Le mardi 19 février 1946.
217>
388.1 – Ils doivent avoir continué
leur route au clair de lune et séjourné dans quelque caverne pendant quelques
heures et repris le chemin à l'aube Et ils sont visiblement fatigués par le
cheminement difficile sur la rocaille, à travers les arbustes épineux et les
lianes qui rampent et embarrassent les pieds. La marche est guidée par Simon
le Zélote qui semble bien connaître les parages et qui s'excuse de la difficulté de la marche comme si elle
dépendait de lui.
"Maintenant, quand nous serons de nouveau sur les monts que vous voyez,
nous marcherons mieux et je vous promets du miel sauvage en abondance et de
l'eau pure en abondance..."
"De l'eau ? J'y patauge ! Le sable m'a rongé les pieds comme
si j'avais marché sur le sel et ma peau est
toute en feu.
388.2 – Quels lieux maudits !
Oh ! on sent, oui, on sent que l'on est dans le voisinage des lieux
punis par le feu du Ciel !
Il est resté dans le vent, dans la terre, dans les épines. Dans
tout !" s'exclame Pierre.
"Et pourtant c'était beau ici autrefois, n'est-ce pas,
Maître ?"
"Très
beau. Dans les premiers siècles du monde ces lieux étaient un petit Eden. Le sol très fertile, riche en sources servant à tant
d'usages, mais disposées de façon à ne donner que du bien. Ensuite... le
désordre des hommes parut s'emparer des éléments. Et ce fut la ruine. Les
sages du monde païen expliquent de plusieurs manières le terrible châtiment.
A la manière des hommes, cependant, parfois avec une terreur superstitieuse.
Mais croyez-le : ce fut seulement la volonté de Dieu qui changea l'ordre
des éléments.
Haut
de page.
218> Ceux
du ciel appelèrent ceux des profondeurs, ils se heurtèrent, ils s'excitèrent
l'un l'autre en une ronde maléfique, les éclairs incendièrent le bitume que
les veines ouvertes du sol avaient répandu en désordre, et le feu des
entrailles de la terre et le feu sur la terre, et le feu du ciel pour
alimenter celui de la terre et pour ouvrir, par les épées des éclairs, de nouvelles
blessures dans la terre qui tremblait dans des convulsions effrayantes,
brûla, détruisit, rongea des stades et des stades d'un lieu qui était
auparavant un paradis en en faisant l'enfer que vous voyez et où il ne peut y
avoir de vie."
Les apôtres écoutent attentivement...
Barthélemy demande :
"Tu crois que si on pouvait assécher le voile épais des eaux, nous
trouverions au fond de la Grande Mer les restes des villes
punies ?"
"Certainement. Et presque intactes, car
l'épaisseur des eaux fait un linceul de chaux aux villes ensevelies. Mais le
Jourdain a répandu sur elles une épaisse couche de sable. Et elles sont
ensevelies deux fois pour qu'elles ne se redressent plus, symbole de ceux
qui, obstinés dans leurs fautes, sont inexorablement ensevelis par la
malédiction de Dieu et la domination de Satan qu'ils ont servi avec tant
d'anxiété pendant leur vie."
"Et est-ce ici que se réfugia Matthatias de
Jean de Siméon, le juste asmonéen qui est, avec ses fils, la gloire d'Israël
tout entier ?"
"Ici. Entre les montagnes et les déserts, et c'est ici qu'il remit de l'ordre
dans le peuple et l'armée, et Dieu fut avec lui."
"Cependant, du moins... Ce fut pour lui plus facile car les Assidéens
furent plus justes que ne le sont les pharisiens avec
Toi !"
"Oh ! être plus juste que les pharisiens c'est bien facile ! Plus
facile encore que de piquer pour cette épine qui s'est attachée à mes
jambes... Regardez ici !" dit Pierre qui, en écoutant, n'a pas
regardé par terre et s'est trouvé enveloppé par un buisson épineux qui fait
saigner ses mollets.
"Sur les montagnes, il y en a moins. Tu vois qu'il y en a déjà
moins ?" dit Simon le Zélote pour le réconforter.
"Hum ! Tu es très au courant..."
"J'y ai vécu proscrit et persécuté..."
Haut
de page.
219> "Ah ! Alors !..."
388.3 – En effet, les petits monts
deviennent verts, d'un vert moins torturant, bien qu'ils soient moins
ombragés et si leur herbette est peu développée, elle est en revanche très
odorante et parsemée de fleurs qui en font un tapis coloré. Des nuées
d'abeilles y font leurs provisions et puis de là vont aux cavernes dont sont
criblés les flancs de la montagne et là, sous des rideaux de lierre et de
chèvrefeuille, déposent le miel dans des ruches naturelles. Simon le Zélote
va à une caverne et il en sort avec des rayons de miel d'or, et à une autre,
et à une autre encore jusqu'à ce qu'il en ait pour tous, et il en offre au
Maître et aux amis qui mangent volontiers le miel doux et filant.
"Si on avait du pain ! Comme c'est bon !" dit Thomas.
"Oh ! même sans pain, c'est bon ! Meilleur que les épis philistins .
Et... on espère qu'il n'y aura pas de pharisien qui vienne nous dire de ne
pas en manger !" dit Jacques de Zébédée.
Ils s'en vont tout en mangeant et ils arrivent à une citerne où se déversent
des ruisselets dont l'eau s'en va ensuite je ne sais où. L'eau qui déborde
sort du bassin et elle est fraîche, cristalline, étant protégée du soleil et
des débris par la voûte du rocher où la citerne est creusée. En retombant,
elle forme un petit lac minuscule dans la roche de silice noirâtre.
C'est avec un plaisir visible que les apôtres se déshabillent et se plongent,
à tour de rôle, dans le bassin inattendu. Mais auparavant, ils ont voulu que
Jésus en profite "pour que leurs membres en soient sanctifiés" dit Matthieu.
Ils reprennent la marche, restaurés bien que plus affamés, et les plus
affamés, en plus du miel qu'ils mangent, rongent des tiges de fenouil sauvage
et d'autres pousses comestibles dont je ne connais pas le nom.
La vue est belle des plateaux de ces monts bizarres qui semblent avoir eu
leurs cimes tranchées d'un coup d'épée. Des déchirures d'autres montagnes
vertes et de plaines fertiles se voient au sud, et aussi quelque arrière-plan
sur la Mer Morte, qui par contre est visible à l'orient, avec les montagnes
lointaines de l'autre rive, estompées par un brouillard de nuées légères qui
s'élèvent du sud-est. Au nord, quand on la découvre entre les crêtes des
montagnes, on voit la verdure lointaine de la plaine jordanienne, à l'ouest
les hautes montagnes de la Judée.
Haut
de page.
220> Le soleil
commence à brûler et Pierre dit sentencieusement que "ces nuées sur
les monts de Moab sont signe de fortes chaleurs."
"Maintenant nous allons descendre dans la vallée du Cédron. Elle est
ombragée..." dit Simon.
"Le Cédron ?! Oh ! comment a-t-on fait pour arriver si vite au
Cédron ?"
"Oui, Simon de Jonas. Le chemin a été rude, mais comme il a abrégé le
parcours ! En suivant sa vallée, on arrive vite à Jérusalem"
explique le Zélote.
"Et à Béthanie...
388.4 – Je devrais envoyer certains
d'entre vous à Béthanie pour dire aux sœurs de conduire Egla
chez Nikê. Elle m'en a tant prié, et c'est une juste prière. La veuve sans
enfants aura elle aussi un saint amour, et la fillette sans parents une mère
vraiment Israélite qui la fera grandir dans notre foi antique et dans la
mienne. Je voudrais venir Moi aussi... Un repos paisible pour mon esprit
attristé... Dans la maison de Lazare le cœur du Christ ne trouve qu'amour...
Mais long est le voyage que je veux accomplir avant la Pentecôte !"
"Envoie-moi, Seigneur, et avec moi un bon marcheur. Nous irons à
Béthanie et ensuite je remonterai à Kérioth et là nous nous rencontrerons"
dit l'Iscariote enthousiaste.
Les autres, au contraire, dans l'éventualité d'être choisis pour ce voyage qui
les séparerait du Maître, n’ont vraiment l’air enthousiaste. Jésus réfléchit.
Et tout en réfléchissant, il regarde Judas. Il se demande s'il va consentir.
Judas insiste :
"Oui, Maître ! Dis oui ! Fais-moi plaisir !..."
"Tu es le moins indiqué de tous, ô Judas, pour aller à
Jérusalem !"
"Pourquoi, Seigneur ? Je la connais plus que tout
autre !"
"C'est bien pour cela !... Non seulement elle t'est connue, mais
elle pénètre en toi plus qu'en tout autre."
"Maître, je te donne ma parole que je ne m'arrêterai pas à Jérusalem et
je ne verrai personne d'Israël, de par ma volonté... Mais laisse-moi aller.
Je te précéderai à Kérioth et..."
"Et tu ne feras pas pression pour me donner des honneurs
humains ?"
"Non, Maître. Je le promets."
Jésus réfléchit encore.
Haut
de page.
221> "Pourquoi, Maître, tant d'hésitation ? Tu te
méfies tellement de moi ?"
"Tu es un faible. Judas. Et en t'éloignant de la Force, tu tombes !
Tu es si bon depuis quelque temps ! Pourquoi veux-tu te troubler et me
causer du chagrin ?"
"Mais non, Maître, je ne veux pas ces choses! Il me faudra bien un
jour être sans Toi ! Et alors ? Comment ferai-je si je ne me suis
pas préparé ?"
"Judas a raison" disent plusieurs.
"C'est bien !... Va. Va avec Jacques mon frère."
Les autres respirent soulagés. Jacques, peiné, soupire, mais il dit
docilement :
"Oui, mon Seigneur ! Bénis-nous et nous partirons."
Simon le Zélote a pitié de sa peine et il dit :
"Maître, les pères remplacent volontiers les fils pour leur donner de la
joie. Lui je l'ai pris pour fils en même temps que Jude. Le temps a passé,
mais mon idée est toujours la même. Accueille ma prière... Envoie-moi avec
Judas de Simon. Je suis âgé, mais résistant comme un jeune, et Judas n'aura
pas à se plaindre de moi."
"Non, ce n'est pas juste que tu te sacrifies en t'éloignant du Maître à
ma place. Certes c'est pour toi une souffrance de ne pas aller avec
Lui..." dit Jacques d'Alphée.
"Ma souffrance s'adoucit par la joie de te laisser avec le Maître. Tu me
raconteras ensuite ce que vous avez fait... D'ailleurs... je vais volontiers
à Béthanie..." termine le Zélote comme pour amoindrir la valeur de ce
qu'il a offert.
"C'est bien, vous irez tous deux.
388.5 – En attendant poursuivons
jusqu'à ce petit village. Qui y monte pour chercher du pain au nom de
Dieu ?"
"Moi ! Moi !" Tous veulent y aller, mais Jésus retient
Judas de Kérioth.
Quand ils se sont tous éloignés, Jésus lui prend les mains et lui parle vraiment
visage contre visage. Il semble qu'il veuille faire passer en lui sa pensée,
le suggestionner au point que Judas ne puisse avoir d'autres pensées qui ne
soient pas celles que Jésus veut.
"Judas... Ne
te fais pas du mal ! Ne te fais pas du mal, mon Judas ! Ne te
sens-tu pas plus calme et plus heureux depuis quelque temps, libéré des
pieuvres de ton moi le plus mauvais, de ce moi humain qui est si facilement le
jouet de Satan et du monde ?
Haut
de page.
222> Oui, tu te sens ainsi ! Préserve donc ta paix, ton
bien-être. Ne te nuis pas, Judas ! Je lis en toi. Tu es à un si bon
moment ! Oh ! si je pouvais, si je pouvais au prix de tout mon Sang
te garder ainsi, détruire jusqu'au dernier rempart où se niche un grand
ennemi pour toi et te faire tout esprit, intelligence d'esprit, amour
d'esprit, esprit, esprit !"
Judas, poitrine contre poitrine, visage contre visage avec Jésus, les mains
dans les mains, est presque abasourdi. Il murmure :
"Me nuire ? Dernier rempart ? Lequel ?..."
"Lequel ?! Tu le sais. Tu sais avec quoi tu te nuis ! En
cultivant tes pensées de grandeur humaine et des amitiés que tu supposes être
utiles pour te donner cette grandeur. Il ne t'aime
pas, Israël, crois-le. Il te hait comme il me hait et comme il hait quiconque
peut avoir l'apparence d'un probable triomphateur. Et toi, justement parce
que tu ne caches pas ta pensée de vouloir être tel, tu es haï. Ne crois pas à
leurs paroles mensongères, à leurs fausses questions qu'ils font sous
prétexte de s'intéresser à tes pensées pour t'aider. Ils te circonviennent
pour nuire, pour savoir et pour nuire. Et je ne te prie pas pour Moi, mais
pour toi, pour toi seul. Moi, si je suis en butte à l'iniquité, je serai
toujours le Seigneur. Ils pourront torturer la chair, la tuer. Rien de plus.
Mais toi, mais toi ! C'est ton âme qu'ils tueraient... Fuis la
tentation, mon ami ! Dis-moi que tu la fuiras ! Donne à ton pauvre
Maître persécuté, tourmenté, cette parole de paix !"
Il l'a pris dans ses bras maintenant, et il lui parle joue contre joue, près
de l'oreille, et les cheveux d'or foncé de Jésus se mêlent aux lourdes
boucles brunes de Judas.
"Moi, je le sais que je dois souffrir et mourir. Je sais que ma couronne
ne sera que celle du martyr. Je sais que ma pourpre ne sera que celle de mon
Sang. C'est pour cela que je suis venu. Car c'est par ce martyre que je
rachèterai l'Humanité, et l'amour me presse depuis un temps sans limite vers
l'accomplissement de cette action. Mais je voudrais qu'aucun des miens ne se
perde. Oh ! tous les hommes me sont chers, car ils ont en eux l'image et
la ressemblance de mon Père et l'âme immortelle que Lui a créée. Mais vous,
vous aimés et préférés, vous, sang de mon sang, pupille de mon œil, non, non,
perdus non ! Oh ! il n'y aura pas de torture semblable à celle-là,
même si Satan enfonçait en Moi ses armes brûlantes de soufres infernaux et me
mordait, m'enveloppait, lui, le Péché, l'Horreur, le Dégoût, il n'y aura pas
de torture pour Moi semblable à celle d'un de mes élus qui se perd...
Haut
de page.
223> Judas, Judas, mon Judas ! Mais veux-tu que je
demande au Père de souffrir trois fois ma Passion horrible et que de ces
trois, deux soient pour te sauver toi seul ? Dis-le-moi, ami, et je le
ferai. Je dirai de multiplier à l'infini mes souffrances pour cela. Je t'aime,
Judas, je t'aime tellement. Et je voudrais, je voudrais te donner Moi-même,
te rendre Moi-même, pour te sauver de toi-même..."
"Ne pleure pas, ne parle pas ainsi, Maître. Moi aussi, je t'aime. Moi aussi,
je me donnerais moi-même pour te voir fort, respecté, craint, triomphant. Je
ne t'aime peut-être pas parfaitement. Je ne pense peut-être
pas parfaitement. Mais tout ce que je suis, je l'emploie, et peut-être j'en
abuse, si anxieux que je suis de te voir aimé. Mais, je te jure, je te jure
sur Jéhovah,
que je n'approcherai pas des scribes, ni des pharisiens, ni des sadducéens,
ni des juifs, ni des prêtres. Ils diront que je suis fou. Mais cela ne
m'importe pas. Il me suffit que tu n'aies pas de chagrin à cause de moi.
Es-tu content ? Un baiser, Maître, un baiser pour ta bénédiction et ta
protection."
388.6 – Ils s'embrassent et ils se
séparent alors que les autres reviennent, descendant en courant la colline,
en agitant de larges fouaces et des fromages frais.
Ils s'assoient sur l'herbe verte et partagent la nourriture en racontant
qu'ils ont été bien accueillis parce que, dans les quelques maisons, il y a
des gens qui connaissent les bergers disciples et qui sont favorables au
Messie.
"Nous n'avons pas dit que tu étais là, car autrement..." termine
Thomas.
"Nous tâcherons de passer par ici un jour. Il ne faut négliger
personne" répond Jésus.
Le repas prend fin. Jésus se lève et bénit les deux qui vont à Béthanie et
qui n'attendent pas le soir pour reprendre la route, car la vallée est
ombragée et pleine de sources.
|