| Le mardi 19 juin
  1945. 268>  194.1 - Comme un fleuve se gonfle en
  recevant de nouveaux affluents, ainsi la route de Sichem à Jérusalem
  fourmille toujours plus de voyageurs, au fur et à mesure que par des chemins
  secondaires les pays y déversent leurs fidèles qui se dirigent vers la Cité
  sainte. Cette affluence aide Pierre à tenir distrait l'enfant qui côtoie les
  collines natales sous la terre desquelles ont été ensevelis ses parents, sans
  s'en apercevoir. 
 Après une longue marche interrompue, depuis qu'on a laissé
  sur la gauche Silo qui se dresse sur sa montagne, pour prendre un peu de
  repos et de nourriture dans une verte vallée où résonnent des eaux pures et
  cristallines. Puis les voyageurs se remettent en route et
  franchissent une colline calcaire plutôt dénudée sur laquelle le soleil darde
  ses rayons sans pitié. On commence la descente par une série de très beaux
  vignobles qui ornent de leurs festons les pentes des montagnes calcaires,
  ensoleillées à leurs cimes.
 
 Pierre a un fin sourire et fait un signe à Jésus qui sourit à son tour.
  L'enfant ne remarque rien, attentif comme il l'est à écouter Jean d'Endor qui
  lui parle d'autres pays qu'il a visité qui produisent des raisins très doux
  qui pourtant ne servent pas tant pour le vin que pour faire des friandises
  meilleures que les fouaces au miel.
 
 Haut
  de page.
 
 269>
  194.2 - Voici une nouvelle montée
  beaucoup plus escarpée. La troupe des apôtres, abandonnant la route
  principale poussiéreuse et encombrée, a préféré prendre ce raccourci par les
  bois. Arrivés à la cime, voilà que brille dans le lointain, distinctement
  déjà, une mer de lumière qui surplombe une agglomération toute blanche,
  peut-être des maisons blanchies à la chaux. 
 "Yabeç (Jabè), appelle Jésus, viens ici. Tu vois ce point brillant comme
  l'or ? C'est la Maison du Seigneur. C'est là que tu jureras d'obéir à la
  Loi. Mais la connais-tu bien ?"
 
 "Maman m'en parlait et mon père m'enseignait les commandements. Je sais
  lire et... et je crois savoir ce qu'ils m'ont dit avant de
  mourir..."
 
 L'enfant, accouru avec un sourire à l'appel de Jésus, pleure maintenant,
  baissant la tête et tenant sa main tremblante dans la main de Jésus.
 
 "Ne pleure pas. Écoute. Sais-tu où nous sommes ? À Béthel, où le saint Jacob fit son songe
  angélique[1]. Le connais-tu ? T'en
  souviens- tu ?"
 
 
  "Oui, Seigneur. Il vit une échelle qui
  allait de la terre au Ciel par où les anges montaient et descendaient. Maman
  me disait qu'à l'heure de la mort, si on avait été toujours bon, on voyait la
  même chose et qu'on allait par cette échelle à la maison de Dieu. Maman me
  disait tant de choses... Mais maintenant elle ne me les dit plus... je les ai
  toutes ici et c'est tout ce que je possède d'elle..." Les larmes
  descendent sur le petit visage, si triste. 
 "Mais, ne pleure pas ainsi ! Écoute, Yabeç. J'ai Moi aussi une Mère
  qui s'appelle Marie, et qui est sainte et bonne et qui sait dire tant de
  choses. Elle est plus sage qu'un maître et meilleure et plus belle qu'un
  ange. Maintenant nous allons la trouver, et elle t'aimera tant. Elle te dira
  tant de choses. Et puis avec elle il y a la mère de Jean, elle aussi si bonne
  et qui s'appelle Marie. Et puis la mère de mon frère Jude, elle aussi douce
  comme un rayon de miel et qui, elle aussi, a le nom de Marie. Elles t'aimeront tant car tu es un brave enfant, et par amour pour
  Moi qui t'aime tant. Et puis, tu grandiras avec elles et, devenu grand, tu
  seras un saint de Dieu. Tu prêcheras comme un docteur le Jésus qui t'a rendu
  une mère ici, et qui ouvrira les portes du Ciel à ta mère morte, à ton père,
  et qui les ouvrira aussi à toi, quand ce sera ton heure. Tu n'auras même pas
  besoin de monter la longue échelle des Cieux à l'heure de la mort. Tu l'auras
  déjà montée durant ta vie en étant un bon disciple, et tu te trouveras là,
  Sur le seuil Ouvert du Paradis et Moi, j'y serai et je te dirai :
  "Viens, mon ami et fils de Marie" et nous serons ensemble."
 
 Haut
  de page.
 
 270>
  Le sourire lumineux de Jésus qui marche, un peu penché pour être plus près du
  petit visage de l'enfant qui marche à côté de Lui, sa petite main dans la
  sienne, et le récit merveilleux sèchent les larmes et font épanouir un
  sourire.
 
 
  194.3 - L'enfant, qui n'est pas sot,
  mais qui est seulement accablé par tant de souffrances et de privations qu'il
  a subies, intéressé par l'histoire, demande : 
 "Mais tu dis que tu ouvriras les portes
  des Cieux. Ne sont-elles pas fermées à cause du grand Péché ? Maman me
  disait que personne n'y pouvait entrer tant que ne serait pas venu le pardon
  et que les justes l'attendaient dans les Limbes."
 
 "Il en est ainsi. Mais, ensuite, j'irai vers le Père, après avoir
  annoncé la parole de Dieu et... et vous avoir obtenu le pardon, et je
  dirai : "Père, maintenant j'ai accompli entièrement ta volonté.
  Maintenant je veux la récompense de mon sacrifice. Que viennent les justes
  qui attendent ton Royaume". Et le Père me dira : "Qu'il en
  soit comme tu veux". Et alors, je descendrai appeler tous les justes et
  les Limbes ouvriront leurs portes au son de ma voix, et sortiront dans
  l'allégresse les saints Patriarches, les lumineux Prophètes, les femmes
  bénies d'Israël et puis sais-tu combien d'enfants ? Comme une prairie en
  fleurs, des enfants de tous âges ! Et, en chantant, ils me suivront en
  montant au beau Paradis."
 
 "Y aura-t-il ma maman ?"
 
 "Certainement."
 
 "Tu ne m'as pas dit qu'elle sera avec Toi à la porte du Ciel quand moi
  aussi je serai mort..."
 
 
  "Elle, et avec elle ton père, n'auront
  pas besoin d'être à cette porte, comme des anges lumineux ils ne cesseront
  pas de faire des vols du Ciel à la terre, de Jésus à leur petit Yabeç, et
  quand tu seras sur le point de mourir ils feront comme font ces deux oiseaux,
  là dans cette haie. Les vois-tu ?" 
 Jésus prend l'enfant dans ses bras pour qu'il voie mieux.
 
 "Tu vois comme ils restent sur leurs petits œufs ? Ils attendent qu'ils éclosent et après ils étendront leurs ailes sur
  leur couvée pour la protéger de tout mal et puis, quand leurs petits auront
  grandi et seront en état de voler, ils les soutiendront de leurs ailes
  puissantes et les amèneront là-haut, là-haut, là-haut... vers le soleil. Tes
  parents feront ainsi avec toi."
 
 Haut
  de page.
 
 271>
  "Ce sera vraiment ainsi ?"
 
 "Exactement ainsi."
 
 "Mais tu leur diras de se rappeler qu'ils viennent ?"
 
 "Il n'y en aura pas besoin, car ils t'aiment, mais je leur dirai."
 
 "Oh ! comme je t'aime !" L'enfant, encore dans les bras
  de Jésus se serre à son cou et le baise dans un épanchement si joyeux qu'il
  en est émouvant. Jésus lui rend son baiser et dépose l'enfant par terre.
 
 
  194.4 - "Oh ! bien !
  Maintenant nous poursuivons vers la Cité sainte. Nous devons y arriver demain
  soir. Pourquoi tant de hâte ? Saurais-tu me le dire ? Ne serait-ce
  pas aussi bien d'arriver après demain ?" 
 "Non. Ce ne serait pas la même chose car demain c'est la Parascève et,
  après le coucher du soleil, on ne peut parcourir que six stades[2]. On ne peut faire plus parce
  que le repos du sabbat est commencé."
 
 "On paresse donc pendant le sabbat ?"
 
 "Non, on prie le Seigneur Très-Haut."
 
 "Comment s'appelle-t-Il ?"
 
 "Adonaï. Mais les saints peuvent dire son Nom."
 
 "Et aussi les enfants sages. Dis-le, si tu le sais."
 
 "Jaavé" (ce petit le prononce ainsi : un G très doux qui
  devient presque un J, et avec un a très long).
 
 "Et pourquoi prie-t-on le Seigneur Très-Haut le jour du
  sabbat ?"
 
 "Parce qu'Il l'a dit à Moïse en lui donnant les tables de la Loi."
 
 "Ah ! oui ? Et qu'a-t-Il dit ?"
 
 "Il a dit de sanctifier le sabbat : Tu travailleras pendant six jours,
  mais le septième tu te reposeras et tu feras reposer, parce que Moi aussi
  j'ai agi ainsi après la création".
 
 "Comment ? Le Seigneur s'est reposé ? Il s'était fatigué à
  créer ? Et, c'est bien Lui qui a créé ? Comment le sais-tu ?
  Moi, je sais que Dieu n'est jamais fatigué."
 
 "Il n'était pas fatigué car Dieu ne marche pas et ne remue pas les bras.
  Mais Il l'a fait pour enseigner à Adam et à nous, et pour qu'il y ait un jour
  où nous pensions à Lui. Et c'est Lui qui a tout créé, certainement. Le Livre
  du Seigneur le dit."
 
 Haut
  de page.
 
 272>
  " Mais le Livre a-t-il été écrit par Lui ?"
 
 "Non. Mais c'est la Vérité et il faut le croire pour ne pas aller chez
  Lucifer."
 
 "Tu me dis que Dieu ne marche pas et ne remue pas les bras. Comment
  alors a-t-Il créé ? Comment est-Il ? Est-ce une statue ?"
 
 "Ce n'est pas une idole : c'est Dieu. Et Dieu est... Dieu est...
  laisse-moi réfléchir et me souvenir comme disait maman, et mieux qu'elle cet
  homme qui va en ton nom trouver les pauvres d'Esdrelon...
  Maman disait, pour me faire comprendre Dieu : "Dieu est comme mon
  amour pour toi. Il n'a pas de corps et pourtant il existe". Et ce petit
  homme, avec un sourire si doux disait : "Dieu est un Esprit
  Éternel, Un et Trin. Et la Seconde Personne a pris chair par amour pour nous
  les pauvres et son nom." Oh ! mon Seigneur ! Maintenant que
  j'y réfléchis... c'est Toi !" Et l'enfant, ébahi, se jette à terre
  en adorant.
 
 Tout le monde accourt, croyant qu'il est tombé, mais Jésus, un doigt sur les
  lèvres, fait signe qu'on se taise, puis il dit :
 
 "Lève-toi, Yabeç. Les enfants ne doivent pas avoir peur de
  Moi !"
 
 L'enfant redresse la tête en le révérant. Il regarde Jésus. Son expression
  est changée, presque craintive. Mais Jésus sourit et lui tend la main en
  disant :
 
 
  194.5 - "Tu es un sage, petit
  israélite. Continuons l'examen entre nous. Maintenant que tu m'as reconnu, tu
  sais si on parle de Moi dans le Livre ?" 
 "Oh ! oui, Seigneur ! Depuis le commencement jusqu'à
  maintenant. Tout parle de Toi. Tu es le Sauveur promis. Maintenant je
  comprends pourquoi tu ouvriras les portes des Limbes. Oh !
  Seigneur ! Seigneur ! Et tu m'aimes tant ?"
 
 "Oui, Yabeç."
 
 "Non, plus Yabeç. Donne-moi un nom qui veuille dire que tu m'as aimé,
  que tu m'as sauvé..."
 
 "Le nom, je le choisirai avec la Mère. D'accord ?"
 
 "Mais qu'il veuille dire exactement ceci. Et je le prendrai le jour où
  je deviendrai fils de la Loi."
 
 "Tu le prendras à partir de ce jour."
 
 On a dépassé Béthel et on fait halte dans une petite vallée fraîche et bien
  pourvue d'eau pour prendre de la nourriture.
 
 Haut
  de page.
 
 273/274>
  Yabeç est resté à moitié étourdi par la révélation et il mange en silence
  recevant avec vénération chaque bouchée que lui présente Jésus. Mais, peu à
  peu, il s'enhardit et après une belle récréation avec Jean, pendant que les
  autres reposent sur l'herbe verte, il revient vers Jésus avec Jean tout
  souriant et ils font un petit cercle à trois.
 
 "Tu ne m'as pas encore dit qui parle de Moi dans le Livre."
 
 "Les Prophètes, Seigneur. Et auparavant encore le Livre en parle après
  qu'Adam a été chassé et puis à Jacob, à Abraham et à Moïse... Oh !...
  Mon père me disait qu'il était allé chez Jean - pas lui, l'autre Jean, celui
  du Jourdain - et que lui, le grand Prophète t'appelait l'Agneau... Voilà,
  maintenant je comprends l'agneau de Moïse... La Pâque, c'est Toi !"
 
 Jean le taquine :
 
 "Mais quel est le Prophète qui a le mieux prophétisé de Lui ?"
 
 "Isaïe et Daniel, mais... Daniel me plaît davantage, maintenant que je
  t'aime comme mon père. Puis-je le dire ? Dire que je t'aime comme j'ai
  aimé mon père ? Oui ? Eh bien, maintenant je préfère Daniel."
 
 "Pourquoi ? Celui qui a tant parlé du Christ, c'est Isaïe."
 
 "Oui, mais il parle des souffrances du Christ. Au contraire, Daniel
  parle du bel ange et de ta venue. C'est vrai… lui aussi dit que le Christ
  sera immolé. Mais je pense que l'Agneau sera immolé d'un seul coup. Non comme
  disent Isaïe et David. Je pleurais toujours quand je les entendais lire et
  maman ne m'en parlait plus."
 
 Il est presque en larmes maintenant, pendant qu'il caresse la main de Jésus.
 
 "N'y pense pas pour l'instant. Écoute. Les commandements, tu les
  sais ?"
 
 "Oui, Seigneur, je crois les savoir. Dans le bois, je me les répétais
  pour ne pas les oublier et pour entendre la parole de maman et de mon père.
  Mais maintenant, je ne pleure plus (réellement il y a une grande lueur dans
  ses pupilles) parce que maintenant je te possède, Toi."
 
 Jean sourit et embrasse son Jésus en disant :
 
 "Mes propres paroles ! Tous ceux qui ont un cœur d'enfant ont le
  même langage."
 |