Le mardi 10 juillet 1945.
435> 214.1 – Jésus est sur le point de se
mettre à table, dans la belle maison de Judas, en même temps que tous les
siens. Et il dit à la mère de Judas, venue de sa maison de campagne pour
recevoir dignement le Maître :
"Non, mère, toi aussi tu dois rester avec nous. Ici, nous sommes en
famille. Ce n'est pas le banquet froid et compassé des hôtes d'occasion. Moi,
je t'ai pris un fils et je veux que tu me prennes comme fils, comme
Moi je te prends comme mère, car tu en es bien digne. N'est-ce pas mes amis,
qu'ainsi nous nous sentirons tous plus contents et plus à notre aise ?"
Les apôtres et les deux Marie acceptent chaleureusement, et la mère de Judas,
avec une larme éclair dans les yeux, doit s'asseoir entre son fils et le
Maître qui a en face de Lui les deux Marie avec Marziam au milieu.
La servante apporte les mets et Jésus les offre et les bénit et puis les
distribue parce que, sur ce point, la mère de Judas est inflexible. Et il
distribue en commençant toujours par elle, ce qui émeut toujours plus la
femme et rend Judas tout fier et en même temps pensif.
Les conversations roulent sur plusieurs sujets, et Jésus cherche à intéresser
la mère de Judas et de la mettre en relation avec les deux Marie.
214.1*2 – À cela Marziam est très utile
en déclarant qu'il aime déjà bien aussi la mère de Judas "parce qu'elle
s'appelle Marie, comme toutes les femmes qui sont bonnes."
"Et celle qui nous attend sur le lac, tu ne l'aimeras pas, petit
méchant ? " demande Pierre à moitié sérieux.
"Oh ! beaucoup, si elle est bonne."
"Pour cela, tu peux en être certain. Tout le monde le dit, et je dois le
dire moi aussi que, si elle a toujours été douce avec sa mère et avec moi,
c'est vraiment signe qu'elle est bonne. Mais elle ne s'appelle pas Marie,
fils. Elle a un nom bizarre, car son père lui a donné le nom de la chose qui
l'avait enrichi et il voulut l'appeler Porphyrée. La pourpre
est belle et précieuse. Mon épouse n'est pas belle, mais sa bonté la rend
précieuse. Et moi, je l'ai aimée parce qu'elle est paisible, chaste,
silencieuse.
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436> Trois vertus... hé ! elles ne
sont pas faciles à trouver ! Je l'avais remarquée alors qu'elle n'était
qu'une petite fille. Je descendais à Capharnaüm avec le poisson et je la
voyais travailler silencieusement aux filets, ou à la fontaine, ou dans le
jardin de la maison. Ce n'était pas le papillon volage qui va ici et là, ni
non plus la poulette étourdie qui se retourne à chaque cocorico du coq. Elle
ne levait jamais la tête, même si elle entendait des voix d'hommes et quand
moi, énamouré de sa bonté et de ses magnifiques tresses, c'était tout ce
qu'elle avait de bien, et aussi... oui, et aussi apitoyé par sa condition
d'esclave dans sa famille, je lui ai adressé mes premières salutations - elle
avait alors seize ans - elle a à peine répondu, en descendant davantage son
voile et en restant davantage à la maison. Hé ! il m'en a fallu du temps
pour comprendre si elle ne me prenait pas pour un ogre et pour envoyer le paranymphe !... Mais je
ne m'en repens pas. Je pouvais faire le tour de la
terre, mais une autre comme elle, je ne l'aurais pas trouvée. N'est-ce pas,
Maître, qu'elle est bonne ?"
"Très bonne. Et je suis sûr que Marziam l'aimera, même si elle ne
s'appelle pas Marie. N'est-ce pas, Marziam ?"
"Oui. Elle, elle s'appelle "maman" et les mères sont bonnes et
on les aime."
214.3 – Puis Judas raconte ce qu'il a
fait pendant la journée. Je comprends qu'il est allé prévenir sa mère de leur
arrivée et qu'ensuite il a commencé à parler dans les campagnes de Kérioth
avec André pour compagnon. Il dit ensuite :
"Demain je voudrais que vous veniez tous, pourtant. Je ne veux pas être
le seul à briller. Nous irons, autant que possible un juif avec un galiléen.
Moi, par exemple avec Jean, et Simon avec Thomas. Si l'autre Simon pouvait
venir ! Quant à vous deux (et il indique les fils d'Alphée) vous pouvez
aller ensemble. J'ai dit, même à ceux qui ne voulaient pas le savoir, que
vous étiez les frères du Maître et aussi vous deux (il montre Philippe et
Barthélemy) vous pouvez aller ensemble. J'ai dit que Nathanaël est un rabbin
venu à la suite du Maître. C'est une chose qui fait impression. Et... il
reste vous trois. Mais dès l'arrivée du Zélote on pourra faire un couple de
plus. Et puis nous alternerons parce que je veux qu'ils vous connaissent
tous..."
Judas est plein d'entrain.
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437> "J'ai parlé sur le décalogue,
Maître, en cherchant à mettre en lumière spécialement les points auxquels je
sais que cette région est plus infidèle..."
"N'aie pas la main lourde, Judas. Je t'en prie. Aie toujours présent à
ton esprit que la douceur obtient plus que l'intransigeance et que tu es un
homme, toi aussi. Examine-toi donc et réfléchis comme il t'est facile à toi
aussi de tomber et comme tu te fâches pour des reproches trop
ouverts "dit Jésus pendant que la mère de Judas baisse la tête en
rougissant.
"Ne crains pas, Maître, je m'efforce de t'imiter en tout. Cependant dans
le pays que nous voyons par cette porte même (ils mangent avec les portes
ouvertes et on découvre un bel horizon de cette pièce surélevée) il y a un
infirme qui voudrait guérir et on ne peut le transporter. Voudrais-tu venir
avec moi ?"
"Demain, Judas, demain matin sans faute. Et s'il y a d'autres malades,
dites-le-moi et conduisez-moi à eux."
"Veux-tu vraiment combler de bienfaits ma patrie, Maître ?"
"Oui, pour qu'on ne dise pas que j'ai été injuste envers ceux qui ne
m'ont pas fait de mal. Je fais du bien même aux méchants ! Pourquoi pas
alors aux gens honnêtes de Kérioth ? Je veux laisser de Moi un souvenir ineffaçable..."
"Mais comment ? Nous ne revenons plus ici ?"
"Nous reviendrons encore, mais..."
214.4 – "Voici la Mère, la Mère
avec Simon ! "s'écrie l'enfant qui voit Marie et Simon monter
l'escalier qui mène à la terrasse sur laquelle est la pièce.
Tous se lèvent et vont à la rencontre des deux qui arrivent. Bruits
d'exclamations, de salutations, de sièges qu'on remue. Mais rien ne détourne
Marie de saluer d'abord Jésus et puis la mère de Judas qui s'est profondément
inclinée et que Marie au contraire redresse et embrasse comme si c'était une
chère amie retrouvée après une longue absence.
Ils rentrent dans la pièce, et Marie de Judas commande à la servante de
nouveaux aliments pour ceux qui viennent d'arriver.
"Voici, Fils, le salut d'Élise "dit Marie et elle donne à
Jésus un petit rouleau qu'il ouvre et lit.
Il dit ensuite :
"Je le savais, j'en étais certain. Merci, Maman, pour Moi et pour Élise.
Tu es vraiment la santé des infirmes !"
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438> "Moi ? Toi, Fils. Pas
moi."
"Toi, et tu es ma plus grande aide. "
Puis il se tourne vers les apôtres et vers les femmes disciples et il
dit :
"Élise écrit : "Reviens, ma Paix. Je veux non seulement
t'aimer mais te servir". Et ainsi nous avons relevé de l'angoisse, de la
mélancolie, une créature et nous avons gagné une disciple. Nous reviendrons,
oui."
"Elle veut connaître aussi les femmes disciples. Elle revient lentement,
mais sans arrêt. Pauvre chérie ! Elle a encore des moments de
défaillance et de peur. N'est-ce pas, Simon ? Un jour elle a voulu
essayer de sortir avec moi, mais elle a vu un ami de son Daniel... et nous
avons eu beaucoup de mal à calmer son chagrin. Mais Simon est si brave !
Il m'a suggéré, puisqu'elle éprouve le désir de rentrer dans le monde mais
que le monde de Bet-Çur (Bethsur) est trop plein de souvenirs pour elle,
d'appeler Jeanne. Et il est allé l'appeler. Elle était revenue, après les
fêtes, à Béther auprès de ses splendides roseraies de Judée. Simon dit qu'il
lui semblait rêver en traversant ces collines couvertes de rosiers, il
croyait être au Paradis. Elle est venue tout de suite. Elle a pu comprendre
et compatir avec une mère qui pleure ses fils ! Élise s'est beaucoup
attachée à elle et moi je suis venue. Jeanne veut la persuader de sortir de
Bet-Çur et d'aller dans son château. Et elle y réussira car elle est douce
comme une colombe mais ferme comme du granit quand elle le veut."
"Nous irons à Bet-Çur au retour, et puis nous nous séparerons. Vous, les femmes disciples, vous resterez quelque temps avec Élise et
Jeanne. Nous, nous parcourrons la Judée et nous nous retrouverons à Jérusalem
pour la Pentecôte"...
214.5 – Marie la Très Sainte et Marie
mère de Judas sont ensemble. Non pas dans la maison de ville mais dans celle
de campagne. Elles sont seules. Jésus et les apôtres sont dehors. Les femmes
disciples et l'enfant sont dans la splendide pommeraie et on entend leurs
voix qui se mêlent au bruit du linge que l'on bat au lavoir. Peut-être
qu'elles font la lessive pendant que l'enfant joue.
La mère de Judas est assise dans une pièce dans la pénombre à côté de Marie
et elle lui parle :
"Ces jours paisibles
resteront en moi comme un doux rêve. Trop courts ! Trop ! Je
comprends qu'on ne doit pas être égoïste et qu'il est juste que vous alliez
chez cette pauvre femme et vers tant d'autres malheureux.
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439> Mais si je pouvais ! Si je
pouvais arrêter le temps, où venir avec vous !... Mais je ne peux pas.
Je n'ai pas de parents en dehors de mon fils et je dois m'occuper des biens
de la maison..."
"Je comprends... C'est une douleur de
te séparer de ton fils. Nous mères, nous voudrions être toujours avec nos
enfants. Mais nous les donnons pour une bien grande cause et nous ne les
perdons pas. La mort même ne nous enlève pas nos enfants, s'ils sont eux, et
si nous sommes nous, dans la grâce aux yeux de Dieu. Mais nous les avons
encore sur la terre, même si la volonté de Dieu les arrache à notre sein pour
les donner au monde, pour le bien de ce monde. Nous pouvons toujours les
rejoindre et même l'écho de leurs œuvres nous donne comme une caresse au
cœur, car leurs œuvres sont le parfum de leurs âmes."
214.6 – "Qu'est-il ton Fils, pour
toi, Femme ?" demande doucement Marie de Judas.
Et la Très Sainte Marie répond avec assurance :
"C'est ma joie."
"Ta joie !!!... " et puis la mère de Judas fond en larmes
en se courbant sur elle-même, comme pour cacher son chagrin. Son front touche
pour ainsi dire ses genoux, tant elle est repliée sur elle-même.
"Pourquoi pleures-tu, ma pauvre amie ? Pourquoi ? Dis-le-moi.
Je suis heureuse dans ma maternité, mais je sais comprendre aussi les mères
qui ne le sont pas..."
"Oui, les mères qui ne sont pas heureuses ! Et je suis une de
celles- ci. Ton Fils est ta joie... Le mien est ma douleur. Il l'était, du
moins. Maintenant, depuis qu'il est avec ton Fils, il m'afflige moins.
Oh ! parmi tous ceux qui prient pour ton saint Fils, pour son bien et
son triomphe, il n'y en a pas une, après toi, bienheureuse, qui prie autant que cette malheureuse qui te parle... Dis-moi
la vérité : que penses-tu de mon fils ? Nous sommes deux mères,
l'une en face de l'autre. Entre nous, il y a Dieu. Et nous parlons de nos
fils. Tu ne peux que trouver facile de parler du tien. Moi... moi, je dois me
faire violence pour parler du mien. Mais pourtant, quel bien ou quelle
douleur peut me venir de cette conversation ! Et même si c'est de la
douleur, ce sera toujours un soulagement d'en avoir parlé...
Cette femme de Bet-Çur a été presque folle de la mort de ses fils, n'est-ce
pas ?
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440> Mais je te jure que parfois j'ai
pensé et que je pense en regardant mon Judas, beau, en pleine santé mais qui
n'est pas bon, pas vertueux, qui n'a pas l'âme droite, dont les sentiments ne
sont pas sains, que je préférerais le pleurer mort plutôt que de le savoir...
de le savoir très mal vu de Dieu. Toi, dis-moi, que penses-tu de mon
fils ? Sois franche. Cela fait plus d'un an que cette question me brûle
le cœur. Mais à qui le demander ? Aux habitants ? Eux ne savaient
pas encore qu'il y avait le Messie et que Judas voulait aller avec Lui. Moi,
je le savais. Il me l'avait dit en venant ici, après la Pâque, exalté,
violent, comme toujours quand il a un caprice et comme toujours plein de
mépris pour les conseils de sa mère. À ses amis de Jérusalem ? Une
sainte prudence et une pieuse espérance me retenaient de le faire. Je ne
voulais pas leur dire à eux, que je ne peux pas aimer parce qu'ils ont tout
sauf la sainteté : "Judas suit le Messie". Et j'espérais que
son caprice tomberait comme tant d'autres, comme tous, me causant bien sûr
des larmes et des déplaisirs comme à plus d'une jeune fille ici et ailleurs
qu'il a énamourée et puis n'a jamais épousée. Tu ne sais pas qu'il y a des
endroits où il ne va plus parce qu'il pourrait s'y trouver justement châtié ?
Même son engagement au Temple fut un caprice. Il ne sait pas ce qu'il veut.
Jamais. Son père, que Dieu lui pardonne, l'a gâté. Les deux hommes de la
maison ne m'ont jamais écoutée. Je n'ai eu qu'à pleurer et réparer avec des
humiliations de toutes sortes... Quand Joanna est morte - et bien que
personne ne l'eût dit, je sais qu'elle mourut de chagrin quand, après avoir
attendu pendant toute sa jeunesse, Judas lui déclara qu'il ne voulait pas se
marier, alors qu'il était connu qu'à Jérusalem il avait envoyé des amis pour
demander sa fille à une femme riche et qui possédait des comptoirs jusqu'à
Chypre - j'ai dû pleurer beaucoup, beaucoup à cause des reproches que me fit
la mère de la jeune morte, comme si j'avais été complice de mon fils. Non. Je
ne le suis pas, mais je ne suis rien auprès de lui.
L'an passé, quand le Maître fut ici, je me rendis compte que Lui avait
compris... et je fus sur le point de parler. Mais il est douloureux pour une
mère de devoir dire : "Crains mon fils. Il est avide, il a le cœur
dur, c'est un vicieux, un orgueilleux, un instable". Et cela, il l'est.
Moi... moi je prie pour qu'un miracle, Lui qui en fait tant, ton Fils le
fasse sur mon Judas... Mais toi, toi, dis-moi : que penses-tu de
lui ?"
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441> 214.7 – Marie, qui est restée toujours
silencieuse et avec une expression de douloureuse pitié devant ces
lamentations maternelles auxquelles son âme droite ne peut donner un démenti,
dit doucement :
"Pauvre mère !... Qu'est-ce que je pense ? Oui ton fils n'est
pas l'âme limpide de Jean, ni le doux André, il n'a pas la fermeté de
Matthieu qui a voulu se convertir et qui l’a fait. C'est... un instable, oui,
c'est cela. Mais nous prierons tant pour lui, toi et moi. Ne pleure pas.
Peut-être que dans ton amour de mère qui voudrait pouvoir être fière du fils,
tu le vois pire qu'il ne l'est..."
"Non ! Non ! Je vois juste et j'ai tellement peur."
La pièce est pleine des plaintes de la mère de Judas et, dans la pénombre, se
blanchit le visage de Marie devenu plus pâle, après ces aveux maternels qui
avivent tous les soupçons de la Mère du Seigneur.
Mais elle se maîtrise. Elle attire à elle la mère malheureuse et la caresse,
alors que celle-ci, une fois rompues les digues de la retenue, raconte
confusément, fiévreusement toutes les duretés, les exigences, les violences
de Judas, et pour terminer :
"Je rougis pour lui quand je me vois l'objet des attentions affectueuses
de ton Fils ! Je ne le Lui demande pas, mais je suis sûre qu'en plus de
la bonté qu'elles expriment, il agit ainsi pour dire, par ses actes, à
Judas : "Souviens-toi que c'est ainsi qu'on traite la mère".
Maintenant, maintenant il me semble toute bonté... Oh ! Si c'était
vrai ! Aide-moi, aide-moi par ta prière, toi qui es sainte, pour que mon
fils ne soit pas indigne de la grande grâce que Dieu lui a accordée !
S'il ne veut pas m'aimer, s'il ne veut pas être reconnaissant envers moi, qui
l'ai enfanté et élevé, cela n'est rien. Mais qu'il sache aimer réellement
Jésus, qu'il sache le servir avec fidélité et reconnaissance. Si cela ne
devait pas être, alors... alors que Dieu lui ôte la vie. Je préfère l’avoir
au tombeau... je l'aurais finalement car, depuis qu'il a eu la raison, il m'a
bien peu appartenu. Mort plutôt que mauvais apôtre. Puis-je prier
ainsi ? Qu'en dis-tu ?"
"Prie le Seigneur qu'il fasse pour le mieux. Ne pleure plus. J'ai vu des
prostituées et des gentils aux pieds de mon Fils et, avec eux, des publicains
et des pécheurs. Devenus tous des agneaux par sa Grâce. Espère, Marie, espère. Les peines des mères sauvent les
enfants, ne le sais-tu pas ?..."
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