§ 1375.
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Notre véritable et nouvel Isaac, fils du Père éternel, arriva au mont du
sacrifice, au même lieu où fut essayée la figure (scène) sur le fils du
patriarche Abraham et où l'on exécuta sur le
très-innocent Agneau la rigueur qui fut suspendue à l'égard de l'ancien Isaac
qui le représentait .
149> Le mont du Calvaire était
un lieu méprisé, comme étant destiné pour le supplice des plus insignes
criminels, dont les cadavres infects le rendaient encore plus ignominieux.
Notre très-doux Jésus y arriva épuisé de fatigue, couvert de sang et de
plaies, et tout défiguré. La vertu de la Divinité qui déifiait sa très-sainte
humanité par l'union hypostatique, le soutint, non pour le soulager mais pour
le mortifier dans ses souffrances, afin que son amour immense en fût rassasié
de telle sorte néanmoins qu'il lui conservât la vie, jusqu'à ce qu'il fût
permis à la mort de la lui ôter sur la croix. Navrée de douleur, la divine
Mère parvint aussi su sommet du Calvaire, et put corporellement s'approcher
de son Fils; mais en esprit et par ce qu'elle souffrait, elle était comme
hors d'elle-même, car elle ne vivait plus que dans son bien-aimé et de ses
souffrances. Saint Jean et les trois Marie étaient auprès d'elle, parce
qu'elle avait prié le Très-Haut de lui accorder cette seule et sainte
compagnie, et leur avait obtenu de sa divine Majesté cette grande faveur de
se trouver si près du Sauveur au pied de la croix.
§ 1376.
Haut de page.
Comme la très-prudente Mère connaissait que les mystères de la Rédemption
allaient être accomplis, quand elle vit que les bourreaux se disposaient à
dépouiller le Seigneur pour le crucifier, elle se tourna en esprit vers le
Père éternel et lui adressa cette prière : "Mon Seigneur et mon Dieu,
vous êtes Père de votre Fils unique, qui, par la génération éternelle, est né
Dieu véritable de Dieu véritable, qui n'est autre que vous ; et par la
génération temporelle il est né de mon sein, où je lui ai donné le corps
humain dans lequel il souffre.
150> Je l'ai nourri de mon
propre lait; en qualité de Mère, je l'aime comme le meilleur Fils qui ait
jamais pu naître d'une autre créature, et j'ai un droit naturel sur son
humanité très-sainte en la personne qu'il a : et votre divine
Providence ne dénie jamais ce droit à qui appartient. Or je vous offre
maintenant ce droit de mère, et le mets de nouveau entre vos mains, afin que
votre Fils et le mien soit sacrifié pour la rédemption du genre humain.
Acceptez, Seigneur, mon offrande, puisque je ne vous offrirais pas autant si
j'étais moi-même crucifiée; non-seulement parce que mon Fils est vrai Dieu et
de votre propre substance, mais aussi par rapport à ma douleur. Car, si je
mourais, et que les sorts fussent changés afin que sa très-sainte vie fût
conservée, ce serait pour moi une grande consolation et l'accomplissement de
mes désirs."
Le Père éternel accueillit cette prière de notre auguste Reine avec une
complaisance ineffable. Il ne fut permis au patriarche Abraham que l'essai du
sacrifice figuratif de son fils , parce que le Père éternel en
réservait l'exécution et la réalité pour son Fils unique.
151> Cette mystique cérémonie ne fut pas non plus communiquée à Sara, mère
d'Isaac, non-seulement à cause de la prompte obéissance d'Abraham, mais aussi
parce que ce secret ne devait pas même être confié à l'amour maternel de
Sara, qui peut-être, quoiqu'elle fût sainte et juste, aurait entrepris de
s'opposer à l'ordre du Seigneur. Mais il n'en arriva pas de même à l'égard de
l'incomparable Marie ; car le Père éternel put avec sûreté lui confier sa
volonté éternelle, afin qu'elle coopérât dans une juste proportion au
sacrifice du Fils unique, en s'associant à la volonté même du Père.
§ 1377.
Haut de page.
La Mère invincible ayant achevé cette prière, connut que les impitoyables
ministres de la Passion voulaient, comme le rapportent saint Matthieu et
saint Marc , faire boire au Seigneur du vin mêlé avec
du fiel et de la myrrhe, pour augmenter les peines de sa Majesté. Les Juifs
prirent prétexte de la coutume qu'ils avaient de donner aux condamnés à mort
une certaine quantité de vin généreux et aromatique, pour leur fortifier les
esprits vitaux, afin qu'ils subissent leur supplice avec plus de courage
cette coutume s'était introduite à propos de ce que dit Salomon dans les
Proverbes : Donnez du cidre à ceux qui sont affligés, et du vin à ceux qui
sont dans l'amertume du cœur . Cette boisson pouvait animer et
soulager un peu les autres condamnés; mais les Juifs, par une cruauté
étrange, y mêlèrent tant de fiel, qu'elle ne pouvait causer à notre adorable
Sauveur qu'une extrême amertume.
152> La divine Mère connut
cette perfidie, et, touchée d'une compassion maternelle, elle pria avec
beaucoup de larmes le Seigneur de ne la point prendre. Et sa Majesté
condescendit de telle sorte aux prières de sa Mère, qu'ayant goûté l'amertume
de ce vin pour ne pas refuser entièrement cette nouvelle mortification, elle
n'en voulut pas boire .
§ 1378.
Haut de page.
On était déjà à la sixième heure du jour, qui répond à celle de midi ; et les
bourreaux étant sur le point de crucifier le Sauveur, le dépouillèrent de la
tunique sans couture. Et comme cette tunique était étroite et longue, ils la
lui ôtèrent par le haut sans lui ôter la couronne d'épines; mais ils y mirent
tant de violence, qu'ils arrachèrent la couronne avec la même tunique d'une
manière impitoyable ; car ils lui ouvrirent de nouveau les blessures de sa
tète sacrée, dans quelques-unes desquelles restèrent les pointes des épines,
qui, nonobstant leur dureté, ne laissèrent pas de se rompre par la forée avec
laquelle les bourreaux lui enlevèrent la tunique, et avec elle la couronne.
Ils la lui replacèrent aussitôt sur la tête avec une cruauté inouïe, ajoutant
plaies sur plaies: Ils renouvelèrent aussi celles de son très-saint corps car
la tunique s'y était comme collée, de sorte qu'en la lui arrachant ils
ajoutèrent, comme dit David , des douleurs nouvelles à celles de
ses plaies. On dépouilla quatre fois notre adorable Sauveur dans le cours de
sa Passion.
153> La première, pour le
fouetter lorsqu'on le lia à la colonne; la seconde, pour lui mettre le
manteau de pourpre par dérision; la troisième, quand on le lui ôta pour le
revêtir de sa tunique; la quatrième fois sur le Calvaire, pour le laisser en
cet état ; et alors ses souffrances furent plus vives, parce que ses plaies
étaient plus profondes, que sa très-sainte humanité était réduite à une
faiblesse extrême, et que le mont du Calvaire était plus exposé aux
intempéries de l'air: car il fut aussi permis au vent et su froid de
l'affliger en sa mort.
§ 1379.
Haut de page.
Une de ses plus grandes peines fut de se voir nu en la présence de sa
bienheureuse Mère, des pieuses femmes qui l'accompagnaient, et de la
multitude du peuple qui assistait à ce triste spectacle. Il ne réserva par
son pouvoir divin que le caleçon que sa très-sainte Mère lui avait mis en
Égypte; en effet, il ne fut pas possible aux bourreaux de le lui ôter, ni
lorsqu'ils le fouettèrent, ni quand ils le dépouillèrent pour le crucifier :
ainsi il le portait lorsqu'il fut déposé dans le sépulcre, et c'est ce qui
m'a été déclaré plusieurs fois. Il est vrai que le Sauveur serait mort
volontiers tout nu et sans ce caleçon, pour mourir dans la dernière pauvreté,
et sans rien avoir de tout ce qu'il avait créé et dont il était le Seigneur
véritable, si sa très-sainte Mère ne l'eût prié de ne point permettre qu'on
le lui ôtât : le Seigneur se rendit à ses désirs, parce qu'il suppléait par
cette espèce d'obéissance filiale à l'extrême pauvreté en laquelle il
souhaitait mourir.
154> La sainte croix était
étendue par terre, et les bourreaux préparaient les autres choses nécessaires
pour crucifier notre divin Maître, aussi bien que les deux voleurs qui
devaient mourir en même temps. Et tandis qu'ils s'occupaient de ces
préparatifs, il fit cette prière au Père éternel :
§ 1380.
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"Mon Père, Dieu éternel, infini en bonté et en justice, j'offre à votre
Majesté incompréhensible tout mon être humain et toutes les œuvres que j'ai
faites en lui par votre très-sainte volonté, après avoir descendu de vôtre
sein dans cette chair passible et mortelle, pour racheter en elle mes frères
les hommes. Je vous offre, Seigneur, avec moi, ma Mère bien-aimée, son amour,
ses œuvres très-parfaites, ses douleurs, ses peines, ses fatigues, et la
prudente sollicitude avec laquelle elle s'est attachée à me servir, à
m'imiter, à m'accompagner jusqu'à la mort. Je vous offre le petit troupeau de
mes apôtres, la sainte Église, et l'assemblée des fidèles, telle qu'elle
existe maintenant et qu'elle existera jusqu'à la fin du monde, et avec elle
tous les mortels enfants d'Adam. Je remets tout entre vos mains comme étant
le vrai Dieu et le Seigneur tout-puissant : et pour ce qui me regarde, je
souffre et je meurs volontairement pour tous; et par cette volonté je veux
que tous soient sauvés, si tous veulent me suivre, et profiter de leur
rédemption, afin que d'esclaves du démon, ils deviennent vos enfants, mes frères
et mes cohéritiers par la grâce que je leur ai méritée.
155> Je vous offre, en
particulier, Seigneur, les pauvres, les misérables et les affligés, qui sont
mes amis, et qui m'ont suivi par le chemin de la croix. Et je désire que les
noms des justes et des prédestinés soient écrits dans votre mémoire
éternelle. Je vous prie, mon Père, d'arrêter les effets de votre justice
envers les hommes, de ne point leur infliger les châtiments dont ils se sont
rendus dignes par leurs péchés, enfin, d'être désormais leur Père, comme vous
êtes le mien. Je vous prie aussi pour ceux qui assistent à ma mort avec une
pieuse affection, afin qu'ils soient éclairés de votre divine lumière; et
pour tous ceux qui me persécutent, afin qu'ils se convertissent à la vérité; et
surtout je vous prie pour l'exaltation de votre ineffable et très-saint
Nom."
§ 1381.
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La bienheureuse Vierge connut cette prière de notre Sauveur, et pour
l'imiter, elle pria de son côté le Père éternel dans les termes qui
convenaient à sa qualité de mère. Elle n’oublia jamais d'accomplir cette
première parole qu'elle entendit de la bouche de son Fils et de son Maître
nouvellement né: Rendez-vous semblable à moi, ma bien-aimée. Le
Seigneur ne manqua jamais non plus de remplir la promesse qu'il lui avait
faite de lui donner par sa toute-puissance un nouvel être de grâce divine,
qui serait au-dessus de celui de toutes les créatures, en retour du nouvel
être humain qu'elle donna au Verbe éternel dans son sein virginal. Ce
bienfait renfermait la très-haute connaissance qu'elle avait de toutes les
opérations de la très-sainte humanité de son Fils, sans que la moindre lui
échappât.
156> Et elle les imita, comme
elle les connut; de sorte qu'elle fut toujours soigneuse à les observer,
habile à les pénétrer, prompte en l'exécution, forte et diligente en toutes
ses œuvres. En cela elle ne fut point troublée par la douleur, ni empêchée
par les peines, ni embarrassée par les persécutions, ni attiédie par
l'amertume de la Passion. Et quoique cette constance fût admirable en notre
auguste Reine, elle l'aurait été pourtant moins, si elle n'eût assisté à la
Passion de son Fils que comme les autres justes. Mais il n'en fut point
ainsi: unique et exceptionnelle en toutes choses, elle sentait en son
très-saint corps, comme je l'ai dit ailleurs, les douleurs intérieures et
extérieures que notre Sauveur souffrait en sa personne sacrée. On peut dire,
quant à cette correspondance sympathique, que cette divine Mère fut aussi
fouettée et couronnée d'épines, qu'elle reçut des crachats et des soufflets,
qu'elle porta la croix sur ses épaules, et qu'elle y fut clouée, puisqu'elle
subit en son corps tous ces tourments, aussi bien que les autres; sans doute
ce fut d'une manière différente, mais toujours avec une très-grande ressemblance,
afin que la Mère fût en tout la vive image du, Fils. Outre qu'en cela la
grandeur et la dignité de la très-pure Marie devaient répondre à celles du
Sauveur suivant toute la proportion dont elle était capable, cette merveille
renferma un autre mystère : ce fut de satisfaire en quelque sorte à l'amour
de Jésus-Christ, et à l'excellence de sa Passion, qui devait être par là fidèlement reproduite par une simple créature. Or,
quelle est celle qui pût prétendre à ce glorieux privilège, comme sa propre
Mère ?
§ 1382.
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157> Les bourreaux voulant
marquer sur la croix les trous où ils devaient mettre les clous, ordonnèrent
insolemment au Créateur de l'univers (O témérité effroyable) ! de
s'étendre sur la même croix, et le Maître de l'humilité obéit sans résistance.
Mais par une malice inouïe, ils marquèrent la place des trous à une distance
plus grande que ne l'indiquait la longueur des bras et du reste du corps. La
Mère de la lumière remarqua cette nouvelle cruauté, et ce fut une des plus
grandes afflictions qu'elle souffrit dans toute la Passion, car elle pénétra
les intentions perverses de ces ministres d'iniquité, et prévit les douleurs
que son très-saint Fils souffrirait quand on le clouerait sur la croix. Mais
elle ne put l'empêcher, attendu que le même Seigneur voulait souffrir encore
cette peine pour les hommes. Et lorsque le Sauveur se leva de la croix afin
qu'on y pratiquât les trous, notre auguste Princesse s'en approcha et l'aida
à se relever en le prenant par le bras, puis elle l'adora et lui baisa la
main avec une profonde vénération. Les bourreaux le lui permirent, parce
qu'ils croyaient que la présence de sa Mère ne ferait qu'augmenter
l'affliction du Seigneur, auquel ils n'épargnèrent aucune des douleurs qu'ils
purent imaginer. Mais ils n'en pénétrèrent point le mystère, car notre
adorable Rédempteur n'eut point d'autre plus grande consolation dans sa
Passion que de voir sa très-sainte Mère, et de considérer la beauté de son
âme, et en elle sa plus fidèle image, et la complète acquisition du fruit de
sa Passion et de sa mort. En ce moment cette vue remplit notre Seigneur
Jésus-Christ d'une joie intérieure, qui contribua en quelque façon à le
fortifier.
§ 1383.
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158> Après qu'on eut fait les
trois trous dans la sainte croix, les bourreaux ordonnèrent une seconde fois
au Sauveur de s'y étendre pour l'y clouer. Et le souverain et puissant
Monarque, le Maître de la patience obéit et se mit sur la croix, étendant les
bras au gré des ministres de sa mort. Il était si exténué et si défiguré, que
si ces barbares eussent conservé quelque reste de raison et d'humanité, ils
n'auraient pu persister dans leur cruauté en voyant la douceur, l'humilité,
les plaies et l'état pitoyable de l'innocent Agneau. Mais les Juifs et les
satellites (auxiliaires) (O terribles et impénétrables jugements du
Seigneur!) étaient animés de la haine implacable, et pleins
de la malice des démons, et, privés de tout sentiment humain, ils
n'agissaient plus qu'avec une fureur diabolique.
§ 1384.
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Or, l’un des bourreaux prit la main de notre adorable Sauveur, et tandis
qu'il la tenait sur le trou de la croix, un autre bourreau la cloua, perçant
à coups de marteau la main du Seigneur avec un gros clou aigu, qui rompit les
veines et les nerfs, et disloqua les os de cette main sacrée qui avait fait
les cieux et tout ce qu'ils renferment.
159> Quand il
fallut clouer l'autre main, le bras ne put pas arriver au trou, parce que les
nerfs s'étaient retirés et que l'on avait pratiqué malicieusement les trous
trop distants l'un de l'autre, comme on l'a vu plus haut. Et pour en venir à
bout , ces hommes impitoyables prirent la chaîne avec laquelle le très-doux
Seigneur avait été lié, et plaçant sa main dans une espèce de menottes qui
garnissaient l'un des bouts de la même chaise, ils tirèrent par l'autre bout
avec tant de violence, qu'ils ajustèrent la main au trou, et la clouèrent
avec un autre clou. Ils passèrent ensuite aux pieds, et les ayant posés l'un
sur l'autre, ils les lièrent avec la même chaîne; et les tirant avec une
cruauté inouïe, ils les clouèrent tous deux avec le troisième clou, qui était
un peu plus fort que les autres. Ainsi fut attaché à la sainte croix ce corps
sacré auquel la Divinité était unie, et l'admirable structure de ses membres
déifiés et formés par le Saint-Esprit, fut rompue au point qu'on pouvait lui
compter les os , tant ils s’étaient luxés et disloqués
d'une manière sensible. Ceux de la poitrine et des épaules se déboîtèrent, et
tous sortirent hors de leur place par la cruelle violence des bourreaux.
§ 1385.
Haut de page.
Il n'est pas possible d'exprimer ni même de concevoir les douleurs atroces
que notre adorable Sauveur souffrit dans ce supplice. Il ne les fera
comprendre mieux qu'au jour du jugement, pour justifier sa cause contre les
réprouvés, et afin que les saints le louent et le glorifient dignement.
160> Mais à présent que la foi
à cette vérité nous permet et nous oblige d'y appliquer tout notre jugement
(où il faudrait que nous rien eussions aucun), je supplie, je conjure les
enfants de la sainte Église de considérer attentivement un mystère si
vénérable, et d'en peser toutes les circonstances ; car si nous les méditons
à sérieusement, nous y trouverons des motifs efficaces pour abhorrer le péché
et pour ne le plus commettre, puisqu'il a causé tant de souffrances à
l'Auteur de la vie. Réfléchissons aussi aux grandes douleurs qui affligeaient
l'esprit et le corps de sa très-pure Mère; car par cette porte nous
découvrirons le Soleil qui nous éclaire le cœur. O Reine et Maîtresse des
vertus ! O Mère véritable du Roi des siècles, immortel et incarné pour
mourir ! Il est vrai, mon auguste Princesse, que la dureté de nos cœurs
ingrats nous rend incapables et indignes de ressentir vos douleurs et celles
de votre très-saint Fils, notre Rédempteur; mais procurez-nous par votre
clémence ce bien que nous ne méritons point. Bannissez de nous une
insensibilité si criminelle. Si nous sommes la cause de toutes ces peines,
est-il raisonnable, est-il juste qu'elles s'arrêtent à vous et à votre
bien-aimé? Il faut que le calice des innocents passe jusqu'aux coupables qui
l'ont mérité. Mais, hélas ! où est le jugement? où est la sagesse? où
est la lumière de nos yeux? qui nous a privé de la
raison? qui nous a ravi le cœur sensible et humain ?
Quand je n'aurais pas reçu, Seigneur, l’être que j'ai à votre image et à
votre ressemblance ; quand vous ne m'auriez pas donné la
vie et le mouvement ;
161> quand tous les éléments et
toutes les créatures, que vous avez créés pour mon service , ne me donneraient pas une
connaissance si certaine de votre amour immense; l'excès infini que ce même
amour a fait paraître en vous clouant à la croix, au milieu de douleurs et de
tourments si affreux, devrait me convaincre et me captiver dans des liens
indissolubles de compassion; de reconnaissance, d'amour et de confiance en
votre bonté ineffable. Mais si la voix de tant de prodiges ne m'éveille, si
votre amour ne m'enflamme, si votre Passion et vos peines ne me touchent, si
tant de bienfaits ne me subjuguent, quelle fin dois-je attendre de ma folie?
§ 1386.
Haut de page.
Après que le Sauveur eut été cloué à la croix, les satellites (auxiliaires)
de la justice, craignant que les clous ne lâchassent, résolurent de les river
derrière le bois sacré, qu'ils avaient perforé. Dans ce dessein, ils levèrent
la croix pour la renverser brusquement contre terre avec le même Seigneur
crucifié. Cette nouvelle cruauté fit frémir tout le peuple, qui, ému de
compassion, jeta un grand cri. Quant à la Mère de douleurs, pour prévenir cet
odieux attentat, elle pria le Père éternel de ne point permettre que les
bourreaux exécutassent leur projet tel qu'ils l'avaient conçu. Ensuite elle
ordonna aux saints anges de veiller au service de leur Créateur.
162> Tout se fit suivant les
instructions de notre auguste Reine; car au moment où les bourreaux
renversèrent la croix afin que le Sauveur tombât avec elle le visage contre
la terre, qui était couverte de pierres et d'ordures, les anges le
soutinrent; et par ce moyen il ne toucha aucune de ces pierres, non plus que
le sol. Les satellites (auxiliaires) rivèrent les pointes des clous sans
s'apercevoir du miracle ; car le corps du Seigneur était si près de terre, et
les anges tenaient la croix si bien fixée, que les impitoyables Juifs
croyaient que les pierres et les ordures atteignaient leur adorable victime.
§ 1387.
Haut de page.
Aussitôt ils approchèrent la croix avec le divin Crucifié du lieu où elle
devait être dressée. Et se servant les uns de leurs épaules, les autres de
leurs hallebardes et de leurs lances, ils l'élevèrent avec le Seigneur, et la
poussèrent dans le trou qu’ils avaient pratiqué à cet effet. Alors l'Auteur
de notre salut et de notre vie se trouva suspendu sur le bois sacré à la vue
d'une infinité de personnes de différentes nations. Je ne veux point omettre
une autre cruauté qu'ils exercèrent, m'a-t-il été déclaré, l'égard du Sauveur
en dressant la croix; c'est qu'en se servant de la pointe de leurs armes pour
la soutenir, ils lui firent de profondes blessures en divers er1droits de sou
très-saint corps, et surtout sous les bras. A ce spectacle, le peuple
redoubla ses cris et augmenta en même temps la confusion. Les Juifs
blasphémaient, les gens humains se désolaient, les étrangers s'étonnaient,
tout le monde se faisait remarquer cette scène horrible.
163> Il y en avait qui n'osaient
point regarder le Rédempteur dans un état si pitoyable; ceux-ci considéraient
un exemple si étrange; ceux-là disaient que cet homme était juste et innocent
; et tous ces divers sentiments étaient comme autant de flèches qui perçaient
le cœur de la plus affligée des mères. Le corps sacré du Sauveur perdait
beaucoup de sang par les blessures que les clous lui avaient faites ; car la
secousse qu'il reçut lorsqu'on laissa tomber la croix dans le trou, renouvela
toutes ses plaies: ouvrant ainsi de plus grandes issues aux sources
auxquelles il nous invitait, par la bouche d'Isaïe , à aller puiser avec joie les eaux
propres à étancher notre soif, et à laver les taches de nos péchés. De sorte
qu'on ne saurait se disculper si on ne s'empresse d'y courir
, puisqu'on les achète sans argent et
sans aucun échange, et que la volonté de les recevoir suffit pour les
obtenir.
§ 1388.
Haut de page.
Ils crucifièrent en même temps les deux larrons, et dressèrent leurs croix
l'une à la droite, l'autre à la gauche de notre Rédempteur, le plaçant au
milieu comme celui qu'ils croyaient le plus coupable. Les pontifes et les
pharisiens, oubliant les deux scélérats, tournèrent toute leur fureur contre
Celui qui était impeccable et saint par nature. Et branlant (hochant) la tête
par moquerie , ils jetaient des pierres et de la
poussière contre la croix du Seigneur, et contre sa personne sacrée. Ils lui
disaient: "Toi qui détruis le temple de Dieu et qui, le rebâtis en trois
jours, sauve-toi maintenant toi-même ; il a sauvé les autres et il ne peut se
sauver lui-même ."
164> D'autres disaient :
"S'il est le Fils de Dieu, qu'il descende main-, tenant de la croix, et
nous croirons en lui." D'abord les deux larrons se moquaient aussi de sa
Majesté, et lui disaient: "Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi, et
sauve-nous avec toi ." Les blasphèmes des larrons
furent d'autant plus sensibles au Seigneur, qu'ils étaient plus proches de la
mort, qu'ils perdaient le mérite du supplice qu'ils subissaient, et qu'étant
punis par la justice, ils pouvaient satisfaire en partie pour leurs crimes;
comme l'un des deux le fit peu de temps après, profitant de la plus favorable
occasion que jamais pécheur ait eue dans le monde
§ 1389.
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Lorsque notre auguste Princesse vit que les Juifs, persistant dans leur
perfide envie, s'acharnaient à déshonorer de plus en plus Jésus-Christ
crucifié, qu'ils le blasphémaient et le regardaient comme le plus méchant des
hommes, et qu'ils juraient de retrancher son nom de la terre des vivants,
comme Jérémie l'avait prophétisé , son âme fidèle s'enflamma de nouveau
du zèle de l'honneur de son Fils et de son Dieu véritable. Et s'étant
prosternée devant sa sacrée personne crucifiée, elle l'adora et pria le Père
éternel de défendre l’honneur de son Fils unique par des signes si éclatants,
que les perfides Juifs en fussent confondus et frustrés dans leurs
malicieuses intentions.
165> Après avoir fait cette
prière au Père, elle s'adressa avec le même zèle et avec le même pouvoir de
Reine de l’univers à toutes les créatures irraisonnables qu'il contient, et
leur dit : "Créatures insensibles, sorties de la main du Tout-Puissant,
manifestez le sentiment que les hommes doués de raison refusent
stupidement d'éprouver à la vue de sa mort. Cieux, soleil, lune,
étoiles, planètes, arrêtez votre cours, suspendez vos influencés envers
les mortels. Éléments, altérez vos propriétés; que la terre perde son
repos; que les pierres et les rochers se brisent. Tombeaux, qui servez de triste demeure aux morts, ouvrez-vous pour
confondre les vivants. Voile mystique et figuratif du Temple, déchirez-vous
par le milieu et par ce déchirement annoncez aux incrédules leur
punition, et attestez la vérité de la gloire de leur Créateur et de leur
Rédempteur qu'ils prétendent obscurcir."
§ 1390.
Haut de page.
En vertu de cette prière et de ce pouvoir de la bienheureuse Vierge Mère de
Jésus-Christ crucifié, la toute-puissance du Très-Haut avait disposé tout ce
qui arriva au moment de la mort de son Fils unique. Sa divine Majesté éclaira
et toucha les cœurs de beaucoup de personnes témoins des prodiges qui
arrivèrent, et déjà auparavant de plusieurs autres, afin qu'elles
reconnussent Jésus crucifié pour saint et juste, et pour le véritable Fils de
Dieu, comme le centenier et un grand nombre d'autres qui s'en retournèrent du
Calvaire en frappant leur poitrine de douleur, ainsi que le racontent les évangélistes .
166> Il n'y eut pas que ceux
qui avaient ouï et reçu sa doctrine qui le reconnurent; il y en eut une foule
d'autres qui ne l’avaient point connu et qui n'avaient pas, va ses miracles.
Par l'effet de cette même prière, Pilate fut inspiré de ne point changer le
titre de la croix que l'on avait déjà inscrit au-dessus de la tête du
Seigneur en trois langues, c'est-à-dire en hébreu en grec et en latin. Et
quoique les Juifs insistassent auprès du juge pour que l'inscription ne
portât point Jésus de Nazareth roi des Juifs, mais seulement qui se
qualifiait roi des Juifs . Pilate répondit : "Ce qui
est écrit demeurera écrit;" et ne voulut point la changer
. Toutes les autres créatures
insensibles obéirent, par la volonté divine, à l'ordre de la très-pure Marie.
Et tous les prodiges que des évangélistes racontent , arrivèrent entre midi et trois heures
du soir, ou la neuvième heure, en laquelle le Sauveur expira. Le soleil s'obscurcit; les planètes
changèrent leurs influences; les cieux et la lune interrompirent leurs
mouvements; les éléments se troublèrent; la terre trembla; plusieurs
montagnes se fendirent; les pierres se brisèrent les unes contre les autres;
les tombeaux s'ouvrirent, d'où les corps de certaines personnes nui étaient
mortes ressuscitèrent. Le bouleversement de tout ce qui est visible et
élémentaire, fut si extraordinaire, qu'il se fit sentir dans toutes les
parties monde.
167> Les Juifs qui étaient dans
Jérusalem furent saisis d'étonnement et d'effroi; néanmoins leur perfidie et
leur malice extrême les rendit indignes de connaître la vérité que toutes les
créatures insensibles leur publiaient.
§ 1391.
Haut de page.
Les soldats qui crucifièrent notre Sauveur .Jésus-Christ, et à qui
appartenait comme exécuteurs la dépouille des justiciés,
convinrent entre eux de partager les habits de l'innocent Agneau. Ils firent
quatre parts du manteau ou surtout qu'il avait quitté lors de la cène pour
laver les pieds à ses apôtres, et qu'ils avaient, par une disposition divine,
porté au Calvaire, et chacun d'eux eut la sienne, car ils étaient quatre . Mais ils ne voulurent point couper la
tunique sans couture , la Providence l'ordonnant de la sorte
dans des vues fort mystérieuses; c'est pourquoi ils tirèrent au sort à qui
elle resterait; et elle fut cédée à celui auquel le sort la fit échoir, de
sorte que ce que dit David dans le psaume vingt-unième fut accompli à la lettre. Les saints
docteurs expliquent les mystères que cachait cette conduite de la divine
Providence, qui ne permit point que cette tunique fût coupée; et entre autres
choses elle voulut noua signifier que quoique les Juifs déchirassent par les
coups et par les plaies la très-sainte humanité de notre Seigneur Jésus-Christ
qui recouvrait la Divinité, ils ne purent néanmoins ni atteindre ni blesser
celle-ci par la Passion; et celui à qui écherra
(adviendra) l'heureux sort d'être justifié en participant à cette même
Passion, entrera un jour dans la pleine et entière possession et jouissance
de la Divinité.
§ 1392.
Haut de page.
168> Et comme la sainte croix
était le trône roi al de Jésus-Christ et la chaire d'où il voulait enseigner
la science de la vie, confirmant, lorsqu'il y fut élevé, sa doctrine par son
exemple, il prononça cette parole, en laquelle il renferma tout ce que la
charité et la perfection ont de plus sublime : Mon Père, pardonnez-leur,
car ils ne savent pas ce qu'ils font . Notre divin Maître s'appropria ce
précepte de la charité et de l'amour fraternel, en l'appelant sien . Et pour preuve de cette vérité qu'il
avait enseignée, il en pratiqua le précepte sur la croix, non-seulement en
aimant ses ennemis et en leur pardonnant , mais aussi en, représentant leur
ignorance pour les disculper, au moment même où leur malice était arrivée au
plus haut degré auquel pussent atteindre les hommes, puisqu'elle leur avait
fait persécuter, et crucifier, et blasphémer leur Dieu et leur Rédempteur.
Telle fut l'ingratitude humaine après tant de lumières, d'instructions et de
bienfaits, et telle fut l'ardente charité de notre adorable Sauveur en retour
des tourments, des épines, des clous, de la croix et de tant de cruels
outrages. O amour incompréhensible! ô douceur ineffable! ô patience que les
hommes ne sauraient jamais concevoir, que les anges admirent et que les
démons redoutent ! L'un des deux larrons, appelé Dismas, comprit quelque chose de ce mystère, et l'intercession de la
bienheureuse Vierge opérant en même temps, il fut éclairé d'une lumière
intérieure qui lui fit connaître son Rédempteur et son Maître à cette
première parole qu'il dit sur la croix.
169> Et; touché d'une véritable
contrition de ses péchés, il se tourna vers son compagnon et lui dit : Quoi !
tu ne crains pas Dieu, quand tu es condamné au mente supplice? Pour nous,
c'est avec justice, puisque nous soufrons la peine
due â nos crimes; mais celui-ci n'a commis aucun mal . Et s'adressant ensuite à notre
Sauveur, il lui dit: Seigneur, souvenez-vous de moi lorsque tous serez
dans votre royaume "
§ 1393.
Haut de page.
Cet heureux voleur, le centenier, et les autres qui confessèrent Jésus-Christ
sur la croix, furent les premiers à ressentir les effets de la rédemption.
Mais le plus heureux de tous, ce fut Dismas, qui mérita d'entendre la seconde
parole que dit le Seigneur : Je vous dis en vérité que vous serez
aujourd'hui avec moi dans le paradis . O bienheureux voleur, qui seul avez
obtenu cette parole si désirée de tous les justes de la terre! Les anciens
patriarches et les prophètes n'ont pas eu le bonheur de l'entendre,
s'estimant fort heureux de descendre dans les limbes, et d'y attendre pendant
le cours de plusieurs siècles le paradis que vous avez obtenu en un moment
par le plus beau trait de votre métier. Naguère vous voliez le bien d'autrui
et les choses terrestres, et vous ravissez maintenant le ciel des mains de
son Maître !
170> Mais vous l'emportez avec
justice, et il vous le donne par grâce : vous avez été le dernier disciple de
sa doctrine pendant sa vie, et le premier à la pratiquer après l'avoir ouïe.
Vous avez aimé et corrigé votre frère; vous avez reconnu votre Créateur; vous
avez repris ceux qui blasphémaient; vous avez imité votre adorable Maître en
souffrant avec patience, vous l'avez prié avec humilité de se souvenir de vos
misères comme rédempteur; et il a récompensé vos désirs comme glorificateur,
en vous accordant sans délai la récompense qu'il vous a méritée, à vous et à
tous les mortels.
§ 1304.
Haut de page.
Le bon larron justifié, Jésus jeta ses doux regards sur sa Mère affligée, qui
se tenait su pied de la croix avec saint Jean ; et s'adressant d'abord à sa
Mère, il lui dit : Femme, voilà votre fils ; et s'adressant ensuite à l'Apôtre, il
lui dit : Voilà votre mère
. Le Seigneur appela la sainte Vierge
du nom de femme, et non de celui de mère, parce qu'il aurait été sensiblement
consolé en prononçant ce dernier nom si plein de douceur; et il ne voulut pas
se donner cette consolation au milieu de ses plus grandes souffrances, comme
je l'ai déjà fait remarquer, parce qu'il avait renoncé à tout ce qui pouvait
adoucir ses peines. Mais en l'appelant femme, il lui dit intérieurement :
Femme bénie entre toutes les femmes , la plus prudente entre les enfants
d'Adam; femme forte et confiante , exempte de tout péché, toujours
fidèle en mon amour, toujours assidue à mon service;
171> femme dont la charité n'a pu être éteinte ni troublée par les eaux
amères de la Passion : je m'en vais à mon Père, et je ne
puis désormais vous faire compagnie ; mon disciple bien-aimé vous assistera,
il vous servira comme sa mère, et sera votre fils. Notre auguste Reine
entendit tout cela. Et dès cette heure le saint apôtre la reçut pour sienne,
favorisé de nouvelles lumières pour mieux connaître et estimer davantage la
plus parfaite créature que la Divinité eût créée après l'humanité de notre
Seigneur Jésus-Christ. Ainsi éclairé, il l'honora et la servit tout le reste
de la vie de cette grande Reine, comme je le dirai plus loin. Elle le prit
aussi pour son fils avec une humble obéissance, et lui promit dès lors une
sollicitude toute maternelle, sans que les douleurs extrêmes de la Passion
empêchassent son cœur magnanime de pourvoir à tout; car elle faisait toujours
ce que la perfection et la sainteté ont de plus sublime, sans en omettre la
moindre chose.
§ 1395.
Haut de page.
Il était environ la neuvième heure du jour, bien que les ténèbres et le deuil
de la nature parussent déjà faire régner la confusion de la nuit, quand notre
Sauveur Jésus-Christ prononça d'une voix éclatante et forte la quatrième
parole, que tous ceux qui étaient présents purent entendre : Mon Dieu,
dit-il, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé
?
Quoique le Seigneur dit ces paroles en la langue
hébraïque, elles ne furent pas comprises de tous. Et comme les premiers mots
en cette langue étaient, Eli, Eli, quelques-uns s'imaginèrent qu'il
appelait Élie : quelques autres dirent en se moquant :
172> "Voyons si Élie viendra
maintenant le délivrer de nos mains ." Mais le mystère de ces paroles
de Jésus-Christ fut aussi profond que caché aux Juifs et aux Gentils; car
elles comportent plusieurs sens que les docteurs sacrés leur ont donnés. Ce
qui m'a été expliqué, c'est que le délaissement de Jésus-Christ ne consista
point en ce que la Divinité s'éloigna de la très-sainte humanité par la
dissolution de l'union substantielle hypostatique, ni par la suspension de la
vision béatifique de son âme; car l'humanité eut ces deux unions avec la
Divinité dès l'instant qu'elle fut conçue dans le sein virginal, de l'auguste
Marie par l'opération du Saint-Esprit; et la Divinité n'a jamais délaissé ce
à quoi elle s'est une fois unie. Telle est la vraie et catholique doctrine.
Il est également certain que la très-sainte humanité fut abandonnée de la
Divinité, en ce qu'elle ne la préserva point de la mort et des douleurs de la
Passion. Mais le Père éternel ne la délaissa point entièrement, en ce qui
regarde le soin de son honneur, puisqu'il le défendit avec éclat par le
désordre de toutes les créatures insensibles, qui pleurèrent sa mort. Il y a
encore un autre délaissement que notre Sauveur Jésus-Christ exprima par cette
plainte, qui naissait de la charité immense qu'il avait pour les hommes, et
ce délaissement fut celui des réprouvés;
173> il se plaignit de ceux-ci
à la dernière heure de sa vie, comme dans la prière qu'il fit au jardin, oh
son âme très-sainte fut saisie de cette tristesse mortelle que j'ai dépeinte
ci-dessus; parce qu'offrant une rédemption si abondante pour tout le genre
humain, elle ne devait point être efficace dans les réprouvés; et qu'il s'en
trouverait privé au sein du bonheur éternel, pour lequel il les avait créés
et rachetés: et comme c'était un décret de la volonté éternelle du Père, il
se plaignit amoureusement et avec douleur, quand il dit : Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé? entendant parler de la compagnie des
réprouvés.
§ 1396.
Haut de page.
Comme plus grand témoignage de ces sentiments, le Seigneur ajouta aussitôt là
cinquième parole, et dit : J'ai soif . Les douleurs de la Passion pouvaient
causer à notre adorable Sauveur une soif naturelle. Mais ce n'était pas alors
le moment de la faire connaître et de l'apaiser, et le divin Maître, sachant
qu'il était sur le point d'expirer, n'en aurait rien dit, sans quelque
dessein mystérieux. Il désirait avec ardeur que les captifs enfants d'Adam ne
refusassent point la liberté qu'il leur méritait, et qu'il leur offrait. Il
désirait que tous répondissent à ses soins charitables par la foi et, par
l'amour qu'ils lui devaient; qu'ils reçussent ses mérites et ses douleurs, sa
grâce et son amitié, qu'ils pouvaient acquérir en participant et à ses
mérites et à ses souffrances; et qu'ils ne perdissent point leur félicité
éternelle , qu'il leur laissait pour héritage, s'ils voulaient la recevoir et
la mériter.
174> Voilà quelle était la soif
de notre divin Maître, et il n’y eut alors que la bienheureuse Marie qui la
comprit parfaitement; c'est pour cette raison , qu'elle appela intérieurement
avec la charité la plus vive les pauvres, les humbles, les êtres affligés,
méprisés et persécutés, afin qu'ils s'approchassent du Seigneur, et qu'ils
apaisassent en partie cette soif , puisqu'il n’était pas possible de l'apaiser
entièrement. Mais les perfides Juifs et les bourreaux, pour témoigner
davantage leur funeste endurcissement, présentèrent par dérision su Seigneur
une éponge trempée dans le fiel et le vinaigre, et l'ayant attachée au bout
d'une canne, ils la lui portèrent à la bouche, afin qu'il en bût , accomplissant la prophétie de David,
qui dit: Dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre à boire . Notre très-patient Seigneur en goûta,
et même, il en but quelque peu, pour montrer par ce mystère qu'il tolérait la
damnation des réprouvés. Mais à la prière de sa très-sainte Mère, il cessa
presque aussitôt d'en prendre ; parce qu'étant la Mère de la grâce, elle
devait en être aussi la porte, et la médiatrice de ceux qui profiteraient de
la Passion et de la rédemption.
§ 1397.
Haut de page.
Ensuite le Sauveur prononça avec le même mystère la sixième parole: Consummatum est . J'ai maintenant accompli l’œuvre pour
laquelle je suis venu du ciel. J'ai accompli la rédemption des hommes et la
volonté de mon Père éternel, qui m'a envoyé pour souffrir et mourir pour le
salut des gommes.
175> J'ai accompli les
Écritures, les prophéties, les figures du vieux Testament, et le cours de la
vie passible et mortelle que j'ai reçue dans le sein de ma Mère. Je laisse
dans le monde mon exemple, ma doctrine, mes sacrements, et les remèdes
propres à guérir les maux que le péché a causés. J'ai satisfait à la justice
de mon Père éternel pour la dette de la postérité d'Adam. J'ai enrichi mon
Église pour le remède des péchés que les hommes commettront; et pour ce qui
regardait ma mission de réparateur, j'ai achevé avec une entière perfection
l'œuvre de mon avènement su monde, et j'ai jeté dans l'Église militante un
fondement assuré pour l'édifice de l'Église triomphante, que personne ne
pourra ni ébranler ni changer. Tous ces mystères sont renfermés dans ces
paroles : Consummatum est.
§ 1398.
Haut de page.
L'œuvre de la rédemption du genre humain ayant été entièrement achevée, il
fallait que, comme le Verbe était sorti de son Père pour s'incarner et vivre
d'une vie mortelle dans le monde , il s'en allât par la perte de cette
vie à son Père avec l'immortalité. C'est pour cela que Jésus-Christ notre
Sauveur dit la dernière parole : Mon Père, je remets mon âme entre vos mains . Le Seigneur prononça ces mots d'une
voix forte, de sorte que tous les assistants les entendirent; et quand il
voulut les prononcer, il leva les yeux au ciel, comme s'adressant à son Père
éternel, et après le dernier mot, il baissa de nouveau la tête et rendit
l'esprit.
176> Par la vertu divine de ces
dernières paroles, Lucifer et tous les démons furent précipités dans les
abîmes, où ils demeurèrent tous abattus, comme je le dirai dans le chapitre
suivant L'invincible Reine, la Maîtresse des, vertus pénétra toute la
profondeur de ces mystères, comme Mère du Sauveur et coadjutrice de sa
Passion, an delà de ce que toutes les créatures ensemble en peuvent
concevoir. Et afin qu'elle participât en tout à 'cette même Passion, il
fallait que, comme elle avait ressenti les douleurs qui répondaient à celles
de son très-saint Fils, elle souffrît aussi, sans mourir, les peinés qu'eut
le Seigneur à l'instant de sa mort. Que si elle ne mourut point, c'est que
Dieu lui conserva la vie par un miracle qui fut plus grand que les autres par
lesquels sa divine Majesté la lui avait conservée dans tout le cours de la
Passion. Car cette dernière douleur fut beaucoup plus intense et plus vive
que les antres; et nous pouvons dire que tout ce que les ho m mes ont enduré
depuis le commencement du monde ne saurait égaler ce que la bienheureuse
Marie souffrit dans la Passion. Elle resta au pied de la croix jusqu'au soir,
c'est-à-dire jusqu'au moment où l'on ensevelit le corps sacré du Sauveur,
comme je le dirai dans la suite; et en récompense de cette dernière douleur,
le peu d'être terrestre qui animait son corps virginal fut encore
spiritualisé d'une manière spéciale.
§ 1399.
Haut de page.
Les saints évangélistes n'ont pas écrit les autres mystères cachés que notre
Rédempteur Jésus-Christ opéra sur la croix; et les catholiques ne peuvent
former, à cet égard, que les prudentes conjectures qu'ils tirent de la
certitude infaillible de la foi.
177> Mais entre ceux qui m'ont
été découverts en cette histoire et en cette partie de la Passion, il y a une
prière que le Sauveur fit su Père éternel avant de prononcer les sept paroles
dont les évangélistes font mention. Je l'appelle une prière, parce qu'il
s'adressa au Père éternel, quoique ce fût plutôt un testament qu'il fit en
qualité de véritable et très-sage Père de la grande
famille du genre humain, que son Père lui avait recommandée. Et comme la
raison naturelle enseigne que le chef d'une famille et le possesseur d'un
bien quelconque ne serait pas un prudent administrateur, et négligerait les
devoirs de sa position, s'il ne déclarait à l'heure de sa mort la manière
dont il entend disposer de ses biens et régler les intérêts de sa famille,
afin que ses héritiers et ses successeurs sachent ce qui revient à chacun
d'eux, sans être obligés de se disputer, et qu'ils entrent ensuite en
possession légitime et paisible de leur part d'héritage; c'est pour cela que
les hommes du siècle font leurs testaments quand ils se portent bien, pour
éviter toute inquiétude à leurs derniers moments. Les religieux eux-mêmes se
désapproprient de l'usage des choses qu'ils ont, car tout ce qui est
terrestre pèse beaucoup à l'heure de la mort, et les soucis qui en naissent
empêchent l'âme de s'élever librement à son Créateur. Sans doute, les choses
terrestres n'étaient pas capables d'embarrasser notre Sauveur, puisqu'il n'en
possédait aucune, et d'ailleurs elles n'auraient pu gêner sa puissance
infinie; néanmoins il était convenable qu'il disposât alors des trésors
spirituels et des dons qu'il avait acquis pour les hommes pendant le cours de
sa vie.
§ 1400.
Haut de page.
178> Le Seigneur attaché à la
croix disposa de ces biens éternels, faisant connaître ceux à qui ils
devaient appartenir et qui devaient être ses légitimes héritiers, et ceux
qu'il déshéritait, ainsi que les causes de la différence de leur sort. Il
s'entretint de tout cela avec son Père éternel, comme souverain Seigneur et
très-juste juge de toutes les créatures, car les secrets de la prédestination
des saints et de la réprobation des impénitents étaient renfermés dans ce
Testament, qui fut fermé et cacheté pour les hommes. Seule, la bienheureuse
Marie eut le privilège de l'entendre, parce que non-seulement elle pénétrait
toutes les opérations de l'âme très-sainte de Jésus-Christ, mais elle était
encore son héritière universelle, constituée la maîtresse de tout ce qui est
créé. Coadjutrice de la rédemption, elle devait être aussi l'exécutrice
testamentaire qui présiderait à l'accomplissement des volontés de ce Fils,
qui mit toutes choses entre les mains de sa Mère, comme le Père éternel les
avait mises entre les siennes , et en cette qualité, elle devait être
chargée de distribuer les trésors acquis par son Fils et lui appartenant,
tant à raison de, son titre que de ses mérites infinis. Cette connaissance
m'a été donnée comme faisant partie de cette histoire, afin de faire mieux
ressortir la dignité de notre auguste Reine, et que les pécheurs recourent 179> à elle comme à la dépositaire
des richesses, dont son Fils notre Rédempteur veut rendre compte à son Père
éternel : car tous nos secours doivent être tirés du dépôt de la très-pure
Marie, et c'est elle qui doit les distribuer de ses mains charitables et
libérales.
Testament que fit sur la croix Jésus-Christ, notre Sauveur priant son
Père éternel.
Haut de page.
§ 1401.
Après que la sainte croix eut été dressée sur le Calvaire, le Verbe incarné
qui y était attaché, dit intérieurement à son Père, avant de prononcer aucune
des sept paroles : "Mon Père, Dieu éternel, je vous glorifie de cette
croix où je suis, et je vous Honore par le sacrifice de mes douleurs, de ma
passion et de ma mort, vous bénissant de ce que par l'union hypostatique de
la nature divine, vous avez élevé mon humanité à la suprême dignité de
Christ, Dieu et homme, oint par votre Divinité même. Je vous glorifie pour la
plénitude de tous les dons possibles de grâce et de gloire que vous avez
communiqués à mon humanité dès l'instant de mon incarnation ; et je reconnais
que vous m'avez donné dès ce moment l'empire universel sur toutes les créatures
dans l'ordre de la grâce et de la nature pour toute l'éternité ; que vous m'avez établi Maître des
cieux et des éléments, du soleil, de la lune, des étoiles, du feu, de l'air,
des mers, de la terre, et de toutes les créatures sensibles et insensibles
qui s'y trouvent ;
180> de la révolution des
siècles, des jours et des nuits, soumettant tout à mon pouvoir absolu; que
vous m'avez fait le Chef, le Roi et le Seigneur des anges et des hommes, pour
les gouverner et pour récompenser les bons et punir les méchants ; qu'à cet effet vous m'avez donné la
toute-puissance et les clefs de l'abîme , depuis les hauteurs du ciel jusque
dans les profondeurs des enfers; que vous avez remis entre mes mains la
justification éternelle des hommes , leurs empires, leurs royaumes et leurs
principautés, les grands et les petits, les pauvres et les riches, et tous
ceux qui sont capables de votre grâce et de votre gloire; enfin , que vous
m'avez établi le Justificateur, le Rédempteur et le Glorificateur universel
de tout le genre humain , le Seigneur de la mort et de la vie,
de tous ceux qui sont nés, de la sainte Église et de ses trésors, des
Écritures, des mystères, des sacrements, des secours, des lois, et des dons
de la grâce : vous avez remis, mon Père, toutes choses entre mes mains , et les avez subordonnées à ma
volonté, et c'est pour cela que je vous bénis, que je vous exalte, que je
vous glorifie.
§ 1402.
Haut de page.
181> Maintenant, Père éternel,
que je sors de ce monde pour m'en aller à votre droite par la mort que je
vais souffrir sur la croix, et que j'ai accompli par elle et par ma passion
la rédemption des hommes que vous m'avez confiée, je demande, mon Dieu, que
cette croix soit le tribunal de notre justice et de notre miséricorde. Je
veux juger, pendant que j'y suis attaché, ceux pour qui je donne la vie. Et
justifiant ma cause, je veux disposer des trésors de mon avènement au monde,
de ma passion et de ma mort; afin de déterminer dès maintenant ce qui est dû
aux justes ou aux réprouvés, à chacun selon les œuvres par lesquelles il
m'aura témoigné son amour ou son mépris. J'ai cherché, Seigneur, tous les
hommes, je les si tous appelés à mon amitié et à ma grâce, et j'ai travaillé
sans cesse pour eux dès l'instant que j'ai pris chair humaine ; j'ai souffert
toute sorte de peines, de fatigues, d'injures, d'opprobres; j'ai subi une
flagellation ignominieuse, et si porté la couronne d'épines; enfin je vais
mourir de la mort cruelle de la croix; j'ai imploré votre miséricorde infinie
pour tous; je vous ai sollicité en faveur de tous par mes veilles, par mes
jeûnes et par mes travaux ; je leur ai enseigné le chemin de la vie
éternelle; et autant que cela peut dépendre de ma volonté, je veux l'accorder
a tous, comme je l'ai méritée pour tous, sans en
excepter ni en exclure aucun; c'est pour tous que j'ai établi la loi de grâce
; et l'Église, dans le sein de laquelle ils pourront se sauver, durera
toujours, sans que personne puisse l'ébranler.
§ 1403.
Haut de page.
182> Mais nous connaissons, mon
Père, par notre prescience, que par leur malice et leur dureté tous les
hommes ne veulent pas recevoir notre salut éternel, ni se prévaloir de notre
miséricorde, ni marcher dans le chemin que je leur ai frayé par ma vie, par
mes pauvres et par ma mort; mais qu'ils veulent arriver, par les voies de
l'iniquité, jusqu'à la damnation. Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements
sont très-équitables ; il est juste aussi, puisque vous
m'avez établi juge des vivants et des morts , des bons et des méchants, que je
décerne aux justes la récompense qu'ils ont méritée en me servant et
m'imitant, et que j'inflige aux pécheurs le châtiment de leur obstination
perverse : que ceux-là aient part avec moi à mes biens, et que ceux-ci soient
privés de mon héritage, qu'ils n'ont pas voulu accepter. Or, mon Père
éternel, en votre nom et au mien, et pour vous rendre gloire, je vais faire
les dernières dispositions de ma volonté humaine, qui est conforme à votre
volonté éternelle et divine. Je veux en premier lieu nommer ma très-pure Mère
qui m'a donné l'être humain, et la constituer mon héritière unique et
universelle de tous les biens de la nature, de la grâce et de la gloire qui
m'appartiennent, afin qu'elle en soit la maîtresse avec un plein pouvoir; je
lui accorde actuellement tous ceux de la grâce, qu'elle peut recevoir dans sa
condition de simple créature, et je lui promets ceux de la gloire dans
l’avenir.
183> Je veux aussi qu'elle soit maîtresse des anges et des hommes; qu'elle
ait sur eux un empire absolu, que tous lui obéissent et la servent, que les
démons la craignent et lui soient assujettis, et que toutes les créatures
privées de raison et de sentiment lui soient soumises, les cieux, les
étoiles, les planètes, les éléments et tous les êtres vivants, oiseaux,
poissons et animaux que l'univers contient : je la rends maîtresse de tout,
et veux que tous la sanctifient et l’exaltent avec moi. Je veux encore
qu'elle soit la dépositaire et la dispensatrice de tous les biens que les
cieux et la terre renferment. Ce qu'elle ordonnera et disposera dans l'Église
à l'égard des hommes et des enfants, sera confirmé dans le ciel par les trois
personnes divines, et nous accorderons selon sa volonté tout ce qu'elle
demandera pour les mortels, maintenant et toujours.
§ 1404.
Haut de page.
Je déclare que le suprême ciel appartient aux anges, qui ont obéi à votre
sainte et juste volonté, afin qu'il soit leur demeure propre et éternelle ;
et que là leur appartiennent également la jouissance et la claire vision de
notre Divinité. Je veux qu'ils en jouissent d'une possession éternelle, en
notre amitié et en notre compagnie. Je leur prescris de reconnaître ma Mère
pour leur Reine et leur Maîtresse légitime, de la servir, de l'accompagner,
de l’assister en tout lieu et en tout temps, et de lui obéir en tout ce
qu'elle voudra leur commander. Quant aux démons qui ont été rebelles à notre
parfaite et sainte volonté, je les bannis de notre vue et de notre compagnie;
je les condamne de nouveau à notre indignation et à la privation éternelle de
notre amitié et de notre gloire, et de la vue de ma Mère, des saints et des
justes mes amis.
184> Je leur assigne pour
demeure perpétuelle l'enfer, qui est le centre de la terre, et le lieu le
plus éloigné de notre trône céleste, où ils seront privés de la lumière, et
dans l'horreur des ténèbres palpables. Et je déclare que c'est là la part
d'héritage qu'ils ont choisie par leur obstination et par leur orgueil, en
s'élevant contre litre divin et contre ses ordres: et je les condamne à être
tourmentés dans ces antres ténébreux par un feu éternel qui ne s'éteindra
jamais.
§ 1405.
Haut de page.
Par toute la plénitude de ma volonté, j'appelle, je choisis, et je tire de la
nature humaine entière tous les justes et tous les prédestinés qui, par ma
grâce et par mon imitation doivent être sauvés en accomplissant ma volonté et
observant ma sainte loi. Ce sont ceux que je nomme en premier lieu (après ma
bienheureuse Mère) les héritiers de toutes mes promesses, de mes mystères, de
mes bénédictions, des trésors de mes sacrements, des secrets de mes
Écritures, de mon humilité, de ma douceur, des vertus de foi, d'espérance et
de charité, de prudence, de justice, de force et de tempérance, de mes dons,
de mes faveurs, de ma croix, de mes souffrances, de mes opprobres, de mes
humiliations et de ma pauvreté. Ce sera là leur partage en la vie passagère.
185> Et comme ils en doivent
faire eux-mêmes le choix par leurs bonnes œuvres, afin qu'ils le fassent avec
joie, je le leur destine en gage de mon amitié, parce que je l'ai choisi pour
moi-même. Je leur promets ma protection, mes inspirations, mes faveurs, mes
secours, mes dons, et la justification, selon leur disposition et leur amour;
car je serai pour eux un père, un frère, un ami , et ils seront mes enfants, mes élus
et mes bien-aimés : et comme tels, je les institue légataires de tous mes
mérites et de tous mes trésors sans aucune réserve de ma part. Je veux qu'ils
obtiennent de ma sainte Église et puisent dans mes sacrements tout ce qu'ils
se rendront capables de recevoir; qu'ils puissent recouvrer la grâce s'ils la
perdent, et regagner mon. amitié en se baignant et se purifiant de plus en
plus dans mon sang; que l'intercession de ma Mère et de mes sainte leur serve
dans tous leurs besoins; qu'elle les adopte pour ses enfants et les protège
comme siens; que mes anges les gardent, les conduisent et les défendent;
qu'ils les portent dans leurs mains, dupeur qu'ils ne trébuchent, et en cas
de chute, qu'ils les aident à se relever .
§ 1406.
Je veux que mes justes et mes élus dominent, sur les réprouvés et sur les
démons, et que mes ennemis es craignent et leur soient assujettis; que toutes
les créatures les servent; que les cieux, les planètes, les étoiles et leurs
influences les conservent; que la terre, les éléments, tous les animaux et
toutes les autres créatures, qui sont à moi et qui me servent, les entretiennent
comme mes enfants et mes amis, et que leur bénédiction soit dans la rosée du
ciel et dans la graisse de la terre .
186> Je veux moi-même prendre
mes délices au milieu d'eux , leur communiquer mes secrets,
converser intimement et demeurer avec eux dans l'Église militante sous les
espèces du pain et du vin; en gage infaillible de la félicité et de la gloire
éternelles que je leur promets, et dont je les fais héritiers, afin qu'ils en
jouissent à jamais avec moi dans le ciel d'une possession inamissible.
§ 1407.
Haut de page.
Quant à ceux que notre volonté rejette et réprouve (bien qu'ils fussent créés
pour une plus haute fin), je consens à leur attribuer comme leur partage en
cette vie passagère, la concupiscence de la chair et des yeux, l'orgueil et
tous ses effets ; je permets qu'ils se rassasient de
la poussière de la terre, c'est-à-dire de ses richesses, des vapeurs et de la
corruption de la chair, de ses plaisirs, des vanités et des pompes mondaines.
Pour en acquérir la possession, ils n'ont cessé d'employer tous les efforts
de leur volonté; ils y ont appliqué leurs sens, leurs facultés, les dons et
les bienfaits que nous leur avons accordés; et ils ont eux-mêmes choisi
volontairement l'erreur et rejeté la vérité que je leur ai enseignée dans ma
sainte loi .
187> Ils ont renoncé à celle
que j'ai écrite dans leur propre cœur, et à celle que ma grâce leur a
inspirée; ils ont méprisé ma doctrine et mes bienfaits; ils se sont associés
avec mes ennemis et les leurs; ils ont accueilli leurs mensonges et aimé la
vanité; ils se sont plu aux injustices, à la vengeance et aux projets de
l'ambition, ils n'ont cessé de persécuter les pauvres, d'humilier les justes,
de railler les simples et les innocents; ils ont cherché leur propre gloire
et aspiré à s'élever au-dessus des cèdres du Liban dans la loi de l'iniquité qu'ils ont
observée.
§ 1408.
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Comme ils ont fait tout cela en dépit de notre bonté divine, qu'ils ont
persisté dans leur malice opiniâtre et renoncé au droit d'enfants que je leur
ai acquis, je les déshérite de mon amitié et de ma gloire. Et ainsi
qu'Abraham éloigna de lui les enfants des esclaves, avec quelques présents, et
réserva tout son bien pour Isaac, fils de Sara, qui était né libre , de même j'exclus les réprouvés de mon
héritage avec les biens passagers et terrestres qu'ils ont eux-mêmes choisis.
Et en les repoussant de notre compagnie, de celle de ma Mère, des anges et
des saints, je les condamne aux abîmes et au feu éternel de l'enfer où ils
seront en la compagnie de Lucifer et de ses démons, auxquels ils se sont
volontairement assujettis, et je les prive pour notre éternité de l'espérance
du remède.
188> C'est là, mon Père, la
sentence que je prononce comme juge et comme chef des hommes et des anges, et le
testament que je fais au moment de ma mort pour régler l'effet de la
rédemption du genre humain, rendant à chacun ce qui lui est dit en justice
selon les œuvres , et conformément au décret de votre
sagesse incompréhensible et de votre justice très-équitable." Ainsi
parla notre Sauveur crucifié à son Père éternel, et ce mystère fut caché et
gardé dans le cœur de la bienheureuse Marie, comme un testament secret et
scellé, afin qu'il fût exécuté en temps et lieu, et dès lors même dans
l'Église par son intercession, comme il l'avait été précédemment par la
prescience divine, dans laquelle le passé et l'avenir sont également
présents.
Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.
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§ 1409.
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Ma fille, tâchez de n'oublier jamais la connaissance des mystères que je vous
ai découverts dans ce chapitre. Je prierai le Seigneur, comme votre Mère et
votre Maîtresse, de graver de sa main divine dans votre cœur les leçons que
je vous si données, afin que tant que vous vivrez vous les ayez constamment
présentes à votre esprit.
189> Je veux que par ce
bienfait vous conserviez continuellement le souvenir de Jésus-Christ crucifié,
mon très-saint Fils et votre Époux, et que vous n'oubliiez jamais les
douleurs qu'il ressentit sur la croix, et la doctrine qu'il y enseigna et
qu'il y pratiqua. C'est avec ce miroir que vous devez perfectionner la beauté
de votre âme, et apprendre à n'avoir qu'au dedans de vous-même votre éclat et
vos charmes, comme la fille du Roi , pour que vous marchiez de progrès en progrès, et que vous régniez en
qualité d'épouse du souverain Roi. Et comme ce titre glorieux vous oblige de
faire tous vos efforts pour l'imiter, et de vous modeler sur lui autant qu'il
vous sera possible avec sa grâce, comme ce doit être là le fruit de mes
instructions, je veux que dès maintenant vous viviez crucifiée avec Jésus-Christ , et que vous vous rendiez semblable à cet adorable exemplaire en
mourant à la vie terrestre. Je veux que les effets du premier péché soient
détruits en vous, que vous ne viviez plus que dans les opérations et les
effets de la vertu divine, et que vous renonciez à tout ce que vous avez
hérité comme fille du premier Adam, afin d'acquérir l'héritage du second, qui
est Jésus-Christ votre Rédempteur et votre Maître.
§
1410.
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de page.
Votre état doit être une croix fort étroite, ou il faut que vous soyez
clouée, et non une voie large où vous trouveriez des privilèges et des
interprétations qui la rendraient plutôt large et commode qu'assurée et
parfaite.
190> L'illusion des enfante de Babylone
et d'Adam est de chercher dans leurs différents états des adoucissements à la
loi de Dieu, et de vouloir marchander le salut de leurs âmes pour acheter le
ciel à bon compte, même au risque de le perdre, s’il leur en doit coûter la
peine de se conformer à la rigueur de la loi divine et de ses préceptes. De
là vient qu'ils courent en quête des doctrines et des opinions qui
élargissent les voies de la vie éternelle; sans songer que mon très-saint
Fils, leur a enseigné qu'elles étaient fort étroites , et qu’il n'en a point suivi d'autres, afin que personne ne
s'imagine pouvoir arriver au bonheur éternel par des voies plus spacieuses et
proportionnées aux inclinations d'une chair pervertie par le péché. Ce danger
est plus grand pour les ecclésiastiques et les religieux, qui par leur état
doivent suivre leur divin Maître et se conformer à sa vie et à sa pauvreté;
c'est pour cela qu'ils ont choisi le chemin de la croix; et cependant ils
veulent que leurs dignités ou leur profession leur procurent plus de
commodités temporelles et de plus grands honneurs qu'ils n'en auraient
obtenus dans une autre carrière. Et pour y réussir, ils accommodent à leur
gré la croix qu'ils ont promis de porter, de sorte qu'elle ne les empêche pas
de vivre fort à l'aise et de mener une vie sensuelle en se fondant sur de
simples opinions, et sur des interprétations trompeuses. Mais ils connaîtront
un jour la vérité de cette sentence du Saint-Esprit qui dit : "Toutes
les voies de l'homme lui paraissent droites, mais le Seigneur pèse les cœurs ."
§
1411.
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de page.
191> Je veux, ma fille, que
vous soyez si loin de cette erreur, que vous pratiquiez toujours ce que votre
profession présentera de plus rigoureux et de plus étroit; de sorte que vous
ne puissiez vous séparer de cette croix ni vous
tourner d'un côté ou de l'autre, comme y étant clouée avec Jésus-Christ; car
vous devez préférer la moindre obligation de cet état à toutes les commodités
temporelles. Il faut que votre main droite soit clouée par l'obéissance, sans
que vous vous réserviez, un seul mouvement, une seule action, pensée ou
parole qui ne soit dirigée par cette vertu. Vous ne devez point vous permettre
un geste qui vienne de votre propre volonté, mais vous devez suivre en tout
celle de vos supérieurs; il ne faut pas non plus que vous soyez sage à vos
propres yeux en quoi que ce soit, mais ignorante et aveugle, afin que vos guides
ne trouvent en vous aucune résistance. Celui qui promet, dit le Sage , a cloué sa main et se trouve pris par ses paroles. Or vous avez
cloué votre main par le vœu d'obéissance, et par cet acte vous vous êtes
dépouillée de votre liberté et du droit de dire : Je veux, ou je ne veux
point. Votre main gauche sera clouée par le veau de pauvreté, et vous ne
conserverez aucune inclination, aucune affection pour aucune des choses qui
flattent d'ordinaire les yeux; car, soit dans l'usage, soit dans le désir de
ces choses, vous devez imiter fidèlement Jésus-Christ pauvre sur la croix.
192> Vos pieds doivent être
cloués par le troisième vœu, celui de chasteté, afin que vous soyez pure,
chaste et belle dans toutes vos démarches et dans toutes vos voies. C'est
pourquoi vous ne devez point permettre que l'on dise en votre présence aucune
parole qui choque la bienséance, ni recevoir aucune image des choses
passagères, ni regarder ou toucher aucune créature humaine; vous devez
consacrer tous vos sens et particulièrement vos yeux à la chasteté, et ne
vous en servir que pour contempler Jésus crucifié. Vous garderez avec toute
sûreté le quatrième vœu de clôture dans le côté de mon très-saint Fils, c'est
là que je vous en demande l'accomplissement. Et afin que cette doctrine vous
paraisse plus douce et ce chemin moins étroit, mettez-vous à considérer en
vous-même l'image de mon adorable fils tout couvert de plaies, accablé
d'outrages, cloué sur la croix, et déchiré en toutes les parties de son corps
sacré, tel qu'il vous a été représenté. Nous étions, mon très-saint fils et
moi, d'un tempérament plus sensible et plus délicat qu'aucun des enfants es
hommes, et nous avons souffert pour eux des tourments affreux, afin qu'ils
eussent le courage de se résigner à des peines beaucoup plus légères pour
leur propre bien éternel et en retour de l'amour que nous leur avons
témoigné.
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