Vision du lundi 27
mars 1944.
126> 19.1 – J'assiste au départ pour aller
chez Sainte Élisabeth. Joseph est venu prendre Marie avec deux ânes gris : un pour lui, l'autre pour
Marie.
Les deux animaux ont, l'un la selle habituelle augmentée d'un bizarre
dispositif dont je comprends qu'il est fait pour porter la charge. C'est une
espèce de porte bagages sur lequel Joseph dispose un petit coffre de bois:
une valise, dirions-nous maintenant, qu'il a apporté à Marie où elle peut
mettre ses vêtements à l'abri de la pluie. Je sens Marie remercier vivement
Joseph pour son cadeau prévoyant dans lequel elle dispose tout ce qu'elle
enlève d'un paquet qu'elle avait préparé auparavant.
19.2 – Ils ferment la porte de la
maison et se mettent en route. C'est le point du jour, car je vois l'aurore
qui rosit à peine l'Orient.
Nazareth dort encore. Les deux voyageurs matinaux rencontrent seulement un
berger qui pousse devant lui ses brebis qui trottinent, l'une contre l'autre
encastrées comme autant de coins les unes dans les autres, et qui bêlent.
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127> Les agneaux bêlent aussi plus que les autres avec leurs
petites voix aiguës. Ils voudraient chercher encore la mamelle maternelle.
Mais les mères se hâtent vers le pâturage et les invitent à trotter avec
leurs bêlements plus puissants.
Marie regarde
et sourit après s'être arrêtée pour laisser passer le troupeau, elle se
penche sur sa selle et caresse les douces bêtes qui passent en frôlant sa
monture. Quand le berger arrive avec un petit agnelet tout nouveau-né dans
ses bras et s'arrête pour saluer, Marie sourit en caressant le petit museau
rose de l'agneau qui bêle désespérément. Marie dit : "Il cherche la
maman. La voilà la maman, elle ne t'abandonne pas, non, petit." De fait,
la mère brebis se frotte au berger et se dresse pour lécher sur le museau son
nouveau-né.
Le troupeau passe, faisant un bruit de pluie sur les frondaisons et laisse
derrière lui la poussière soulevée par tous les petits sabots qui se pressent
et toute une broderie d'empreintes sur la terre du chemin.
Joseph et Marie se remettent en route. Joseph a son
manteau. Marie est emmitouflée dans une sorte de châle à rayures car la
matinée est très fraîche.
Les voilà désormais en pleine campagne et ils cheminent l'un près de l'autre.
Ils parlent rarement. Joseph pense à ses affaires et Marie suit ses pensées
et recueillie comme elle l'est en ses pensées, elle leur sourit et sourit aux
choses qui l'entourent. Parfois elle regarde Joseph, et un voile de tristesse
lui assombrit le visage; puis le sourire revient même quand elle regarde son
époux attentif qui parle peu et n'ouvre la bouche que pour demander à Marie
si elle est bien commode et si elle n'a besoin de rien.
19.3 – Maintenant les routes sont fréquentées par
d'autres personnes, spécialement au voisinage de quelque pays ou dans la
traversée. Mais les deux ne s'intéressent pas aux personnes rencontrées. Ils
vont sur leurs montures qui trottent avec un grand bruit de grelots et ne
s'arrêtent qu'une fois, à l'ombre d'un bosquet pour manger un peu de pain
avec des olives et boire à une source dont l'eau descend d'une petite grotte.
Ils doivent s'arrêter une seconde fois pour se mettre à l'abri d'une averse
violente qui tombe d'un nuage très obscur.
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128> Ils se sont mis à l'abri de la colline sous la saillie d'un
rocher qui les protège du plus gros de la pluie. Mais Joseph veut absolument
que Marie prenne son manteau de laine imperméable sur lequel l'eau coule sans
le mouiller. Marie doit céder à la pressante insistance de son époux qui,
pour la rassurer sur son sort, se met sur la tête et sur les épaules une
petite couverture grise qui était sur la selle, la couverture de l'âne
probablement. Maintenant Marie ressemble à un petit frère avec le capuchon
qui lui encadre le visage et le manteau marron fermé à la gorge et qui la
couvre entièrement.
L'averse se calme mais fait place à une pluie ennuyeuse et fine. Les deux
reprennent leur marche sur le chemin devenu boueux. Mais c'est le printemps,
et après un moment, le soleil commence à rendre le chemin plus facile. Les
deux montures courent plus allègrement sur la route.
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