Le
vendredi 15 juin 1945.
245> 190.1 – Le
crépuscule commence pendant que le ciel rougit lorsque Jésus arrive en vue
des champs de Yokhanan.
"Hâtons le pas, amis, avant que le soleil se couche. Toi, Pierre, va
avec ton frère prévenir nos amis, ceux de Doras."
"J'y vais oui, pour voir aussi si le fils est bien parti."
Pierre dit ce mot "fils" sur un ton qui vaut un long discours. Et
il s'en va…
Entre temps, Jésus avance plus doucement, regardant tout autour pour voir s'il découvre quelque paysan de Yokhanan. Mais il
n'y a que les champs fertiles, avec les épis déjà bien formés.
Finalement, à travers les plants de vigne, se dégage un visage en sueur, puis
c'est un cri :
"Oh ! Seigneur béni !" et le paysan court hors de la
vigne pour venir se prosterner devant Jésus.
"La paix soit à toi, Isaïe !"
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246> "Oh ! Tu te rappelles
aussi mon nom ?"
"Je l'ai écrit dans mon cœur. Lève-toi. Tes compagnons, où sont-
ils ?"
"Là, dans la pommeraie, mais je vais les avertir. Tu es notre hôte,
n'est ce-pas ? Le maître n'est pas là, et nous pouvons te faire fête. Et
puis... un peu là peur, un peu la joie, il est meilleur. Pense qu'il nous a
donné l'agneau cette année et la faculté d'aller au Temple ! Il ne nous
a donné que six jours... mais nous courrons pour faire la route... Nous aussi
à Jérusalem... Penses-y ! Et grâce à Toi."
L'homme est au septième ciel par la joie d'avoir été traité en homme et en
israélite.
"Moi, je n'ai rien fait, que je sache" dit Jésus en souriant.
"Oh ! non ! Tu as agi. Doras, et puis les champs de Doras et
ceux-ci, au contraire, si beaux cette année... Yokhanan a su de ta venue et
ce n'est pas un sot. Il a peur et... et il a peur."
"De quoi ?"
"Peur qu'il lui arrive la même chose qu'à Doras, pour la vie et pour les
biens. Tu as vu les champs de Doras ?"
"Je viens de Naïm..."
"Alors tu ne les as pas vus. C'est une ruine totale. (L'homme dit cela à
voix basse et pourtant en articulant bien, comme quelqu'un qui confie en
secret, une chose redoutable.) Ruine totale ! Pas de foin, pas de blé,
pas de fruits. Les vignes desséchées, les pommiers desséchés... Mort... tout
est mort... comme à Sodome et Gomorrhe... Viens, viens que je te les
montre."
"C'est inutile. Je vais chez ces paysans..."
"Mais ils n'y sont plus ! Tu ne le sais pas ? Il les a
dispersés ou renvoyés tous, Doras, fils de Doras. Et ceux qu'il a dispersés
dans d'autres propriétés sont obligés de ne pas parler de Toi sous peine
d'être fustigés... Ne pas parler de Toi ! Ce sera difficile !
Yokhanan lui- même nous l'a dit."
"Qu'est-ce qu'il a dit ?"
"Il a dit : "Je ne suis pas aussi bête que Doras, et je ne
vous dis pas : 'Je ne veux pas que vous parliez du Nazaréen'. Ce serait
inutile parce que vous le feriez tout de même et je ne veux pas vous perdre en vous faisant périr sous le fouet comme des bêtes
récalcitrantes. Je vous dis au contraire : 'Soyez bons' comme
certainement le Nazaréen vous l'enseigne et dites-Lui que je vous traite
bien.
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247> Je ne veux pas qu'il me maudisse
moi aussi". Il voit bien ce que sont ces champs depuis que tu les as
bénis et ce que sont ceux-là depuis que tu les as maudits.
190.2 – Oh ! voilà ceux qui m'ont
labouré le champ..." .
Et l'homme court à la rencontre de Pierre et d'André.
Mais Pierre le salue rapidement et continue son chemin et il se met à
crier :
"Oh ! Maître ! Il n'y a plus personne ! Ce ne sont que
des visages nouveaux. Et tout est dévasté ! En vérité, il pourrait se
dispenser de garder ici des paysans. C'est pire que sur la Mer
Salée !..."
"Je le sais. Isaïe me l'a dit."
"Mais, viens voir! Quel spectacle!..."
Jésus le contente et dit d'abord à Isaïe :
"Alors je serai avec vous. Avertis tes compagnons et ne vous dérangez
pas. La nourriture, je l'ai. Il nous suffit d'avoir une grange à foin pour
dormir, et votre amour. Je viendrai sans tarder."
La vue des champs de Doras est vraiment
désolante. Champs et prés arides et nus, les vignobles desséchés, le
feuillage et les fruits détruits sur les arbres par des millions d'insectes
de toutes espèces. Même près de la maison le jardin fruitier présente l'aspect
désolant d'un bosquet qui meurt. Les paysans errent ça et là, arrachant des
mauvaises herbes, chassant les chenilles, les limaces, les lombrics et autres
bestioles du même genre, ils secouent les branches en tenant dessous des
chaudrons pleins d'eau pour y noyer les petits papillons, les pucerons et
autres parasites qui couvrent ce qui reste de feuilles, et épuisent l'arbre
au point de le faire mourir. Ils cherchent un signe de vie dans les sarments
des vignes, mais ils se brisent desséchés dès qu'on les touche et parfois se
cassent au pied comme si on avait scié les racines.
Le contraste avec les champs de Yokhanan, avec ses vignes, avec ses vergers
est très vif, et la désolation des champs maudits semble encore plus violente
si on la compare à la fertilité des autres.
"Il a la main lourde, le Dieu du Sinaï" murmure Simon le Zélote.
Jésus fait un geste comme pour dire : "Et comment !" mais
il ne dit rien. Il demande seulement:
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248> "Comment est-ce
arrivé ?"
Un paysan murmure entre ses dents :
"Taupes, sauterelles, vers... mais va-t-en ! Le surveillant est
dévoué à Doras... Ne nous fais pas du mal..."
Jésus pousse un soupir et s'en va.
Un autre paysan, tout en étant courbé à rechausser un pommier dans l'espoir de le sauver, dit :
"Nous te rejoindrons demain... quand le surveillant sera à Jezraël pour la prière. nous viendrons chez Michée."
Jésus fait un geste de bénédiction et s'en va.
190.3 – Quand il revient au carrefour,
il y trouve tous les paysans de Yokhanan, tout en fête, heureux, ils
entourent leur Messie et l'emmènent dans leurs pauvres maisons.
"Tu as vu là-bas ?"
"J'ai vu. Demain les paysans de Doras viendront."
"Bien, pendant que les hyènes sont à la prière... C'est ce que nous
faisons chaque sabbat... et nous parlons de Toi, avec ce que nous avons
appris par Jonas, par Isaac qui vient souvent nous trouver, et par ton
discours de Tisri .
Nous parlons comme nous savons. Car nous ne pouvons nous passer de parler de
Toi. Et nous en parlons, d'autant plus que nous souffrons davantage et qu'on nous
interdit de le faire. Ces pauvres gens... boivent la vie à chaque sabbat...
Mais, dans cette plaine, combien il y en a qui ont besoin de savoir, d'être
au moins informés sur ton compte, et qui ne peuvent venir jusqu’ici..."
"Je penserai aussi à eux. Vous, soyez bénis pour ce que vous
faites."
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