptiale. C'est une rebelle, une sacrilège, une
blasphématrice."
Jésus écrit. Il écrit et, avec le pied chaussé de sa sandale, il efface et il
écrit plus loin, en tournant lentement sur Lui-même pour trouver de la place.
On dirait un enfant qui s'amuse. Mais ce qu'il écrit, ce ne sont pas des mots
pour rire. Il a écrit successivement : "Usurier", "Faux",
"Fils irrespectueux", "Fornicateur",
"Assassin", "Profanateur de la Loi", "Voleur",
"Luxurieux", "Usurpateur", "Mari et père
indigne", "Blasphémateur", "Rebelle à Dieu",
"Adultère". Il écrit et écrit de nouveau pendant que parlent de
nouveaux accusateurs.
"Mais, en somme, Maître ! Ton jugement. La femme doit être jugée. Elle
ne peut de son poids contaminer la Terre. Son souffle est un venin qui
trouble les cœurs."
494.3 – Jésus se lève. Miséricorde !
Quel visage ! Ce sont des éclairs qui tombent sur les accusateurs. Il semble
encore plus grand tant il redresse la tête. On dirait un roi sur son trône
tant il est sévère et solennel. Son manteau est tombé d'une épaule et fait
une légère traîne derrière Lui, mais Lui ne s'en occupe pas.
Haut
de page.
510> Le visage fermé et
sans la plus lointaine trace de sourire sur les lèvres ni dans les yeux, il
plante ces yeux en face de la foule qui recule comme devant deux lames
acérées. Il les fixe un par un avec une intensité de recherche qui fait peur.
Ceux qu'il fixe cherchent à reculer dans la foule et s'y perdre, ainsi le
cercle s'élargit et s'effrite comme miné par une force cachée.
Finalement, il parle : "Que celui d'entre vous qui est sans péché jette
à la femme la première pierre." Et sa voix est un tonnerre
qu'accompagnent des regards encore plus fulgurants. Jésus s'est croisé les
bras, et il reste ainsi : droit comme un juge qui attend. Son regard ne donne
pas de paix : il fouille, pénètre, accuse.
Pour commencer un, puis deux, puis cinq, puis en groupes, ceux qui sont
présents, s'éloignent, tête base. Non seulement les scribes et les
pharisiens, mais aussi ceux qui étaient auparavant autour de Jésus et
d'autres qui s'étaient approchés pour entendre le jugement et la condamnation
et qui, les uns comme les autres, s'étaient unis pour insulter la coupable et
demander la lapidation.
Jésus reste seul avec Pierre et Jean.
Je ne vois pas les autres apôtres.
Jésus s'est remis à écrire, pendant que se produit la fuite des accusateurs,
et maintenant il écrit : "Pharisiens", "Vipères",
"Tombeaux de pourriture", "Menteurs",
"Traîtres", "Ennemis de Dieu", "Insulteurs de son
Verbe"...
494.4 – Quand la cour toute entière
s'est vidée et qu'un grand silence s'est fait, qu'il ne reste plus que le
bruissement du vent et le bruit d'une fontaine dans un coin, Jésus lève la
tête et regarde.
Maintenant son visage s'est apaisé. Il est attristé, mais n'est plus irrité.
Il jette un coup d'œil à Pierre qui s'est légèrement éloigné pour s'appuyer à
une colonne et à Jean qui, presque derrière Jésus, le regarde de son regard
énamouré. Jésus a une ombre de sourire en regardant Pierre et un sourire plus
vif en regardant Jean : deux sourires différents.
Haut
de page.
511> Puis il regarde la
femme encore prostrée et en larmes à ses pieds. Il l'observe. Il se lève,
réajuste son manteau comme s'il allait se mettre en route. Il fait signe aux
deux apôtres de se diriger vers la sortie.
Resté seul, il appelle la femme.
"Femme, écoute-moi. Regarde-moi."
Il répète son ordre car elle n'ose pas lever le visage. "Femme, nous
sommes seuls. Regarde-moi."
La malheureuse lève un visage sur lequel les larmes et la poussière font un
masque avilissant.
"Où sont, ô femme, ceux qui t'accusaient ?" Jésus parle doucement,
avec un sérieux plein de pitié. Il se tient le visage et le corps légèrement
penché vers la terre, vers cette misère, et ses yeux sont pleins d'une
expression indulgente et rénovatrice. "Personne ne t'a condamnée ?"
La femme, entre deux sanglots, répond :
"Personne, Maître."
"Moi non plus je ne vais pas te condamner. Va et ne pèche plus. Va chez
toi, et sache te faire pardonner, par Dieu et par l'offensé. N'abuse pas de
la bonté du Seigneur. Va."
|