Le vendredi 6 juin 1945.
406> 210.1 – "Mais je ne crois pas que
vous ayez l'intention de faire un pèlerinage à tous les lieux célèbres
d'Israël" dit ironiquement l'Iscariote qui discute dans un groupe où se
trouvent Marie d'Alphée et Salomé, outre André et Thomas.
"Pourquoi pas ? Qui est-ce qui l'empêche ?" demande Marie
de Cléophas.
"Mais moi. Ma mère m'attend depuis longtemps..."
"Mais vas-y chez ta mère, nous te rejoindrons après" dit Salomé, et
elle semble ajouter mentalement : "Personne ne souffrira de ton
absence."
"Ce n'est pas cela ! J'y vais avec le Maître. Déjà il n'y a plus la
Mère, comme c'était entendu. Et cela vraiment n'aurait pas dû se faire parce
que c'était promis qu'elle y serait venue."
"Elle s'est arrêtée à Bet-Çur pour une œuvre charitable. Cette femme
était bien malheureuse."
"Jésus pouvait la guérir tout d'un coup. Il n'avait pas besoin de la
faire revenir graduellement à un état normal. Je ne sais pas pourquoi maintenant
il n'aime plus faire des miracles éclatants."
"S'il a agi ainsi, il aura eu de saintes raisons" dit calmement
André.
"Ah ! Oui ! C'est ainsi qu'il perd des prosélytes.
210.2 – Le séjour à Jérusalem !
Quelle déception ! Plus il faut de choses qui fassent du bruit et plus
il se cache dans l'ombre. Je m'étais tant promis de voir, de
combattre..."
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407> "Excuse ma question... Mais
que voulais-tu voir et qui voulais-tu combattre ?" demande Thomas.
"Quoi ? Qui ? Mais
voir ses œuvres miraculeuses et puis pouvoir tenir tête à ceux qui prétendent
que c'est un faux prophète et un possédé. Car cela, on le dit.
Comprends-tu ? On dit que si Belzébuth ne le soutient pas, il n'est
qu'un pauvre homme. Et comme l'humeur capricieuse de Belzébuth est bien
connue, et on sait qu'il se plaît à prendre et à quitter, comme fait le
léopard avec sa proie, et comme les faits justifient cette façon de voir, je
m'inquiète en pensant que Lui ne fait rien. Quelle piètre figure que nous
faisons ! Les apôtres d'un Maître... qui ne fait qu'enseigner, cela
n'est pas niable, mais rien d'autre."
Judas s'est arrêté brusquement après le mot "Maître" et cela me
fait penser qu'il devait dire quelque chose de pire.
Les femmes sont abasourdies et Marie d'Alphée, en tant que parente de Jésus,
dit clairement :
"Ce n'est pas de cela que je m'étonne, mais de ce que Lui te supporte,
garçon !"
Mais André, lui qui est toujours doux, perd patience, et rouge, devenu
furieux, semblable pour cette fois à son frère, il crie :
"Mais, va-t’en ! Et ne fais plus piètre
figure à cause du Maître ! Et qui t'a appelé ? Nous, il nous a
voulus, mais toi, non. Tu as dû insister plusieurs fois pour te faire
accepter. Toi, tu t'es imposé. Je ne sais ce qui me retient de tout faire
savoir aux autres..."
"Avec vous il est impossible de parler. Ils ont raison ceux qui vous
disent querelleurs et ignorants..."
Thomas plaisante pour détourner la bourrasque qui approche :
"Voilà, vraiment, moi aussi je ne comprends pas du tout où tu trouves
l'erreur chez le Maître. Je n'étais pas au courant de ces humeurs
capricieuses du démon. Le pauvre ! Sûrement qu'il ne doit pas être
intelligent. S'il avait été équilibré, il ne se serait pas révolté contre
Dieu, mais je vais en prendre note."
"Ne plaisante pas, car moi, je ne plaisante pas. Peux-tu dire peut-être
qu'à Jérusalem il s'est fait connaître ? Lazare aussi l'a dit, du
reste..."
Thomas éclate de rire, et bruyamment. Puis, riant encore, et son rire a déjà
désorienté l'Iscariote, il dit :
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408> "Il n'a rien fait ? Va
donc le demander aux lépreux de Siloan et de Hinnom. Ou plutôt pas à Hinnom,
car il n'y a plus de lépreux, ils sont tous guéris. Si tu n'étais pas là, car
tu avais hâte de t'en aller chez des... amis et que par conséquent tu n'es
pas au courant, cela n'empêche pas que les vallées de Jérusalem et même
beaucoup d'autres résonnent des hosannas de ceux qui ont été guéris."
Thomas a pris pour finir un ton sérieux.
210.3 – Et il ajoute sévèrement :
"Tu as une crise de bile, ami, et elle te fait trouver tout amer et tout
voir en noir. Ce doit être une maladie récurrente chez toi. Et crois bien
qu'il est peu agréable de vivre avec quelqu'un qui est comme toi. Il faut te
changer. Moi, je n'irai rien dire à personne et si ces braves femmes veulent
bien m'écouter elles resteront silencieuses comme moi et ainsi fera André.
Mais il faut changer. Ne te crois pas déçu car il n'y a pas de déception. Ne
te crois pas nécessaire car le Maître sait ce qu'il fait. Ne prétends pas
être le maître du Maître. Si Lui, pour cette pauvre femme d'Élise, a agi
ainsi, c'est qu'il était bien d'agir de la sorte. Laisse les serpents siffler
et cracher comme il leur plaît. Ne te soucie pas de te faire
l'intermédiaire entre eux et Lui, et encore moins de penser que tu te
déconsidères en restant avec Lui. Même s'il ne guérissait plus même un simple
rhume, cela ne l'empêcherait pas d'être toujours puissant. Sa parole est un
continuel miracle. Et mets-toi en paix. Nous n'avons pas les archers à nos
trousses ! Nous arriverons, bien sûr, nous arriverons à convaincre le
monde que Jésus est Jésus. Et sois tranquille aussi que si Marie a promis de
venir chez ta mère, elle y viendra. Nous, pendant ce temps, nous voyageons en
pèlerins à travers ces belles contrées, c'est notre travail ! Et, bien
sûr ! Nous faisons plaisir aux femmes disciples en allant voir le
tombeau d'Abraham, son arbre,
et puis la tombe de Jessé
et... quoi d'autre avez-vous dit ?"
"On dit que c'est ici l'endroit où Adam habita et où Abel fut tué..."
"Les habituelles légendes absurdes..." bougonne Judas.
"Dans un siècle, on dira que c'est une légende la Grotte de Bethléem, et
tant d'autres choses !
210.4 – Et puis, excuse-moi ! Tu
as voulu aller dans cette puante caverne d'En-Dor
qui, tu dois en convenir, n'appartenait pas à un... cycle saint, il ne te
semble peut-être pas ? Et elles vont où l'on dit qu'il y a du sang et
des cendres de saints. En-Dor nous a donné Jean, et qui sait..."
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409> "Une belle acquisition que
Jean !" grommelle l'Iscariote.
"Pas en son visage, mais dans son âme, il peut être meilleur que
nous."
"Lui alors ! avec ce passé !"
"Tais-toi. Le Maître a dit que nous ne devons pas le rappeler."
"Bien commode ! Je voudrais voir, si moi je faisais quelque chose
de semblable, si vous ne vous en souviendriez pas !"
"Adieu, Judas. Il vaut mieux que tu sois seul. Tu es trop agité. Si, au
moins, tu savais ce que tu as !"
"Ce que j’ai, Thomas ? J'ai que je vois que l'on nous délaisse pour
les premiers venus. J'ai que je vois qu'on préfère tout le monde à moi. J'ai
que je remarque comment on attend que je sois absent pour enseigner à prier.
Et tu veux que ces choses me fassent plaisir ?"
"Cela ne fait pas plaisir. Mais je te fais observer que si tu étais venu
avec nous pour le Souper de la Pâque, tu aurais été aussi avec nous sur le
mont des Oliviers, quand le Maître nous enseigna la prière. Je ne vois pas en
quoi nous sommes délaissés pour les premiers venus. Est-ce de ce pauvre petit
innocent que tu parles, ou bien de ce malheureux Jean ?"
"De l'un et de l'autre. Jésus ne nous parle pour ainsi dire plus.
Regarde-le, encore maintenant... Il est là qui s'attarde à parler, à parler
avec l'enfant. Il Lui faudra attendre un bon moment avant qu'il puisse le
mettre parmi les disciples ! Et puis l'autre ne le sera jamais. Trop
orgueilleux, cultivé, endurci et de tendances mauvaises. Et pourtant :
"Jean par ci... Jean par là"..."
"Père Abraham, donne-moi la patience ! Et, en quoi te paraît-il que
le Maître préfère les autres à toi ?"
"Mais, ne, vois-tu pas, même maintenant ? Le moment venu de quitter
Bet-Çur, après un séjour pour instruire trois bergers qui pouvaient très bien
être instruits par Isaac, qui laisse-t-il avec sa Mère ? Moi, toi ?
Non. Il laisse Simon, un vieux qui pour ainsi dire ne parle pas… !"
"Mais le peu qu'il dit est toujours bien dit." réplique Thomas seul
désormais, car les femmes et André se sont séparés et vont rapidement de
l'avant comme pour fuir une portion de route toute ensoleillée.
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410> 210.5 – Les deux apôtres sont
tellement échauffés qu'ils ne remarquent pas l'arrivée de Jésus parce que le
bruit de ses pas se perd tout à fait dans le nuage de poussière de la route.
Mais, si Lui ne fait pas de bruit, eux crient comme dix et Jésus les entend.
Derrière Lui, il y a Pierre, Mathieu, les deux cousins du Seigneur, Philippe
et Barthélemy et les deux fils de Zébédée qui ont avec eux Marziam.
Jésus dit :
"Tu as bien dit, Thomas. Simon parle peu, mais le peu qu'il dit, c'est
toujours bien. C'est un esprit pacifié et un cœur honnête. C'est surtout une
grande bonne volonté. C'est pour cela je l'ai laissé avec ma Mère. C'est un
parfait honnête homme, et en même temps, quelqu'un qui sait vivre, qui a
souffert et qui est âgé. Par conséquent - je parle parce que je suppose qu'il
y a quelqu'un à qui le choix paraît injuste - par conséquent il était plus
indiqué que ce soit lui qui reste. Je ne pouvais pas, Judas, permettre que ma
Mère restât seule près d'une pauvre femme encore malade. Et il était juste
que je la quitte. La Mère mènera à bonne fin le travail que j'ai commencé.
Mais je ne pouvais pas non plus la laisser avec mes frères, ni avec André,
Jacques ou Jean, ni même avec toi. Si tu n'en comprends pas les raisons, je
ne sais que dire..."
"Parce que ta Mère est jeune, belle et les gens..."
"Non ! Les gens auront toujours de la fange dans leur pensée, sur
leurs lèvres, dans leurs mains et surtout dans leur cœur, les gens sans
honnêteté qui voient en tous les sentiments qu'ils éprouvent eux-mêmes, mais
je ne me soucie pas de leur fange. Elle tombe d'elle-même quand elle est sèche. Mais j'ai préféré Simon parce qu'il
est âgé et ne rappellerait pas trop ses fils morts à cette femme désolée.
Vous, les jeunes, les lui auriez rappelés par votre jeunesse... Simon sait
veiller et il sait ne pas se faire entendre, il n'exige jamais rien, il sait
compatir, il sait se surveiller. J'aurais pu prendre Pierre. Qui mieux que
lui pourrait être auprès de ma Mère ? Mais il est encore trop impulsif.
Tu vois que je le lui dis en face et lui ne s'en formalise pas. Pierre est
sincère, et aime la sincérité même à son détriment. Je pouvais prendre
Nathanaël. Mais il n'a jamais été en Judée. Simon, au contraire, connaît bien
le pays et il sera précieux pour conduire la Mère à Kérioth. Il sait aussi où
se trouve ta maison de campagne et celle de la ville et il ne fera..."
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411/412> 210.6 – "Mais... Maître !...
Mais ta Mère viendra vraiment chez la mienne ?"
"Mais, c'est dit. Et quand une chose est dite, on la fait. Nous irons
lentement en nous arrêtant dans ces pays pour évangéliser. Ne veux-tu pas que
j'évangélise ta Judée ?"
"Oh ! oui, Maître... Mais je croyais... mais je pensais..."
"Mais, par-dessus tout, tu te faisais de la peine pour des chimères que
tu avais rêvées. Au second quartier de la lune de Ziv, nous serons tous chez
ta mère. Nous, c'est-à-dire ma Mère aussi avec Simon. Pour le moment,
elle évangélise Bet-Çur, ville juive, comme Jeanne évangélise Jérusalem et
avec elle une jeune fille et un prêtre,
jadis lépreux, comme Lazare avec Marthe et le vieil Ismaël évangélisent
Béthanie, comme à Yutta Sara évangélise et, à Kérioth, certainement ta mère
parle du Messie. Tu ne peux certainement pas dire que je laisse la Judée sans
voix. Mais, au contraire, je lui donne à elle, fermée et arrogante plus que
les autres régions, les voix les plus douces, celles des femmes en plus de
celles d'Isaac qui est saint et de Lazare mon ami. Les femmes qui joignent à
la parole l'art subtil de la femme qui sait amener les âmes au point où elle
veut. Tu ne parles plus ? Pourquoi es-tu sur le point de pleurer, grand
enfant capricieux ? A quoi te sert-il de t'empoisonner avec des ombres
chimériques ? As-tu encore des motifs d'inquiétude ? Allons !
Parle..."
"Je suis mauvais... et tu es tellement bon. Ta bonté me frappe toujours
plus car elle est toujours si fraîche, si nouvelle... Moi... je ne sais
jamais parler quand je la trouve sur mon chemin."
"Tu as dit vrai. Tu ne peux savoir mais c'est parce qu'elle n'est ni
fraîche, ni nouvelle. Elle est éternelle, Judas. Elle est partout présente,
Judas...
210.7 – Oh ! nous voici dans les
environs d'Hébron et Marie et Salomé avec André nous font de grands
gestes. Allons. Ils parlent avec des hommes. Ils ont dû demander où sont les
lieux historiques. Ta mère rajeunit, mon frère, à cette nouvelle
évocation !"
Jude Thaddée sourit à son cousin qui sourit à son tour.
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