Le samedi 17 novembre 1945
256> 332.1 – Jésus est réuni avec les six dans
une pièce où il y a des lits très misérables, entassés les uns près des autres, L'espace qui reste libre suffit à peine
pour aller d'un bout à l'autre de la pièce. Ils mangent leur repas plus que frugale,
assis sur les lits, car il n'y a pas de tables ni de sièges. Et Jean, à un
certain moment, va s'asseoir sur le bord de la fenêtre à la recherche du
soleil. C'est ainsi qu'il voit le premier ceux que l'on attend : Pierre,
Simon, Philippe et Barthélemy qui se dirigent vers la maison. Il les appelle
et puis sort dehors, suivi de tous. Il ne reste que Jésus qui pour tout
mouvement se lève et se tourne pour regarder du côté de la porte...
Ceux qui viennent d'arriver entrent, et il est facile d'imaginer l'exubérance
de Pierre, comme il est facile de se représenter la révérence profonde de
Simon le Zélote. Ce qui surprend, c'est l'attitude de Philippe et surtout de
Barthélemy. Ils entrent, je dirais comme craintifs, angoissés, et bien que
Jésus leur ouvre les bras pour échanger avec eux le baiser de paix déjà donné
à Pierre et à Simon, eux tombent à genoux et se penchent, le front jusqu'au
sol, en baisant les pieds de Jésus et ils restent ainsi... et les soupirs
étouffés de Barthélemy montrent qu'il pleure silencieusement sur les pieds de
Jésus.
"Pourquoi cette angoisse, Barthélemy ? Tu ne viens pas dans les
bras du Maître ? Et toi, Philippe, pourquoi es-tu si craintif ? Si
je ne savais pas que vous êtes deux hommes honnêtes, dont le cœur ne peut
loger la malice, je devrais soupçonner que vous êtes coupables. Mais il n'en est
pas ainsi. Allons, donc ! Il y a si longtemps que je désire votre baiser
et de voir le regard limpide de vos yeux fidèles..."
"Nous aussi, Seigneur..." dit Barthélemy en levant
son visage sur lequel brillent des larmes. "Nous n'avons désiré que Toi,
nous demandant en quoi nous pouvions t'avoir déplu pour mériter de rester si
longtemps séparés. Et cela nous paraissait une chose injuste... Mais maintenant,
nous savons... Oh ! pardon, Seigneur ! Nous te demandons pardon.
Moi surtout, parce que Philippe a été séparé de Toi à cause de moi. Et à lui,
je l'ai déjà demandé. C'est moi le seul coupable, moi, le vieil israélite si
dur à se renouveler, qui t'ai donné la douleur..."
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257> Jésus se penche et le lève de
force, et de même pour Philippe, et il les embrasse ensemble en disant :
"Mais de quoi t'accuses-tu ? Tu n'as pas fait de mal. Aucun
mal ! Et Philippe non plus. Vous êtes mes chers apôtres, et aujourd'hui
je suis heureux de vous avoir avec Moi, réunis pour toujours..."
"Non, non...
332.2 – pendant longtemps nous avons ignoré
le motif pour lequel tu t'es justement méfié de nous, au point de nous
exclure de ta famille apostolique. Mais maintenant nous le savons... et nous
te demandons pardon, pardon, pardon, moi surtout, Jésus, mon Maître..."
Et Barthélemy le regarde avec anxiété, avec amour, avec compassion. Agé comme
il l'est, il semble un père qui regarde son fils affligé, qui regarde son
visage amaigri par une peine qu'il n'avait pas remarquée et dont tout d'abord
il n'avait pas vu l'amaigrissement, le vieillissement... Et de nouvelles
larmes coulent sur les joues de Barthélemy. Et il s'écrie :
"Mais que t'ont-ils fait ? Que nous ont-ils fait pour nous faire
souffrir tous ainsi ? Il semble qu'un esprit mauvais soit entré parmi
nous, pour nous troubler, nous rendre tristes, affaiblis, apathiques, stupides.
..stupides au point de ne pas comprendre que tu
souffrais... Au contraire, au point d'accroître tes souffrances par nos
mesquineries, notre stupidité, nos respects humains, notre vieille
humanité... Oui, le vieil homme a triomphé en nous, toujours, sans que ta
Vitalité parfaite ait jamais pu nous renouveler. C'est cela, cela qui ne me
donne pas la paix ! Avec tout mon amour je n'ai pas su me renouveler, et
te comprendre, et te suivre... Ce n'est que matériellement que je t'ai
suivi... Mais Toi, tu voulais que nous te suivions spirituellement... et que
nous te comprenions dans ta perfection... pour devenir capables de te
perpétuer… Oh ! mon Maître ! Mon Maître qui t'en iras un jour,
après tant de luttes, d'embûches, de dégoûts, de douleurs, et avec la
douleur de nous savoir encore non préparés !..."
Et Barthélemy penche sa tête sur l'épaule de Jésus, et il pleure, vraiment
désolé, brisé par la conscience d'avoir été un disciple sans intelligence.
"Ne te laisse pas abattre, Nathanaël. Tu vois tout avec
un grossissement qui te surprend. Mais ton Jésus savait que vous étiez des
hommes... et il n'exige rien de plus que ce que vous pouvez donner.
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258> Oh ! vous me donnerez tout,
vraiment tout. Mais maintenant vous devez croître, vous former... Et c'est un
travail lent. Mais je sais attendre, et je jouis de votre croissance car vous
croissez continuellement dans ma Vie. Même ton chagrin, même la concorde de
ceux qui étaient avec Moi, même la pitié qui succède à des duretés qui
étaient votre nature. à des égoïsmes, des cupidités
spirituelles, même votre gravité actuelle, tout est phase de votre croissance
en Moi. Allons, donc ! Reste en paix puisque je sais. Tout. Ton
honnêteté, ta bonne foi, ta générosité, ton sincère amour. Pourrais-je douter
de mon sage Barthélemy et de Philippe, si bien équilibré et fidèle ! Ce
serait faire tort à mon Père qui m'a accordé de vous avoir parmi mes plus
chers.
332.3 – Mais maintenant... Allons, asseyons-nous
ici, et que ceux qui se sont déjà reposés s'occupent des frères fatigués et
affamés en leur donnant une nourriture et repos. Et pendant ce temps,
racontez à votre Maître et à vos frères ce qu'ils ignorent."
Et il s'assoit sur son lit avec à ses côtés Philippe et Nathanaël, alors que
Pierre et Simon s'assoient sur le lit voisin, en face de Jésus, genoux contre
genoux.
"Parle-toi,
Philippe. Moi, j'ai déjà parlé. Et tu as été plus juste que moi pendant ce
temps..."
"Oh! Barthélemy ! Juste ! J'avais
seulement compris que ce n'était pas malveillance ou inconstance du Maître de
n'avoir pas voulu de nous... Et j'essayais de te tranquilliser ainsi... en
t'empêchant de penser à des choses qui ensuite t'auraient donné de la douleur
de les avoir pensées, et du remords... Moi, j'avais un seul remords... De
t'avoir retenu de désobéir au Maître quand tu voulais suivre Simon de Jonas
qui allait à Nazareth pour prendre Marziam... Après... je t'ai vu tant
souffrir dans ton corps et dans ton âme, que je me disais : "Il
aurait mieux valu que je le laisse faire ! Le Maître lui aurait pardonné
sa désobéissance et Barthélemy n'aurait plus eu l'âme empoisonnée par ces
idées"… Mais, tu le vois ! Si tu étais parti, tu n'aurais jamais eu
la clef du mystère... et peut-être le soupçon que tu avais sur l'inconstance
du Maître ne serait plus jamais tombé. Ainsi, au contraire..."
"Oui. Ainsi, au contraire, j'ai compris.
332.4 – Maître, Simon de Jonas et Simon le
Zélote, que j'ai assailli de questions pour savoir beaucoup de choses, pour
avoir la confirmation de nombreuses choses que je savais déjà, m'ont dit
seulement :
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259> ''Le Maître a beaucoup souffert
au point qu'il est amaigri et vieilli. Israël tout entier, et nous les
premiers, en avons la responsabilité. Lui nous aime et nous pardonne. Mais il
désire ne pas parler du passé. C'est pour cela que nous vous conseillons de
ne pas le questionner et de ne pas parler..." Mais je veux parler. Pour
ce qui est de te questionner, je ne te questionnerai pas, mais je dois parler
pour que tu saches. Car rien ne doit t'être caché de ce qu'il y a dans l'âme
de ton apôtre. Un jour- Simon et les autres étaient partis depuis quelques jours
- est venu chez moi, Mickael de Cana. Un peu parent, très ami, et compagnon
d'études dès l'enfance… Lui, j'en suis certain, est venu de bonne foi, par
affection pour moi. Mais celui qui l'a envoyé n'est pas de bonne foi. Il
voulait savoir pourquoi j'étais resté à la maison... alors que les autres
étaient partis. Et il m'a dit :
"Alors c'est vrai ? Tu t'es séparé parce que, en bon israélite, tu
ne peux approuver certaines choses. Et volontiers les autres te laissent de
côté, à commencer par Jésus de Nazareth, parce qu'ils sont certains que tu ne
les aiderais pas, même en devenant un complice silencieux. Tu fais
bien ! Je reconnais en toi l'homme d'autrefois. Je croyais que tu
t'étais corrompu, en reniant Israël. Tu fais bien pour ton esprit et pour ton
bien-être et pour celui des tiens. Car ce qui arrive ne sera pas pardonné par
le Sanhédrin et on persécutera ceux qui y ont pris part".
Moi, je lui ai dit : "Mais de quoi parles-tu ? Je t'ai dit que
j'avais eu l'ordre de rester à la maison à cause de la saison et pour diriger
vers Nazareth les éventuels pèlerins, ou de leur dire d'attendre le Maître
pour la fin de scebat à
Capharnaüm et toi, tu me parles de séparations, de complicité, de
persécutions ? Explique- toi !..."
N'est-ce pas, Philippe, que c'est ainsi que j'ai parlé ?"
Philippe approuve.
"Alors" reprend Barthélemy, "Mickael m'a dit qu'il était connu
que tu t'étais révolté contre le conseil et le commandement des membres du
Sanhédrin, en gardant avec Toi Jean d'Endor et une grecque... Seigneur, je te
donne de la douleur, n'est-ce pas ? Mais pourtant, je dois parler. Je te
demande : est-ce vrai qu'ils étaient à Nazareth ?"
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260> "Oui. C'est vrai."
"Est-il vrai qu'ils sont partis avec Toi ?"
"Oui. C'est vrai."
"Philippe : Mickael avait raison ! Mais
comment pouvait-il le savoir ?"
"Mais, voilà ! Ce sont ces serpents qui nous ont arrêtés, Simon et
moi, et qui sait combien d'autres. Ce sont les vipères habituelles" dit
Pierre avec véhémence.
Jésus, au contraire, demande paisiblement :
"Il ne t'a rien dit d'autre ? Sois sincère avec ton Maître, à
fond."
"Rien d'autre. Il voulait savoir de moi... Et moi, j'ai menti à Mickael.
J'ai dit : "Jusqu'à Pâque je reste à la maison". Par peur
qu'il me suive, que... je ne sais pas… Par peur de te faire du mal... Et
alors j'ai compris aussi pourquoi tu m'as quitté... Tu avais senti que
j'étais encore trop Israël..."
Barthélemy se remet à pleurer... et conclut :
"...et tu as douté de moi..."
"Non. Cela, non ! Absolument pas.
Tu n'étais pas nécessaire en cette heure auprès de tes compagnons, alors que
tu l'étais, et tu le vois, à Bethsaïda. À chacun sa mission, et à chaque âge
ses fatigues..."
"Non, non ! Ne me mets plus de côté pour aucune fatigue, Seigneur.
Ne tiens compte de rien... Tu es bon, mais je veux rester avec Toi. C'est une
punition d'être loin de Toi.., Et moi, sot,
incapable de tout, j'aurais pu au moins te consoler, si je ne pouvais faire
autre chose. J'ai compris ... Tu les as envoyés avec ces deux. Ne me le dis
pas. Je ne veux pas le savoir. Mais je me rends compte qu'il en est ainsi, et
je le dis. Eh bien, alors j'aurais pu et dû être avec Toi. Mais tu ne m'as
pas pris pour me punir d'être si rétif à devenir "nouveau". Mais,
je te jure, Maître, que ce que j'ai souffert m'a renouvelé, et que jamais
plus tu ne reverras le vieux Nathanaël."
"Tu vois donc que la souffrance s'est, pour tous, terminée en joie.
332.5 – Et maintenant nous allons, sans nous
presser, à la rencontre de Thomas et de Judas, sans attendre qu'ils arrivent
au lieu qui était prévu. Puis, avec eux, nous irons encore... Il y a tant à
faire !... Demain, nous nous mettrons en route, de bonne heure."
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261> "Et tu feras bien. Le temps va
changer au nord. Malheur pour les cultures..." dit Philippe.
"Oui ! Les dernières grêles ont dévasté la campagne par bandes. Si
tu voyais, Seigneur ! Il semble que le feu soit passé dans certains
endroits. Et c'est curieux ce sont de vrais malheurs, comme je l'ai
dit : par bandes" dit Pierre.
"Pendant que vous n'étiez pas là, il a beaucoup grêlé. Un jour, au
milieu de la lune de tébeth,
cela semblait un vrai fléau. On me dit que dans la plaine, on doit
recommencer les semailles. Il faisait d'abord plus chaud, mais depuis lors,
on recherche le soleil avec plaisir. On revient en arrière... Quels signes
étranges ! Que sont-ils ?" demande Philippe.
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