98> 16.1 - Voici ce que je vois : Marie, adolescente – quinze
ans tout au plus, se tient dans une petite pièce rectangulaire. C’est une
vraie chambre de jeune fille. Contre l’un des deux longs murs se trouve le
lit, une espèce de couche basse sans bords, couvert de nattes ou de tapis.
Comme ces lits sont rigides et ne forment pas de creux comme souvent les
nôtres, ils donnent l’impression d’être étendus sur une table ou une claie
à roseaux.
Sur l’autre mur, il y a une étagère avec une lampe à huile, des rouleaux de
parchemin, et un travail de couture soigneusement plié qu’on pourrait
prendre pour de la broderie.
De côté, vers la porte ouverte sur le jardin mais couverte d’un voilage qui
bouge sous un léger vent, la Vierge est assise sur un tabouret bas. Elle
file du lin très blanc et doux comme de la soie. Ses petites mains, à peine
moins claires que le lin, font tourner agilement le fuseau. Son visage
juvénile, très beau, est un peu penché, avec un léger sourire, comme si
elle caressait ou suivait quelque douce pensée.
Tout est très silencieux dans la maison et dans le jardin. Une grande paix
règne aussi bien sur le visage de Marie que dans la pièce. La paix et
l’ordre. Tout est propre et bien rangé. Cette pièce, à l’aspect et au
mobilier très humbles, est aussi nue qu’une cellule monacale, mais elle a
quelque chose d’austère et de royal dû à la propreté et au soin avec lequel
sont disposés les étoffes sur le lit, les rouleaux, la lumière et, près de
la lampe, le petit broc en cuivre qui renferme une gerbe de rameaux en
fleurs, de pêcher ou de poirier, je ne sais trop. Ce sont sûrement des
arbres fruitiers, dont les fleurs sont d’un blanc légèrement teinté de
rose.
16.2 - Marie se met à
chantonner à voix basse, puis hausse un peu le ton. Sans être un chant à
haute voix, c’est déjà une voix qui vibre dans la petite pièce et l’on sent
vibrer son âme. Je n’en comprends pas les paroles, ce doit être de
l’hébreu. Mais comme elle ré pète de temps en temps : «Jéhovah», je
devine qu’il doit s’agir d’un cantique sacré, peut-être d’un psaume. Marie
se rappelle probablement les chants du Temple. Ce doit être pour elle un
doux souvenir, car elle ramène sur son sein ses mains qui tiennent le fil
et le fuseau, puis elle lève la tête et l’appuie contre le mur ; son visage
prend des couleurs et ses yeux, perdus dans je ne sais quelle douce pensée,
brillent sous l’effet de larmes retenues qui les font paraître plus grands.
Et pourtant ces yeux rient, sourient à la pensée qu’ils suivent et qui
soustrait la chanteuse à ce qui l’entoure. Le visage de Marie, rose et
encadré par les tresses qu’elle porte relevées en couronne sur la tête,
ressort sur son vêtement blanc très simple. On dirait une belle fleur.
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99> Son chant se fait prière
:
«Seigneur, Dieu très-haut, ne tarde pas davantage à envoyer ton Serviteur
apporter la paix sur la terre. Suscite le temps favorable et la vierge pure
et féconde pour l’avènement de ton Christ. Père, Père saint, accorde à ta
servante d’offrir sa vie à cette intention. Accorde-moi de mourir après
avoir vu ta lumière et ta justice sur la terre, et avoir su que la
Rédemption est accomplie. Père saint, donne à ton peuple celui en qui les
prophètes espéraient. Envoie le Rédempteur à ta servante. À l’heure où mon
séjour sur terre s’achèvera, que ta demeure s’ouvre à moi, parce que ses
portes auront déjà été ouvertes par ton Christ pour tous ceux qui auront
espéré en toi. Viens, viens, Esprit du Seigneur, viens chez tes fidèles qui
t’attendent. Viens, Prince de la paix ! »
Marie reste plongée dans sa prière.
16.3 - La tenture bouge plus
fort, comme si quelqu’un faisait un courant d’air par derrière ou la tirait
pour l’écarter. Une lumière aussi blanche qu’une perle associée à de
l’argent pur éclaire les murs légèrement jaunes, avive les couleurs des
tissus, rend plus surnaturel le visage levé de Marie.
Dans la lumière, et sans même que la tenture se soit ouverte sur le mystère
qui s’accomplit – d’ailleurs, elle ne bouge plus, elle pend, bien droite
sur ses montants, comme s’il s’agissait d’un mur qui isole l’intérieur de
l’extérieur –, l'archange se prosterne.
Nécessairement, il lui
faut prendre une apparence humaine, mais elle transcende l’humain. De
quelle chair est formée cette figure superbe, éclatante ? De quelle
substance Dieu l’a-t-il matérialisée pour la rendre perceptible aux sens de
la Vierge ? Dieu seul peut posséder de telles essences et les utiliser de
manière aussi parfaite. Ce sont bien un visage, un corps, des yeux, une bouche,
des cheveux et des mains comme les nôtres, mais sans notre matière opaque.
C’est une lumière qui a pris la couleur de la chair, des yeux, des cheveux,
des lèvres, une lumière qui bouge, sourit, regarde et parle.
16.4 - «Je te salue, Marie,
pleine de Grâce, je te salue !»
La douce musique de sa voix ressemble à des perles lancées sur un métal
précieux.
La Vierge tressaille et baisse les yeux. Elle tressaille encore plus
lorsqu’elle voit cet être éclatant agenouillé à un mètre d’elle environ,
les mains croisées sur la poitrine, qui la regarde avec une infinie
vénération.
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100> Marie se dresse sur ses pieds et se serre contre le mur. Elle
pâlit et rougit tour à tour. Son visage exprime stupeur et effroi . Inconsciemment, elle serre les mains sur son sein et les
rentre dans ses longues manches.
Elle se penche presque pour cacher le plus possible son corps, en un geste
de douce pudeur.
«Non, ne crains pas. Le Seigneur est avec toi ! Tu es bénie entre toutes
les femmes.»
Mais Marie a encore peur. D’où vient cet être extraordinaire ? Est-ce un
envoyé de Dieu ou du Trompeur ?
«Ne crains pas, Marie, répète l’archange. Je suis Gabriel, l’ange de Dieu.
Mon Seigneur m’a envoyé à toi. Ne crains pas, car tu as trouvé grâce auprès
de Dieu. Tu vas concevoir un fils dans ton sein, tu l’enfanteras et tu lui
donneras le nom de “Jésus”. Il sera grand, on l’appellera Fils du Très-Haut
(ce qu’il sera effectivement) ; le Seigneur Dieu lui donnera le trône de
David son père, il règnera éternellement sur la maison de Jacob, et son
règne n’aura pas de fin. Toi, la sainte Vierge bien-aimée du Seigneur, sa
fille bénie, toi qui es appelée à être la mère de son Fils, comprends quel
Fils tu vas engendrer.
– Comment cela peut-il se faire puisque je ne connais pas d’homme ? Est-ce
que le Seigneur Dieu n’accueille plus l’offrande de sa servante et ne veut
pas que je sois vierge par amour de lui ?
– Ce n’est pas par l’action d’un homme que tu seras mère, Marie. Tu es la
Vierge éternelle, la Sainte de Dieu. L’Esprit Saint descendra en toi et la
puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. C’est pourquoi celui qui
naîtra de toi sera dit saint et Fils de Dieu. Tout est possible au Seigneur
notre Dieu. Elisabeth, la femme stérile, a conçu dans sa vieillesse un fils
qui sera le prophète de ton Fils, celui qui lui préparera le chemin. Le
Seigneur a levé son opprobre et son souvenir restera uni à ton nom parmi
les peuples, comme le nom de son enfant à celui de ton Fils saint ; jusqu’à
la fin des temps, les nations vous diront bienheureuses en raison de la
grâce du Seigneur qui vous a été accordée, et tout spécialement à toi,
ainsi qu’aux nations par ton intermédiaire. Élisabeth en est déjà à son
sixième mois, et le poids qu’elle porte fait monter en elle la joie, et
plus encore quand elle connaîtra la tienne. Rien n’est impossible à Dieu,
Marie, pleine de grâce. Que dois-je dire à mon Seigneur ? Qu’aucune pensée
ne te trouble. Il veillera sur tes intérêts si tu lui fais confiance. Le
monde, le ciel, l’Eternel attendent ta réponse !»
À son tour, Marie croise les mains sur sa poitrine, s’incline profondément,
et dit :
«Voici la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon sa parole.»
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