Le dimanche 31 mars 1946.
353> 408.1 – Là aussi on est en pleine
moisson. Il vaudrait mieux dire : on était... maintenant les faux ne servent
plus car il n'y a plus un seul épi dans ces champs encore plus proches du
rivage de la Méditerranée que ceux de Nicodème. En effet Jésus n'est pas allé
à Arimathie mais dans le domaine que Joseph possède dans la plaine, du côté
de la mer, et qui, avant la moisson, devait être une autre petite mer d'épis
tant il est étendu.
Une maison large, basse, toute blanche se trouve là, au milieu des champs
moissonnés. Une maison de campagne, mais bien tenue. Ses quatre aires sont
remplies de quantité de gerbes, disposées en faisceaux comme font les soldats
avec leurs armes quand ils font la pause au camp. Des nombreux chars amènent
ce trésor des champs aux aires, et des hommes nombreux les déchargent et les
mettent en tas. Joseph
va d'une aire à l'autre et veille à ce que tout soit fait
et bien fait.
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354> Un paysan, du haut
d'un tas de gerbes amoncelées sur un char, annonce :
"Nous avons fini, maître. Tout le grain est sur tes aires. C'est le
dernier char de du dernier champ."
"C'est bien. Décharge les gerbes et puis dételle les bœufs et
conduis-les aux abreuvoirs et aux étables. Ils ont bien travaillé et mérité
leur repos. Vous aussi vous avez bien travaillé et mérité le repos. Mais la
dernière fatigue sera légère car, pour des bons cœurs, la joie d'autrui est
un soulagement.
408.2 – Maintenant
nous allons faire venir les fils de Dieu pour leur donner le don du Père.
Abraham, va les appeler" dit-il ensuite en s'adressant à un patriarche
qui est peut-être le premier des serviteurs paysans de ce domaine de Joseph.
Je le pense, en voyant le respect évident des autres serviteurs pour ce vieillard qui ne travaille pas mais qui surveille et donne
des conseils pour aider le maître.
Et le vieillard s'en va... Je le vois qui se dirige vers une construction
vaste et très basse, plus semblable à un hangar qu'à une maison, pourvue de
deux portails gigantesques qui montent jusqu'à la gouttière. Je pense que
c'est une sorte de magasin où l'on abrite les chars et tout l'attirail
agricole. Il entre à l'intérieur et en sort
suivi d'une foule hétérogène de tous les âges... et de toutes les misères...
Il y a des êtres efflanqués mais sans disgrâces physiques, et il y a des
estropiés, des aveugles, des manchots, des yeux malades... Beaucoup de veuves
entourées de nombreux orphelins et aussi des femmes dont le mari est malade,
tristes, abattues, décharnées à cause des veilles et des sacrifices qu'elles
font pour soigner le malade.
Ils avancent avec cet aspect particulier des pauvres qui se rendent là où ils
vont recevoir des bienfaits : regards timides, embarras de pauvres
honnêtes, et pourtant un sourire qui affleure par dessus
la tristesse que des jours de douleur ont imprimée sur les pâles visages et
pourtant une petite étincelle triomphale, une sorte de réponse à
l'acharnement du destin dans la longue série des jours tristes, un
défi :
"Pour nous aussi, c'est un jour de fête. Aujourd’hui, c'est fête,
réjouissance, et soulagement pour nous !"
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355> Les petits écarquillent les yeux
devant les tas de gerbes plus hauts que la maison, et en les montrant disent
à leurs mères :
"Pour nous ? Oh ? c'est beau !"
Les vieillards murmurent :
"Que le Bénit bénisse celui qui a pitié !"
Les mendiants, les estropiés, les aveugles, les manchots, ceux qui ont les
yeux malades :
"Nous aurons du pain, nous aussi, sans devoir tendre la
main !"
Et les malades à leurs parents :
"Au moins nous pourrons nous soigner en sachant que vous ne souffrirez
pas pour nous. Les remèdes nous feront du bien, maintenant."
Et les parents aux malades :
"Vous voyez ? Maintenant vous ne direz plus que nous jeûnons pour
vous laisser une bouchée de pain. A présent, soyez donc heureux… !"
Et les veuves aux orphelins :
"Mes enfants, il faudra bénir beaucoup le Père des cieux qui vous tient
lieu de père et le bon Joseph qui est son administrateur. Maintenant nous ne
vous entendrons plus pleurer de faim, ô fils qui n'avez que vos mères pour
vous donner de l'aide... Les pauvres mères qui n'ont de riche que leur
cœur..."
C'est un chœur et un spectacle réjouissant, mais qui fait venir aussi les
larmes aux yeux...
408.3 – Joseph,
qui a devant lui ces malheureux, se met à parcourir les rangs, appelant les gens un par un, leur demandant combien ils sont
dans la famille, de quand date le veuvage, ou la maladie, et le reste... et
il prend note. Et pour chaque cas il commande aux paysans serviteurs :
"Donnes-en dix."
"Donnes-en trente."
"Donnes-en soixante" dit-il après avoir entendu un vieillard à
moitié aveugle qui vient à lui avec dix-sept petits-enfants, tous au-dessous
de douze ans, enfants de ses enfants, morts l'un pendant la moisson de
l'année précédente, l'autre en enfantant...
"Et, dit le vieillard, le mari s'est consolé en se remariant au bout
d'un an, me laissant les cinq fils en me disant qu'il s'en serait occupé.
Jamais d'argent par contre !... Maintenant ma femme est morte, et je
suis seul... avec eux..."
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356> "Donnes-en soixante au vieux
père. Et toi, père. Reste pour que je te donne des vêtements pour les
petits."
Le serviteur fait remarquer que s'il en donne soixante chaque fois, il n'y
aura pas assez de grain pour tout le monde.
"Et où est ta foi ? Est-ce pour moi, peut-être, que j'entasse les
gerbes et que je les distribue ? Non. Pour les fils les plus chers au
Seigneur. Le Seigneur, Lui-même, pourvoira à ce qu'il y en ait assez pour
tous" répond Joseph au serviteur.
"Oui, maître. Mais le nombre, c'est le nombre..."
"Mais la foi, c'est la foi. Et moi,
pour te montrer que la foi peut tout, j'ordonne de doubler la mesure déjà
donnée aux premiers. Qui a eu dix en ait dix autres, et qui vingt, vingt
autres, et qu'on en donne cent vingt au vieillard. Fais !
Faites !"
Les serviteurs haussent les épaules et obéissent.
Et la distribution continue au milieu de l'étonnement joyeux des
bénéficiaires qui se voient donner une mesure dépassant leurs plus folles
espérances. Et Joseph en sourit,
caressant les petits qui s'affairent à aider leurs mères, ou aide les
estropiés à faire leur petit tas, aide les vieux trop chancelants pour le
faire, ou les femmes trop affaiblies. Il fait mettre de côté deux malades
pour les faire bénéficier d'autres secours, comme il a fait pour le vieillard
aux dix-sept petits-enfants. Les tas qui étaient plus hauts que la maison sont maintenant très bas, presque au sol. Mais tous ont eu
leur part, et abondamment.
Joseph demande :
"Combien de gerbes reste-t-il encore ?"
"Cent douze, maître" disent les serviteurs après avoir compté les
gerbes qui restent.
"Bien. Vous en prendrez..."
Joseph parcourt la liste des noms qu'il a relevés et puis il dit :
"Vous en prendrez cinquante. Vous les emporterez pour la
semence car c'est une semence sainte, et que le reste soit donné aux chefs de
familles à raison d'une gerbe par tête. Ils sont exactement soixante-deux
ici."
Les serviteurs obéissent. Ils portent les cinquante gerbes et donnent le
reste. Maintenant les aires n'ont plus les gros tas d'or, mais par terre il y
a soixante-deux tas de tailles différentes. Leurs propriétaires s'affairent à
les lier et à les charger sur des carrioles primitives, ou sur des ânes
qu'ils sont allés détacher d'une palissade à l'arrière de la maison.
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357> 408.4 – Le vieil Abraham, qui a parlé avec les principaux
des paysans serviteurs, s'avance avec eux vers le maître qui leur
demande :
"Eh bien ? Vous avez vu ? Il y en a eu pour tous et il en
restait !"
"Mais, maître, ici il y a un mystère ! Nos champs ne peuvent pas
donner le nombre de gerbes que tu as distribuées. Je suis né ici et j'ai
soixante-dix-huit ans. Je fais la moisson depuis soixante six ans. Et je
sais. Mon fils avait raison. Sans un mystère, nous n'aurions pas pu donner
autant… !"
"Mais nous les avons pourtant bien données, Abraham. Tu étais à côté de
moi. Les gerbes ont été données par les serviteurs. Il n'y a pas de
sortilège, ce n'est pas une irréalité. Les gerbes, on peut encore les
compter. Elles sont encore là, bien que séparées en tant de lots."
"Oui, maître. Mais... il n'est pas possible que les champs en aient
donné autant !"
"Et la foi, mes fils ? Et la foi ? Qu'en faites-vous ? Le
Seigneur pouvait-il démentir son serviteur qui promettait en son Nom et pour
une fin qui était sainte ?"
"Alors tu as fait un miracle ?!" disent les serviteurs déjà
prêts pour l'hosanna.
"Je ne suis pas un homme à faire des miracles, moi. Je suis un pauvre
homme. C'est le Seigneur qui a agi. Il a lu dans mon cœur et II y a vu deux
désirs : le premier était de vous amener à ma propre foi. Le second
était de donner tant, tant, tant à mes frères malheureux. Dieu a consenti à
mes désirs... et Il a agi... Que Lui en soit béni !" dit Joseph en
s'inclinant respectueusement comme s'il était devant un autel.
"Et son serviteur avec Lui" dit Jésus qui jusqu'alors était resté
caché au coin d'une maisonnette entourée d'une haie, four ou pressoir, et qui
maintenant apparaît ouvertement sur l'aire où se trouve Joseph.
"Mon Maître et mon Seigneur !!" s'écrie Joseph en tombant à genoux pour vénérer Jésus.
"La paix à toi. Je suis venu pour te bénir au nom du Père, pour
récompenser ta charité et ta foi.
408.5 – Je
suis ton hôte, ce soir. Veux-tu ?"
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358> "Oh ! Maître ! Tu me
le demandes ? Seulement... Seulement, ici, je ne pourrai te faire
honneur... Je suis au milieu des serviteurs et des paysans... dans ma maison
de campagne... Je n'ai pas de nappes fines je n'ai pas de majordomes ni de
serviteurs qualifiés... Je n’ai pas de mets raffinés... Je n'ai pas de vins
choisis... Je n’ai pas d'amis. Ce sera une bien pauvre hospitalité... Mais tu
m'excuseras. Pourquoi, Seigneur, ne m'as-tu pas fait prévenir ? J'aurais
pourvu à tout... Mais. avant-hier, Hermas avec les siens était ici... Je m'en
suis même servi pour prévenir ceux auxquels je voulais donner, rendre, ce qui
appartient à Dieu... Mais, il ne m'a rien dit, Hermas ! Si j'avais
su !... Permets-moi. Maître, de donner des ordres que je cherche à y
remédier... Pourquoi souris-tu ainsi ?" demande Joseph, finalement.
Il est tout sens dessus dessous a cause de la joie
imprévue et de la situation que lui juge... désastreuse.
"Je souris pour tes tracas inutiles. Mais, Joseph, que
cherches-tu ! Ce que tu as ?"
"Ce que j'ai ? Je n'ai rien."
"Oh ! comme tu es homme maintenant ! Pourquoi n’es-tu plus le
Joseph spirituel d'il y a un instant, quand tu parlais en sage ? Quand
tu promettais avec assurance à cause de ta foi, et pour donner la
foi ?"
"Oh ! Tu as entendu ?"
"J'ai entendu et vu. Joseph. Cette haie de lauriers est très pratique
pour voir que ce que j'ai semé n'est pas mort en toi, et c’est pour cela que
je te dis que tu te donnes des tracas inutiles. Tu n’as pas de majordomes ni
de domestiques qualifiés ? Mais ou la charité s'exerce il y a Dieu. et où il y a Dieu. il y a ses
anges. Et quels majordomes veux-tu avoir qui soient plus capables
qu’eux ? Tu n'as pas de mets ni de vins recherchés ? Et quelle
nourriture veux-tu me donner et quelle boisson plus recherchée que l'amour
que tu as eu pour eux et que celui que tu as pour Moi ? Tu n'as pas
d'amis pour me faire honneur ? Et eux ? Quels amis plus chers que
les pauvres et les malheureux pour le Maître qui a nom Jésus ? Allons. Joseph !
Même si Hérode
se convertissait et m'ouvrait ses appartements pour me recevoir et me faire
honneur dans un palais purifié, et s'il y avait avec lui, pour m'honorer, les
chefs de toutes les castes, je n'aurais pas une cour plus choisie que
celle-là à laquelle je veux Moi aussi dire une parole et faire un
cadeau. Permets-tu ?"
"Oh ! Maître ! Mais tout ce que tu veux, je le veux !
Commande."
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359> "Dis-leur qu'ils se
réunissent, ainsi que les serviteurs. Pour nous il y aura toujours un pain...
Il vaut mieux qu'ils écoutent ma parole que courir ça et là affairés en
pauvres soins."
Les gens s'entassent, empressés, étonnés...
408.6 – Jésus parle :
"Ici vous avez déjà appris que la foi peut multiplier le grain quand ce
désir vient d'un désir d'amour. Mais ne bornez pas votre foi aux besoins
matériels. Dieu a créé le premier grain de froment et, depuis lors, le
froment a épié pour fournir le pain des hommes. Mais Dieu a créé aussi le
Paradis qui attend ses habitants. Et il a été créé pour ceux qui vivent dans
la Loi et restent fidèles malgré les épreuves douloureuses de la vie. Ayez
foi, et vous réussirez à vous garder saints avec l'aide du Seigneur, tout
comme Joseph a réussi à vous distribuer le grain en double mesure pour vous
rendre deux fois heureux et confirmer ses serviteurs dans la foi. En vérité,
en vérité je vous dis que si l'homme avait foi dans le Seigneur, et s'il
agissait pour un juste motif, les montagnes elles-mêmes, enracinées dans le
sol par leurs viscères de roches, ne pourraient résister et, sur l'ordre de
celui qui a foi dans le Seigneur, elles se déplaceraient.
Avez-vous foi en Dieu ?" demande-t-il en s'adressant à tous.
"Oui, ô Seigneur !"
"Qui est Dieu pour vous ?"
"Le Père très Saint, comme les disciples du Christ l'enseignent."
"Et le Christ, qui est-il pour vous ?"
"Le Sauveur, le Maître, le Saint !"
"Cela seulement ?"
"Le Fils de Dieu. Mais il ne faut pas le dire car les pharisiens nous
persécutent si nous le disons."
"Mais vous, vous croyez qu'il l'est ?"
"Oui, ô Seigneur."
"C'est bien, croissez dans votre foi. Même si vous vous taisez, les
pierres, les arbres, les étoiles, le sol, toutes les choses, proclameront que
le Christ est le vrai Rédempteur et Roi. Ils le proclameront à l'heure de son
élévation, quand Lui sera dans la pourpre très sainte et avec la couronne de
la Rédemption. Bienheureux ceux qui sauront le croire dès maintenant, et le
croiront davantage à ce moment-là, et auront foi dans le Christ et par
conséquent la vie éternelle. L'avez-vous cette foi inébranlable dans le
Christ ?"
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360> "Oui, ô
Seigneur. Apprends-nous où Il est, et nous le prierons d'augmenter notre foi pour être heureux ainsi." Et la dernière
partie de la prière, la font non seulement les pauvres, mais aussi les
serviteurs, les apôtres et Joseph.
"Si vous avez de la foi gros comme une graine
de moutarde, et si cette foi qui est une perle précieuse vous la gardez dans
votre cœur, sans vous la faire enlever par aucune chose humaine, ou
surhumaine et mauvaise, vous pourriez tous même dire à ce mûrier puissant qui
ombrage le puits de Joseph : "Déracine-toi et transplante-toi dans
les flots de la mer".
408.7 – "Mais le Christ, où
est-Il ? Nous l'attendions pour être guéris. Les disciples ne nous ont
pas guéris, mais ils nous ont dit : "Lui le peut". Nous, nous
voudrions guérir pour travailler" disent les hommes malades ou handicapés.
"Et croyez-vous que le Christ le puisse ?" demande Jésus en
faisant signe à Joseph de ne pas dire que le Christ c'est Lui.
"Nous le croyons. Lui est le Fils de Dieu. Il peut tout."
"Oui. Il peut tout... et il veut tout !" crie Jésus en
étendant avec autorité le bras droit et en l'abaissant comme pour jurer. Et
il termine par un cri puissant :
"Et qu'il en soit ainsi, pour la gloire de Dieu !"
Et il va s'en aller vers la maison. Mais ceux qui ont été guéris, une
vingtaine, crient, accourent, et l'enserrent dans un emmêlement de mains
tendues pour le toucher, le bénir, chercher ses mains, ses vêtements, pour le
baiser, le caresser. Ils l'isolent de Joseph, de tout le monde...
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