Le vendredi 13
juillet 1945
455> 217.1 - Toujours le même endroit, mais le
soleil est moins implacable car il ne va pas tarder à se coucher.
«Il faut atteindre cette maison» dit Jésus.
Ils marchent, ils y arrivent. Ils demandent du pain et des vivres, mais le
régisseur les repousse durement.
«Race de Philistins
! Vipères ! Toujours les mêmes ! Ils sont nés du même cep et donnent des fruits
empoisonnés, bougonnent les disciples affamés et fatigués. Que vous soit
rendu ce que vous donnez !
- Mais pourquoi manquez-vous de charité ? Nous ne sommes plus à l'époque
de la loi du talion. Avancez. Il ne fait pas encore nuit et vous ne mourez
pas de faim. Un peu de sacrifice pour que ces âmes arrivent à avoir faim de
moi» exhorte Jésus.
Mais les disciples — et je crois que c'est plutôt par dépit qu'à cause d'une
faim insupportable — entrent au beau milieu d'un champ et se mettent à
cueillir des épis. Ils les égrènent dans leurs mains et se mettent à les
manger.
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456> «Ils sont bons, Maître, crie Pierre. Tu n'en prends pas, Ils ont
beaucoup de goût... Je voudrais manger tout le champ !
- Tu as raison ! Comme cela, ils vont regretter de ne pas nous avoir donné un
pain», enchérissent les autres.
Ils passent à travers le champ de blé, et mangent avidement. Jésus marche
tout seul sur la route poussiéreuse. Simon le Zélote et Barthélemy discutent
à cinq ou six mètres derrière.
217.2 - A un autre carrefour entre la route
principale et un chemin secondaire, plusieurs pharisiens hargneux se sont
arrêtés. Ils reviennent sûrement des offices du sabbat auxquels ils ont assisté
dans le hameau que l'on aperçoit au bout de ce chemin secondaire, large,
plat, comme si c'était une grosse bête tapie dans sa tanière.
Jésus les voit, les regarde, doux et souriant, et leur adresse son
salut :
«Que la paix soit avec vous.»
Au lieu de répondre à son salut, un des pharisiens lui demande avec
arrogance :
«Qui es-tu ?
- Jésus de Nazareth.
- Vous voyez bien que c'est lui !» dit l'un d'eux aux autres.
Pendant ce temps, Nathanaël et Simon s'approchent du Maître. tandis que les autres,
cheminant à travers les sillons, se dirigent vers la route. Ils mâchent
encore des grains de blé et en ont dans le creux de la main.
Le pharisien qui a parlé le premier, peut-être le plus puissant, recommence à
parler avec Jésus, qui s'est arrêté pour écouter la suite :
«Ah ! C'est donc toi, le fameux Jésus de Nazareth ? Comment se fait-il
que tu sois venu jusqu'ici ?
- Parce que, ici aussi, il y a des âmes à sauver.
- Nous y suffisons. Nous savons sauver les nôtres et nous savons sauver celles
qui dépendent de nous.
- S'il en est ainsi, vous faites bien. Mais moi, je suis envoyé pour
évangéliser et sauver.
- Envoyé ! Envoyé ! Et qu'est-ce qui nous le prouve ? Sûrement pas tes
œuvres !
- Pourquoi dis-tu cela ? Tu ne tiens pas à ta vie ?
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457> - Ah, c'est vrai ! C'est toi qui
administres la mort à ceux qui ne t’adorent pas. Alors, tu veux tuer toute la
classe sacerdotale, celle des pharisiens, celle des scribes et beaucoup
d'autres parce qu'ils ne t'adorent pas et ne t'adoreront jamais. Jamais,
comprends-tu ? Jamais, nous, les élus d'Israël, nous ne t'adorerons ni
ne t'aimerons.
- Je ne vous force pas à m'aimer et je vous dis : "Adorez
Dieu", parce que...
- Ou toi, parce que tu es Dieu, n'est-ce pas ? Mais nous ne sommes pas
de ces Galiléens pouilleux, ni de ces imbéciles de Judée qui te suivent et
délaissent nos rabbins...
- Ne te fâche pas, homme. Je ne demande rien. J'accomplis ma mission.
J'enseigne comment aimer Dieu et je reviens rappeler le Décalogue parce qu'il
est trop oublié, et surtout parce qu'il est mal appliqué. Je veux donner la
vie, celle de l'éternité. Je ne souhaite pas la mort corporelle, et encore
moins la mort spirituelle. La vie dont je te demandais si tu ne tenais pas à
la perdre, c'était celle de ton âme, car moi, j'aime ton âme, même si elle ne
m'aime pas. Et je souffre de voir que tu la tues en offensant le Seigneur et
en méprisant son Messie.»
Le pharisien semble pris de convulsions tant il s'agite : il chiffonne
ses vêtements, en arrache les franges, enlève son couvre-chef, se passe la
main dans les cheveux, et crie :
«Écoutez ! Écoutez ! C'est à moi, Jonathas, fils
d'Uziel, descendant direct de Simon le Juste, c'est à moi qu'il
dit cela! Moi, offenser le Seigneur ! Je ne sais ce qui me retient de te
maudire, mais...
- C'est la peur qui te retient, mais fais-le donc. Tu ne seras pas réduit en
cendres pour autant. En temps voulu, tu le seras, alors tu m'appelleras. Mais
entre moi et toi, il y aura alors un ruisseau rouge : mon sang.
- D'accord.
217.3 - Mais en attendant, toi qui te
prétends saint, pour quoi permets-tu certaines choses? Toi qui te dis Maître,
pourquoi n'instruis-tu pas tes apôtres, avant les autres? Regarde-les,
derrière toi ! Les voilà, avec encore l'instrument du péché dans leurs mains
! Tu les vois ? Ils ont cueilli des épis, or c'est le sabbat. Ils ont
cueilli des épis qui ne leur appartenaient pas. Ils ont violé le sabbat et
ils ont volé.»
Pierre répond :
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458> «Nous avions faim. Nous avons
demandé logement et nourriture au village où nous sommes arrivés hier soir.
Ils nous ont chassés. Seule une petite vieille nous a donné de son pain et
une poignée d'olives. Que Dieu le lui rende au centuple, car elle a donné
tout ce qu'elle avait et s'est contentée de demander une bénédiction. Nous
avons marché pendant un mille, puis nous nous sommes arrêtés, comme la Loi le
prescrit, et nous avons bu l'eau d'un ruisseau. Plus tard, au crépuscule,
nous sommes allés à cette maison... Ils nous ont repoussés. Tu vois que nous
avions la volonté d'obéir à la Loi.
- Mais vous ne l'avez pas fait. Il n'est pas permis, pendant le sabbat, de
faire des travaux manuels et il n'est jamais permis de prendre ce qui
appartient à autrui. Mes amis et moi, nous en sommes scandalisés.
- Moi, au contraire, je ne le suis pas, dit Jésus. N'avez-vous jamais lu
comment David, à Nob,
prit les pains consacrés pour se nourrir,
lui et ses compagnons ? Les pains consacrés appartenaient à Dieu, dans
sa maison, réservés par un ordre éternel aux prêtres. Il est dit :
"Ils appartiendront à Aaron et à ses fils qui les mangeront en un lieu
sacré,
car c'est une chose très sainte." Néanmoins, David les prit pour lui et
ses compagnons parce qu'ils avaient faim. Or si le saint roi entra dans la
maison de Dieu et mangea les pains consacrés le jour du sabbat, lui à qui il
n'était pas permis de s'en nourrir - pourtant la chose ne lui fut pas comptée
comme péché puisque Dieu continua encore après cela de lui garder son amour
-, comment peux-tu dire que nous sommes pécheurs si nous cueillons sur le sol
de Dieu les épis qui ont poussé et mûri par sa volonté, les épis qui
appartiennent aussi aux oiseaux ? Et tu refuses que les hommes s'en
nourrissent, eux qui sont les enfants du Père ?
- Il avait demandé ces pains. Il ne les avait pas pris sans les demander. Et
cela change tout ! Et puis, ce n'est pas vrai que Dieu n'a pas compté à
David cet acte comme péché. Dieu l'a frappé durement !
- Mais pas pour cette raison. Pour sa luxure,
pour son recensement,
pas pour..., rétorque Jude.
- Oh ! Assez ! Ce n'est pas permis, voilà tout. Vous n'avez pas le droit de
le faire, et vous ne le ferez pas.
217.4 - Allez-vous-en! Nous ne voulons pas
de vous sur nos terres. Nous n'avons pas besoin de vous. Nous ne savons que
faire de vous.
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459> — Nous allons partir, dit Jésus en
empêchant ses disciples de répliquer.
— Et pour toujours, souviens-t'en. Que jamais plus
Jonathas, fils d'Uziel, ne te trouve sur son chemin. Va-t'en !
— Oui, nous partons. Toutefois, nous nous retrouverons. Cette fois, ce sera
Jonathas qui voudra me voir pour répéter ma condamnation et délivrer pour
toujours le monde de moi. Mais ce sera alors le Ciel qui te dira :
"Il ne t'est pas permis de faire cela", et cette parole "il ne
t'est pas permis" résonnera dans ton cœur comme une sonnerie de
trompette pendant toute ta vie et au-delà. De même que, le jour du sabbat,
les prêtres violent au Temple le repos sabbatique sans pécher, nous aussi,
les serviteurs du Seigneur, nous pouvons recevoir amour et secours du Père
très saint sans pour autant commettre de faute, puisque l'homme nous refuse
l'amour. Il y a ici quelqu'un de bien plus grand que le Temple et qui peut
prendre ce qu'il veut de la création, car Dieu a disposé toutes choses pour
servir d'escabeau à la Parole. Et moi, je prends et je donne. Il en est ainsi
des épis du Père servis sur l'immense table qu'est la terre, comme de la Parole.
Je prends et je donne. Aux bons comme aux mauvais, car je suis la
Miséricorde.
Mais vous ignorez ce qu'est la miséricorde. Si vous saviez ce que cela
signifie, vous comprendriez aussi que je ne veux qu'elle.
Si vous saviez ce qu'est la miséricorde, vous n'auriez pas condamné des
innocents. Mais vous l'ignorez. Vous ne savez pas non plus que je ne vous
condamne pas, vous ne savez pas que je vous pardonnerai et que je demanderai
même au Père de vous pardonner. Car c'est la miséricorde que je veux, et non
le châtiment. Mais vous, vous ne le savez pas. Vous ne voulez pas le savoir.
C'est là un péché plus grand que celui que vous m'imputez, que celui que,
selon vous, ces innocents ont commis. Du reste, sachez que le sabbat est fait
pour l'homme et non pas l'homme pour le sabbat, et que le Fils de l'homme est
le maître même du sabbat. Adieu...»
Il se tourne vers ses disciples :
«Venez, allons chercher un lit dans les sables, qui ne sont plus loin
maintenant. Nous aurons toujours les étoiles pour compagnes et la rosée nous
rafraîchira. Dieu, qui a envoyé la manne à Israël, pourvoira à nous nourrir
nous aussi, qui sommes pauvres et qui lui sommes fidèles.»
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460> Jésus plante là le groupe hargneux
et part avec ses disciples alors que la nuit tombe avec les premières ombres
violettes...
Ils trouvent finalement une haie de figuiers d'Inde
aux sommets desquels, hérissées de piquants, des figues commencent à mûrir.
Mais tout est bon pour qui a faim et, en se piquant les doigts, ils cueillent
les plus mûres et vont à l'endroit où les champs font place à des dunes de
sable. De loin arrive la rumeur de la mer.
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