Le vendredi 19
octobre 1945
72> 307.1 – Le
métier à tisser est au repos, car Marie et Syntica cousent vivement les
étoffes apportées par le Zélote. Les
morceaux des vêtements, déjà taillés, sont pliés en tas bien rangé sur la
table, couleur par couleur, et de temps à autre, les femmes en prennent un
morceau, en le faufilant ensuite sur la table, de sorte que les hommes sont
repoussés vers le coin où se trouve le métier au repos, tout près, mais sans
s'y intéresser, du travail des femmes. Il y a là aussi les deux apôtres, Jude et Jacques d'Alphée, qui de leur côté regardent le travail féminin sans poser
de questions mais, je crois, pas sans curiosité.
Et les deux cousins parlent de leurs frères, en particulier de Simon qui les a
accompagnés jusqu'à la porte et puis s'en est allé "parce qu'il a un
enfant souffrant" dit Jacques pour apaiser la
nouvelle et excuser son frère. Jude est plus sévère et il dit :
"C'est justement pour cela qu'il aurait dû venir, mais il semble que lui
aussi soit devenu hébété. Comme tous les nazaréens, d'ailleurs, si on met à
part Alphée et les deux disciples et qui sait maintenant où ils sont.
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73> 307.2 – On
comprend que Nazareth n'a rien d'autre de bon. La bonté, elle l'a crachée
toute entière comme si elle avait une saveur désagréable à notre
ville..."
"Ne parle pas ainsi, prie Jésus. N'empoisonne pas ton esprit... Ce n'est
pas leur faute…"
"De qui, alors ?"
"De tant de choses... Ne cherche pas. Mais Nazareth n'est pas toute
entière ennemie. Les enfants..."
"Parce que ce sont des enfants."
"Les femmes..."
"Parce que ce sont des femmes. Mais ce ne seront pas les enfants et les
femmes qui affermiront ton Royaume."
"Pourquoi, Jude ? Tu es dans l'erreur. Les enfants d'aujourd'hui
seront justement les disciples de demain, ceux qui propageront le Royaume sur
toute la terre. Et les femmes... pourquoi ne peuvent-elles pas le
faire ?"
"Tu ne pourras certainement pas faire des femmes des apôtres. Elles
seront tout au plus des femmes disciples, comme tu as dit, pour aider les disciples."
"Tu changeras
d'avis sur tant de choses à l'avenir, mon frère. Mais Moi, je n'essaie même
pas de te faire changer d'avis. Je me heurterais à une
mentalité qui te vient de siècles d'idées et de préjugés erronés sur la
femme. Je te prie seulement d'observer, de remarquer, en toi, les différences
que tu vois entre les femmes
disciples
et les disciples, et de remarquer, impartialement, comment elles
répondent à mon enseignement. Tu verras, en commençant par ta mère qui, si on
veut, a été la première des femmes disciples dans l'ordre du temps et de
l'héroïsme, et l'est toujours, en tenant tête courageusement à un pays qui se
moque d'elle parce qu'elle m'est fidèle, en résistant même aux voix de son
sang qui ne lui épargne pas les reproches parce qu'elle m'est fidèle, tu
verras que les femmes sont meilleures que vous."
"Je le reconnais, c'est vrai. Mais à Nazareth même les femmes disciples,
où sont-elles ? Les filles d'Alphée, les mères d'Ismaël et d'Aser et leurs sœurs. Et c'est tout. Trop peu. Je voudrais ne
plus venir à Nazareth pour ne pas voir tout cela."
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"Pauvre mère ! Tu lui donnerais une grande douleur" dit Marie
en intervenant dans la conversation.
"C'est vrai, dit Jacques. Elle espère tant d'arriver à réconcilier nos
frères avec Jésus et nous. Je crois qu'elle ne désire que cela. Mais ce n'est
certainement pas en restant éloignés que nous le ferons. Jusqu'à présent je
t'ai donné raison en restant isolé mais, à partir de demain, je veux sortir,
approcher celui-ci ou celui-là... Car, si nous devons avoir à évangéliser
même les gentils, pourquoi n'évangéliserions-nous pas notre ville ? Moi,
je me refuse à la croire tout entière mauvaise, impossible à convertir."
Jude Thaddée ne réplique pas, mais il est visiblement inquiet.
307.3 – Simon le
Zélote qui était resté toujours silencieux, intervient :
"Moi, je ne voudrais pas insinuer des soupçons. Mais permettez que, pour
soulager votre esprit, je vous pose une question. Celle-ci : êtes-vous
sûrs que dans la réserve de Nazareth il n'y ait pas des forces étrangères
venues d'ailleurs, qui ici travaillent bien d'après un élément qui devrait,
si on raisonnait avec justice, donner les meilleures garanties pour donner la
certitude que le Maître est le Saint de Dieu ? La connaissance de la vie parfaite de Jésus,
citoyen de Nazareth, devrait rendre plus facile aux nazaréens de l'accepter
comme le Messie promis.
Moi, plus que vous et avec moi beaucoup d'hommes de mon âge, à Nazareth, nous
avons connu, au moins de réputation, des prétendus Messies. Et je vous assure
que leur vie intime démentait en eux la plus obstinée affirmation de
messianité. Rome les a poursuivis férocement comme rebelles, Mais en dehors
de l'idée politique, que Rome ne pouvait permettre, là où elle règne, l'existence de ces faux Messies, pour de nombreuses
raisons particulières, ils auraient mérité d'être punis. Nous les agitions et
les soutenions parce qu'ils nous servaient à nourrir notre esprit de révolte
contre Rome. Nous les secondions parce que, obtus comme nous l'étions, nous
voulions voir en eux le "roi" promis. Cela jusqu'à ce que le Maître
ait manifesté clairement la vérité et malheureusement, malgré cela, nous ne
croyons pas comme nous devrions, c'est-à-dire totalement. Ces faux Messies
berçaient notre esprit affligé, d'espérances d'indépendance nationale et de
rétablissement du royaume d'Israël. Mais, oh ! misère ! Quel
royaume instable et corrompu cela aurait été ?!
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Non, vraiment proclamer ces faux Messies rois d'Israël et fondateurs du
Royaume promis, c'était avilir l'idée messianique. Chez le Maître, à la
profondeur de la doctrine s'unit la sainteté de la vie. Et Nazareth le
connaît comme aucune autre ville. Je ne pense même pas à accuser Nazareth
d'incroyance à cause du caractère surnaturel de sa venue qu'eux, les
nazaréens, ignorent. Mais la vie ! Mais sa vie !...
Maintenant tant de rancœur, tant d'impénétrable résistance... Mais que
dis-je ! Une résistance si développée ne pourrait-elle avoir pour
origine des manœuvres ennemies ? Nous les connaissons les ennemis de
Jésus. Nous savons ce qu'ils valent. Croyez-vous qu'il n'y a qu'ici qu'ils
soient inactifs et absents, si partout ils nous ont ou précédés ou
accompagnés ou suivis pour détruire l’œuvre du Christ ? N'accusez pas
Nazareth comme l'unique coupable. Mais pleurez sur elle dévoyée par les
ennemis de Jésus."
"Tu as bien parlé Simon. Pleurez sur elle..." dit Jésus.
Et il est attristé. Jean d'En-Dor observe :
"Tu as bien parlé aussi en disant que les éléments favorables deviennent
défavorables Car l'homme use rarement de justice dans sa réflexion. Ici, le
premier obstacle est l'humilité de la naissance, l'humilité de l'enfance,
l'humilité de l'adolescence, l'humilité de la jeunesse de notre Jésus. L'homme oublie que la vraie valeur se cache sous
des apparences modestes alors que la nullité se déguise en êtres puissants
pour s'imposer à la foule."
"C'est possible... Mais rien ne change ma pensée au sujet de mes
concitoyens. Quelque chose qu'on ait pu leur dire, ils devaient savoir juger
d'après les œuvres réelles du Maître et non d'après les paroles
d'inconnus."
307.4 – Un long
silence, rompu seulement par le bruit de la toile que la Vierge coupe en bandes
pour en faire des volants. Syntica n'a jamais parlé tout en restant très
attentive. Elle garde toujours son attitude de profond
respect, de réserve qui ne se fait moins rigide qu'avec la Vierge et
l'enfant. Mais maintenant l'enfant s'est endormi, assis sur un banc, juste
aux pieds de Syntica et la tête appuyée sur les genoux de celle-ci, sur son
bras replié. Aussi elle ne bouge pas et elle attend que Marie lui passe les
morceaux d'étoffe.
"Quel sommeil innocent ! Il sourit..." remarque Marie en se
penchant sur le petit visage du dormeur.
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"Qui sait à quoi il rêve ?" dit en souriant Simon.
"C'est un enfant très intelligent, dit Jean d’En-Dor. Il apprend
rapidement et il veut avoir des explications claires. Il pose des questions,
très subtiles et il veut des réponses claires. Sur tout. Je reconnais que
parfois je suis embarrassé sur la réponse à donner. Ce sont des raisonnements
supérieurs à son âge et aussi à mes possibilités d'explication."
"Oui ! Comme ce jour... Te rappelles-tu, Jean ? Tu avais deux
élèves très difficiles, ce jour-là ! Et très ignorants !" dit
Syntica en souriant légèrement et en fixant le disciple de son regard
profond.
Jean sourit à son tour et dit :
"Oui. Et vous avez un maître très incapable qui doit appeler à son
secours la vraie Maîtresse... car, dans aucun des nombreux livres que j'avais
lus, je n'avais trouvé la réponse à donner à un enfant, sot pédagogue que
j'étais. C'est signe que je suis un pédagogue encore ignorant."
"La science humaine est encore de l'ignorance, Jean. Ce n'est pas le
pédagogue, mais ce qu'on lui avait donné pour l'être qui était insuffisant.
La pauvre science humaine ! Oh ! comme elle me semble
mutilée ! Cela me fait penser à une déité qui était honorée en Grèce. Il
fallait le matérialisme païen pour pouvoir croire qu'étant privée d'ailes, la
victoire serait pour toujours en possession des grecs ! Non seulement ce
furent les ailes pour la Victoire, mais la liberté nous fut enlevée... Il
aurait mieux valu qu'elle eût des ailes, d'après notre croyance. Nous aurions
pu la croire capable de voler pour dérober les foudres célestes afin de
flécher les ennemis. Mais dans l'état où elle était, elle ne donnait pas
l'espérance mais le découragement, mais une parole de tristesse. Je ne
pouvais la voir sans souffrir... Elle me paraissait souffrante, avilie par sa
mutilation. Un symbole de douleur et non pas de joie... Et elle le fut. Mais comme pour la Victoire l'homme agit
avec la Science. Il lui mutile les ailes qui permettraient d'atteindre le
savoir du Surnaturel, en lui donnant des clefs pour ouvrir tant de secrets du
connaissable et de la création. Ils ont cru et ils croient la tenir captive
en lui mutilant les ailes... Ils n'en ont fait qu'une déficiente... La
science ailée ce serait la Sagesse. Comme elle est, ce n'est
qu'une compréhension partielle."
307.5 – "Et
ma Mère vous a répondu ce jour-là ?"
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"Avec une clarté parfaite et une chaste parole, pouvant être entendue
par un enfant et deux adultes de sexe différent sans que personne eût à
rougir."
"Sur quoi portait-elle ?"
"Sur la faute d'origine, Maître. J'ai écrit l'explication de ta Mère
pour m'en souvenir" dit encore Syntica.
Et Jean d'En-Dor ajoute :
"Moi de même. Je crois que c'est une chose sur laquelle on nous
interrogera beaucoup, si un jour on va parmi les gentils. Moi, je ne pense
pas y aller parce que..."
"Pourquoi, Jean ?"
"Parce que j'ai peu de temps à vivre."
"Mais tu y irais volontiers ?"
"Plus que beaucoup d'autres en Israël, parce que je n'ai pas de
préventions. Et aussi... Oui, aussi pour cela. J'ai donné le mauvais exemple
parmi les gentils, à Cintium, et en Anatolie. J'aurais voulu arriver à faire le bien où j'ai fait du
mal. Le bien à faire : apporter ta parole là-bas, te faire connaître...
Mais ce serait trop d'honneur... Je ne le mérite pas."
Jésus le regarde en souriant, mais ne dit rien à ce sujet.
307.6 – Il
demande :
"Et vous n'avez pas d'autres questions à me poser ?"
"Moi, j'en ai une. Elle m'est venue l'autre soir, quand tu parlais de
l'oisiveté avec l'enfant. J'ai cherché à me donner une réponse, mais sans y
réussir. J'attendais le sabbat pour te la faire, quand les mains sont
inoccupées et que notre âme, entre tes mains, s'élève vers Dieu" dit
Syntica.
"Pose maintenant ta question pendant que l'on attend l'heure du
repos."
"Voici, Maître. Tu as dit que si quelqu'un s'attiédit dans le travail
spirituel, il s'affaiblit et se prédispose aux maladies de l'esprit. N'est-ce
pas ?"
"Oui, femme."
"Maintenant cela me semble en opposition avec ce que j'ai entendu de Toi
et de ta Mère sur la faute d'origine, ses effets en nous, la libération de
cette faute par ton intermédiaire. Vous m'avez enseigné que par la Rédemption
sera annulée la faute d'origine. Je crois ne pas me tromper en disant qu'elle
sera annulée non pas pour tous, mais seulement pour ceux qui croiront en
Toi."
"C'est vrai."
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78> "Je laisse donc les autres et
je prends un de ces sauvés. Je le considère après les effets de la
Rédemption. Son âme n'a plus la faute d'origine. Elle revient donc en
possession de la Grâce comme l'avaient les premiers Parents. Cela ne lui
donne-t-il pas alors une vigueur, qu'aucune langueur ne peut attaquer ?
Tu diras : "L'homme fait aussi des péchés personnels". C'est
d'accord, mais je pense qu'eux aussi tomberont avec ta Rédemption. Je ne te
demande pas comment. Mais je suppose que pour témoigner qu'elle a vraiment
existé - et je ne sais pas d'ailleurs comment elle se produira, bien que tout
ce qui se rapporte à Toi dans le Livre sacré fasse trembler, et j'espère
qu'il s'agit d'une souffrance symbolique, limitée au moral, bien que la
douleur morale ne soit pas une illusion mais un spasme peut-être plus atroce
que le spasme physique - je suppose que tu laisseras, des moyens, des
symboles. Toutes les religions en ont et on les appelle alors des mystères...
Le baptême actuel en vigueur en Israël, en est un, n'est-ce pas ?"
"Oui. Et il y aura, avec des noms différents de ceux que tu leur donnes,
dans ma religion aussi des signes de ma Rédemption
appliqués aux âmes pour les purifier, les fortifier, les éclairer, les
soutenir, les nourrir, les absoudre."
"Et alors ? Si elles sont absoutes aussi des péchés personnels,
elles seront toujours en grâce... Comment alors seront-elles faibles et
prédisposées à des maladies spirituelles ?"
307.7 – "Je
t'apporte une comparaison. Prenons un enfant qui vient de naître de parents
très sains, sain et robuste lui aussi. Il n'y a en lui aucune tare physique,
héréditaire. Son organisme est parfait pour le squelette et les organes. Il
jouit d'un sang qui est sain. Il a, par conséquent, tout ce qui est requis
pour grandir fort et sain, parce qu'aussi la mère a un lait abondant et
nourrissant. Mais dès le premier instant de sa vie, il est atteint par une
très grave maladie, dont on ne connaît pas la cause. Une maladie vraiment
mortelle. Il s'en tire difficilement, grâce à la pitié de Dieu qui lui garde
la vie, déjà sur le point de quitter son petit corps. Eh bien, crois-tu
qu'après cela cet enfant sera robuste comme s'il n'avait pas eu ce mal ?
Non, il y aura une faiblesse permanente en lui. Même si elle n'est pas
visible, elle existera et le prédisposera aux maladies qu'il aurait évitées
s'il n'avait pas été malade. Quelque organe ne sera plus intègre comme avant.
Son sang sera moins résistant et moins pur qu'auparavant, toutes raisons pour
lesquelles il contractera plus facilement des maladies et celles-ci, quand
elles l'atteindront, le prédisposeront à tomber de nouveau malade.
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79> Il en est
de même dans le domaine spirituel. La Faute d'origine sera effacée chez ceux
qui croient en Moi. Mais l'esprit conservera une tendance au péché que sans
la Faute originelle il n'aurait pas eue. C'est pour cela qu'il faut
surveiller et soigner continuellement son esprit comme le fait une mère
soucieuse pour son cher petit resté affaibli à la suite d'une maladie
infantile. Il faut donc éviter l'oisiveté et être toujours actif pour
fortifier les vertus. Si quelqu'un tombe dans la paresse ou la tiédeur il sera
plus facilement séduit par Satan. Et tout péché grave, parce qu'il ressemble
à une grave rechute, le disposera toujours plus à l'infirmité et à la mort de
l'esprit. Au contraire, si rendue par la Rédemption, la Grâce est aidée par
une volonté active et infatigable, voilà qu'elle se garde. Et non seulement
cela. Mais elle grandit associée aux vertus conquises par l'homme. Sainteté
et Grâce ! Quelles ailes sûres pour voler vers Dieu ! As-tu
compris ?"
"Oui, mon Seigneur. Toi, c'est-à-dire la Trinité très sainte, vous
donnez à l'homme la base qu'il lui faut. L'homme, grâce à son travail et à
son attention, doit éviter sa destruction. J'ai compris, Tout péché grave détruit la Grâce,
c'est-à-dire la santé de l'esprit. Les signes que tu nous laisseras rendront
la santé, c'est vrai, mais le pécheur obstiné, qui refuse la lutte contre le
péché, deviendra à chaque fois plus faible même si chaque fois il reçoit le
pardon. Il faut donc lutter pour ne pas périr. Merci, Seigneur...
307.8 – Marziam
s'éveille. Il est tard..."
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