Vision du samedi 28 juillet 1945
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232.1 - Après cela, Jésus descend à la
cuisine et, voyant que Jean va se rendre à la fontaine, au lieu de rester
dans la cuisine chaude et enfumée il préfère aller avec Jean laissant Pierre
aux prises avec des poissons que viennent d'apporter
les garçons de Zébédée pour le souper du Maître et des apôtres.
Ils ne vont pas à la source qui est à l'extrémité du pays mais à la fontaine
de la place et où certainement l'eau arrive encore de cette source belle et
abondante qui jaillit sur la pente de la colline, près du lac. Sur la place,
c'est la foule habituelle des pays de Palestine le soir. Les femmes avec
leurs amphores, les enfants qui jouent et les hommes qui s'entretiennent
d'affaires ou... des potins du pays. Passent, aussi, entourés de serviteurs
ou de clients, les pharisiens qui regagnent leurs riches maisons. Tout le
monde s'écarte, avec respect, pour les laisser passer, quitte ensuite, à
peine sont-ils passés, à les maudire de tout cœur en racontant leurs
dernières injustices et leurs usures.
232.2 - Matthieu, dans un coin de la
place parle à ses anciens amis, ce qui fait dire avec mépris et à haute voix
au pharisien Urie :
"Les fameuses conversions ! L'attache au péché demeure et cela se
voit par les amitiés qui durent. Ah ! Ah !"
À quoi Matthieu se retourne vivement pour répondre :
"Elles durent pour les convertir."
"Ce n'est pas nécessaire ! Ton Maître suffit. Toi, reste
loin d'eux, pour que la maladie ne revienne pas, en admettant que tu sois
réellement guéri."
Matthieu devient rouge, dans l'effort qu'il fait pour ne pas leur dire leurs
quatre vérités, mais il se borne à répondre :
"Ne crains et n'espère rien."
"Quoi ?"
"Ne crains pas que je redevienne Lévi le publicain, et n'espère pas que
je t'imite pour perdre ces âmes. Les séparations et les mépris, je les
laisse, à toi et à tes amis. Moi, j'imite mon Maître et je fréquente les
pécheurs pour les amener à la Grâce."
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37> Urie voudrait répliquer, mais
survient l'autre pharisien, le vieil Eli et il dit:
"Ne souille pas ta pureté et ne contamine pas ta bouche, mon ami. Viens
avec moi".
Il prend Urie par le bras et l'amène vers sa maison.
232.3 - Pendant ce temps la foule, où
il y a surtout des enfants, s'est resserrée autour de Jésus. Parmi les
enfants il y a Jeanne
et Tobie, la sœur et le frère qui, il y
a déjà longtemps, se disputaient pour des figues, et ils disent à Jésus en touchant de leurs petits
mains la taille élevée de Jésus pour attirer son attention :
"Écoute, écoute. Aujourd'hui aussi nous avons été bons, sais-tu ?
Nous n'avons jamais pleuré. Nous ne nous sommes jamais taquinés par amour
pour Toi. Nous donnes-tu un baiser ?"
"Vous avez donc été bons et par amour pour Moi ! Quelle joie vous
me donnez. Voici mon baiser, et demain, soyez meilleurs encore."
Et il y a Jacques, le petit qui chaque sabbat portait à Jésus la bourse de
Matthieu. Il dit :
"Lévi ne me donne plus rien pour les pauvres du Seigneur, mais moi, j'ai
mis de côté toutes les piécettes qu'on me donne quand je suis bon et
maintenant je te les donne. Les donneras-tu aux pauvres pour mon
grand-père ?"
"Certainement. Qu'est-ce qu'il a ton grand-père ?"
"Il ne marche plus. Il est si vieux et ses jambes ne le portent
plus."
"Cela te désole ?"
"Oui, parce qu'il était mon maître quand on allait à travers la
campagne. Il me disait tant de choses, il me faisait aimer le Seigneur. Même
maintenant il me parle de Job et me fait voir les étoiles du ciel, mais de
son siège... C'était plus beau auparavant."
"Je viendrai demain voir ton grand-père. Es-tu content ?"
Et Jacques est remplacé par Benjamin, pas celui de Magdala, le Benjamin de
Capharnaüm, celui d'une lointaine vision.
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38> Arrivé sur la place en même temps que sa mère et ayant
vu Jésus, il quitte la main maternelle et se jette avec un cri qui paraît un
gazouillis d'hirondelle au milieu de la petite foule remuante et, arrivé
devant Jésus, il Lui enlace les genoux en disant :
"À moi aussi, à moi aussi une caresse !"
232.4 - Passe à ce moment-là le
pharisien Simon qui s'incline pompeusement devant Jésus qui lui rend sa
salutation. Le pharisien s'arrête et, alors que la foule s'écarte comme
intimidée, le pharisien dit :
"Et à moi, tu ne donnerais pas une caresse ?" et il sourit
légèrement.
"À tous ceux qui me le demandent. Je me félicite avec toi de ton
excellente santé. On m'avait dit à Jérusalem que tu avais été quelque peu
malade."
"Oui, bien malade. J'ai désiré te voir pour guérir."
"Croyais-tu que je le puisse ?"
"Je n'en ai jamais douté, mais j'ai dû me guérir tout seul parce que tu
as été longtemps absent. Où es-tu allé ?"
"Jusqu'aux confins d'Israël. C'est ainsi que j'ai occupé les jours entre
Pâque et Pentecôte."
"Beaucoup de succès ? J'ai entendu parler des lépreux d'Hinnom et
de Siloan. Grandiose.
Cela seulement ? Certainement pas, mais cela, je le savais par le prêtre
Jean. Celui qui est sans préventions croit en Toi et il est heureux."
"Et celui qui ne croit pas parce qu'il a des préventions, qu'en est-il
de lui, sage Simon ? "
Le pharisien se trouble un peu... il se débat entre le désir de ne pas
condamner ses trop nombreux amis qui sont prévenus contre Jésus et celui de
mériter les compliments de Jésus. Mais il surmonte ce trouble et il
dit :
"Celui qui ne veut pas croire en Toi, malgré les preuves que tu donnes,
est condamné."
"Je voudrais que personne ne le soit..."
"Toi, oui. Nous ne répondons pas à cette bonté que tu as pour nous. Trop
ne te méritent pas... Jésus, je voudrais que tu sois mon hôte demain..."
"Demain, je ne peux pas. Ce sera dans deux jours.
Acceptes-tu ?"
"Toujours. J'aurai... des amis... et tu devras les excuser si..."
"Oui, oui. Je viendrai avec Jean"
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39> "Lui seulement ?"
"Les autres ont d'autres missions. Les voilà qui reviennent des
campagnes. La paix à toi, Simon."
"Dieu soit avec Toi, Jésus." Le pharisien s'en va et Jésus se joint
aux apôtres.
232.5 - Ils reviennent à la maison
pour le souper. Mais pendant qu'ils mangent le poisson grillé, les rejoignent
des aveugles qui déjà avaient imploré Jésus sur la route. Ils répètent
maintenant leur :
"Jésus, Fils de David, aie pitié de nous !"
"Mais, partez ! Il vous a dit : "demain" et que ce
soit demain. Laissez-le manger" leur dit Simon Pierre d'un ton de
reproche.
"Non, Simon, ne les chasse pas. Tant de constance mérite une récompense.
Venez, vous deux" dit-il ensuite aux aveugles et ils entrent en tâtant
de leur bâton le sol et les murs.
"Croyez-vous que je puisse vous rendre la vue ?"
"Oh ! oui, Seigneur ! Nous sommes venus parce que nous en
sommes certains."
Jésus se lève de table, s'approche d'eux, met ses doigts sur les paupières
aveugles, lève le visage, prie et dit :
"Qu'il vous soit fait selon la foi que vous avez."
Il enlève les mains, et les paupières immobiles remuent parce que la lumière
frappe de nouveau les pupilles qui sont revenues à la vie pour l'un, et pour
l'autre les paupières se dessillent et là où il y avait une suture due
certainement à des ulcères mal soignés, voilà que se reforme sans
défectuosités le bord de la paupière et elle se lève et s'abaisse comme des
ailes qui battent.
Les deux tombent à genoux.
"Levez-vous et allez et veillez bien à ce que personne ne sache ce que
je vous ai fait. Portez la nouvelle de la grâce que vous avez reçue à votre
ville, à vos parents, à vos amis. Ici, ce n'est pas nécessaire ni favorable à
votre âme. Gardez-la exempte de blessures dans sa foi, comme maintenant,
sachant ce qu'est l’œil, vous le préserverez de blessures pour ne pas être
aveugles de nouveau."
232.6 - Le repas se termine. Ils
montent sur la terrasse où il y a un peu de fraîcheur. Le lac n'est que
scintillement sous le quartier de lune.
Jésus s'assied sur le bord du muret et s'abstrait dans la contemplation du
lac aux vagues argentées. Les autres parlent entre eux à voix basse pour ne
pas le déranger.
Mais ils le regardent, comme fascinés.
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40> En effet, comme il est beau !
Tout auréolé par la lune qui éclaire son visage à la fois sévère et serein,
qui permet d'en étudier les plus légers détails, il se tient, la tête
légèrement appuyée contre le sarment rêche de la vigne qui monte de là pour
s'étendre ensuite sur la terrasse. Ses yeux allongés d'un bleu clair, qui
dans la nuit paraissent couleur d'onyx, semblent épandre sur toutes choses
des ondes de paix. Parfois, ils se lèvent vers le ciel serein parsemé
d'astres, d'autres fois ils s'abaissent sur les collines, et plus bas sur le
lac, parfois encore, ils fixent un point indéterminé et ils semblent sourire
à leur propre vision. Les cheveux ondulent un peu sous le vent léger. Une
jambe suspendue à peu de distance du sol, l'autre qui s'appuie sur le sol, il
reste ainsi, assis de biais avec ses mains qui s'abandonnent sur les genoux
et son habit blanc paraît accentuer sa blancheur lumineuse, le rendre argenté
par l'effet de la lumière lunaire, alors que les mains longues et d'un blanc
d'ivoire semblent accentuer leur teinte de vieil ivoire et leur beauté virile
bien qu'effilées. Le visage aussi, avec son front haut, le nez rectiligne,
l'ovale agréable des joues que prolonge la barbe blonde légèrement cuivrée,
semble sous cette lumière lunaire prendre la teinte du vieil ivoire en
perdant la nuance rosée que pendant le jour on remarque en haut des joues.
"Tu es fatigué, Maître ?" demande Pierre.
"Non."
"Tu me sembles pâle et pensif..."
"Je réfléchissais. Mais je ne crois pas être plus pâle que d'habitude.
232.7 - Venez ici... La lumière de la
lune vous rend tous pâles, vous aussi. Demain, vous irez à Chorazeïn.
Peut-être vous trouverez des disciples. Parlez-leur et veillez à être ici
demain, au crépuscule. Je prêcherai près du torrent."
"Quelle belle chose ! Nous le dirons à ceux de Chorazeïn.
Aujourd'hui, au retour, nous avons rencontré Marthe et Marcelle. Elles sont
venues ici ?" demande André.
"Oui."
"À Magdala on parlait beaucoup de Marie, qui ne
sort plus, qui ne donne plus de fêtes. Nous nous sommes reposés chez la femme
de l'autre fois. Benjamin m'a dit que quand il veut faire le méchant il pense
à Toi et..."
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41> "...et à moi, dis-le aussi,
Jacques"
dit l'Iscariote.
"Il ne l'a pas dit."
"Mais il l'a sous-entendu en disant : "Je ne veux pas être
beau et par contre méchant, moi" et il m'a regardé de travers. Il ne
peut me souffrir..."
"Antipathie sans importance, Judas. N'y pense pas" dit Jésus.
"Oui, Maître, mais c'est ennuyeux que..."
232.8 - "Y a-t-il le
Maître ?" crie une voix du chemin.
"Oui. Mais que voulez-vous de nouveau ? Le jour ne vous suffit pas,
long comme il est ?
Est-ce une heure pour déranger de pauvres voyageurs ? Revenez
demain" ordonne Pierre.
"C'est que nous avons avec nous un muet
qui est possédé et, pendant le trajet, il nous a échappé trois fois. Sans
cela, on serait arrivé plus tôt. Soyez bons ! Dans un moment, quand la
lune sera haute, il hurlera fort et épouvantera le pays. Voyez comme déjà il
s'agite ?!"
Jésus se penche du haut du muret après avoir traversé toute la terrasse. Les
apôtres l'imitent. Un cercle de visages courbés sur une foule de gens qui
lèvent la tête vers ceux qui se penchent.
Au milieu, avec des mouvements et des mugissements d'ours ou de loup
enchaîné, un homme avec les poignets bien attachés pour qu'il ne s'enfuie
pas. Il mugit en s'agitant avec des mouvements de bête et comme s’il
cherchait sur le sol je ne sais quoi. Mais quand il lève les yeux et
rencontre le regard de Jésus, il pousse un hurlement bestial, inarticulé, un véritable
hurlement et il cherche à s'enfuir.
La foule, presque tous les adultes de Capharnaüm, s'écarte, effrayée.
"Viens, par charité ! Cela le reprend comme auparavant..."
"Je viens tout de suite."
Et Jésus descend rapidement et va en face du malheureux qui est plus agité
que jamais.
"Sors de lui. Je le veux."
Le hurlement s'évanouit en une seule parole : "Paix !"
"Oui, la paix. Aie la paix, maintenant que tu es délivré."
La foule crie, émerveillée, en voyant le brusque passage de la fureur à la
tranquillité, de la possession à la délivrance, du mutisme à la parole.
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42> 232.9 - "Comment
avez-vous su que j'étais ici ?"
"À Nazareth on nous a dit : "Il est à Capharnaüm". À
Capharnaüm cela nous a été confirmé par deux hommes qui avaient eu les yeux
guéris par Toi, dans cette maison."
"C'est vrai ! C'est vrai ! À nous aussi ils l'ont dit..."
crient plusieurs.
Et ils commentent :
"Jamais on n'a vu pareilles choses en Israël !"
"S'il n'avait pas eu l'aide de Belzébuth, il ne l'aurait pas fait"
ricanent les pharisiens de Capharnaüm parmi lesquels ne se trouve pas Simon.
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