Le lundi 25 mars 1946,
In Nomine Domini.
(fête de l’Annonciation).
309/310>
403.1 – Je recommence enfin, ô mon doux Évangile, à
marcher à la suite de mon Maître sur les routes de Palestine! Après avoir accompli
tous mes actes d’obéissance, je te reprends. Ou plus exactement: tu me
reprends.
Je ne sais si quelqu’un réfléchit sur la leçon muette mais si instructive que
donne le Seigneur par ses silences. Ils sont dus à trois raisons
distinctes : 1°- La pitié pour la faiblesse de son porte-parole, malade
et parfois tout à fait mourant. 2°-
La punition par le silence de celui qui se conduit mal envers son
don. 3° - La leçon
qu’il me donne —et c’est de celle-là que je veux parler—, sur la nécessité
d’obéir en tout temps, même s’il s’agit d’un acte d’obéissance qui
peut paraître moins important que le travail qu’il nous faut suspendre pour
lui.
Ah, il n’est guère facile d’être des "voix"! On vit dans l’exercice
constant de vigilance et d’obéissance. Et Jésus, lui qui est le Maître du
monde, ne permet pas que l’on contrevienne à l’acte d’obéissance que son
instrument accomplit lorsqu’il a été exigé par quelqu’un qui a autorité pour
ce faire.
Ces jours derniers, il m’a fallu obéir à des choses que le Père Migliorini
m’avait dit de faire. C’était assez bureaucratique,
et donc bien ennuyeux. Mais Jésus n’est jamais intervenu, parce que je devais
obéir, et obéir à la lettre, parfaitement, comme l’a dit Azarias
hier en m’expliquant la messe
Mais tout ceci étant maintenant accompli, je peux te contempler, mon Seigneur
pendant que tu descends par des chemins rapides vers une fertile
vallée en laissant derrière Toi le château de Béther, encore lumineux dans le
jour qui meurt là-haut, au sommet de sa colline fleurie... Laissant là-haut
l'amour des femmes disciples, des petits, des humbles, et descendant vers les
routes qui vont à Jérusalem, vers le monde… vers le bas... Et elles ne sont
pas seulement plus obscures que les sommets parce que ce sont des
"vallées" et que par conséquent le soleil, la lumière les a
quittées depuis un moment, mais parce que surtout en bas, dans le monde, il y
a l'embuscade, il y a la haine, il y a tant de mal qui t'attendent, mon
Seigneur...
403.2 – Jésus est tout à fait en tête.
Forme blanche et silencieuse qui avance, majestueuse
même en descendant par des sentiers malaisés et irréguliers qu'il a pris pour
raccourcir le chemin. Dans la descente son long vêtement, son large manteau,
balaient la pente et Jésus paraît déjà enveloppé du manteau royal qui fait
une traîne derrière ses pas.
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311> Derrière Lui, moins majestueux mais pareillement
silencieux, les apôtres... Le dernier, à
quelque distance, Judas dans son sombre dépit qui le rend laid. Parfois les
plus simples : André, Thomas, se retournent pour le regarder et André
lui dit même :
"Pourquoi restes-tu ainsi seul, si loin en arrière ? Tu te sens
mal ?"
Cela provoque une brutale repartie :
"Pense pour toi !" qui étonne André, d'autant plus qu'elle est
accompagnée d'une épithète grossière.
Pierre est le second de la file des apôtres, derrière Jacques d'Alphée qui suit immédiatement le Maître. Et, dans le grand silence
du soir dans les montagnes, Pierre a entendu. Il se retourne brusquement, et
brusquement il va aller en arrière vers Judas. Puis il s'arrête. Il réfléchit
un moment, et il court vers Jésus. Il le saisit rudement par un bras et le
secoue en disant, angoissé :
"Maître, tu m'assures qu'il en est bien comme tu l'as dit l'autre
soir ? Que les sacrifices et les prières ne restent jamais sans
résultat, même s'il semble qu'ils ne servent pas ?..."
Jésus, doux, triste, pâle, regarde son Simon qui sue dans l'effort qu'il fait
pour ne pas réagir tout de suite à l'insulte, qui est tout rouge, qui tremble
même, qui peut-être Lui fait mal tellement il Lui serre le bras, et il lui
répond avec un sourire paisible et attristé :
"Ils ne sont jamais sans récompense. Sois-en
certain."
403.3 – Pierre le quitte et s'en va,
non pas à sa place, mais sur la pente de la montagne parmi les arbres, et il
se défoule en brisant, en brisant arbustes et jeunes plantes avec une
violence qui visait une autre cible mais qui se décharge ici sur les plantes.
"Mais que fais-tu ? Tu es fou ?" lui demandent plusieurs.
Pierre ne répond pas : il casse, casse, casse. Il se fait dépasser de
tous les apôtres, de Judas... et il casse, casse, casse. Il semble travailler
aux pièces tant il y met d'entrain. À ses pieds il a tout un fagot qui
suffirait à rôtir un veau. Il s'en charge péniblement et se met à rejoindre
ses compagnons. Je ne sais comment il fait ainsi empêtré par son manteau, le
fardeau, la besace, sur le sentier malaisé. Mais il avance tout courbé, comme
sous un joug...
Judas rit en le voyant arriver et lui dit :
"Tu ressembles à un esclave !"
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312> Pierre a du mal à détourner la tête
de dessous le joug et il va lui dire quelque chose, mais il se tait, serre
les dents et avance.
"Je vais t'aider, frère" dit André.
"Non."
"Mais pour un agneau cela fait trop de bois" observe Jacques de
Zébédée.
Pierre ne répond pas. Il avance, ainsi chargé et il n'en peut plus,
semble-t-il, mais il tient bon.
403.4 – Enfin Jésus s'arrête près d'une
grotte, presque au bas de la descente et tous avec Lui.
"Nous allons rester ici pour partir au point du jour" ordonne le
Maître. "Préparez le souper."
Alors Pierre jette son chargement par terre et il s'assoit dessus. sans
expliquer à personne le motif de sa grande fatigue, alors qu'il y a du bois
partout.
Mais pendant que l'un va ici, l'autre là pour prendre de l'eau de boisson,
pour nettoyer le sol de la grotte et laver l'agneau qu'on va cuire, et Pierre
reste seul avec son Maître, Jésus, debout, pose sa main sur la tête
grisonnante de son Simon et il caresse cette tête honnête... Alors Pierre
prend cette main et l’embrasse. Il la tient contre sa joue et il l’embrasse
de nouveau, la caresse... Une goutte tombe sur la main blanche, qui n'est pas
de la sueur de son rude et honnête apôtre, mais une larme silencieuse d'amour
et de peine, de victoire après l'effort. Jésus se penche et l'embrasse en lui
disant :
"Merci, Simon !"
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