Le mardi 9
janvier 1945.
482> 74.1 – Les premières heures d'un
lumineux matin d'été. Le ciel se colore de rose sur quelques petits nuages
qui semblent des effilochures de gaze tombées sur un tapis de satin couleur
de turquoise. Il se fait tout un concert d'oiseaux déjà ivres de lumière...
Passereaux, merles, rouges-gorges babillent, gazouillent, se bagarrent pour
une tige, une chenille, une brindille à porter à leurs nids, pour se remplir
le bec, ou pour prendre comme perchoirs. Des hirondelles piquent du ciel dans
le petit ruisseau pour laver leurs plastrons de neige teints au sommet de
rouille, et une fois rafraîchies, après avoir piqué un moucheron encore
endormi sur une tige, s'envolent vers les hauteurs avec leurs ailes qui
frappent l'air comme des lames d'acier bruni, en gazouillant gaiement.
Deux bergeronnettes vêtues de soie cendrée se promènent gracieusement comme
deux demoiselles le long de la rive du ruisseau. Elles relèvent leur longue
queue ornée de velours noir, se mirent, se trouvent belles et reprennent leur
promenade, raillées par un merle, qui leur siffle par derrière, avec son long
bec jaune, vrai gamin du bois. Dans un pommier
sauvage à l'abondante frondaison, près des ruines, un rossignol appelle avec
insistance, son compagnon, et ne se tait que lorsqu'il le voit arriver avec
une longue chenille qui se tord sous l'étreinte du bec très fin. Deux bisets,
probablement échappés de colombiers de la ville et qu'ont élu domicile dans
les crevasses d'une tour en ruines, s'abandonnent à leurs effusions, lui
séducteur, elle roucoulant pudiquement.
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483> Jésus, les bras croisés, regarde toutes ces
joyeuses petites bestioles et sourit.
"Déjà prêt, Maître ?" lui demande par derrière Simon.
"Déjà prêt. Les autres dorment-ils encore ?"
"Encore."
"Ils sont jeunes... Je me suis lavé à ce ruisseau... Une eau fraîche qui
éclaircit les idées..."
"Maintenant, j'y vais."
Pendant que Simon vêtu seulement d'une courte tunique se lave et puis
s'habille, Judas
et Jean
se lèvent.
"Dieu te garde, Maître. Nous sommes en retard ?"
"Non, c'est tout juste le matin, mais maintenant, faites vite et
partons."
Les deux se lavent et puis revêtent leur tunique et leur manteau. Jésus,
avant de se mettre en route, cueille des fleurettes qui ont poussées dans les
fentes de deux rochers et les met dans une petite boîte de bois où se
trouvent déjà d'autres choses que je ne distingue pas bien. Il
explique :
74.2 – "Je les porterai à la
Mère. Elles lui seront chères... Partons."
"Où, Maître ?"
"À Bethléem."
"Encore ? Il me semble que l'air n'en est pas bon pour
nous..."
"N'importe. Allons. Je vous ferai voir où descendirent les Mages et où j'étais."
"Alors, excuse-moi, Maître, mais permets-moi de
parler. Nous allons faire une chose. À Bethléem et à l'auberge, permets-moi
de parler et de poser des questions. Pour vous, Galiléens, on ne vous aime
pas beaucoup, en Judée et ici moins qu'ailleurs. Alors faisons ainsi :
Toi et Jean on vous devine Galiléens rien qu'au vêtement. Trop simple. Et
puis... ces cheveux ! Pourquoi vous obstinez-vous à les porter si
longs ? Moi et Simon, nous vous donnons notre manteau et vous nous
donnez le vôtre : toi, Simon à Jean et moi au Maître. Voilà : comme ça. Tu vois ? Vous paraîtrez tout de suite un
peu plus juifs. Maintenant, ceci." Et il enlève sa coiffure : un
turban à rayures jaunes, marron, rouges, vertes, comme le manteau, maintenu
en place par un cordonnet jaune. Il le met sur la tête de Jésus et l'arrange
le long des joues pour cacher les longs cheveux blonds. Jean prend la
coiffure vert très foncé de Simon.
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484> "Oh ! maintenant, ça va
mieux ! Moi, j'ai le sens pratique."
"Oui, Judas, tu as le sens pratique, c'est vrai. Prends garde,
cependant, qu'il ne surpasse pas l'autre sens."
"Quel sens, Maître ?"
"Le sens spirituel."
"Oh ! non, mais, en certains cas, il faut
savoir agir en politiques plus encore qu'en ambassadeurs. Et attention...
sois indulgent aussi... c'est pour ton bien... Ne me contredis pas si je dis
de choses... des choses... oui, voilà pas vraies."
"Que veux-tu dire ? Pourquoi mentir ?
Je suis la Vérité, et je ne veux le mensonge ni en Moi, ni autour de
Moi."
"Oh ! Je ne dirai que des demi-mensonges. Je dirai que nous sommes tous de retour de pays
lointains, d'Égypte par exemple, et que nous voulons avoir des nouvelles
d'amis qui nous son chers. Nous dirons que nous sommes des Juifs, de retour
d'exil... Au fond, en tout cela, il y a un peu de vrai... et puis, j'en
raconte... de plus ou moins fausses."
"Mais ! Judas, pourquoi tromper ?"
"Laisse passer, Maître. Le monde se gouverne à coups de tromperies.
Elles sont parfois nécessaires. Bien, pour te faire plaisir je dirai
seulement que nous venons de loin et que nous somme Juifs. C'est vrai aux
trois-quarts. Et toi, Jean, ne parle pas. Tu nous trahirais."
"Je resterai muet."
"Puis, si les choses tournent bien... alors, nous dirons le reste Mais
j'ai peu d'espoir... Je suis rusé et je saisis les choses au vol."
"Je le vois, Judas. Mais je préférerais que tu sois simple."
"C'est peu utile. Dans ton groupe, je serai celui des missions
difficiles. Laisse-moi faire."
Jésus est peu enthousiaste, mais il cède.
74.3 – Ils partent, contournent des
ruines, puis longent un mur sans fenêtres derrière lequel on entend braire,
mugir, hennir, bêler et les chameaux ou dromadaires aux énormes cris
fantaisistes. Le mur fait un angle. Ils tournent. Les voilà
sur la place de Bethléem. Le bassin de la fontaine est toujours au centre de
la place qu'on aperçoit avec toujours sa forme de guingois, différent et
pourtant du coté opposé à l'auberge.
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485> Là, où était la petite maison - je
la vois encore quand j'y pense toute d'argent pur sous le rayonnement de
l’étoile - là, un grande espace libre, couvert de débris. Seul le petit
escalier est encore debout avec son petit balcon. Jésus regarde et soupire.
La place est pleine de gens autour des marchands de victuailles,
d'ustensiles, d'étoffes, etc. Ils ont disposés sur des nattes ou mis dans des
paniers leurs marchandises, à même sur le sol, et sont pour la plupart
accroupis au centre de leurs... magasins, d'autres debout, criant et
gesticulant, aux prises avec quelque acheteur qui discute.
"C'est jour de marché." dit Simon.
La porte, ou plutôt, la porte cochère de l'auberge est grande ouverte, et il
en sort une file d'ânes chargés de marchandises.
Judas entre le premier. Il regarde tout autour. Il appelle, hautain, un petit
garçon d'écurie, sale et en bras de chemise, c'est à dire avec un seul
vêtement de dessous sans manches et qui lui arrive aux genoux.
"Garçon ! crie-t-il. Le patron, tout de suite. Dépêche-toi,
car je n'ai pas l'habitude d'attendre."
Le garçon y court en tirant par derrière un balai de branchages, "Mais,
Judas ! Quelles façons !"
"Silence, Maître. Laisse-moi faire, Il faut qu'ils nous croient très
riches, et de la ville."
Le patron
accourt, se cassant l'échine en inclinations devant Judas, imposant avec le
manteau rouge foncé de Jésus, sur son riche vêtement jaune d'or avec sa large
ceinture et ses franges.
"Nous venons de loin, homme. Juifs de la communauté asiatique. Celui-ci
persécuté, bethléemite d'origine, recherche des
amis d'ici qui lui sont chers. Et nous avec Lui. Arrivons de Jérusalem où
nous avons adoré le Très-Haut dans sa Maison. Peux-tu nous
renseigner ?"
"Seigneur ... ton serviteur ... tout à toi. Commande."
"Nous voulons avoir des renseignements sur plusieurs... et spécialement
sur Anne,
la femme qui avait sa maison en face de ton auberge."
"Oh ! malheureuse ! Anne vous ne la trouverez plus que dans le
sein d'Abraham et ses fils avec elle."
"Morte ? Pourquoi ?"
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486> "Vous n'êtes pas au courant du
massacre d'Hérode ?
Tout le monde en a parlé et César le traita de "porc altéré de
sang" .
Oh ! qu'ai-je dit ? Ne me dénonce pas. Es-tu un vrai
juif ?"
"Voilà l'insigne de ma tribu. Alors, parle."
"Anne a été tuée par les soldats d'Hérode avec tous ses enfants, sauf
une fille."
"Mais pourquoi ? Elle était si bonne !"
"Tu la connaissais ?"
"Très bien."
Judas ment impudemment.
"Elle a été tuée pour avoir donné l'hospitalité à ceux qu'on disait père
et Mère du Messie...
74.4 – Viens ici... dans cette pièce...
les murs ont des oreilles, et parler de certaines choses... c'est
dangereux."
Ils entrent dans une petite pièce obscure et basse. Ils s'assoient sur un
divan très bas.
"Voici... j'ai eu le nez creux. Je ne
suis pas aubergiste pour rien ! Je suis né ici, fils et petit fils
d'aubergistes. J'ai la malice dans le sang, et je n'ai pas voulu d'eux.
Peut-être je leur aurais trouvé un coin. Mais... galiléens... pauvres...
inconnus... eh ! non, Ézéchias
ne s'y laisse pas prendre ! Et puis... je sentais... je sentais qu'ils
n'étaient pas comme les autres... cette femme... des yeux... un je ne sais
quoi... non, non, elle devait avoir en elle le démon qui lui parlait. Et elle
nous l'a apporté ici, à moi non, mais à la ville. Anne était plus innocente
qu'une brebis et elle les a logés quelques jours après et avec le Bébé. On
disait que c'était le Messie... Oh ! que d'argent j'ai fait en ces
jours ! Bien autrement qu'au recensement ! Il venait des gens, même
qui n'avaient pas besoin de venir pour le recensement. Il en venait même de
la mer, même de l'Égypte, pour voir... et cela pendant des mois ! Quels
gains j'ai réalisés !... Pour
finir, il est venu trois rois, trois hommes puissants, trois mages... que
sais-je ? Un cortège qui n'en finissait plus ! Ils m'ont pris
toutes les écuries et ont payé en or autant de foin qu'il en eut fallu pour
un mois, et puis ils sont partis, laissant tout ici, le jour suivant. Et
quels cadeaux aux garçons, aux femmes de service ! Et à moi !
Oh ! ... Pour moi, du Messie, qu'il fût vrai ou faux, je ne puis dire
que du bien. Il m'a fait gagner de l'argent à pleins sacs. Je n'ai pas essuyé
d'ennuis graves. Pas de morts, non plus, car je venais tout juste de prendre
femme. Alors... Mais les autres !"
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487> 74.5 – "Nous voudrions voir les
lieux du carnage."
"Les lieux ? Mais ce furent toutes les maisons. C'est par milliers que
l'on compta les morts à Bethléem. Venez avec moi."
Ils prennent un escalier, montant sur une terrasse. D'en haut, on voit une
grande étendue de campagne et Bethléem toute entière qui s'étend en éventail
sur ses collines."
"Vous voyez où sont les ruines ? Ici, aussi furent brûlées des
maisons parce que les pères défendirent leurs enfants les armes à la main.
Vous voyez là cette espèce de puits couvert de lierre ? C'est ce qui
reste de la synagogue. On la brûla avec le chef de la synagogue qui avait
affirmé que c'était le Messie. Elle fut brûlée par des survivants, fous de
rage à cause du meurtre de leurs enfants. Nous en avons eu des ennuis,
depuis... Et ici, et là et là... Vous voyez ces tombeaux ? Ce sont des
victimes... On dirait des brebis, couchées dans la verdure, à perte de vue.
Tous innocents avec leurs pères et leurs mères... Vous voyez ce bassin ?
Son eau était rougie de sang lorsque les sicaires y eurent lavé leurs armes
et leurs mains. Et ce ruisseau, ici derrière, l'avez-vous vu ? ... Il
était rougi par le sang qui lui était venu des égouts... Et ici, voyez, ici,
en face. C'est tout ce qui reste de Anne."
Jésus pleure.
"Tu la connaissais bien ?"
Judas répond :
C'était comme une sœur pour sa mère ! Pas vrai, ami ?"
Jésus répond seulement : "Oui."
"Je comprends" fait l'aubergiste, et il reste pensif.
74.6 – Jésus se penche pour parler
doucement à Judas.
"Mon ami voudrait aller sur ces ruines" dit Judas.
"Eh ! qu'il y aille ! Elles sont à tout le monde !"
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488>
Plan reconstitué par Maria Valtorta car elle ne l’a pas
vu dans les visions. Elle nomme : Jérusalem, route principale (deux
fois), route secondaire prise par Jésus, premier léger relief, 2ème arc de
collines, périmètre de Bethléem, fontaine, auberge, grotte, tombeau de
Rachel, maison du paysan.
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489> Ils descendent, saluent, s'en vont.
L'aubergiste reste déçu. Peut-être il espérait un pourboire.
Ils traversent la place et montent le petit escalier, le seul qui est resté.
"C'est d'ici, dit Jésus, que ma Mère me fit
saluer les Mages et que nous sommes descendus pour gagner l'Égypte."
Des gens regardent les quatre parmi les ruines. Quelqu'un demande :
"Parents de la morte ?"
"Amis".
Une femme crie :
"Ne faites pas de mal, vous du moins, à la morte, comme ses autres amis,
alors qu'elle était vivante et qui s'échappèrent ensuite sains et
saufs."
Jésus est debout sur la plate forme contre le muret qui la limite dominant
donc la place de deux mètres à peu près, avec le vide en arrière. C'est un
vide lumineux, qui le nimbe tout entier, rendant encore plus blanc son
vêtement de lin très blanc qui seul le couvre, maintenant que son manteau
s'est envolé de sur ses épaules faisant à ses pieds une sorte de piédestal
multicolore. En arrière, encore, le fond de verdure et de broussailles de ce
qui était le jardin et le domaine d'Anne, maintenant désolés et couverts de
ruines.
74.7 – Jésus étend les bras. Judas
qui voit le geste dit :
Ne parle pas Ce n'est pas prudent !"
Mais Jésus remplit la place de sa voix puissante :
Hommes de Juda ! Hommes de Bethléem, écoutez ! Écoutez, ô vous,
femmes de la terre qui fut sacrée pour Rachel ! Écoutez un descendant de
David, qui a souffert, persécuté. Rendu digne de vous adresser la parole, il
vous parle pour vous donner lumière et réconfort. Écoutez."
Les gens cessent de crier, de se disputer, de faire des achats et
s'attroupent.
"C'est un rabbi !"
"Il vient sûrement de Jérusalem."
"Qui est-ce ?"
"Quel bel homme !"
"Quelle voix !"
"Quelles manières !"
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490> "Eh ! s'il est de la race
de David !"
"De la nôtre, alors !"
"Écoutons, écoutons !"
Toute la foule s'est groupée autour de l'escalier qui paraît une tribune.
"Il est dit dans la Genèse : "Je mettrai des inimitiés
entre toi et la femme... Elle t'écrasera la tête et tu essaieras de lui
blesse le talon" . Il est encore dit : "Je
multiplierai tes souffrances et tes grossesses... et la terre produira des
ronces et des épines". C'est la condamnation de l'homme, de la femme
et du serpent.
Venu de loin pour vénérer la tombe de Rachel, j'ai entendu dans la brise du
soir, dans la rosée de la nuit, dans la plainte matinale du rossignol, l'écho
du sanglot de Rachel
l'ancienne, répété de bouche en bouche par les mères de Bethléem dans le
secret des tombeaux ou dans le secret des cœurs. J'ai entendu le
rugissement de douleur de Jacob dans les veufs, qui n'ont plus d'épouses car
la douleur les a tuées... Je pleure avec vous. Mais écoutez, frères de la
même terre. Bethléem, terre bénie, la plus petite des cités de Juda, mais là
plus grande aux yeux de Dieu et de l'humanité parce que berceau du Sauveur,
comme le dit Michée ,
précisément parce que telle, parce que destinée à être le tabernacle sur
lequel reposerait la gloire de Dieu, le Feu de Dieu, son Amour Incarné, a
déchaîné la haine de Satan.
"Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme.
Elle t'écrasera sous son pied et tu l'attaqueras à son talon".
Quelle inimitié plus grande que celle qui s'en prend aux enfants, le cœur du
cœur de la femme ? Et quel pied est plus puissant que celui de la Mère
du Sauveur ? Voilà pourquoi fut bien naturelle la vengeance de Satan vaincu, ce n'est pas vers
le talon de la Mère mais vers le cœur des mères qu'il dirigea son attaque.
Oh ! angoisses innombrables des mères de perdre les enfants après les
avoir engendrés ! Oh ! tribulation effroyable d'avoir semé et sué
pour ses enfants de rester père sans plus avoir de descendance. Mais,
réjouis-toi, Bethléem ! Ton sang pur, le sang des innocents a ouvert un
chemin de flamme et de pourpre au Messie..."
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491> 74.8 – La foule, dont le murmure
s'accroît toujours plus depuis que Jésus a nommé le Sauveur et sa Mère,
marque maintenant plus clairement son agitation.
"Tais-toi, Maître, dit Judas, et partons."
Mais Jésus ne l'écoute pas. Il continue :
"...au Messie que la Grâce du Père-Dieu a sauvé des tyrans afin de le
conserver au peuple, pour le sauver et ..."
Une voix stridente de femme crie :
"Cinq, cinq, que j'en avais enfantés, et plus personne dans ma
maison ! Misérable que je suis !" et elle crie comme une
hystérique.
C'est le commencement de la bagarre.
Une autre se roule dans la poussière, déchire ses vêtements, montre son sein
mutilé et crie :
"Là, là, sur cette mamelle ils ont égorgé mon premier né ! L'épée a
tranché la tête en même temps que mon sein. Oh ! mon Élisée !"
"Et moi ? et moi ? Voici ma maison ! Trois tombeaux en un
seul que veille le père. Le mari et les enfants, tous ensemble. Voilà,
voilà !... Si c'est le Sauveur, qu'il me rende mes enfants, qu'il me
rende mon époux, qu'il me sauve du désespoir, qu'il me sauve de
Béelzéboul."
Ils crient tous : "Nos fils, nos maris, nos pères, rendez-nous-les
si c'est Lui le Sauveur !"
Jésus remue les bras, imposant le silence.
"Frères de ma terre je voudrais vous rendre vos enfants, en vie, oui, en
vie, Mais, je vous le dis : soyez bons, résignés. Pardonnez, espérez,
réjouissez-vous dans l'espérance, jubilez dans la certitude. vous ne tarderez
pas de retrouver vos enfants, anges dans, le Ciel, car le Messie va ouvrir
les portes du Ciel, et si vous êtes justes, la mort sera pour vous la Vie qui
arrive et l'Amour qui revient..."
"Ah ! Tu es le Messie ? Au nom de Dieu, dis-le." Jésus
abaisse les bras de son geste si doux, si affectueux qu'il semble vouloir
embrasser et il dit : "Je le suis."
"Va-t-en, va-t-en,
c'est par ta faute, alors !"
Une pierre vole au milieu des sifflets et des huées.
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492> 74.9 – Judas a une belle attitude...
oh ! s'il avait été toujours ainsi ! Il se met devant le Maître,
debout sur le mur du balcon, le manteau déployé et il reçoit sans peur les
coups de pierres, il en saigne même. Il crie à Jean et à Simon :
"Emmenez Jésus, derrière ces arbres. J'arrive, Allez, au nom du
Ciel !"
Et à la foule :
"Chiens enragés ! Je suis du Temple et je vous dénoncerai au Temple
et à Rome."
La foule prend peur, un instant, mais bientôt elle reprend la bataille à
coups de pierres, heureusement mal dirigées. Et Judas imperturbable reçoit la
grêle, répondant par des injures aux malédictions de la foule. Il attrape
même au vol un caillou et l'envoi sur la tête d'un petit vieux qui crie comme
une pie qu'on plumerait vivante. Et, comme ils essaient de donner l'assaut à
son piédestal, il attrape vivement une branche sèche par terre, car il est
descendu du muret, et la fait tournoyer sur les échines, les têtes les mains,
sans pitié.
Des soldats accourent et sous la menace des lances, ils s'ouvrent un chemin.
"Qui es-tu ? Pourquoi cette rixe ?"
"Un juif assailli par ces gens du peuple. Il y avait avec moi un rabbi,
connu des prêtres. Il parlait à ces chiens; ils se sont déchaînés et nous ont
assailli."
"Qui es-tu ?"
"Judas de Kériot, précédemment au Temple, maintenant disciple du Rabbi
Jésus de Galilée. Ami du pharisien Simon,
du sadducéen Yokhanan, du conseiller du Sanhédrin, Joseph
d'Arimathie, et enfin, ce que tu peux vérifier, d'Éléazar
ben Hanna, le grand ami
du proconsul".
Je vérifierai. Où vas-tu ?"
"Avec mon ami, à Keriot, puis à
Jérusalem."
"Va, nous te protégerons."
Judas passe au soldat des pièces de monnaie. Ce doit être une chose défendue,
mais... habituelle, car le soldat l'empoche en vitesse, et respectueux salue
et sourit. Judas saute en bas de son estrade et court par bonds à travers le
champ inculte et rejoint ses compagnons.
"Tu es bien blessé ?"
"Ce n'est rien, Maître, et puis, c'est pour Toi... Je leur ai riposté,
aussi. Je dois être tout souillé de sang..."
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493> "Oui, sur la joue. Il y a ici
un filet d'eau."
Jean trempe un petit linge et lave la joue de Judas.
"Cela m'ennuie, Judas, mais, vois... même en leur disant que nous étions
juifs, selon ton sens pratique..."
"Ce sont des bêtes. Je crois que tu en seras persuadé, Maître, et que tu
n'insisteras pas."
"Oh ! non ! Pas par peur, mais parce que c'est inutile pour
l'instant. Quand on ne veut pas de nous, on ne maudit pas, mais on se retire
en priant pour les pauvres fous qui meurent de faim et ne voient pas le Pain.
Allons par ce chemin à l'écart. Je crois qu'on pourra gagner la route d'Hébron... chez les bergers, si nous les
trouvons."
"Pour nous faire attaquer à coups de pierres ?"
"Non, pour leur dire : "C'est Moi"."
"Eh ! Alors ! Ce sera la bastonnade !... Depuis trente
ans qu'ils souffrent à cause de Toi !..."
"Nous verrons."
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