|
L’étrange dureté de Jésus dans les
évangiles.
L’épisode de la mère cananéenne (Matthieu 15,21-28) ou de
la syro-phénicienne (Marc 7,24-30) décrit un Jésus aux
antipodes de la figure de bonté qu’on lui connaît dans le reste de
l’Évangile.
Jésus et les apôtres sont dans un territoire païen, ce qui est rare dans les
évangiles. Jésus en effet sillonne plutôt les territoires d’Israël.
La mère éplorée vient supplier Jésus de délivrer sa fille du démon qui la
possède. Jésus passe son chemin sans lui répondre.
Les disciples le rattrapent pour le supplier, non d’exaucer son vœu, mais de
la renvoyer car elle les importune de ses cris. Ce que fait Jésus en la
congédiant de façon hautaine : il n’est venu que pour les brebis perdues
d’Israël !
La mère éplorée, loin de se décourager, lui barre la route en se jetant à ses
pieds. Jésus la compare alors à un chien. Hier, comme aujourd’hui, la
comparaison est méprisante, même si Jésus l’atténue : «petits chiens».
Sans se démonter, la syro-phénicienne, dont on ne connaît pas le nom,
s’humilie jusqu’à ne demander que les miettes échappées de la table.
Jésus la comble alors.
Un comportement difficile à
expliquer.
Haut de page.
Cet épisode de la mère
cananéenne est toujours un exercice de haut vol pour le prêtre qui doit le
commenter : on ne reconnait pas Jésus. Lui qui est «doux et humble de
cœur» passe son chemin en comparant la femme à un
chien.
Certains le disent prisonnier des préjugés de son époque, mais dans le sermon
sur la montagne, il démontre tout à fait le contraire : la miséricorde
est l’aboutissement de la Loi.
D’autres pensent qu’il découvre à cette occasion sa vocation de Messie
universel. Il connaissait pourtant si parfaitement les Écritures qu’il est
capable de soutenir à 13 ans, une conversation avec les plus grands docteurs
de son époque sur ce sujet.
De plus, qu’allait-il faire dans ce pays païen s’il n’avait été envoyé qu’aux
«brebis perdues d’Israël» comme il le dit dans l’Évangile ?
Enfin, si deux évangélistes rapportent cet épisode jusque dans les dialogues,
on en déduit qu’il fait partie de cet essentiel que l’Évangile sélectionne
pour conforter notre foi.
Ce
qu’en dit Maria Valtorta.
Haut de page.
Ce passage de
l’Évangile, qui semble une zone d’ombre, s’éclaircit dans Maria Valtorta.
C’est l’hiver. Les apôtres marchent dans le froid et la boue : ils
maugréent comme le ferait n’importe qui à leur place.
Ils sont dans un pays païen, horreur pour les israélites. Les habitants le
leur rendent bien d’ailleurs. Mais pourquoi Jésus les emmène-t-il dans ce
pays perdu, au lieu de s’occuper des brebis perdues d’Israël comme il l’avait
clairement dit en les envoyant en mission pour la première fois ?
Suprême échec, ils se font expulser manu militari de la ville
d’Alexandroscène où Jésus prêchait la tendresse de Dieu pour tous les hommes
avec la parabole des ouvriers de la onzième heure.
Jacques, fils de Zébédée, commence à douter ouvertement, ce qui blesse
profondément Jésus. Jean, l’apôtre que Jésus aimait, ne tarde pas à rejoindre
son frère dans la révolte. Ils sont tentés par la violence. Elle les défigure.
Jésus les avertis : ils sont, en ce moment, plus les fils du tonnerre
que les fils de Dieu. Ils y gagneront leur surnom de Boanerguès qui est toute à la fois un surnom amical
donné à leur fougue et un avertissement.
Devant ce constat, Jésus mets en scène tous les préjugés de ses apôtres,
encore trop humains. C’est la leçon fondamentale de l’épisode. Elle sera
marquante car le Maître se défigurera en leur humanité. Cette même
défiguration que nous obtenons quand nous durcissons le visage de l’Église.
Mais la leçon sera salutaire pour les futurs évangélisateurs.
Les
leçons de l’épisode.
Haut de page.
La foi éclatante de la
mère cananéenne est une réponse cinglante qu’ils n’oublieront pas lorsqu’ils
partiront évangéliser les contrées lointaines qui leur répugnent pour
l’instant. Dans ces contrées, des âmes attendent Dieu.
Ils affronteront des conditions matérielles difficiles, des rebuffades, des
humiliations. Leur apostolat semblera stérile, à l’identique de Jésus
évangélisant les terres païennes de Tyr et de Sidon. Mais Isaïe le
proclame : la récompense est au-delà de l’apparence.
Effectivement, au-delà de la foi de la cananéenne, l’épisode fait apparaître
cette récompense dans la mère de la petite Jeanne qui cherche Jésus, sans
désespérer, dans toutes les villes. Ou encore dans la figure d’Esther, mariée
au romain Titus, qui mène une vie exemplaire malgré la réprobation publique.
De même pour nous, apôtres en notre époque, la scène illustre ces prières que
nous adressons si souvent pour les «brebis perdues», pour les autres qui ne
sont pas comme-il-faut, pas comme nous, qui n’ont pas les bonnes manières, ni
les bons usages, ni les bons rites. Ces préjugés nous font oublier qu’il nous
faut dépasser les barrières d’usage pour porter notre évangélisation à la
dimension universelle du Salut comme nous y invite Lumen
gentium.
|