| Vision du lundi 18 février 1946 208>  387.1 - Je ne sais pas comment est maintenant Galgala. Au moment
  où Jésus y entre, c'est une ville ordinaire de Palestine, assez peuplée,
  située sur une colline peu élevée, couverte surtout de vignes et d'oliviers.
  Mais le soleil y est si fort que les blés aussi peuvent y trouver place,
  semés au hasard sous les arbres ou entre les rangs de vignes. Et ils
  mûrissent malgré les feuillages parce qu'ils sont rôtis à souhait par
  le soleil qui déjà se ressent du voisinage du désert. 
 Poussière, brouhaha, saleté, confusion de jour de
  marché. Et, inévitables comme le destin, les habituels pharisiens et scribes
  zélés et non convaincus, qui avec de grands gestes discutent doctoralement
  dans le meilleur coin de la place et qui font semblant de ne pas voir Jésus
  ou de ne pas le connaître. Jésus va tout droit consommer son repas sur une
  petite place secondaire, presque à la périphérie, toute ombragée par un
  enchevêtrement de branches d'arbres de toutes espèces. J'ai l'impression
  qu'il s'agit d'une portion de montagne faisant partie depuis peu de
  l'agglomération et qui garde encore le souvenir de son état naturel.
 
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 209>
  387.2 - Le premier à s'approcher de Jésus, qui mange du pain et
  des olives. est un homme déguenillé. Il demande un peu de pain. Jésus lui
  passe le sien avec toutes les olives qu'il a en main. 
 "Et Toi? Nous n'avons pas d'argent, tu le sais, observe Pierre. Nous avons tout laissé à Ananias..."
 
 "N'importe. Je n'ai pas faim. Soif, si..."
 
 Le mendiant dit :
 
 "Ici derrière il y a un puits. Mais pourquoi m'as-tu tout donné ?
  Tu pouvais me donner la moitié de ton pain... Si tu n'éprouves pas du dégoût
  de le reprendre..."
 
 "Mange, mange. Moi, je puis m'en passer. Mais pour que tu ne penses pas
  que j'aie du dégoût, donne-moi de tes mains une seule bouchée et je la
  mangerai pour être ton ami..."
 
 L'homme, au visage triste et sombre, s'éclaire d'un sourire étonné et il
  dit :
 
 "Oh ! c'est la première fois depuis que je suis le pauvre Ogla que quelqu'un me dit qu'il veut être mon
  ami !" et il donne une bouchée de pain à Jésus. Et il
  demande : "Qui es-tu ? Comment t'appelles-tu ?"
 
 "Je suis Jésus de Nazareth, le Rabbi de Galilée."
 
 "Ah !... J'ai entendu par d'autres parler de Toi... Mais... n'es-tu
  pas le Messie ?..."
 
 "Je le suis."
 
 "Et Toi, Messie, tu es si bon avec les mendiants ? Le Tétrarque
  nous fait battre par ses serviteurs s'il nous voit sur sa route..."
 
 "Moi, je suis le Sauveur. Je ne bats pas. J'aime."
 
 L'homme le regarde fixement. Puis il se met à pleurer lentement.
 
 "Pourquoi pleures-tu ?"
 
 "Parce que... je voudrais être sauvé...
 
  387.3 - Tu n'as plus soif, Seigneur ? Je pourrais te
  conduire au puits et je parler..." 
 Jésus comprend que l'homme veut avouer quelque chose et il se lève en
  disant :
 
 "Allons."
 
 "Je viens moi aussi !" déclare vivement Pierre.
 
 "Non. Je reviens tout de suite, d'ailleurs... Et il faut respecter celui
  qui se repent."
 
 Il va avec l'homme derrière une maison au-delà de laquelle s'étend la
  campagne.
 
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 210> "Là il y a le puits... Bois, et puis
  écoute-moi."
 
 "Non, homme. Verse d'abord en Moi ta peine et ensuite... je boirai. Et
  puis j'aurai peut-être une eau plus douée pour ma soif que celle du
  sol."
 
 "Laquelle, Maître ?"
 
 "Ton repentir. Allons sous ces arbres. Ici les femmes nous observent.
  Viens" et il lui met la main sur l'épaule et le pousse vers un massif
  d'oliviers.
 
 "Comment sais-tu que je suis coupable et que je me repens ?"
 
 "Oh !... Mais parle et n'aie pas peur de Moi."
 
 
  387.4 - "Seigneur... Nous étions sept frères d'un même père,
  mais moi j'étais né d'une femme que mon père avait épousée une fois veuf.
  J'étais haï par les six autres. Le père. en mourant, nous laissa à tous des
  parts égales. Mais quand il fut mort, les six autres, en corrompant les
  juges, m'enlevèrent tout mon bien. Ils chassèrent ma mère et moi-même, avec
  des accusations infâmes. Elle mourut alors que j'avais seize ans... et elle
  mourut de privations... Et dès lors, je n'ai plus eu personne pour
  m'aimer..." et il pleure tout abattu. Il se reprend et continue :
  "Les six, riches et heureux, connaissaient la prospérité, grâce aussi à
  mon bien, et moi je mourais de faim car j'étais tombé malade en assistant ma
  mère épuisée... Mais Dieu les à frappés l'un après
  l'autre. Je les ai tant maudits, tant haïs, qu'ils ont été victimes du
  sortilège. Faisais-je mal ? Certainement. Je le sais. Et je le savais.
  Mais comment aurais-je pu ne pas les haïr et les maudire ? Le dernier,
  qui était en réalité le troisième par rang d'âge, résistait à toutes les
  malédictions. Il prospérait même, grâce aux biens des cinq autres, il avait
  hérité légitimement des trois plus jeunes, morts sans épouses, il avait épousé
  la veuve du premier, mort sans enfants, et il avait frauduleusement, par des
  prêts et des ruses, enlevé une bonne partie de la succession du second à la
  veuve et aux orphelins. Quand il me rencontrait par hasard aux marchés où
  j'allais comme serviteur d'un riche pour vendre des denrées, il m'insultait
  et me frappait... Un soir, je l'ai rencontré... J'étais seul, il était seul.
  Lui était un peu ivre de vin... Et moi, j'étais ivre de souvenirs et de haine... Il y
  avait dix ans que ma mère était morte... Il m'insulta, en insultant la
  morte... Il l'appela "chienne immonde" et il m'appela "fils de
  la hyène..." 
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 211> Seigneur, s'il n'avait pas touché ma mère... j'aurais
  supporté. Mais il l'a insultée... Je l'ai pris au collet. Nous avons lutté...
  Je voulais seulement le frapper... Mais il a glissé à terre... et la terre
  était couverte d'une herbe glissante, en pente... et dessous il y avait un
  ravin et un torrent... Il a roulé, ivre comme il l'était, et il est tombé...
  On le cherche encore depuis tant d'années... Mais il est enseveli dans les
  pierres et le sable d'un torrent du Liban. Moi, je ne suis plus revenu chez
  mon maître, et lui n'est plus revenu à Césarée Panéade. J'ai marché sans
  paix... Ah ! la malédiction de Caïn ! Peur de vivre... et peur de
  mourir... Je suis tombé malade... Et puis... j'ai entendu parler de Toi...
  Mais j'avais peur... On disait que tu voyais dans le cœur de l'homme. Et ils
  sont si méchants les rabbis d'Israël !... Ils
  ne connaissent pas la pitié... Toi, Rabbi des rabbis, tu étais ma terreur...
  Et je fuyais devant Toi. Et pourtant je voudrais être pardonné..."
 
 Il pleure, affaissé sur le sol...
 
 
  387.5 - Jésus le regarde et murmure : 
 "Et prenons sur Moi-même ces péchés !... Fils ! Écoute. Je
  suis la Pitié, pas la terreur. C'est aussi pour toi que je suis venu. N'aie
  pas honte de Moi... Je suis le Rédempteur. Tu veux être pardonné ? De
  quoi ?"
 
 "De mon crime. Tu me le demandes ? J'ai tué mon frère."
 
 "Tu as dit : "Je voulais seulement le frapper" parce qu'à
  ce moment-là tu étais offensé et irrité. Mais quand tu haïssais et maudissais
  non pas un mais six frères, tu n'étais pas offensé et irrité. Tu le faisais
  comme tu respirais, spontanément. La haine et la malédiction, la joie de les
  voir frappés, c'était ton pain spirituel, n'est-ce pas ?"
 
 "Oui, Seigneur. Pendant dix années ce fut mon pain."
 
 
  "Eh bien, en réalité, le plus grand
  crime, tu l'as commencé du moment où tu as haï et maudit. Tu es six fois
  homicide de tes frères." 
 "Mais, Seigneur, ils m'avaient ruiné et haï... Et ma mère était morte de
  faim..."
 
 "Tu veux dire que tu avais raison de te venger."
 
 "Oui, je veux le dire."
 
 "Tu n'as pas raison. Il y avait Dieu pour punir. Toi, tu devais aimer.
  Et Dieu t'aurait béni sur la Terre et dans le Ciel."
 
 "Il ne me bénira donc jamais ?"
 
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 212> "Le repentir ramène la bénédiction. Mais que de
  douleurs, que d’angoisses tu t'es donné ! Par ta haine tu t'en es
  données beaucoup plus que ne t'en avaient données tes frères !..."
 
 "C'est vrai ! C'est vrai ! Une horreur qui dure depuis
  vingt-six ans. Oh ! Pardonne-moi, au nom de Dieu. Tu vois que j'ai en
  moi la douleur de ma faute ! Je ne demande rien pour ma vie. Je suis
  mendiant et malade. Mais je veux rester tel, souffrir, expier. Mais donne-moi
  la paix de Dieu ! J'ai fait des sacrifices au Temple en souffrant de la
  faim, pour accumuler la somme pour l'holocauste. Mais je ne pouvais dire mon
  crime, et je ne sais pas si mon sacrifice a été accepté."
 
 "Nullement. Même si chaque jour tu en avais consommé un, à quoi
  aurait-il servi quand tu mentais en l'offrant ?
  C'est un rite superstitieux et inutile
  celui qui n'est pas précédé du sincère aveu de la faute. Faute ajoutée à
  une faute, et donc encore plus qu'inutile. Offrande sacrilège. Que disais-tu
  au prêtre ?" 
 "Je disais : "J'ai péché par ignorance en faisant des choses
  interdites par le Seigneur et je veux expier". Je pensais :
  "Je sais en quoi j'ai péché, et Dieu le sait. Mais à l'homme je ne peux
  le dire clairement. Dieu, qui voit tout, sait que je pense à mon
  péché"."
 
 "Restrictions mentales, échappatoires indignes. Le Très-Haut les hait.
  Quand on pèche, on expie. Ne le fais plus."
 
 "Non, Seigneur. Et serai-je pardonné ? Ou dois-je aller tout
  avouer? Payer de ma vie la vie que j'ai prise? Il me suffit de mourir avec le
  pardon de Dieu."
 
 "Vis pour expier. Tu ne pourrais pas rendre son mari à la veuve et leur
  père aux enfants... Avant de tuer, avant de permettre que la haine devienne
  maîtresse, il faudrait réfléchir ! Mais lève-toi et marche par ton
  nouveau chemin. En marchant, tu trouveras de mes disciples. Les monts de
  Judée, si tu vas de Tecua à Bethléem, et au-delà
  vers Hébron, sont certainement parcourus par eux. Dis-leur que Jésus t'envoie
  et dis-leur qu'avant la Pentecôte il remontera vers Jérusalem en passant par Béthsur et Béther. Demande Elie, Joseph, Lévi, Mathias,
  Jean, Benjamin, Daniel, Isaac. Te rappelleras-tu ces noms ? Adresse-toi
  à eux particulièrement. Maintenant allons..."
 
 "Et tu ne bois pas ?"
 
 "J'ai bu tes larmes. Une âme qui revient à Dieu ! Il n'y a rien de
  plus réconfortant pour Moi."
 
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 213> "Je suis pardonné, alors ?! Tu dis :
  "Qui revient à Dieu"..."
 
 "Oui. Tu es pardonné. Et ne hais jamais plus."
 
 L'homme se penche de nouveau, car il s'était redressé, et il baise les pieds
  de Jésus.
 
 
  387.6 - Ils reviennent vers les apôtres et ils les trouvent en
  discussion avec des scribes. 
 "Voici le Maître. Lui, peut vous répondre et vous dire que vous êtes
  pécheurs."
 
 "Qu'y a-t-il ?" demande Jésus dont le salut déférent n'obtient
  pas de réponse.
 
 "Maître, ils nous vexent avec leurs questions et leurs
  moqueries..."
 
 "Supporter les ennuis, c'est une œuvre de miséricorde."
 
 "Mais ils t'offensent Toi. Ils font de Toi un objet de mépris... et les
  gens hésitent. Tu le vois ? Nous avions réussi à rassembler des
  personnes... Maintenant qui reste-t-il ? Deux ou trois femmes..."
 
 "Oh ! non ! Vous avez aussi un homme, un homme crasseux !
  C'est encore trop pour vous ! Seulement, ô Maître, ne te semble-t-il pas
  de te contaminer trop, Toi qui dis toujours que les saletés te
  dégoûtent ?" raille un jeune scribe en montrant le mendiant qui est
  à côté de Jésus.
 
 "Lui n'est pas sale. Il n'a pas la saleté qui me répugne. Lui c'est
  "le pauvre". Le pauvre ne me dégoûte pas. Sa misère doit seulement
  ouvrir l'âme à des sentiments de pitié fraternelle. J'ai le dégoût des
  misères morales, des cœurs empuantis, des âmes en lambeaux, des esprits
  couverts de plaies."
 
 "Et tu sais si lui n'est pas tel ?"
 
 "Je sais qu'il croit et espère en Dieu et en sa miséricorde, maintenant
  qu'il l'a connue."
 
 "Connue ? Où habite-t-elle ? Dis-le pour que nous aussi nous
  puissions y aller et voir son visage. Ah ! Ah ! Le Dieu terrible,
  que Moïse n'osait pas regarder, doit avoir une bien terrible face même dans
  sa miséricorde, même si après tant de siècles s'est adoucie sa
  rigueur !" réplique le jeune scribe.
 
 Et il rit d'un rire qui est plus négateur qu'un blasphème.
 
 "Moi qui te parle, je suis la Miséricorde de Dieu !" crie
  Jésus. Il s'est dressé, et fulgurante est la puissance de son regard et de
  son geste. Je ne sais pas comment l'autre n'aie pas
  peur...
 
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 214> Cependant, même s'il ne fuit pas, il ne sait plus
  continuer ses sarcasmes et il se tait alors qu'un autre le remplace :
 
 "Oh ! que de paroles inutiles ! Nous voudrions seulement
  pouvoir croire. Nous ne demanderions pas mieux. Mais, pour croire, il faut
  avoir des preuves.
 
  387.7 - Maître, sais-tu ce qu'est Galgala pour nous ?" 
 "Et tu me prends pour un ignare ?" dit Jésus.
 
 Et prenant le ton de la psalmodie, lent, un peu traînant, il commence  :
 
 "Et Josué, s'étant levé avant le jour, leva le camp. Partis de Shittim
  (Setim), lui et tous les fils d'Israël arrivèrent
  au Jourdain où ils s'arrêtèrent trois jours, à la fin desquels les hérauts
  parcoururent le camp en criant : 'Quand vous verrez l'Arche de
  l'Alliance du Seigneur votre Dieu, portée par les prêtres de la race de Lévi,
  partez, vous aussi et suivez-les, mais qu'il y ait entre vous et l'Arche un
  intervalle de deux mille coudées, afin que vous puissiez voir de loin et
  distinguer le chemin par lequel vous devez marcher, n'y étant jamais passé
  et..."
 
 "Assez ! Assez ! La leçon tu la sais. Eh bien, nous voudrions
  avoir de Toi, pour croire, un pareil miracle. Au Temple, à Pâque, on nous a
  rebattu les oreilles de la nouvelle apportée par un passeur, que tu as arrêté
  le fleuve en crue. Donc si pour un homme quelconque tu as tant fait, pour
  nous, qui sommes tellement plus qu'un homme, fais le miracle de descendre
  dans le Jourdain avec les tiens et de le passer à pied sec comme Moïse à la
  Mer Rouge et Josué à Galgala. Allons ! Les sortilèges ne servent que
  pour les ignorants, mais nous nous ne serons pas séduits par ta nécromancie,
  bien que Toi, c'est connu, tu connaisses les secrets de l'Égypte et les
  formules magiques."
 
 "Je n'en ai pas besoin."
 
 "Descendons au fleuve et nous croirons en Toi."
 
 "Il est dit: "Ne tente pas le Seigneur ton Dieu !"
 
 "Tu n'es pas Dieu ! Tu es un pauvre fou. Tu es quelqu'un qui
  soulève les foules ignorantes. Avec elles c'est facile, car tu as Belzébuth
  avec Toi. Mais avec nous qui sommes pourvus des insignes d'exorcistes, tu es
  moins que rien" dit un scribe sur un ton agressif.
 
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 215> "Ne l'offense pas ! Prie-le de nous contenter.
  Comme tu le traites, il s'avilit et perd sa puissance. Allons, Rabbi de
  Nazareth ! Donne-nous une preuve et nous t'adorerons" dit un vieux
  scribe, astucieux comme un serpent, et il est plus hostile dans ses
  flatteries tortueuses que les autres dans leur férocité déclarée.
 
 Jésus le regarde. Puis il se tourne vers le sud-ouest et il ouvre les bras en
  les tendant en avant. Il dit :
 
 "Là-bas se trouve le désert de Juda et là il me fut dit par l'Esprit du
  Mal de tenter le Seigneur mon Dieu. Et j'ai répondu : "Va-t-en Satan ! Il est dit que Dieu doit être adoré,
  non tenté. Et il faut pour le suivre dépasser la chair et le sang".
  C'est ce que je vous dis, à vous."
 
 "C'est à nous que tu donnes le nom de Satan ? À nous ? Ah!
  Maudit !"
 
 Plus semblables à des voyous qu'à des docteurs de la Loi, ils prennent des
  pierres éparses sur le sol pour le frapper, et ils crient :
 
 "Va-t-en ! Va-t-en !
  Maudit sois-tu éternellement !"
 
 Jésus les regarde, sans peur. Il paralyse leur geste sacrilège, ramasse son
  manteau et il dit :
 
 "Allons ! Homme, marche devant Moi"
 
 Puis il revient vers le puits, vers l'oliveraie de la confession, il y
  pénètre... Et accablé, il baisse la tête alors que deux larmes qu'il ne peut
  retenir roulent de ses cils sur son visage pâle.
 
 
  387.8 - Ils arrivent à une route. Jésus s'arrête et il dit au
  mendiant : 
 "Je ne peux te donner de l'argent. Je n'en ai pas. Je te bénis. Adieu.
  Fais ce que je t'ai dit."
 
 Ils se séparent...
 
 Les apôtres sont affligés. Ils ne parlent pas. Ils se regardent en dessous...
 
 Jésus rompt le silence en reprenant le ton du psaume interrompu par le scribe :
 
 "Et le Seigneur dit à Josué : 'Prends douze hommes, un par tribu,
  et fais leur prendre au milieu du lit du Jourdain, à l'endroit où se sont
  arrêtés les pieds des prêtres, douze pierres très dures que vous érigerez à
  l'endroit des campements, là où vous planterez les tentes cette nuit'.
 
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 216> Et Josué, après avoir appelé à lui les douze hommes
  choisis parmi les fils d'Israël, un par tribu, leur dit :'Allez en avant
  de l'Arche du Seigneur votre Dieu au milieu du Jourdain et prenez de là, sur
  vos épaules, chacun une pierre selon le nombre des fils d'Israël, pour en
  faire un monument au milieu de vous. Et quand dans l'avenir vos fils vous
  interrogeront, en disant : Que signifient ces pierres ? Vous leur
  répondrez : Les eaux du Jourdain disparurent devant l'Arche de
  l'Alliance du Seigneur qui les traversa, et ces pierres furent placées comme
  monument éternel des fils d'Israël."
 
 Jésus relève sa tête qu'il tenait baissée. Il tourne son regard vers les
  douze qui le regardent. Il dit avec une autre voix, sa voix des moments de
  plus grande tristesse :
 
 
  "Et l'Arche a été dans le fleuve . Et ce ne furent pas les eaux, mais les Cieux qui
  s'ouvrirent par respect pour le Verbe qui s'y trouvait pour les sanctifier,
  les rendre plus saintes qu'elles ne le furent à cause de l'Arche arrêtée dans
  le lit du fleuve. Et le Verbe s'est choisi douze pierres . Très dures, car elles doivent durer jusqu'à la fin du
  monde. Et parce qu'elles doivent être les fondations pour le Temple nouveau
  et pour la Jérusalem éternelle. Douze. Rappelez-le-vous. Ce doit être le
  nombre. Et puis il en a choisi douze autres pour un second témoignage. Les
  premiers disciples bergers, et Abel le lépreux, et Samuel l'estropié, les
  premiers guéris... et reconnaissants... Très dures aussi, car elles devront
  résister aux coups d'Israël qui hait Dieu !... Qui hait
  Dieu !..." 
 Quelle voix déchirée, affaiblie, presque blanche a Jésus alors qu'il pleure sur la dureté d'Israël. Il reprend :
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