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   Le mercredi 24
  octobre 1945. 
  
  99>   312.1 – C'est une pluvieuse matinée
  d'hiver. Jésus est déjà levé et il est au travail dans son atelier. Il
  travaille à de petits objets. Mais dans un coin il y a un nouveau métier à
  tisser, nouveau, pas très grand mais bien tourné.    
   
  Marie entre avec une tasse fumante de lait. "Bois, Jésus. Il y a si
  longtemps que tu es levé. Le temps est humide et froid..."      
   
  "Oui. Mais, au moins, j'ai pu tout finir... Ces huit jours de fête
  avaient paralysé le travail..." Jésus s'est assis sur l'établi de
  menuisier, un peu de biais, et il boit son lait pendant que Marie observe le
  métier et le caresse de la main.      
   
  "Tu le bénis, Maman ?" demande Jésus en souriant.            
   
  "Non, je le caresse parce c'est Toi qui l'as fait. La bénédiction, tu la
  lui as donnée en le faisant. Tu as eu une bonne idée. Il servira à Syntica.
  Elle est très adroite pour le tissage. Et il lui servira pour approcher des
  femmes et des jeunes filles. Qu'as-tu fait d'autre car je vois des copeaux
  d'olivier, me semble-t-il près du tour ?"            
   
  "J'ai fait des choses utiles pour Jean. Tu vois ? Un étui pour les
  styles et une petite table pour écrire. Et puis ces pupitres pour y renfermer
  ses livres. Je n'aurais pas pu faire cela si Simon de Jonas n'avait pas pensé
  à un petit char. Mais maintenant, nous pourrons charger aussi ces objets...
  et eux sentiront que je les ai aimés aussi dans ces petites choses..."    
   
  "Tu souffres de les éloigner, n'est-ce pas ?"     
   
  "Je souffre... Pour Moi et pour eux. J'ai attendu jusqu'à présent pour
  leur parler... et c'est déjà beaucoup que Simon ne soit pas arrivé avec
  Porphyrée... C'est le moment de parler... Une souffrance qui m'est restée sur
  le cœur tous ces jours et qui a rendues tristes même les lumières des
  nombreuses lampes... Une souffrance que maintenant je dois donner aux
  autres... Ah ! Maman, j'aurais voulu l'avoir pour Moi
  seul !..."            
   
  "Mon bon Fils !"    
   
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  100> Marie Lui caresse la main pour le
  consoler.      
   
    312.2 – Un silence, puis Jésus
  recommence à parler :            
   
  "Jean est-il levé ?"            
   
  "Oui. Je l'ai entendu tousser. Peut-être est-il à la cuisine pour boire
  du lait. Pauvre Jean !..." Une larme coule sur les joues de Marie.     
   
  Jésus se lève :         
   
  "J'y vais... Je dois aller le lui dire. Avec Syntica, ce sera plus
  facile... Mais pour lui... Maman, va trouver Marziam, et éveille-le, et priez
  pendant que je parle à cet homme... C'est comme si je devais fouiller dans
  ses entrailles. Je puis le tuer ou le paralyser dans sa vie spirituelle...
  Quelle peine, mon Père !... J'y vais..." et il sort, réellement
  accablé.     
   
  Il fait les quelques pas qui de l'atelier conduisent à la pièce de Jean, qui
  est la même où est mort Jonas, c'est-à-dire celle de Joseph. Il rencontre
  Syntica qui rentre avec un fagot qu'elle a pris dans le four et qui le salue,
  sans rien savoir. Il répond absorbé au salut de la grecque, et puis il reste
  immobile à regarder un parterre de lys qui à peine entrouvrent leurs boutons.
  Mais il n'est pas dit qu'il les voie... Puis il se décide. Il se retourne et
  frappe à la porte de Jean qui se présente et dont le visage s'éclaire tout
  entier en voyant que Jésus vient le trouver.       
   
  "Puis-je entrer un peu chez toi ?" lui demande Jésus.           
   
  "Oh ! Maître ! Mais toujours !   312.3 – J'étais en train d'écrire ce
  que tu disais hier soir sur la prudence et l'obéissance. Et même il est bien
  que tu le regardes, car il me semble n'avoir pas bien retenu ce que tu as dit
  sur la prudence."          
   
  Jésus est entré dans la petite pièce, déjà bien rangée, dans laquelle on a
  ajouté une petite table pour la commodité du vieux maître.            
   
  Jésus se penche sur le parchemin et il lit. "Très bien. Tu as bien
  répété."  
   
    "Voilà, vois-tu. Il me semblait m'être
  mal expliqué dans cette phrase. Tu dis toujours qu'il ne faut pas avoir de
  soucis pour le lendemain et pour son propre corps. Maintenant dire que la
  prudence, même pour les choses qui se rapportent au lendemain, c'est une
  vertu, cela me paraissait une erreur qui venait de moi, naturellement."  
   
  "Non. Tu ne t'es pas trompé. C'est bien ce que j'ai dit. Différent est
  le souci exagéré et apeuré de l'égoïste et le soin prudent du juste. C'est un
  péché que l'avarice pour le lendemain dont peut-être nous ne jouirons jamais,
  mais ce n'est pas un péché que la parcimonie pour se garantir le pain, et le
  garantir pour ses parents, en période de disette.           
   
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  101> C'est un péché que le soin égoïste
  de son propre corps, en exigeant que ceux qui sont autour de nous s'en
  préoccupent, en s'épargnant tout travail et tout sacrifice de peur que la
  chair n'en souffre, mais ce n'est pas un péché de la préserver de maladies
  inutiles qu'on attrape par imprudence et qui sont une charge pour là famille
  et une perte de travail fructueux pour nous. Dieu a donné la vie. C'est un
  don qui vient de Lui. Nous devons en user saintement sans imprudence comme
  sans égoïsme.          
   
    312.4 – Vois-tu ? Parfois la
  prudence conseille des actions qui, pour des sots, peuvent paraître lâcheté
  ou inconstance, alors qu'elles ne sont que simple prudence, conséquences de
  faits nouveaux qui se sont présentés. Par exemple : si je t'envoyais
  maintenant justement au milieu de gens qui pourraient te nuire... les parents
  de ta femme par exemple, ou les gardiens des mines où tu as travaillé,
  ferai-je bien ou mal ?"        
   
  "Moi... je ne voudrais pas te juger, mais je dirais qu'il serait mieux
  de m'envoyer ailleurs où il n'y a pas de danger que mon peu de vertu soit mis
  à trop dure épreuve."          
   
  "Voilà ! Tu jugerais avec sagesse et prudence. C'est pour cela que
  je ne t'enverrais jamais en Bithynie ou en Mysie 
  où tu as déjà été ni non plus à Cintium bien que toi, spirituellement, aies
  désiré d'y aller. Ton esprit pourrait s'y trouver accablé par de nombreuses
  duretés humaines et pourrait revenir en arrière. La prudence, donc, enseigne
  à ne pas t'envoyer là où tu serais inutile alors que je pourrais t'envoyer
  ailleurs avec profit pour Moi et pour les âmes du prochain et la tienne.
  N'est-ce pas ?"           
   
  Jean, ignorant comme il l'est de ce que le destin lui réserve, ne saisit pas
  les allusions de Jésus à une possibilité de mission en dehors de la
  Palestine. Jésus étudie son visage et le voit calme, bienheureux de
  l'écouter, prêt à répondre :          
   
  "Sûrement, Maître, je serais plus utile ailleurs. Moi-même quand, il y a
  quelques jours, j'ai dit : "Je voudrais aller parmi les gentils
  pour donner le bon exemple où j'ai donné le mauvais exemple" je me le
  suis reproché en disant : "Parmi les gentils, oui, parce que tu
  n'as pas les préventions des autres d'Israël. Mais à Cintium, non, ni non
  plus sur les monts désolés où tu as vécu comme un galérien et un loup, aux
  mines de plomb et aux carrières de marbres précieux.     
   
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  102> Tu n'y pourrais y aller même par
  soif de sacrifice absolu. Ton cœur serait bouleversé par des souvenirs
  cruels, et si tu venais à être reconnu, même s'ils ne se jetaient pas sur
  toi, ils diraient : 'Tais-toi, assassin. Nous ne pouvons pas t'écouter'
  et il serait inutile alors d'y aller".     
   
  Voilà ce que je me suis dit. Et c'est une pensée juste."          
   
    312.5 – "Tu vois donc que tu
  possèdes aussi la prudence. Moi aussi, je la possède. C'est pour cela que je
  t'ai épargné les fatigues de l'apostolat comme les autres l'exercent et je
  t'ai amené ici dans le repos et la paix."     
   
  "Oh ! oui ! Quelle paix ! Si je vivais cent ans ici, elle
  serait toujours la même. C'est une paix surnaturelle. Et si je partais, je
  l'amènerais avec moi, même dans l'autre vie je l'emmènerais... Les souvenirs
  pourront encore me troubler le cœur, et les offenses me faire souffrir, car
  je suis homme. Mais je ne serais plus capable de haïr car, ici, la haine a
  été stérilisée pour toujours, jusque dans ses rejetons les plus lointains. Je
  n'ai même plus d'antipathie pour la femme, moi qui la regardais comme l'animal
  le plus immonde et le plus méprisable de la terre. Ta Mère est hors de cause.
  Elle, je l'ai vénérée dès que je l'ai vue, car je l'ai vue différente de
  toutes les femmes.   Elle est le parfum de la femme, mais de la
  femme sainte. Qui n'aime pas le parfum des fleurs les plus pures ? Mais
  aussi les autres femmes, les disciples bonnes, affectueuses, patientes sous
  leur fardeau de chagrin, comme Marie de Cléophas et Élise, généreuses comme
  Marie de Magdala, si absolue dans son changement de vie; suaves et pures
  comme Marthe et Jeanne; dignes, intelligentes, toute pensée et toute
  rectitude comme Syntica, m'ont réconcilié avec la femme. Syntica, je te
  l'avoue, est celle que je préfère. Son affinité d'esprit me la rend chère, et
  son affinité de condition : elle esclave, moi galérien, me permettent
  d'avoir pour elle la confiance que la différence des autres m'interdit. Elle
  est un repos pour moi, Syntica. Je ne saurais te dire avec précision ce
  quelle est pour moi et comment je la vois. Moi, qui suis vieux par rapport à
  elle, je la vois comme une fille, la fille sage et studieuse que j'avais
  désiré avoir... Moi, malade qu'elle soigne avec tant d'affection, moi, homme
  triste et solitaire qui ai pleuré et regretté ma mère pendant toute ma vie,
  et cherché la femme-mère dans toutes les femmes sans la trouver, voilà que je
  vois en elle la réalité du rêve que j'avais songé, et sur ma tête lasse et
  mon âme qui va à la rencontre de la mort, je sens descendre la rosée d'une
  affection maternelle…        
   
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  103> Tu vois qu'en sentant en Syntica
  une âme de fille et de mère, je sens en elle la perfection de la femme et, à
  cause d'elle, je pardonne tout le mal qui m'est venu de la femme. Si, par un
  hasard impossible, cette malheureuse qui fut ma femme, et que j'ai tuée,
  ressuscitait, je sens que je lui pardonnerais car maintenant j'ai compris
  l'âme féminine, facilement affectueuse, ardente quand elle se donne... que ce
  soit au mal ou au bien."           
   
  "Il me plaît beaucoup que tu aies trouvé tout cela en Syntica. Elle sera
  pour toi une bonne compagne pour le reste de ta vie et vous ferez ensemble
  tant de bien. Aussi, je te l'associerai..."            
   
  Jésus scrute Jean de nouveau. Mais il n'y a aucun signe que soit réveillée
  l'attention du disciple qui pourtant n'est pas superficiel. Quelle
  miséricorde divine lui voile jusqu'au moment décisif la sentence ? Je ne
  sais. Je sais que Jean sourit en disant : "Nous chercherons à te
  servir avec le meilleur de nous-mêmes."     
   
  "Oui. Et je suis certain que vous le ferez sans discuter le travail et
  le lieu que je vous donnerai, même si ce n'est pas celui que vous
  désirez..."        
   
    312.6 – Jean a un premier
  pressentiment de ce qui l'attend. Il change de visage et de couleur. Il
  devient sérieux et il pâlit. Son œil unique fixe maintenant, attentif et
  scrutateur, le visage de Jésus qui continue : "Te souviens-tu,
  Jean, qu'un jour pour calmer tes doutes sur le pardon de Dieu, je t'ai
  dit : "Pour te faire comprendre la Miséricorde, je t'emploierai à
  des œuvres spéciales de miséricorde et, pour toi, j'aurai les paraboles de la
  miséricorde" ? "        
   
  "Oui. Et ce fut vrai. Tu m'as persuadé et m'as accordé justement de faire
  des œuvres de miséricorde et je dirais les plus délicates comme les aumônes,
  et l'instruction d'un enfant, d'un philistin et d'une grecque. Cela m'a dit
  que Dieu avait assez connu mon vrai repentir, et l'avait vu réel, pour me
  confier des âmes innocentes ou des âmes à convertir afin que je les forme à
  Lui."    
   
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  104> Jésus embrasse Jean et l'attire
  contre son côté dans l'attitude qu'il a habituellement avec l'autre Jean et,
  pâlissant pour la douleur qu'il doit donner, il dit : "Maintenant
  aussi Dieu te confie une tâche délicate et sainte. Une tâche de prédilection.
  Toi seul, qui es généreux, qui es sans étroitesses ni préventions, qui es
  sage, qui surtout t'es offert 
  à tous les renoncements et à toutes les pénitences pour expier ce reste de
  purgation, cette dette que tu avais encore envers Dieu, toi seul peux le
  faire. Tout autre s'y refuserait, et aurait raison, parce qu'il manquerait de
  ce qui est requis et nécessaire, Aucun de mes apôtres ne possède ce que tu
  as, pour aller préparer les voies du Seigneur... D'ailleurs, tu t'appelles
  Jean. Tu seras donc un précurseur de ma Doctrine... tu prépareras les voies à
  ton Maître... tu remplaceras même le Maître qui ne peut aller si loin...
  (Jean sursaute et cherche à se libérer du bras de Jésus pour le regarder en
  face, et il n'y réussit pas car l'étreinte de Jésus est douce mais
  autoritaire pendant que sa bouche donne le coup de grâce...) ...Ne peut aller
  si loin... jusqu'en Syrie... à Antioche..."    
   
    312.7 – "Seigneur !"
  crie Jean en se libérant violemment de l'embrassement de Jésus.
  "Seigneur ! À Antioche ? Dis-moi que j'ai mal compris !
  Dis-le-moi, par pitié !..."      
   
  Il est debout... toute supplication dans son œil unique, dans son visage qui
  a pris la couleur de la cendre, dans ses lèvres qui tremblent, dans ses mains
  tremblantes tendues en avant, dans sa tête qui paraît s'incliner vers la
  terre comme s'il était accablé par la nouvelle.          
   
  Mais Jésus ne peut dire : "Tu as mal compris." Il ouvre les
  bras, se levant à son tour pour accueillir sur son cœur le vieux pédagogue et
  il ouvre les bras pour confirmer :  
   
  "À Antioche, oui. Dans la maison de Lazare, avec Syntica. Vous partirez
  demain ou après-demain."         
   
  La désolation de Jean est vraiment déchirante. Il se dégage à moitié de
  l'embrassement et, contre le visage de Jésus, avec son visage mouillé de
  larmes qui coulent sur ses joues amaigries, il crie :     
   
  "Ah ! Tu ne me veux plus avec Toi ! En quoi t'ai-je déplu, mon
  Seigneur ?"          
   
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  105> Puis il se dégage et tombe sur la
  table, secoué par des sanglots déchirants, torturants, entrecoupés de quintes
  de toux, sourd à toutes les caresses de Jésus, et murmurant :      
   
  "Tu me chasses, tu me chasses, je ne te verrai jamais plus..."          
   
  Jésus souffre visiblement et il prie... Puis il sort doucement et il voit sur
  le pas de la porte de la cuisine Marie avec Marziam, qui est effrayé par ces
  pleurs... En plus, il y a Syntica, surprise elle aussi.        
   
  "Mère, viens ici un moment."     
   
  Marie vient tout de suite, très pâle. Ils entrent ensemble. Marie se penche
  sur l'homme qui pleure, comme si c'était un pauvre enfant, en disant :           
   
  "Bon, bon, mon pauvre fils ! Pas ainsi ! Tu vas te faire du
  mal."      
   
  Jean lève son visage bouleversé et crie :           
   
  "Il me renvoie !... Je vais mourir seul, au loin... Oh ! Il
  pouvait bien attendre quelques mois et me laisser mourir ici. Pourquoi cette
  punition ? En quoi ai-je péché ? T'ai-je causé des ennuis ?
  Pourquoi m'avoir donné cette paix pour ensuite... pour ensuite..."            
   
  Il retombe sur la table, pleurant plus fort, haletant...            
   
  Jésus pose sa main sur ses épaules maigres et qui tressautent en
  disant : "Et peux-tu croire que, si je l'avais pu, je ne t'aurais
  pas gardé ici ? Oh ! Jean ! Sur la route du Seigneur il y a de
  terribles nécessités ! Et le premier à en souffrir, c'est Moi. Moi, qui
  porte ma douleur et celle de tout le monde. Regarde-moi, Jean. Regarde si mon
  visage est celui de quelqu'un qui te hait, qui est las de toi...  
   
  Viens ici, dans mes bras, écoute comme mon cœur palpite de douleur,
  Écoute-moi, Jean, ne me comprends pas mal. C'est la dernière expiation que
  Dieu t'impose pour t'ouvrir les portes du Ciel.   312.8 – Écoute…"  
   
  Il le soulève et le tient dans ses bras. "Écoute... Maman, sors un
  moment... Maintenant que nous sommes seuls, écoute. Tu sais qui je suis.
  Crois-tu fermement que je suis le Rédempteur ?"         
   
  "Et comment ne le croirais-je pas ? C'est pour cela que je voulais
  rester avec Toi, toujours, jusqu'à la mort..."            
   
  "Jusqu'à la mort... Horrible sera ma mort !..."            
   
  "La mienne, dis-je. La mienne !..."        
   
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  106> "La tienne sera tranquille,
  réconfortée par ma présence qui t'infusera la certitude de l'amour de Dieu,
  et par l'amour de Syntica, en plus que de la joie d'avoir préparé le triomphe
  de l'Évangile à Antioche .
  Mais la mienne ! Tu me verrais réduit à un amas de chair couverte de
  plaies, couverte de crachats, outragée, abandonnée à une foule furieuse,
  suspendue pour mourir à une croix comme celle d'un malfaiteur... Est-ce que
  toi, tu pourrais supporter cela ?"          
   
  Jean, qui à chaque détail de ce que Jésus sera dans la Passion, a gémi :
  "Non, non !" crie un "non" brutal et ajoute :   
   
  "J'en reviendrais à haïr l'humanité... Mais moi, je serai mort, parce tu
  es jeune et..."  
   
  "Et je ne verrai plus qu'une Encénie."  
   
  Jean le fixe terrifié...         
   
  "Je te l'ai dit en secret pour t'expliquer que l'une des raisons pour
  lesquelles je t'envoie au loin est celle-là. Tu ne seras pas seul à avoir ce
  sort. Tous ceux dont je ne veux pas qu'ils soient troublés d'une manière
  supérieure à leurs forces, je les éloignerais auparavant. Et cela te
  paraît-il un manque d'amour ?..."   
   
  "Non, mon martyr Dieu... Mais moi, pourtant, je dois te quitter... et
  mourir au loin."           
   
    "Au nom de la Vérité que Moi je suis,
  je te promets que je serai penché sur l'oreiller de ton agonie."  
   
  "Et comment si moi je suis si loin, si tu me dis que Toi si loin tu ne
  viens pas ? Tu le dis pour me renvoyer moins triste..."     
   
  "Jeanne de Kouza, qui se mourait aux pieds du Liban, me vit, et j'étais
  bien loin et elle ne me connaissait pas encore, et de là je l'ai ramenée à la
  pauvre vie de la terre. Crois, qu'au jour de ma mort elle regrettera d'avoir
  vécu !... Mais pour toi, joie de mon cœur en cette seconde année du
  Maître, je ferai davantage. Je viendrai te porter dans la paix, en te donnant
  la mission de dire à ceux qui attendent: "L'heure du Seigneur est
  arrivée. Comme maintenant arrive le printemps sur la terre, de même pour nous
  se lève le printemps du Paradis". Mais je ne viendrai pas seul alors...
  Je viendrai, tu me sentiras toujours... Moi, je le peux et je le ferai. Tu
  posséderas le Maître en toi, comme jamais tu ne m'as possédé. Car l'Amour peut se communiquer à celui qu'il aime et assez
  sensiblement pour toucher non seulement l'esprit, mais les sens eux-mêmes.   312.9 – Es-tu plus tranquille
  maintenant, Jean ?"   
   
  "Oui, mon Seigneur. Mais quelle douleur !"    
   
  "Tu ne te révoltes pas pourtant..."         
   
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  107> "Me révolter ?
  Jamais ! Je te perdrais tout à fait. Je dis "mon" Notre Père : Que soit faite ta
  volonté."            
   
  "Je le savais que tu m'aurais compris..."          
   
  Il l’embrasse sur ses joues sur lesquelles coulent des larmes continuelles
  bien qu'apaisées.            
   
  "Me laisses-tu saluer l'enfant ? ...Cela est une autre douleur...
  Je l'aimais bien..."         
   
  Les pleurs coulent plus fort...     
   
  "Oui. Je l'appelle tout de suite... Et j'appelle aussi Syntica. Elle
  aussi souffrira... tu dois l'aider, toi, homme..."     
   
  "Oui, Seigneur."    
   
  Jésus sort pendant que Jean pleure et caresse les murs et les objets de la
  petite chambre hospitalière.      
   
  Marie et Marziam entrent ensemble.    
   
  "Oh ! Mère ! Tu as entendu ? Tu le savais ?"   
   
  "Je le savais et je m'en affligeais... Mais moi aussi je me suis séparée
  de Jésus... Et je suis la Mère..."          
   
  "C'est vrai !... Marziam, viens ici. Tu sais que je pars et que
  nous ne nous reverrons plus ?" Il veut être courageux, mais il
  prend l'enfant dans ses bras, s'assied sur le bord du lit, et il pleure, il
  pleure sur la tête brune de Marziam qui est bien prêt de l'imiter.        
   
    312.10 – Jésus entre avec Syntica qui
  demande :         
   
  "Pourquoi, Jean, tant de larmes ?"        
   
  "Il nous renvoie, tu ne le sais pas ? Tu ne le sais pas
  encore ? Il nous envoie à Antioche !"  
   
    "Eh bien ? N'a-t-il pas dit que là
  où deux sont réunis en son nom, il est au milieu d'eux ? 
  Allons, Jean ! Toi, peut-être jusqu'à présent, tu as choisi ton sort
  toi-même et pour toi de subir une autre volonté, même venant de l'amour, cela
  t'effraies. Moi... j'ai l'habitude de subir le sort que m'impose autrui. Et
  quel sort !... Aussi je me soumets volontiers à ce nouveau destin. Et
  quoi ? Je ne me suis pas révoltée contre un esclavage despotique
  autrement que quand on a voulu l'exercer sur mon âme. Et je devrais
  maintenant me révolter contre ce doux esclavage d'amour qui ne blesse pas,
  mais élève notre âme et nous confère le titre et la réalité d'être ses
  serviteurs ? Tu as peur de demain, parce que tu souffres ? Moi, je
  travaillerai pour toi. Tu as peur de rester seul ? Mais moi, je ne te
  quitterai jamais. Sois-en certain. Je n'ai pas d'autre but dans ma vie que
  d'aimer Dieu et le prochain. Tu es le prochain que Dieu me confie. Pense si
  tu me seras cher !"     
   
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  108> "Vous n'aurez pas besoin de
  travailler pour vivre, car vous êtes dans la maison de Lazare. Mais je vous
  conseille de vous servir des méthodes d'enseignement pour approcher le
  peuple : Toi, comme maître, toi, femme, par tes travaux féminins. Cela
  servira à l'apostolat et à donner un but à vos journées."   
   
  "Ce sera fait, Seigneur" répond avec fermeté Syntica.           
   
    312.11 – Jean est toujours avec
  l'enfant dans ses bras et il pleure doucement. Marziam le caresse...        
   
  "Tu te souviendras de moi ?"      
   
  "Toujours, Jean, et je prierai pour toi... Même... Attends un
  moment..." Il sort en courant.  
   
  Syntica demande :            
   
  "Comment irons-nous à Antioche ?"    
   
  "Par la mer. Tu as peur ?"            
   
  "Non, Seigneur. Tu nous envoies, du reste, et cela nous protégera."          
   
  "Vous irez avec les deux Simon, mes frères, les fils de Zébédée, André
  et Mathieu. D'ici jusqu'à Ptolémaïs sur un char où on mettra les coffres et
  un métier que j'ai fait pour toi, Syntica, et quelques objets utiles pour
  Jean..."          
   
  "Moi, je m'étais imaginé quelque chose en voyant les coffres et les
  vêtements, et j'ai préparé mon âme au détachement. C'était trop beau de vivre
  ici !..." un sanglot qu'elle retient, brise la voix de Syntica.
  Mais elle se reprend pour soutenir le courage de Jean. Elle demande d'une
  voix raffermie : "Quand partirons-nous ?"  
   
  "Dès l'arrivée des apôtres, peut-être demain."            
   
  "Alors, si tu permets, je vais ranger les vêtements dans les coffres.
  Donne-moi tes livres, Jean."    
   
  Je crois que Syntica désire être seule pour pleurer. ..Jean répond :
  "Prends-les... Cependant, donne-moi ce rouleau avec son ruban
  bleu."        
   
  Marziam rentre avec son vase de miel.  
   
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  109> "Tiens, Jean. Tu le mangeras à
  ma place..."       
   
  "Mais non, mon enfant ! Pourquoi ?"   
   
  "Parce que Jésus a dit qu'une cuillerée de miel sacrifiée peut donner
  paix et espoir à un affligé. Tu es affligé... Moi, je te donne tout
  le miel, pour que tu sois tout consolé."        
   
  "Mais c'est trop de sacrifice, mon enfant."      
   
  "Oh, non ! Dans la prière de Jésus, on dit : "Ne nous
  induis pas en tentation, mais délivre-nous du mal". Ce vase était une
  tentation pour moi... et, il pouvait être un mal, car il pouvait me faire
  rompre mon vœu. Ainsi, je ne le vois plus... et c'est plus facile... et je
  suis certain que Dieu t'aide par ce nouveau sacrifice. Mais ne pleure plus.
  Ni toi non plus, Syntica..."          
   
  En effet la grecque pleure maintenant sans bruit, pendant qu'elle rassemble
  les livres de Jean. Et Marziam les caresse à tour de rôle, avec une grande
  envie de pleurer lui aussi. Mais Syntica sort, chargée de rouleaux, et Marie
  la suit avec le vase de miel.         
   
    312.12 – Jean reste avec Jésus qui est
  assis à côté de lui et avec l'enfant dans les bras. Il est calme, mais
  accablé.  
   
  "Mets aussi ton dernier écrit dans le rouleau" conseille Jésus.
  "Je pense que tu veux le donner à Marziam..."      
   
  "Oui... j'en ai une copie pour moi... Voici, garçon, ce sont les paroles
  du Maître. Celles qui ont été dites quand tu n'étais pas là et d'autres
  aussi... Je voulais continuer à les copier pour toi parce que tu as la vie
  devant toi... et qui sait combien tu évangéliseras... Mais je ne peux plus le
  faire... Maintenant c'est moi qui reste sans ses paroles..."        
   
  Il recommence à pleurer fortement.     
   
  Marziam est doux et viril dans sa nouvelle attitude. Il s'attache au cou de
  Jean et il dit :       
   
  "Maintenant c'est moi qui les écrirai pour toi et je te les enverrai...
  N'est-ce pas Maître ? C'est possible, n'est- ce pas ?"             
   
  "Certainement que c'est possible. Et ce sera une grande charité de le
  faire."          
   
  "Je le ferai. Et quand je serai absent, je le ferai faire à Simon le
  Zélote. Il m'aime bien et t'aime bien, et il le fera pour être charitable
  envers nous. Ne pleure donc plus. Puis je viendrai te voir, moi... Tu n'iras
  certainement pas si loin..."  
   
  "Oh ! combien ! À des centaines de milles... Et bientôt je
  mourrai."          
   
  Haut
  de page.         
   
  110> L'enfant est déçu et découragé.
  Mais il se ressaisit avec la belle sérénité de l'enfant auquel tout semble
  facile.   
   
  "Comme tu y vas, toi, je pourrai y aller avec mon père. Et puis... nous
  nous écrirons. Quand on lit les pages sacrées, c'est comme si on était avec
  Dieu, n'est- ce pas ? Donc, quand on lit une lettre, c'est comme si on
  était avec celui qu'on aime et qui nous l'a écrite. Allons, viens à côté,
  avec moi..."  
   
  "Oui, allons-y, Jean.   312.13 – Sous
  peu vont arriver mes frères avec le Zélote. Je les ai fait appeler."        
   
  "Ils le savent ?"      
   
  "Pas encore. J'attends pour le dire que tous soient présents..."       
   
  "C'est bien, Seigneur. Allons..."  
   
  C'est un vieux bien courbé celui qui sort de la pièce de Joseph, un vieux qui
  semble saluer chaque plante, chaque aurore, et le bassin et la grotte,
  pendant qu'il se dirige vers l'atelier où Marie et Syntica rangent en silence
  les objets et les vêtements dans le fond des coffres. ..          
   
  Et c'est ainsi, silencieux et éplorés, que les trouvent Simon, Jude et
  Jacques. Ils regardent... mais ne posent pas de questions et je n'arrive pas
  à comprendre s'ils se rendent compte de la vérité.       
   
    312.14 – Jésus dit :  
   
  "J'avais, pour donner une indication aux lecteurs, indiqué le lieu de
  l'emprisonnement de Jean par les noms maintenant en usage. On en a fait
  objection .
  Voici que maintenant je précise : "Bithynie et Mysie" pour
  ceux qui veulent les noms anciens. Mais cet Évangile est pour les simples et
  les petits, pas pour les docteurs pour lesquels, en majorité, il est
  inacceptable et inutile. Les simples et les petits comprendront mieux
  "Anatolie" que "Bithynie ou Mysie". N'est-ce pas, petit
  Jean, qui pleures pour la douleur de Jean d’En-Dor ? Mais il y en a tant
  de Jean d’En-Dor dans le monde ! Ce sont les frères désolés pour
  lesquels je te faisais souffrir l'an passé .
  Maintenant repose-toi, petit Jean, qui ne seras jamais envoyé loin du Maître
  mais seras au contraire toujours plus près.  
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