Vision du lundi 15 janvier 1945.
13> 79.1 – Jésus marche avec ses
disciples sur un chemin, le long d'un torrent. Le long... c'est une façon de
parler. Le torrent est en contrebas. En haut, le long de la côte, c'est la
route en lacets, comme on en trouve facilement dans les pays montagneux. Jean
est rouge comme de la pourpre, chargé comme un porte-faix d'un sac rebondi,
plein. Judas, par ailleurs porte celui de Jésus avec le sien. Simon a seulement le sien et les manteaux. Jésus a repris son
vêtement et ses sandales. La mère de Judas a donc dû le faire laver parce qu'il n'a pas de faux
plis.
"Que de fruits ! Les beaux vignobles sur ces collines ! dit Jean auquel la chaleur et la fatigue ne font pas perdre sa
bonne humeur. Maître, est-ce le cours d'eau sur les rives duquel nos pères
cueillirent les grappes miraculeuses ?"
"Non, c'est l'autre, et plus au midi. Mais toute la région était un
endroit béni aux fruits excellents."
"Maintenant, elle ne l'est plus autant bien que belle encore."
"Trop de guerres ont dévasté le sol. C'est ici que s'est fait Israël...
mais pour se faire, il dut le féconder avec son sang et celui des
ennemis."
"Où les trouvons-nous, les bergers ?"
"À cinq milles d'Hébron, sur les rives du fleuve dont tu parlais."
"Au-delà de cette colline, alors."
"Plus loin."
"Il fait très chaud. L'été... Où allons-nous après, Maître ?"
"Dans un endroit encore plus chaud, mais je vous prie de venir. Nous
voyagerons de nuit. Les étoiles sont si claires qu'il n'y a pas d'obscurité.
Je veux vous montrer un endroit..."
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14> "Une ville ?"
"Non... un endroit... qui vous fera comprendre le Maître... peut-être
mieux que ses paroles."
79.2 – "Nous avons perdu des
journées avec ce stupide incident. Il a tout gâté... et ma mère qui avait
fait tant de préparatifs est restée déçue. Je ne sais plus pourquoi tu as
voulu te séparer jusqu'à la purification."
"Judas, pourquoi appelles-tu stupide un fait qui fut une grâce pour un
vrai fidèle. Ne voudrais-tu pas, toi, pour toi même une telle mort ?
Il avait attendu toute sa vie le Messie. Il s'en était allé, déjà âgé par des
chemins incommodes pour l'adorer quand on lui eut dit : "Il y est".
Il avait conservé en son cœur pendant trente ans la parole de ma Mère.
L'amour et la foi l'ont investi de leurs feux, dans la dernière heure que
Dieu lui réservait. Son cœur s'est brisé de joie, consumé, comme un
holocauste agréable par le feu de Dieu. Quel sort meilleur que
celui-là ? Il a gâté la fête que tu avais préparée ? Vois en cela
une réponse de Dieu. On ne mélange pas ce qui est de l'homme avec ce qui
vient de Dieu... Ta mère, elle m'aura encore. Ce vieillard ne devait plus m'avoir. Tout Kériot peut venir au
Christ, le vieillard n'avait plus de force pour le faire. J'ai été heureux
d'avoir accueilli sur mon cœur le vieux père mourant et d'avoir recommandé
son esprit. Et, pour le reste... Pourquoi scandaliser en manifestant du
mépris pour la Loi ? Pour dire : "Suivez-moi" il faut
marcher. Pour amener sur une voie sainte, il faut suivre la même voie.
Comment aurais-je pu ou comment pourrais-je dire : "Soyez fidèles",
si Moi j'étais infidèle !"
"Je crois que cette erreur est la cause de notre décadence. Les rabbins
et les pharisiens accablent le peuple sous le poids des prescriptions et
puis... et puis, ils agissent comme celui qui a
profané la maison de Jean en y faisant
un lieu de débauche." observe Simon.
"C'est un homme d'Hérode..."
"Oui, Judas. Mais on trouve les mêmes fautes chez les castes que l'on
dit, qui, d'elles-mêmes, se disent saintes. Qu'en dis-tu, Maître ?"
dit Simon.
"Je dis que tant qu'il y aura une poignée de vrai levain et de vrai
encens en Israël, on fera du pain et on parfumera l'autel."
"Que veux-tu dire ?"
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15> "Je veux dire que si quelqu'un vient à la Vérité avec un
cœur droit, la Vérité se répandra comme un levain dans la masse de farine et
comme un encens pour Israël tout entier."
"Que t'a dit cette femme ?" demande Judas.
Jésus ne répond pas. Il se tourne vers Jean : "Cela pèse lourd et
fatigue. Donne-moi ta charge."
"Non, Jésus, je suis entraîné et puis... la joie qu'en aura Isaac me la rend plus légère."
79.3 – On a contourné le coteau. À l'ombre
d'un bois, sur l'autre versant se trouvent les troupeaux d'Élie. Et les bergers, assis à l'ombre les gardent. Ils
voient Jésus et accourent.
"La paix soit avec vous. Vous êtes ici ?"
"Nous pensions à Toi... et à cause du retard, nous demandant s'il
fallait aller à ta rencontre ou obéir... nous avons décidé de venir jusqu'ici
pour t'obéir, et à notre amour en même temps. Tu devais être ici depuis
plusieurs jours."
"Nous avons dû nous arrêter..."
"Mais... rien de mal ?"
"Non, rien, ami. La mort d'un fidèle sur mon cœur. Rien d'autre."
"Que veux-tu qu'il arrive, berger ? Quand les choses sont bien
préparées... Bien sûr il faut savoir les préparer et préparer les cœurs à les
recevoir. Ma cité a donné au Christ tous les honneurs. N'est-ce pas vrai,
Maître ?"
"C'est vrai, Isaac : nous y sommes passés en revenant de chez Sarah. La cité de Yutta aussi, sans autre préparation que celle de la simple
bonté et de la vérité des paroles d'Isaac, a su comprendre l'essentiel de ma
doctrine et aimer, d'un amour pratique, désintéressé et saint. Elle t'a
envoyé vêtements et nourriture, Isaac, et, aux oboles restées sur ton grabat,
tous ont voulu ajouter quelque chose pour toi qui reviens dans le monde et
qui manques de tout. Tiens. Je ne porte jamais d'argent, mais celui-là, je
l'ai accepté parce qu'il est purifié par la charité."
"Non, Maître, garde-le, Toi. Je suis habitué à
m'en passer."
"Maintenant tu devras aller dans des pays où je
t'enverrai et tu en as besoin. L'ouvrier a droit au salaire, même
s'il travaille sur les âmes... car il a encore un corps à nourrir, comme qui
dirait l'âne qui aide son maître. Ce n’est pas grand-chose, mais tu sauras te
débrouiller... Jean a dans ce sac des vêlements et des sandales. Joachim en a pris des siens. Ils seront grands... mais, il y a
tant d'amour dans ce don !"
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16> Isaac prend la besace et se retire derrière un buisson
pour s'habiller. Il était encore pieds nus et vêtu de sa toge bizarre faite
d'une couverture.
79.4 – "Maître, dit Élie, cette
femme... cette femme qui
se trouve dans la maison de Jean... quand tu étais parti depuis trois jours
et que nous faisions paître les troupeaux sur les prés d'Hébron - les prés
sont à tout le monde et on ne pouvait pas nous chasser - cette femme nous
envoya une servante avec cette bourse, en disant qu'elle voulait nous
parler... Je ne sais pas si j'ai bien fait, mais la première fois, j'ai rendu
la bourse et j'ai dit : "Je ne veux rien entendre"... Puis,
elle m'a fait dire : "Viens, au nom de Jésus" et je suis
allé... Elle a attendu le départ de son... oui, homme qui l'a pour
maîtresse... Que de choses elle a voulu... oui, elle voulait savoir. Moi,
j'ai dit peu de choses, par prudence. C'est une courtisane. Je craignais un
piège pour Toi. Elle m'a demandé qui tu es, où tu résides, ce que tu fais, si
tu es un seigneur... J'ai dit : "C'est Jésus de Nazareth. Il est de
partout car c'est un maître et il donne son enseignement à travers la
Palestine". J'ai dit que tu es pauvre, un simple artisan que la Sagesse
a pénétré de sagesse... Rien de plus."
"Tu as bien fait." dit Jésus, et au même instant Judas s'écrie :
"Tu as mal fait ! Pourquoi n'as-tu pas dit que c'était le Messie et
le Roi du monde ? Chasse-la cette orgueilleuse Romaine sous l'éclat de
la splendeur de Dieu !"
"Elle ne m'aurait pas compris, et puis étais-je certain qu'elle était
sincère ? Tu l'as dit, toi, quand tu l'as vue ce qu'elle est. Pouvais-je
jeter les choses saintes, et tout ce qui touche Jésus est saint, dans sa
bouche, à elle ? Pouvais-je mettre Jésus en danger en lui donnant trop
d'informations ? Que de tous les autres lui vienne le mal, mais pas de
moi."
"Allons-nous-en, Jean, dire qu'Il est le Maître, expliquer la vérité
sainte."
"Moi, non, à moins que Jésus me l'ordonne."
"Tu as peur ? Que veux-tu que cela te fasse ? En as-tu du
dégoût ? Le Maître ne l'a pas eu !"
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17> "Ni peur, ni dégoût. J'ai pitié d'elle. Mais je
pense que si Jésus le voulait, il pouvait s'arrêter pour l'instruire. Il ne
l'a pas fait, Il n'est pas indiqué que nous le fassions."
"Alors, il n'y avait pas de signes de conversion... Maintenant.
79.5 – Élie, fais voir la
bourse."
Et Judas renverse sur un pan de son manteau, car il s'est assis sur l'herbe,
le contenu de la bourse. Anneaux, pendentifs, bracelets, un collier, tout
roule : jaune d'or sur le jaune foncé du vêtement de Judas.
"Un tas de bijoux !... Qu'en faisons-nous ?"
"Cela peut se vendre." dit Simon.
"Ce sont des choses compromettantes." objecte Judas qui pourtant
les admire.
"Je le lui ai dit, moi aussi en les prenant. J'ai ajouté :
"Ton maître te battra". Elle m'a répondu: "Ce ne sont pas ses
affaires c'est à moi. J'en fais ce que je veux. Je sais que c'est l'or du
péché... mais il sera purifié s'il sert pour qui est pauvre et saint. Pour
qu'il se souvienne de moi" et elle pleurait."
"Vas-y Maître."
"Non."
"Envoie Simon."
"Non."
"Alors, j'y vais."
"Non."
Les "non" de Jésus sont secs et impérieux.
"Ai-je mal fait, Maître, de lui parler et d'accepter cet or ?"
demande Élie qui voit Jésus soucieux.
"Tu n'as pas mal fait, mais il n'y a rien de plus à faire."
79.6 – "Mais, peut-être cette
femme veut se racheter et a besoin qu'on l'instruise..." objecte encore
Judas.
"En elle, se trouvent déjà tant d'étincelles
capables d'allumer l'incendie dans lequel peut se consumer son vice, laissant
l'âme à nouveau redevenue vierge par l'effet du repentir. Il y a peu de
temps, je vous ai parlé du levain qui agit sur toute la pâte et en fait un
pain sanctifié. Écoutez une courte parabole.
Cette femme, c'est la farine, une
farine où le Malin a mélangé ses poussières d'enfer. Je suis le levain :
cela signifie que ma parole est le levain. Mais s'il y a trop de
son dans la farine, ou si on y a mélangé des graviers et du sable, et de la
cendre encore en plus, peut-on faire le pain, même si le levain est
excellent ? On ne peut le faire.
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18> Il faut enlever patiemment de la farine, son, cendres,
gravier et sable. La Miséricorde passe et offre le crible... Le
premier : il est fait de courtes vérités fondamentales. Il est
nécessaire qu'elles soient comprises par quelqu'un qui est dans le filet
d'une complète ignorance, du vice, des erreurs de la gentilité. Si l'âme les
accueille, elle commence la première purification. La seconde arrive avec le
crible de l'âme elle-même, qui confronte son être avec l'Être qui s'est
manifesté. Elle a horreur d’elle-même et commence son travail. Par une
opération toujours plus précise, après les pierres, après le sable, après la
cendre, elle en arrive aussi à enlever ce qui est déjà de la farine, mais
avec des grains encore grossiers, trop grossiers pour donner un pain
excellent. Maintenant, voilà que tout est prêt. Alors, la Miséricorde revient
et se mélange à cette farine préparée - cela aussi est préparation, Judas -
elle la fait lever et en fait le pain. Mais, c'est une longue opération où
agit la volonté de l'âme.
Cette femme... cette femme possède déjà en elle-même
ce minimum qu'il était juste de lui donner et qui peut lui servir à accomplir
son travail. Laissons-la faire, si elle le veut, sans la troubler. Tout est trouble pour
l'âme qui se travaille : la curiosité, le zèle inconsidéré,
les intransigeances comme une pitié exagérée."
79.7 – "Alors, nous n'y allons
pas ?"
"Non, et pour que personne d'entre vous n'aie de tentation, nous partons
tout de suite. Dans le bois, il y a de l'ombre. Nous arrêterons au fond de la
vallée du Térébinthe et là, nous nous séparerons. Élie reviendra à ses
pâturages avec Lévi, pendant que Joseph viendra avec Moi au gué de Jéricho.
Puis... nous nous retrouverons encore. Toi, Isaac, continue ce que tu as fait
à Yutta en allant de là par Arimathie et Lidda pour arriver à Docco. Là nous nous retrouverons. Il y a la Judée à préparer
et tu sais comment faire. Comme tu as fait à Yutta."
"Et nous ?"
"Vous, vous viendrez, comme je l'ai dit pour voir ma préparation. Moi aussi, je me suis préparé à la mission."
"En allant près d'un rabbi ?"
"Non."
"Près de Jean ?"
"Je n'en ai reçu que le Baptême."
"Et alors ?"
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19> "Bethléem a parlé avec les pierres et les cœurs.
Là aussi, où je te conduis, Judas, les pierres, et un cœur, le mien, parleront
en répondront à ta question."
79.8 – Élie qui a apporté du lait et
du pain noir dit :
"J'ai cherché, pendant mon attente, et Isaac a cherché avec moi, à
persuader le gens d'Hébron... Mais ils ne croient, ne jurent, ne veulent que
Jean C'est leur "saint" et ils ne veulent que lui."
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