Vision du mardi 14
août 1945
195> 253.1 – Il
fait encore nuit, une très belle nuit de lune à son couchant, lorsque
silencieusement Jésus, avec les apôtres et les femmes et en plus Jean d'Endor
et Hermastée, font leurs adieux à Isaac, le seul qui soit réveillé, et ils
commencent à marcher le long de la rive. Le bruit des pas ne fait entendre
qu'un léger craquement sur les cailloux que foulent les sandales, et personne
ne parle jusqu'à ce que soit dépassée de quelques mètres la derrière
maisonnette. Certainement les dormeurs dans celle-ci ou dans les autres qui
la précèdent n'ont pas remarqué le départ silencieux du Maître et de ses
amis. Le silence est profond. Seule la mer parle à la lune qui va bientôt se
coucher, et elle raconte à la plage les histoires des profondeurs avec son
flot allongé de haute marée qui commence, laissant sur la rive un espace sec
toujours plus étroit.
Cette fois les femmes sont devant avec Jean, le Zélote, Jude Thaddée et
Jacques d'Alphée qui aident les femmes à franchir les petits écueils parsemés
ça et là, humides de sel et glissants. Le Zélote est avec Marie-Madeleine,
Jean avec Marthe, alors que Jacques d'Alphée s'occupe de sa mère et de
Suzanne et que le Thaddée ne cède à personne l'honneur de prendre dans sa
robuste et longue main, qui est une autre ressemblance avec Jésus, la petite
main de Marie pour l'aider dans les passages difficiles.
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196> Chacun parle à voix basse avec celle
qu'il accompagne. Tous veulent, semble-t-il, respecter le sommeil de la
Terre.
Le Zélote parle sans interruption avec Marie de Magdala et je vois plusieurs
fois Simon ouvrir les bras en un geste qui exprime : "C'est ainsi,
et il n'y a rien d'autre à faire" mais je n'entends pas ce qu'ils
disent, se trouvant plus en avant. Jean parle seulement de temps en temps
avec Marthe qu'il accompagne, en lui montrant la mer et le Carmel dont la
pente tournée vers le couchant reçoit encore la lumière blanche de la lune.
Peut-être parle-t-il de la route qu'il a parcourue l'autre fois en côtoyant
le Carmel de l'autre côté.
253.2 – Jacques
aussi, qui est entre Marie d'Alphée et Suzanne, parle du Carmel. Il dit à sa
mère :
"Jésus m'a promis de monter là-haut seul avec moi, et de me dire quelque
chose, à moi seulement."
"Que voudra-t-il te dire, mon fils ? Tu me le répéteras
après ?"
"Maman, si c'est un secret, je ne puis te le dire" répond en souriant
de son sourire si affectueux Jacques, dont la ressemblance avec Joseph, époux
de Marie, est très sensible pour les traits et encore davantage dans sa
paisible douceur.
"Pour la mère, il n'y a pas de secrets."
"Je n'en ai pas, en effet. Mais si Jésus veut m'emmener là-haut pour me
parler seul à seul c'est signe qu'il veut que personne ne sache ce qu'il a à
me dire. Et toi, maman, tu es ma chère maman que j'aime tant, mais Jésus est
au-dessus de toi et aussi sa volonté. Mais je Lui demanderai; quand ce sera
le moment, si je peux te dire ses paroles. Es-tu contente ?"
"Tu oublieras de le Lui demander..."
"Non, maman. Je ne t'oublie jamais, même si tu es loin de moi.
Quand j'entends ou que je vois quelque chose de beau, je pense
toujours : "si maman était là!"
"Chéri ! Donne-moi un baiser, mon fils."
Marie d'Alphée est émue. Mais l'émotion ne tue pas la curiosité. Elle revient
à l'assaut après quelques instants de silence :
"Tu as dit : sa Volonté. Alors tu as compris qu'il veut t'exprimer
une de ses volontés. Allons, cela au moins tu peux le dire. Cela, il te l'a
dit en présence des autres."
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197> "À vrai dire j'étais devant
avec Lui seulement" dit Jacques en souriant.
"Mais les autres pouvaient entendre."
"Il ne m'a pas beaucoup parlé, maman. Il m'a rappelé les paroles et la
prière d'Élie sur le Carmel : "Des prophètes du Seigneur, je suis
le seul qui soit resté" .
"Exauce-moi, afin que le peuple reconnaisse que Tu es le Seigneur
Dieu".
"Et que voulait-il dire ?"
"Que de choses, maman, tu veux savoir ! Va trouver Jésus, alors, et
il te le dira" dit Jacques en éludant la question.
"Il aura voulu dire que, puisque le Baptiste est pris, Lui seul reste
prophète en Israël et que Dieu doit le conserver longtemps pour que le,
peuple soit instruit" dit Suzanne.
"Hum ! J'ai du mal à croire que Jésus demande de rester longtemps.
Pour Lui, il ne demande rien... Allons, mon Jacques, dis-le à ta
mère !"
"La curiosité est un défaut, maman. C'est une chose inutile, dangereuse,
parfois douloureuse. Fais un bel acte de mortification..."
"Hélas ! N'aura-t-il pas voulu dire que ton frère sera emprisonné,
tué peut-être ?" demande Marie d'Alphée toute bouleversée.
"Jude n'est pas tous les prophètes, maman, même si, pour ton amour,
chacun de tes fils est le monde entier..."
"Je pense aussi aux autres parce que... parce que vous faites
certainement partie des prophètes de l'avenir, Alors... alors, si tu restes
seul... Si toi tu restes seul, c'est signe que les autres, que mon Jude...
oh !..."
253.3 – Marie
d'Alphée plante là Jacques et Suzanne et vive, comme une jeune fille, elle
revient en arrière sans se soucier de la question que lui pose le Thaddée.
Elle arrive, comme si elle était poursuivie, dans le groupe de Jésus.
"Mon Jésus... je parlais avec mon fils... de ce que tu lui a dit... du
Carmel... d'Élie... des prophètes... Tu as dit... que Jacques restera seul...
Et de Jude, qu'adviendra-t-il ? C'est mon fils, tu le sais ?"
dit-elle toute essoufflée par l'angoisse et par la course qu'elle a faite.
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198> "Je le sais, Marie. Et je sais
aussi que tu es heureuse qu'il soit mon apôtre. Tu vois que tu as tous
les droits comme mère et Moi, je les ai comme Maître et Seigneur."
"C'est vrai... c'est vrai... mais Jude est mon enfant !...".
Marie, entrevoyant l'avenir, pleure abondamment.
"Oh ! que de larmes versées inutilement ! Mais on pardonne
tout à un cœur de mère. Viens ici, Marie. Ne pleure pas : Je t'ai déjà
réconfortée une autre fois .
Alors aussi, je t'ai promis que la grande douleur que tu éprouvais, t'aurait
valu, de la part de Dieu, de grandes grâces, pour toi, pour ton Alphée, pour
tes enfants..."
Jésus a posé son bras sur l'épaule de sa tante l'attirant tout près de Lui.
Il commande à ceux qui étaient avec Lui :
"Vous, allez de l'avant..."
Puis, seul avec Marie de Cléophas, il recommence à parler.
"Et je n'ai pas menti. Alphée est mort
en m'appelant. Pour ce motif, toutes ses dettes envers Dieu ont été annulées.
Cette conversion au parent incompris, au Messie qu'il n'avait pas voulu
reconnaître auparavant, c'est ta douleur qui l'a obtenue, Marie. Maintenant
cette douleur que tu éprouves obtiendra que l'indécis Simon et l'entêté
Joseph imitent ton Alphée."
"Oui, mais... Que lui feras-tu à Jude, à mon Jude ?"
"Je l'aimerai encore plus que je ne l'aime maintenant."
"Non, non. Il y a une menace dans ces paroles. Oh ! Jésus !
Oh! Jésus !..."
253.4 – La
Vierge Marie revient en arrière elle aussi pour consoler sa belle-sœur de la
douleur dont elle ne connaît pas encore la nature et, quand elle l'apprend,
car sa belle-sœur la voyant à son côté pleure encore plus fort en lui en
faisant part, alors elle devient plus pâle que la lune elle-même.
Marie d'Alphée gémit :
"Dis-le-lui, toi. Non, non, pas la mort pour mon Jude..."
La Vierge Marie, encore plus exsangue lui
dit:
"Et puis-je demander cela pour toi si je ne peux même pas demander pour
mon Fils qu'il soit sauvé de la mort ? Marie, dis avec moi :
"Que soit faite ta volonté, Père, au Ciel, sur la Terre et dans le cœur
des mères". Faire la volonté de Dieu, à travers le sort des enfants,
c'est le martyre rédempteur de nous, les mères... Et, d'autre part... Il
n'est pas dit que Jude doive être tué, ou tué avant que tu ne meures.
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199> Ta prière de maintenant pour qu'il
arrive jusqu'à un âge très avancé, comme elle te pèserait alors, quand, dans
le Royaume de la Vérité et de l'Amour, tu verras toutes choses à travers les
lumières de Dieu et à travers ta maternité spiritualisée. Alors, j'en suis
certaine, et comme bienheureuse et comme mère, tu voudras que Jude soit
semblable à mon Jésus, dans son sort de rédempteur, et tu brûleras de l’avoir
près de toi de nouveau, pour toujours. Car le tourment des mères, c'est
d'être séparées de leurs enfants. Un tourment si grand qu'il subsistera, je
crois, comme angoisse d'amour même dans le Ciel qui nous accueillera."
253.5 – Les
pleurs de Marie, si forts dans le silence de l'aube naissante, ont fait que
tout le monde est revenu en arrière pour savoir ce qui est arrivé. Ainsi on
entend les paroles de la Vierge Marie et l'émotion gagne tout le monde.
Marie de Magdala pleure en murmurant :
"Et moi, ce tourment je l'ai donné à ma mère, dès cette Terre."
Marthe pleure en disant :
"C'est une douleur réciproque la séparation entre les enfants et la
mère."
Pierre aussi a des larmes aux yeux, et le Zélote dit à Barthélemy :
"Quelles paroles de sagesse pour expliquer ce que sera la maternité
d'une bienheureuse !"
"Et comme les choses seront appréciées par une mère bienheureuse au
travers des lumières de Dieu et de la maternité spiritualisée... Cela vous
coupe le souffle comme devant un lumineux mystère" lui répond Nathanaël.
L'Iscariote dit à André :
"La maternité se dépouille de toute pesanteur des sens et devient toute
ailée, dite de cette façon. Il nous semble voir nos mères déjà transformées
en une inconcevable beauté."
"C'est vrai. La nôtre, Jacques, nous aimera ainsi. Imagines-tu comme
sera alors parfait son amour ?" dit Jean à son frère, et c'est le
seul qui ait un sourire lumineux tant il est joyeusement ému par la pensée
que sa mère arrive à aimer d'une manière parfaite.
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200> 253.6 – "Je regrette d'avoir
causé tant de douleur, dit Jacques d'Alphée. Mais elle en a vu plus que je ne
lui en ai dit... Crois-moi, Jésus."
"Je le sais, je le sais. Mais Marie est en train de se travailler
elle-même et c'est un coup plus fort de scalpel. Pourtant il lui enlève un si
grand poids mort" dit Jésus.
"Allons, mère. C'est assez pleuré ! Cela me fait de la peine que tu
souffres comme une pauvre femme qui ne connaît pas les certitudes du Royaume
de Dieu. Tu ne ressembles en rien à la mère des fils Macchabées "
lui reproche sévèrement le Thaddée tout en embrassant sa mère.
Et il achève, en la baisant sur la tête parmi ses cheveux grisonnants :
"Tu sembles une fillette qui a peur des ombres et des histoires qu'on
lui raconte pour l'épouvanter. Et pourtant tu sais où me trouver : en
Jésus. Quelle maman ! Quelle maman ! Tu devrais pleurer si on t'avait
dit que moi, plus tard, je devais trahir Jésus, l'abandonner, devenir un
damné. Alors, oui. Tu devrais pleurer du sang même. Mais, avec l'aide de
Dieu, cette douleur je ne te la donnerai jamais, ma mère. Je veux rester avec
toi pour toute l'éternité..."
Le reproche d'abord, les caresses ensuite, finissent par tarir les pleurs de
Marie d'Alphée qui maintenant est toute honteuse de sa faiblesse.
253.7 – La
lumière, dans le passage de la nuit au jour, s'est affaiblie car la lune
s'est couchée et le jour n'a pas encore commencé. Mais c'est un court
intermède crépusculaire. Tout de suite après la lumière, d'abord couleur de
plomb puis grisâtre, puis verdâtre, puis laiteuse avec des traces bleues,
finalement claire presque comme de l'argent immatériel, s'affirme toujours
plus, facilitant le chemin sur la grève humide restée découverte par le flot,
pendant que l’œil se réjouit à la vue de la mer qui devient d'un bleu plus
clair qui va bientôt s'éclairer de facettes brillantes comme des gemmes.
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201> Puis l'air imprègne son argent d'un
rose toujours plus net jusqu'à ce que ce rose doré de l'aurore devienne une
pluie rose rouge sur la mer, sur les visages, sur les campagnes, avec des contrastes
de teintes toujours plus vives, qui arrivent à leur plus grande perfection au
moment qui pour moi est le plus beau du jour, lorsque le soleil, bondissant
hors des limites de l'orient, envoie son premier rayon sur les montagnes et
les pentes, les bois, les prés et les immenses espaces de la mer et du ciel,
accentuant toutes les couleurs, que ce soit la blancheur des neiges ou des
lointains montagneux d'un indigo qui se change en un vert de jaspe, ou que ce
soit le cobalt d'un ciel qui s'atténue pour recevoir le rose, ou que ce soit
le saphir veiné de jade et rayé de perles de la mer.
Et aujourd'hui la mer est un véritable miracle de beauté. Non pas morte dans
un calme pesant, non pas bouleversée par la lutte des vents, mais d'une vie
majestueuse rendue vivante par des vagues très faibles que marquent des rides
couronnées d'une crête d'écume.
"Nous arriverons à Dora avant que le soleil ne soit brûlant et nous
repartirons au crépuscule. Demain, à Césarée, ce sera la fin de votre
fatigue, mes sœurs. Et nous aussi nous nous reposerons. Votre char vous
attend certainement. Là, nous nous séparerons...
253.8 – Pourquoi
pleures-tu, Marie ? Me faudra-t-il donc voir aujourd'hui pleurer toutes
les Marie ?" dit Jésus à Marie-Madeleine.
"Cela la peine de te quitter" dit sa sœur en l'excusant.
"Il n'est pas dit que 1'on ne se revoie pas, et bientôt."
Marie fait signe que non. Ce n'est pas pour cela qu'elle pleure. Le Zélote
explique :
"Elle craint de ne pas savoir être bonne sans ton voisinage. Elle
craint... elle craint d'être tentée trop fortement quand tu n'es pas tout
près pour éloigner le démon. Elle m'en parlait tout à l'heure."
"N'aie pas cette crainte. Je ne retire
jamais une grâce que j'ai accordée. Veux-tu pécher ? Non ? Alors
sois tranquille. Veille, cela oui, mais ne crains pas."
"Seigneur... je pleure aussi, parce qu'à Césarée... Césarée est remplie
de mes péchés. Maintenant je les vois tous… J'aurai beaucoup à souffrir dans
mon humanité..."
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202> "Cela me fait plaisir. Plus tu
souffriras et mieux cela vaudra. Parce que, ensuite, tu ne souffriras plus de
ces peines inutiles. Marie de Théophile, je te rappelle que tu es
la fille d'un fort, et que tu es une âme forte, et que je veux te rendre très
forte. J'excuse les faiblesses chez les autres, parce qu'elles ont toujours
été des femmes douces et timides, y compris ta sœur. En toi, je ne les
supporte pas. Je te travaillerai par le feu et sur l'enclume. Car tu es un
tempérament qu'il faut travailler ainsi pour ne pas gâter le miracle de ta
volonté et de la mienne. Sache cela toi et ceux qui, parmi ceux qui sont là
ou qui sont. absents, pourraient croire que de t'avoir tant aimée, je
pourrais devenir faible avec toi. Je te permets de pleurer par repentir et
par amour, pas pour autre chose. Tu as compris ?"
Jésus est suggestif et sévère.
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