Le lundi 1er
octobre 1945.
501> 292.1 - Bozra,
soit à cause de la saison, soit parce qu'elle est renfermée dans ses ruelles,
se montre au matin toute embrumée. Embrumée et très sale. Les apôtres,
revenus de faire des achats au marché, en parlent entre eux. C'est que
l'industrie hôtelière de cette époque et de cette localité est tellement
préhistorique que chacun doit s'occuper de son ravitaillement. On comprend
que les hôteliers ne veulent pas y perdre. Ils se bornent à cuire ce que les
clients leur apportent et espérons qu'ils n'en prennent pas leur part, tout
au plus ils achètent pour le client ou lui vendent le ravitaillement dont ils
ont des provisions en exerçant à l'occasion le métier de bouchers sur les
pauvres agneaux destinés à être rôtis.
Ce fait d'acheter à l'hôtelier ne plaît pas à Pierre et maintenant il y a une
prise de bec entre l'apôtre et l'hôtelier : presque une tête de
malandrin qui ne manque pas d'insulter l'apôtre, en le traitant de
"galiléen" alors que ce dernier réplique
en lui montrant un porcelet égorgé par l'hôtelier pour le compte de clients
de passage :
"Moi, galiléen, toi, un cochon de païen. Dans ta puante hôtellerie je
n'y resterais pas une heure, si j'étais le maître. Voleur et... (je laisse
dans l'encrier un autre terme ... plus expressif)."
J'en conclus qu'entre ceux de Bozra et les galiléens il y a une de ces
nombreuses incompatibilités régionales et religieuses dont était plein Israël
ou plutôt la Palestine.
L'hôtelier crie plus fort :
"Si ce n'était pas que tu es avec le Nazaréen et que je vaux mieux que
vos dégoûtants pharisiens qui le haïssent sans raison, je te laverais la
figure avec le sang du porc. Comme cela, tu devrais débarrasser le plancher
et aller te laver. Mais je le respecte, Lui, dont la puissance est certaine.
Et je te dis qu'avec toutes vos histoires, vous êtes des pécheurs.
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502> Nous valons mieux que vous. Nous, nous ne dressons pas
d'embûches, nous ne sommes pas des traîtres. Vous, pouah ! Race de
traîtres injustes et criminels qui ne respectez pas
même le peu de saints que vous avez parmi vous."
"Pour qui, traîtres ? Pour nous ? Ah ! fasse le Ciel que
maintenant..."
Pierre est furieux et il est sur le point d'en venir aux mains alors que son
frère et Jacques le retiennent et que Simon le Zélote s'interpose avec Matthieu.
292.2 - Mais
plus que leur intervention vaut, pour faire tomber la colère, la voix de
Jésus qui se montre à une porte et dit :
"Simon, maintenant, tais-toi et toi aussi, homme."
"Seigneur, cet hôtelier m'a insulté et menacé le premier."
"Nazaréen, c'est lui qui m'a offensé le premier."
Moi, lui. Lui et moi. Ils se renvoient mutuellement la faute. Jésus s'avance
sérieux et calme.
"Vous avez tort tous les deux. Et toi, Simon, plus que lui. Car toi, tu
connais la doctrine de l'amour, du pardon, de la douceur, de la patience, de
la fraternité. Pour ne pas être maltraité comme galiléen, il faut se faire
respecter comme saint. Et toi, homme, si tu te sens meilleur que les autres,
bénis-en Dieu et sois digne de devenir toujours meilleur. Et surtout ne
souille pas ton âme avec des accusations mensongères. Mes apôtres ne sont pas
des traîtres ni des dresseurs d'embûches."
"En es-tu certain, Nazaréen ? Et alors pourquoi ces quatre sont-ils
venus me demander si tu étais venu, avec qui tu étais, et tant de belles
choses ?"
"Quoi ? Quoi ? Qui est-ce ? Où sont-ils ?"
Les apôtres l'entourent, oubliant qu'ils s'approchent d'un homme couvert de
sang de porc, ce qui auparavant les horrifiait et les tenait à distance.
"Vous, allez à vos affaires. Toi pourtant, Misace, reste."
292.3 - Les
apôtres s'en vont dans la pièce d'où est sorti Jésus et dans la cour il ne
reste, en face l'un de l'autre, que Jésus et l'hôtelier. À quelques pas de
Jésus, se trouve le marchand qui reste à observer la scène, étonné.
"Réponds, homme, avec sincérité. Et pardonne si le sang a rendu furieux
l'un de mes disciples. Qui sont ces quatre et qu'ont-ils dit ?"
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503> "Qui ils
sont, je ne sais rien de précis, mais certainement ce sont des scribes et des
pharisiens de l'autre côté. Qui les a amenés ici, je ne sais pas. Je ne les
ai jamais vus. Mais ils sont bien au courant de ce qui te concerne. Ils
savent d'où tu viens, où tu vas, avec qui tu es. Mais ils voulaient que je le
leur confirme. Non. Je serai un scélérat, mais je connais mon métier. Moi, je
ne connais personne, je ne vois rien, je ne sais rien. Pour les autres, bien
entendu. Car pour moi, je sais tout. Mais pourquoi dois-je dire aux autres ce
que je sais et en particulier à ces hypocrites ? Un ribaud, moi ?
Oui. À l'occasion je rends service aux voleurs. Tu le sais très bien... Mais
je ne saurais voler ou tenter de te voler la liberté, l'honneur, la vie. Et
eux - je ne suis plus Fara de Tolomée si ce
n'est pas vrai ce que je dis - eux te pistent pour te faire du mal. Et qui
les envoie ? Peut-être quelqu'un de la Pérée ou de la Décapole ?
Peut-être quelqu'un de la Trachonitide ou de la Gaulanitide ou de l'Auranitide ?
Non. Nous, ou bien nous ne te connaissons pas, ou bien si nous te connaissons
nous te respectons comme un juste si nous ne croyons en Toi comme un saint,
Qui alors les a envoyés ? Quelqu'un de ton côté et peut-être un
de tes amis, car ils savent trop de choses..."
"Être renseigné sur ma caravane c'est facile..." dit Misace.
"Non, marchand, pas sur toi, mais sur les autres qui sont avec Jésus.
Moi, je ne sais pas et je ne veux pas savoir. Je ne vois pas et je ne veux
pas voir. Pourtant je te dis : si tu te sais coupable, tu dois remédier.
Si tu te sais trahi, tu dois pourvoir."
"Pas de coupable, homme, pas de trahison. Il y a seulement qu'Israël ne
me comprend pas.
292.4 - Mais
comment me connais-tu ?"
"Par un garçon. Un garnement qui faisait parler de lui à Bozra et à Arbel.
Ici parce qu'il venait accomplir ses péchés, là-bas parce qu'il déshonorait
sa famille. Et puis il s'est converti, Il est devenu plus honnête qu'un juste et maintenant il
est passé avec tes disciples, disciple lui aussi, et il t'attend à Arbel pour
t'honorer avec son père et sa mère. Et il raconte à tout le monde que tu as
changé son cœur à la prière de sa mère. Philippe de Jacob, si jamais cette région devient sainte, il aura le mérite
de l'avoir sanctifiée. Et si à Bozra il y a quelqu'un qui croit en Toi, c'est
grâce à lui."
"Où sont maintenant les scribes venus ici ?"
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504> "Je
ne sais pas. Ils s'en sont allés parce que je leur ai dit qu'il n'y avait pas
de place pour eux. J'avais de la place, mais je ne voulais pas loger les
serpents à côté de la colombe. Ils sont dans la région, c'est certain. Fais
attention."
"Je te remercie, homme, comment t'appelles-tu ?"
"Fara. J'ai fait mon devoir, souviens-toi de moi."
"Oui. Et toi souviens-toi de Dieu et pardonne à mon Simon. Le grand
amour qu'il me porte l'aveugle parfois."
"Rien de mal, je l'ai offensé moi aussi... Mais cela fait mal de
s'entendre insulter. Toi, tu n'insultes pas..."
Jésus soupire, puis il dit :
"Veux-tu aider le Nazaréen ?"
"Si je puis..."
"Je parlerais volontiers de cette cour..."
"Je te laisserai parler. Quand ?"
"Entre la sixième et la neuvième heure."
"Va tranquillement où tu veux. Bozra saura que tu parles. Moi, j'y
pense."
"Dieu t'en récompense"
Et Jésus lui fait un sourire qui est déjà une récompense. Puis il se dirige
vers la pièce où il était d'abord.
Alexandre Misace Lui dit :
"Maître, souris-moi aussi de cette manière... Je vais moi aussi dire aux
habitants de venir écouter la Bonté qui parle. J'en connais beaucoup.
Adieu."
"À toi aussi que Dieu te donne la récompense"
Et Jésus lui sourit.
292.5 - Il entre
dans la pièce. Les femmes sont autour de Marie qui a le visage attristé et
qui se lève tout de suite en allant vers son Fils. Elle ne parle pas, mais
tout en elle est interrogation. Jésus lui sourit et lui répond en disant à
tous :
"Rendez-vous libres pour la sixième heure. Ensuite je parlerai ici à la
foule. En attendant, allez, sauf Simon Pierre,
Jean et Hermastée.
Annoncez-moi et faites beaucoup d'aumônes."
Les apôtres s'en vont. Pierre s'approche lentement de Jésus qui est près des
femmes et il demande :
"Pourquoi pas moi ?"
"Quand on est trop impulsif, on reste à la maison. Simon, Simon !
Quand donc sauras-tu exercer la charité envers le prochain ? Pour le
moment, c'est une flamme allumée mais uniquement pour Moi, c'est une lame
droite et raide, mais seulement pour Moi. Sois doux, Simon de Jonas."
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505> "Tu
as raison, Seigneur. Ta Mère m'a déjà réprimandé comme elle le sait, sans
faire souffrir, mais son reproche m'a pénétré profondément. Cependant...
fais-moi des reproches Toi aussi, mais... ensuite ne me regarde plus avec cet
air triste."
"Sois bon. Sois bon...
292.6 - Syntica, je voudrais te parler en particulier. Monte sur la
terrasse. Viens toi aussi ma Mère..."
Et sur la terrasse rustique qui couvre une aile du bâtiment, dans le tiède
rayonnement du soleil, Jésus se promène lentement entre Marie et la grecque,
et il dit :
"Demain, nous
nous séparerons pour quelque temps. Près d'Arbel vous, les femmes,
accompagnées par Jean d'En-Dor,
vous irez vers la Mer de Galilée en continuant ensemble jusqu'à Nazareth.
Mais pour ne pas vous envoyer seules avec un homme un peu maladroit, je vous
ferai accompagner par mes frères et par Simon Pierre. Je prévois qu'il y aura
des répugnances pour cette séparation, mais l'obéissance est la vertu du juste.
Comme vous passez par le territoire que Kouza est chargé de surveiller au nom d'Hérode, Jeanne pourra avoir une
escorte pour le reste de la route. Alors vous renverrez les fils d'Alphée et Simon Pierre. Mais voici pourquoi je t'ai demandé de
monter ici. Je veux te dire, Syntica, que j'ai décidé pour toi un séjour dans
la maison de ma Mère. Elle le sait déjà. Avec toi, il y aura Jean d'En-Dor et
Marziam. Soyez-y de bon cœur, en vous formant toujours plus à la
Sagesse. Je veux que tu aies grand soin du pauvre Jean. Je ne le dis pas à ma
Mère parce qu'elle n'a pas besoin de conseils. Tu peux comprendre et avoir
pitié de Jean et lui peut te faire tant de bien car c'est un maître avisé.
Puis je viendrai, Moi. Oh ! bientôt ! Et nous nous verrons souvent,
J'espère te trouver toujours plus sage dans la Vérité. Je te bénis, Syntica,
en particulier. C'est mon adieu pour toi, cette fois. À Nazareth, tu
trouveras l'amour et la haine comme partout. Mais dans ma maison tu trouveras
la paix. Toujours."
"Nazareth m'ignorera et moi, je l'ignorerai. Je vivrai en me nourrissant
de la Vérité, et le monde ne sera rien pour moi, Seigneur."
"C'est bien.
Tu peux disposer, Syntica, et silence pour l'instant. Mère, tu es au
courant... Je te confie mes perles les plus chères. Pendant que nous sommes
en paix, entre nous, Maman, fais que ton Jésus se réconforte par tes caresses..."
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506> "Que
de haine, mon Fils !"
"Que d'amour !"
"Que d'amertume... Jésus bien-aimé !"
"Que de douceur !"
"Que d'incompréhension, mon Fils !"
"Que de compréhension Maman !"
"Oh ! mon Trésor, Fils chéri !"
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