Le lundi 2 octobre 1944.
434/435> 419.1 - Au bord du fleuve,
un village de quelques maisons très modestes. Ce doit être de là qu'est parti
Jésus quand il traversa en barque le Jourdain en crue. En effet je vois venir
à la rencontre de Jésus, qui avait envoyé en avant l'Iscariote et Thomas pour
Lui préparer le chemin, le passeur avec ses parents.
Le passeur, voyant de loin venir Jésus, hâte le pas et, arrivé devant
Jésus, s'incline en une très profonde révérence en disant :
"Tu arrives bien, ô Maître, pour nos malades. Ils t'attendent. J'ai
beaucoup parlé de Toi. Tout le village te salue par mon intermédiaire en
disant : "Béni le Messie du Dieu Très Haut"."
"La paix à toi et à ce village. Je suis ici pour vous. Vous ne
serez pas déçus dans vos espérances. Le Ciel aura pitié de celui qui croit.
Allons."
Et Jésus se met à côté du passeur pour se diriger vers le centre du
village.
Femmes, enfants, hommes se montrent sur les seuils et puis suivent le petit
cortège à mesure qu'il avance. À chaque mètre la foule augmente car il arrive
toujours des gens pour se joindre à ceux qui étaient déjà là. On salue, on
bénit, on invoque.
419.2 - "Maître"
crie une mère "mon enfant est malade. Viens, béni !"
Et Jésus se détourne vers une pauvre maison, met une main sur l'épaule de la
mère toute en larmes et il demande :
"Où est ton fils ?"
"Ici, Maître, viens."
Entrent dans la maison la mère, Jésus, le passeur, Pierre, Jean, le Thaddée
et des gens du peuple. Les autres se massent à la porte et allongent le cou
pour voir.
Dans un coin de la pauvre et sombre cuisine, il y a un petit lit près d'un
feu allumé et sur lui le petit cadavre d'un enfant d'environ sept ans. Je dis
un petit cadavre tellement il est réduit, jaunâtre, sans mouvement. Seul le
râle haletant de la petite poitrine, malade, je dirais, de tuberculose.
"Regarde, Maître. J'ai dépensé toutes mes ressources pour le sauver, au
moins lui. Je n'ai plus de mari. Mes deux autres enfants sont morts à peu
près au même âge que lui. Je l'ai conduit jusqu'à Césarée Maritime pour le
montrer à un médecin romain. Mais il n'a su que me dire :
"Résigne-toi. La carie le ronge". Regarde..."
Et la mère découvre le pauvre petit être en rejetant en arrière les
couvertures. Là où il n'y a pas de bandes, ce sont de petits os qui font
saillie sous une peau brûlée et jaunâtre. Mais seule une petite partie du
corps est découverte, l'autre est sous les bandes et les linges qui, lorsque
la mère les enlève, montrent les trous suintants caractéristiques de la carie
osseuse. Un spectacle pitoyable.
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436> 419.3 - Le petit malade est
si abattu qu'il ne fait pas un geste. Il semble qu'il ne s'agit même pas de
lui. Il ouvre à peine ses yeux caves et hébétés et jette un regard
indifférent, je dirais ennuyé, sur la foule, puis il les referme.
Jésus le caresse. Il pose sa longue main sur la petite tête qui s'abandonne,
et l'enfant rouvre ses yeux regardant avec plus d'intérêt cet inconnu qui le
touche avec tant d'amour et lui sourit avec tant de pitié.
"Veux-tu guérir ?"
Jésus parle doucement en se penchant sur la petite figure pâle. Il a d'abord
recouvert le petit corps, en disant à la mère qui voulait changer les
linges :
"Pas besoin, femme. Laisse-le ainsi."
Sans parler, le petit malade fait signe que oui.
"Pourquoi ?"
"Pour maman" dit la petite voix faible, si faible.
La mère pleure plus fort.
"Seras-tu toujours bon si tu guéris ? Un bon
fils ? Un bon citoyen ? Un bon fidèle ?"
Il pose les questions, en les détachant bien, pour donner au petit le temps
de répondre à chacune.
"Te souviendras-tu de ce que tu promets maintenant ?
Toujours ?"
Les "oui" faibles et exprimant pourtant un si profond désir
tombent, l'un après l'autre, comme autant de soupirs de l'âme.
"Donne-moi une main, petit."
Le petit malade veut donner la gauche qui est saine. Mais Jésus dit :
"Donne-moi l'autre. Je ne te ferai pas mal."
"Seigneur, dit la mère, ce n'est qu'une plaie. Laisse-moi
l'envelopper, pour Toi..."
"N'importe, femme. Je n'ai de dégoût que pour les impuretés des
cœurs. Donne-moi la main et dis avec Moi : "Je veux être toujours
bon comme fils, comme homme et comme croyant dans le Dieu vrai"."
L'enfant répète en forçant sa petite voix. Oh ! c'est toute son âme
qui est dans cette voix, et l'espérance... et certainement aussi celle de la
mère.
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437> 419.4 - Il s'est fait un
silence solennel dans la pièce et dans la rue. Jésus, qui tient de la main
gauche la main droite du malade, lève sa main droite - c'est son geste quand
il annonce une vérité ou quand il impose sa volonté aux maladies et aux
éléments - et se redressant, solennel, il dit d'une voix puissante :
"Et Moi, je veux que tu sois guéri. Lève-toi, enfant, et loue le
Seigneur"
Il lâche la petite main qui maintenant est tout à fait saine, maigre, mais
sans la moindre excoriation, et il dit à la mère :
"Découvre ton enfant."
La femme a le visage de quelqu'un qui attend une sentence de mort ou de
grâce. En hésitant, elle enlève les couvertures... elle pousse un cri et se
jette sur le petit corps, très maigre, mais sain, le baise, l'étreint... elle
est folle de joie. Si bien qu'elle ne voit pas que Jésus s'éloigne du lit et
se dirige vers la porte.
Mais le petit malade le voit et dit :
"Bénis-moi, ô Seigneur, et permets-moi de te bénir. Maman... tu ne
remercies pas ?"
"Oh ! pardon… !"
La femme, avec l'enfant dans les bras, se jette aux pieds de Jésus.
"Je comprends, femme. Va en paix et sois heureuse. Adieu, enfant,
sois bon. Adieu à tous."
Et il sort.
419.5 - Des femmes
nombreuses lèvent leurs enfants pour que la bénédiction de Jésus les préserve
du mal, à l'avenir. Les petits se faufilent parmi les grandes personnes pour
se faire caresser. Et Jésus bénit, caresse, écoute, s'arrête encore pour
guérir trois personnes qui ont les yeux malades et quelqu'un qui tremble
comme s'il avait la danse de Saint-Guy.
Maintenant il est au centre du village.
"Il y a ici un de mes parents, qui est sourd-muet de
naissance. Il aurait l'esprit éveillé, mais il ne peut rien faire. Guéris-le,
Jésus" dit le passeur.
"Conduis-moi à lui."
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438> Ils
entrent dans un petit jardin au fond duquel se trouve un homme jeune,
d'environ trente ans, qui puise de l'eau à un puits pour arroser les légumes.
Étant sourd et tournant le dos, il ne s'aperçoit pas de ce qui arrive et il
continue imperturbable son travail, malgré les cris de la foule, si forts que
les colombes s'enfuient effrayées sur les toits.
Le passeur le rejoint, le prend par le bras et le conduit à Jésus.
Jésus se met en face du malheureux, tout
près, vraiment corps contre corps, de façon qu'avec sa langue il touche la
langue du muet qui reste la bouche ouverte. Et, les deux médiums dans les
oreilles du sourd-muet, il prie un instant, les yeux levés au ciel, puis il
dit :
"Ouvrez-vous !"
Et il enlève ses mains et s'écarte.
"Qui es-tu, Toi qui me délies la parole et l'ouïe ?" dit le
miraculé.
Jésus fait un geste et cherche à continuer sa route en sortant par l'arrière
de la maison. Mais aussi bien l'homme guéri que le passeur, le retiennent.
L'un dit : "C'est Jésus de Nazareth, le Messie" et l'autre en
exclamant : "Oh ! reste, pour que je t'adore !"
"Adore le Seigneur Très Haut, et sois-Lui toujours fidèle. Va. Ne perds
pas le temps en paroles inutiles, ne fais pas du miracle un objet de
distraction. Sers-toi de la parole pour le bien, plus qu’avec les oreilles
écoute avec te cœur les voix de l'Esprit Créateur qui t'aime et te bénit."
Mais oui ! Dire à quelqu'un, qui est si heureux, de ne pas parler de son
bonheur, c'est inutile ! L'homme guéri se remet de tant d'années de
mutisme et de surdité en parlant à tous ceux qui sont présents.
419.6 - Le passeur insiste
pour que Jésus entre dans sa maison pour se reposer et se restaurer. Il se
prend pour l'auteur de tout le respect qui entoure Jésus, et s'attache à
cette idée. Il veut que soit reconnu son droit.
"Mais c'est moi le notable du village" dit un vieillard imposant.
"Mais, si moi je n'avais pas été là avec mes barques, tu n'auras pas vu
Jésus" répond le passeur.
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439> Et
Pierre, toujours franc et impulsif :
"Vraiment... si je n’avais pas été là pour te dire quelque chose, toi...
les barques..."
Jésus intervient providentiellement pour mettre tout le
monde d'accord.
"Allons près du fleuve. Là, en attendant la nourriture, et qu'elle soit
parcimonieuse et frugale car la nourriture doit servir au corps et ne pas
être le but du corps. Moi, j'évangéliserai. Que ceux qui veulent m'entendre
et m'interroger viennent avec Moi."
Je pourrais dire que le village tout entier le suit.
419.7 - Jésus monte sur une
barque qui a été tirée au sec sur la grève et, de cette tribune improvisée,
ayant les auditeurs en face de Lui, assis en demi-cercle sur la rive et parmi
les arbres, il leur parle.
Il prend le sujet de la question que Lui pose un homme :
"Notre Loi, Maître, a l'air d'indiquer comme frappés par Dieu ceux qui
naissent malheureux, au point qu'elle leur interdit tout service à l'autel.
Mais quelle faute en ont-ils ? Ne serait-il pas juste de réputer
coupables les parents qui ont donné le jour à ces malheureux ? Leurs
mères en particulier ? Et comment devons-nous nous comporter avec ceux
qui sont nés malheureux ?"
"Écoutez : Un très grand sculpteur, un sculpteur
parfait, fit un jour la forme d'une statue et il en fit une œuvre tellement
parfaite qu'il s'y complut et dit : "Je veux que la Terre soit
remplie de pareilles merveilles". Mais il ne pouvait suffire à tant de
travail. Il appela donc à son aide d'autres personnes et leur dit :
"Faites, sur ce modèle, mille et dix mille statues pareillement
parfaites. Je leur donnerai la dernière touche en imprimant l'expression à
leur physionomie". Mais ses aides n'étaient pas capables d'y arriver. En
effet ils étaient d'une capacité très inférieure à celle de leur maître et,
en plus de cela, ils s'étaient rendus quelque peu ivres pour avoir goûté un
fruit dont le suc créait des délires et des brumes. Alors le sculpteur leur
donna des moules et il leur dit : "Coulez-y la matière pour la
modeler. Ce sera une oeuvre exacte et, pour la finir, je lui donnerai la
dernière touche pour l'animer". Et les aides se mirent au travail.
Mais le sculpteur avait un grand ennemi : ennemi personnel et ennemi de
ses aides. Cet ennemi cherchait de toutes manières à faire faire mauvaise
figure au sculpteur et à faire naître des dissentiments entre lui et ses
aides.
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440> Pour
cela, il fit agir son astuce dans leurs œuvres : tantôt en altérant la
matière qu'il fallait couler dans les moules, tantôt en rendant le feu moins
vif, tantôt en exaltant exagérément les aides. Il advint donc que le recteur
du monde, pour éviter le plus possible que l’œuvre ne sortît pas en copies
imparfaites, établit des sanctions graves contre les modèles sortis sous une
forme imparfaite. Et l'une fut que de tels modèles ne
pourraient être exposés dans la Maison de Dieu. Là tout doit, ou devrait
être, parfait. Je dis "devrait" parce qu'il n'en est pas ainsi.
Même si l'apparence est bonne, la réalité ne l'est pas. Ceux qui sont présents
dans la Maison de Dieu paraissent sans défauts, mais l’œil de Dieu découvre
en eux les plus graves : ceux qui appartiennent au cœur.
419.8 - Oh ! le cœur ! C'est avec lui que l'on sert Dieu. En
vérité, c'est avec lui. Il n'est pas besoin et il ne suffit pas d'avoir l’œil
limpide et l'ouïe parfaite, une voix harmonieuse, un beau physique, pour
chanter des louanges agréables à Dieu. Il n'est pas besoin et il ne suffit
pas d'avoir de beaux vêtements, propres et parfumés. Limpide et parfait,
harmonieux et bien fait doit être l'esprit dans le regard, dans l'ouïe, dans
la voix, dans les formes spirituelles, et celles-ci doivent être ornées de
pureté ; voilà le beau vêtement, propre et parfumé de charité :
voilà l'huile saturée d'essences qui plaît à Dieu.
Et quelle charité serait celle de quelqu'un
qui, étant heureux et voyant un malheureux, aurait pour lui mépris et
haine ? Mais, au contraire, double
et triple charité doit être donnée à celui qui, innocent, est né malheureux.
Le malheur est une peine qui donne du mérite à celui qui la supporte et à
celui qui est frappé de le voir supporter, et en souffre par amour de parent
et peut-être se bat la poitrine, en pensant : "C'est moi, par mes
vices, qui suis la cause de cette peine". Et le malheur ne doit jamais
devenir cause de faute spirituelle pour celui qui le voit. La vue devient une
faute si elle provoque l'anticharité. Voilà pourquoi je vous dis :
"Ne soyez jamais dépourvus de charité envers votre prochain. Il est né
malheureux ? Aimez-le parce qu'il porte sa grande peine. Il est devenu
malheureux par sa faute ? Aimez-le car sa faute s'est déjà changée en
châtiment. C'est le père de quelqu'un qui est né malheureux ou qui l'est
devenu ? Aimez-le car il n'y a pas de douleur plus grande que la douleur
d'un père frappé dans son enfant. C'est une mère qui a engendré un
monstre ? Aimez-la car elle est littéralement écrasée par cette douleur
qu'elle croit la plus inhumaine. C'est une douleur inhumaine.
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441> 419.9 - Mais elle l'est davantage encore celle de la femme qui a engendré
quelqu'un qui dans l'âme est un monstre, qui s'aperçoit qu'elle a engendré un
démon et un danger pour la Terre, pour la Patrie, pour la Famille, pour les
amis. Oh ! cette mère qui n'ose même plus lever le front,
pauvre mère d'un être féroce, abject, homicide, traître, voleur,
corrompu !
Eh bien, je vous dis : "Aimez aussi ces mères, les
plus malheureuses". Celles qui passeront dans l'histoire avec le nom de
mères d'un assassin, d'un traître.
Partout, la Terre a entendu les pleurs des mères déchirées par la mort
cruelle de leur propre enfant. Depuis Ève, que de mères ont senti leurs
entrailles se déchirer plus que par les douleurs de l'enfantement, mais, que
dis-je ?: se sont senti arracher les
entrailles, et avec elles le cœur, par une main féroce, devant le cadavre du
fils assassiné, supplicié, martyrisé par les hommes. Elles ont crié leur
affreuse douleur, en se jetant dans un délire spasmodique de leur amour
douloureux sur la dépouille qui ne les entendait plus, qui ne se réchauffait
plus à leur chaleur, qui ne pouvait plus faire un seul mouvement pour dire
par le regard, ou par un geste, s'il ne le pouvait plus le dire :
"Mère, je t'entends".
Et pourtant je vous dis que la Terre n'a pas
encore entendu le cri, ni recueilli les pleurs de la femme la plus sainte et
de la femme la plus malheureuse, de celles qui resteront éternellement dans
le souvenir de l'homme : la Mère du Rédempteur mis à mort, et la mère de
celui qui l'aura trahi. Ces deux, martyres de manières différentes,
s'entendront à des milles de distance, s'entendront gémir, et ce sera la Mère
innocente et sainte, la plus innocente, l'Innocente Mère de l'Innocent, qui
dira à sa sœur lointaine, martyre d'un fils cruel plus que tout autre
chose : "Sœur, je t'aime".
Aimez pour être dignes de Celle qui aimera pour tous les hommes et aimera
tous les hommes. L'amour, c'est ce qui sauvera la Terre."
419.10 - Jésus descend de sa
chaire rustique et se penche pour caresser un enfant à demi-nu dans sa
chemisette, qui se roule dans l'herbe de la rive.
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442> Après
tant de sublimes paroles, il est doux de voir ainsi le Maître qui s'intéresse
à un tout petit, comme un homme ordinaire, et qui ensuite rompt le pain,
l'offre et le donne à ses plus proches voisins et qui s'assoit et mange comme
les autres hommes alors que, certainement, dans son cœur il entend déjà le
cri douloureux de sa Mère, et qu'il voit à côté de Lui Judas.
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