Le lundi 25 novembre 1946.
305> 533.1 – L'aube éclaire l'horizon. Le
bois d'oliviers qui couvre la colline s'éclaire tout doucement et sort de
l'ombre. Les troncs encore dans l'ombre sont invisibles alors que les
frondaisons argentées se montrent déjà. Il semble que du brouillard se soit
répandu sur la colline mais ce n'est que la grisaille des feuillages dans la
lumière incertaine du matin.
Jésus est
seul sous les oliviers, mais ce n'est pas le Gethsémani, car le Gethsémani
est parallèle, je dirai ainsi, au Moriah, alors qu'ici le Moriah reste en
face. Nous sommes donc au nord de Jérusalem, au-delà des tombeaux des rois.
Jésus prie encore et il ne cesse pas de le faire même quand le gazouillis des
oiseaux Lui indique que le jour est venu.
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306> C'est seulement
quand le premier rayon du soleil, maintenant levé, éclaire un point
d'or dans l'or jusqu'à ce moment plutôt terne des coupoles du Temple qu'il se
met debout, il se lève et secoue son manteau qui a des traces de terre et
quelques petites feuilles sèches attachées à la lourde étoffe. Il se lisse,
avec la main, la barbe et les cheveux et puis rajuste son vêtement et sa
ceinture, il observe les brides de ses sandales, remet son manteau et descend
en bas de la colline par un sentier à peine marqué entre les troncs.
Peut-être se dirige-t-il vers cette maisonnette à mi-pente du toit de
laquelle monte un peu de fumée. Mais non. Il tourne par un chemin plus large
qui descend vers la route principale qui mène à la ville.
533.2 – Derrière Lui, l'Iscariote
dégringole de la colline. Je dis dégringole car il court comme un fou pour
rejoindre le Maître, et arrivé à portée de voix, il l'appelle. Jésus
s'arrête. Judas le rejoint tout essoufflé :
"Maître... heureusement pour moi que j'ai pensé à venir te chercher ! Tu
t'en allais ainsi sans moi ? Hier soir tu me disais de t'attendre dans la
maison, que tu serais certainement venu. Au contraire..."
"N'ai-je pas dit à tout le monde de m'attendre à la Porte d'Hérode à
l'aurore. C'est l'aurore, et je vais à la Porte d'Hérode."
"Oui mais... c'était pour les autres. Nous deux nous étions
ensemble."
Ensemble ?"
Jésus est très sérieux.
"Mais oui, Maître. Nous sommes venus ensemble. Tu l'as voulu. Puis tu as
préféré aller prier tout seul, mais j'étais disposé à venir avec Toi."
"À Nobé, tu as montré clairement qu'il ne t'était pas agréable de passer
la nuit en prière avec ton Maître et je t'ai épargné de faire un acte de
vertu forcé. Il n'aurait servi à rien. Le bien, il faut savoir le faire
spontanément pour qu'il ait du parfum et qu'il soit fécond. Dans le cas
contraire, ce n'est qu'une... pantomime et parfois c'est pire qu'une
pantomime."
"Mais, moi...
533.3 – Pourquoi es-tu si sévère avec moi
depuis quelque temps ? Tu ne m'aimes plus ?"
"C'est avec plus de raison que Moi je pourrais te demander : tu ne
m'aimes plus ? Mais je ne te le demande pas parce que cette question serait
une chose inutile et que Moi, je ne fais jamais des choses inutiles."
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307> "Hé ! bien sûr ! Car tu sais
bien que je t'aime !"
"Je voudrais le savoir, Judas de
Kérioth. Et je voudrais pouvoir te dire : je sais que tu m'aimes. Mais de
même que je ne fais jamais de choses inutiles, ainsi je ne dis
jamais de paroles fausses.
Je ne te dis donc pas que je sais que tu m'aimes."
"Mais comment Maître ! Je ne t'aime pas ? Je ne travaille pas pour Toi ?
Peux-tu en douter ? Cela m'afflige. Moi qui dès que je comprends qu'une chose
t'afflige je ne la fais plus et je veille pour qu'elle ne soit pas faite !
Regarde : j'ai compris qu'il te déplaisait que je... sorte la nuit. Je ne
suis plus sorti. J'ai compris que te fatiguaient exagérément les discussions
de tes adversaires. Je suis allé — et on ne m'a pas épargné les offenses —
leur dire d'y renoncer, et tu vois que tu n'as plus été importuné, et
j'espère que tu ne le seras pas non plus au Temple. Tu n'es pas juste,
Maître, avec le pauvre Judas !"
"Tu es le premier, parmi ceux qui me suivent, à me taxer
d'injustice..."
"Oh ! pardon ! Mais tes paroles, ta sévérité, m'affligent tellement que
ne sais plus réfléchir. Cela m'affole, crois-le. Allons, ma paix, faisons la
paix entre nous. Je veux être avec Toi, comme si je n'étais qu'un avec Toi.
Ensemble toujours..."
"Autrefois, nous l'étions. Mais maintenant dis-moi, Judas : quand donc
le sommes-nous ?"
"Encore cette nuit-là ? Ou encore parce que je ne suis pas venu avec Toi
à Beth-Abara ? Mais tu sais pourquoi je ne suis pas venu. Pour ton bien... Et
cette nuit-là... Je suis un homme jeune, Seigneur ! Mais à part ces moments
où, je l'avoue, je puis m'être trompé, et même certainement où je me suis
trompé, je suis toujours près de Toi."
"Ce n'est pas du voisinage corporel que je parle, mais du voisinage
spirituel, de celui de la pensée et du cœur. Tu es loin, Judas, de ton
Sauveur, et tu t'en éloignes de plus en plus."
"Voilà ! Pour moi tous les reproches ! Et pourtant tu vois avec quelle
humilité je les reçois. Je t'ai dit : "Renvoie-moi". Tu m'as
retenu... et alors, que veux-tu de moi ?"
"Ce que je veux ! Je voudrais ne pas avoir
pris inutilement une Chair pour toi. C'est cela que je voudrais ! Mais
désormais tu appartiens à un autre père, à un autre pays, tu parles une autre
langue...
533.4 – Oh
! Que faire, mon Père, pour purifier le temple profané de celui qui est ton
fils et mon frère ?"
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308> Jésus pleure, très pâle, en parlant
à son Père.
Judas aussi prend un visage terreux et s'écarte un peu en silence. Jésus le
dépasse de quelques pas et descend, la tête penchée, enfermé dans sa douleur.
Et alors Judas fait un geste de mépris, de menace, je dirais de cruel
serment derrière l'Innocent. Son visage, jusqu'alors masqué par une patine
hypocrite de douceur et d'humilité, devient anguleux, dur, brutal, cruel.
Vraiment démoniaque.
Toute la haine, mais une haine qui n'est pas humaine, est dans le feu de ses
noires pupilles, et ce feu de haine se concentre sur la haute personne de
Jésus. Puis, après un haussement d'épaules et un coup de pied coléreux, Judas
met un point final à son raisonnement intérieur et il se remet en chemin,
après s'être repris, comme quelqu'un qui a pris une décision désormais
irrévocable.
533.5 – La ville est proche avec ses
murailles. Des gens se pressent aux portes : étrangers, maraîchers, habitants
des villages voisins. Parmi ceux qui sont près des murs se trouvent les onze
apôtres qui, voyant le Maître, vont à sa rencontre.
"Maître, pendant que nous attendions ici, il est venu un homme pour te
chercher. Il a dit que Valeria te prie d'aller près de la synagogue
des affranchis romains, mais d'y aller vraiment, qu'elle s'y trouvera."
"C'est bien. Nous allons y aller. Allons d'abord chez Joseph de
Sephoris car mon vêtement n'est pas
propre."
"Où as-tu dormi, Seigneur ?" demande Pierre.
"Nulle part, Simon. J'ai prié sur la colline et la terre était humide et
boueuse même. Tu vois."
"Pourquoi prier ainsi en plein air, Seigneur ? Cela pourrait te faire
mal..."
"Les éléments ne nuisent pas au Fils de l'homme. Les choses de Dieu sont
bonnes... Ce sont les hommes qui haïssent l'Homme."
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