Le dimanche 5 mai 1946.
84> Azarias dit :
"La
terre est pleine de la miséricorde du Seigneur ; et si elle était accueillie
par les âmes telle qu'elle est répandue sur tous les vivants, il n'y aurait
alors plus de malheureux, de pécheurs, d'isolés ; elle serait unie en un
unique troupeau guidé et protégé par le Pasteur qui a donné sa vie pour ses
brebis et qui s'offre continuellement comme Vie, pour tous, pour donner la
Vie. Alors l'humanité avancerait, compacte et forte de sa cohésion qui la
défendrait contre les haines, les divisions politiques, les égoïsmes et les
convoitises entre état et état, peuple et peuple, défendue contre ce mal sur
lequel souffle l'Adversaire pour causer à l'humanité des maux toujours
nouveaux et plus grands.
Mais la miséricorde reste inefficace pour trop d'hommes, non par sa propre
faute, mais à cause du trop grand nombre d'hommes qui ne veulent pas
l'accueillir. Comme le Seigneur dont elle est le doux attribut, la
miséricorde peut dire :
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85> "Je
me liens à la porte des cœurs et je frappe ". Mais l'Amant éternel et bienfaisant
reçoit trop souvent comme réponse celle de l'épouse du Cantique des cantiques
: "Je me suis dépouillée de ma
tunique, comment la remettrais-je ? Je me suis lavée les pieds, comment les
salirais-je ?"
Oui, c'est ainsi que l'humanité répond à son puissant Amant, à l'Unique qui
l'aime et pourrait la sauver, et elle ne réfléchit pas sur la force de cet
amour ni sur ce qu'elle peut espérer de ce grand amour d'un Dieu qui s'humilie
et s'offre en demandant à être accueilli !
Tels sont les orgueilleux qui disent : "Nous avons trop voulu agir par
nous-mêmes et il ne peut plus nous aimer", et aussi ceux qui gémissent
de contrition, mais d'une fausse contrition qui ne dépasse pas le point
stagnant de la désolation humaine qui se lamente sur ses souffrances
matérielles et se plaint d'en être tourmentée, sans passer au niveau de la
contrition vraie qui dit : "J'ai péché, ton châtiment est juste. Merci
de me donner le moyen d'expier par la souffrance en cette vie. Mais aie pitié
de moi dans ta miséricorde !" Ces orgueilleux ressemblent à la Sulamite qui ne connaît pas encore parfaitement l'Époux
avec ses beautés et ses puissances infinies pour lesquelles aucun sacrifice
n'est trop grand pour les posséder, et ils ne répondent pas à l'invitation de
celui qui leur pardonne avant même qu'ils aient demandé pardon, lui qui vient
en disant : "Accueillez-moi."
Ou encore, cet orgueilleux répond quand sa désolation est telle que
l'humanité reconnaît en elle le coup de griffe de la Bête infernale ;
mais alors l'Amant (Cantique 5, 2-7), las d'attendre, s'en est allé. Il ne sait pas
non plus imiter l'épouse repentie qui répare sa froide paresse en se lançant
infatigablement à la recherche de l'Époux, défiant les ténèbres, les marais,
les gardes, les dangers, en acceptant d'être dépouillée de ses vêtements qui
sont bien misérables même s'ils paraissent royaux en tant qu'ils sont ceux
d'une humanité reine mais déchue, puisqu'elle a perdu le roi qui qui la
faisait telle pourvu qu'elle le retrouve. Pourtant la Parole de l'Époux
remplit les cieux qu'il a créés et qui en témoignent comme toute la Création
témoigne de sa puissance providentielle, les éléments confirment les
prophéties, et il n'existe pas de doute que le Verbe du Père soit le
Roi, le Sauveur, le Rédempteur et en cela même l'unique Pasteur.
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86> Comment l'homme
peut-il - comment tant d'hommes peuvent-ils - persister dans une surdité que
n'ont pas les êtres inférieurs ? Ceux-là obéissent aux ordres reçus dès
l'origine en donnant lumière et chaleur comme les astres et les planètes, en
menant leur vie porteuse de bienfaits aux habitants de votre planète comme
vous ne savez pas le faire. Les animaux procréent et donnent chacun ce qu'il
doit ; les plantes fructifient et se rendent utiles par leur bois ;
les éléments réchauffent, arrosent, aèrent, transportent, nourrissent.
Pourquoi l'homme, tant d'hommes, trop d'hommes n'accueillent-ils pas
l'invitation qui les veut unis en une seule Église fondée par celui qui est
mort pour eux ? Pourquoi les branches veulent-elles rester séparées et
sauvages alors que, si elles étaient soudées au tronc, elles seraient
nourries de délicieuses sèves ? Pourquoi l'homme est-il pire que les plantes
qui accueillent la greffe et la transplantation pour être utiles et fécondes
?
Oui, l'homme est
pire que l'arbre. Et son entêtement à vouloir se séparer, le prive de
beaucoup de biens. Même si, parmi les séparés, il se trouve des cœurs droits,
voilà qu'ils mutilent et stérilisent leur droiture parce qu'ils veulent
rester séparés du tronc dont les racines s'agrippent à une terre de catacombe
et dont le sommet touche les cieux : ce tronc, c'est Rome, et c'est en
ce sens que l'unique Église catholique, l'apostolique, est dite romaine, elle
qui n'a pas été créée par un pauvre homme, toujours pauvre même s'il est un
roi puissant sur un trône humain, non pas par un excommunié déjà marqué par
le signe de l'enfer, mais, par l'Homme-Dieu, roi éternel, saint,
saint, saint.
Oui, trop nombreux sont les hommes qui, bien que connaissant le Christ parce
qu'ils sont évangéliques ou orthodoxes, orientaux, grecs, schismatiques,
maronites, luthériens, calvinistes ou vaudois - pour ne nommer que les plus
importantes branches séparées - piétinent jusqu'à la preuve d'amour que le Christ a donné pour leur
salut : ses humiliations. Ils préfèrent rester déchus alors qu'ils
pourraient être anoblis, ils préfèrent être "morts" alors
qu'ils pourraient être "vivants", par leur volonté obstinée
d'être "séparés".
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87> Devez-vous les
condamner ? Non. Ils sont toujours vos frères, même si ce sont de pauvres
frères éloignés de la maison du Père, mangeurs d'un pain qui ne rassasie pas,
vivants dans une brume qui les empêche de voir la radieuse vérité, désaltérés
à des sources qui ne donnent pas l'eau qui vient du ciel et qui conduit au
ciel. La tristesse de leur religion se reflète dans leurs rites. Leurs hymnes
ressemblent à des chants d'exilés, des chants d'esclaves. De leurs
prédications on comprend qu'ils sont à la recherche d'un père qu'ils savent
avoir sans le trouver. Leurs cérémonies sont pleines des pompes de qui est
réduit à pourvoir l'absence de vérité par des chorégraphies.
Ils cherchent à sentir Dieu et à le faire sentir, ils parlent le langage du
Christ et de ses saints pour pouvoir encore se persuader qu'ils sont ses
frères, sauvés par lui. Mais la mélancolie de la séparation est sur eux et en
eux. Ce sont les faux riches, les faux nourris, les pauvres convaincus
d'avoir un aliment à profusion ; mais ils sont sous-alimentés, et pauvres,
pauvres, pauvres. Les grands trésors de la catholicité, ceux infinis du
Christ, chef de la catholicité, leur sont inaccessibles. Prions pour eux...
Et vous qui pouvez souffrir, souffrez pour eux.
Souffrir !
C'est un don de Dieu aux hommes. C'est une participation à la mission du
Christ, un moyen d'être sauveurs en plus d'être sauvés, une noblesse que
possèdent les meilleurs sages et saints parmi les hommes. Car seuls aiment
souffrir ceux qui ont compris et désirent la sagesse et la sainteté. Si le
chrétien méditait comment le Christ s'est révélé et comment il s'est toujours
comporté, alors il aimerait souffrir.
Saint
Luc dit (Luc 24, 30-35) que les disciples reconnurent le Seigneur quand
il rompit le pain. Peut-être Jésus avait-il une manière spéciale de le rompre
? Non, il le rompait comme tout un chacun. Comme tout chef de famille, comme
tout maître de table...
C'est dans le geste qui le symbolisait lui-même, le divin Pain rompu et
partagé afin que tout homme en ait, qu'il se manifesta pour ce qu'il était.
Le pèlerin rencontré sur la route par les deux disciples d'Emmaüs se révéla
être Jésus par ce geste symbolique. Auparavant, il leur avait parlé et leur
avait expliqué les Écritures. Pourtant, bien qu'ils soient des disciples qui
connaissaient depuis des années son aspect et sa façon d'enseigner, ils ne
l'avaient pas reconnu.
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88> La beauté parfaite
du Ressuscité pouvait transfigurer les traits du rabbi qu'ils se souvenaient
être souvent en sueur, poussiéreux, épuisé par les fatigues évangéliques, et
qu'ils avaient vu une dernière fois et pour un instant seulement dans les
heures du vendredi, défiguré par les souffrances et les saletés jetées sur
lui, enflé par les coups, défiguré par la croûte de poussière et de sang qui
lui couvrait le visage. Mais la Parole était la même. Jésus n'a jamais changé
d'accent, de ton ou de méthode. Néanmoins, ils ne reconnurent pas en lui le
Sauveur.
En revanche, lorsqu'il prit le pain intact et le bénit, l'offrit, puis le
rompit et l'offrit, alors ils le reconnurent.
Jésus était le Pain du ciel, le Pain intact qui ne connaissait pas de
manipulation humaine. Intact, saint, suave, il était descendu du Ciel sur la
terre par une nuit d'hiver et, pour la première fois, il s'était séparé dans
une mystérieuse mesure des Deux qui, avec lui, formaient la sainte Trinité.
La douleur de la séparation, de la première fracture, marqua l'entrée de la
Lumière parmi les ténèbres. Puis, pendant trente-trois années et à un rythme
toujours croissant, la vie du Christ fut une succession d'humiliations
métaphoriquement semblables à celle du pain réduit en miettes et répandu en
multiples fractions, anéanti pour servir à tous les besoins. Les trois
dernières années ne furent-elles pas une réduction en miettes pour toutes les
faims, pour, toutes les âmes, pour tous leurs besoins ? Qui donc fut plus
anéanti que lui, incompris par ses amis ignorants et durs d'esprit, en plus
de ses ennemis pleins de hargne ? Qui donc fut broyé plus que lui pour donner
à tous, avec souffrances et des, actions infatigables, la santé aux corps et
aux âmes, la sagesse, le pardon et l'exemple ?
À la dernière Cène, n'a-t-il pas résumé en un seul rite toute la
signification de ce qu'il est lui-même, de sa mission et de son holocauste ?
Les évangélistes concordent tous pour dire que, à un certain moment de la
cène pascale, au cœur de l'ancien rite, il en a introduit un nouveau :
il prit un pain, le bénit et le rompit en en donnant un morceau à chacun des
Douze, en disant : "Ceci est mon Corps livré pour vous. Faites
ceci en mémoire de moi."
Oh !
Chrétiens, je vous en prie ! Détournez votre esprit de vos, limites
pesantes, éclaircissez votre regard spirituel, voyez et comprenez au-delà de vos bornes habituelles!
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89> "Ceci est mon Corps
livré pour vous." Livré ! C'est comme s'il disait : "Rompu parce
que l'amour de votre bien me pousse à me briser, à me faire briser, moi,
l'intouchable, par les hommes..."
"Faites cela en mémoire de moi. "Par ces mots, le rite
eucharistique est établi. Mais pas seulement cela.
Ces paroles contiennent également un conseil donné aux élus parmi ses
rachetés. Ce conseil est le suivant : "Pour être dignes de l'élection à laquelle je vous ai
d'avance choisis, vous, mes vrais serviteurs parmi tous mes serviteurs,
faites, en mémoire de moi qui vous enseigne par ces paroles ce qu'est et
comment l'on devient des maîtres et des rédempteurs, faites la fraction de
vous-mêmes, sans répugnance, sans orgueil, sans peurs ni considérations
humaines. Cassez-vous, brisez-vous, anéantissez-vous, détruisez-vous,
donnez-vous, livrez-vous aux hommes, pour les hommes, et par amour de moi
qui me suis donné à qui voulait me briser comme je me suis donné à qui
voulait miracle et instruction".
Celui qui ne sait
pas se rompre et se donner ne peut être un vrai disciple. La générosité, l'immolation de celui qui sait se rompre pour rassasier la faim de ses frères, c'est
le signe qui fait reconnaître les vrais serviteurs de Dieu.
"Et ils le reconnurent à la
fraction du pain." De même, ils vous reconnaîtront parce que vous
vous rompez pour la charité et la justice. Ils
vous reconnaîtront comme de vrais serviteurs.
Pour cette raison, aimez, chères voix, instruments élus,
ce qui est l'humiliante, douloureuse, active et sainte fraction de vous-mêmes
pour le bien de vos frères et pour la gloire de Dieu. Alors le bon Pasteur
parlera pour vous et dira : "Je suis le bon Pasteur, je connais mes
brebis et mes brebis me connaissent." Il dira : "Mes brebis ? Les
voici. Ce sont celles-ci ! Celles qui mettent leurs pieds là où je les
ai mis, même si le dernier chemin est celui qui mène au
Calvaire. Et comme elles me connaissent vraiment elles
font ce que j'ai fait, elles sont disposées à être rompus pour sauver leurs
frères."
Le bienheureux apôtre Pierre confirme mes paroles dans son épître :
"Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple afin que vous
suiviez ses traces. "
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90> Les brebis de la
vraie bergerie n'en feraient plus partie si elles abandonnaient leur pasteur
pour suivre des traces qui ne sont pas les siennes, vers des prairies
n'appartenant pas au maître du troupeau. Ses traces ne sont pas celles d'une
joie matérielle, mais celles de la souffrance, féconde pour celui qui la
subit et pour les autres, parce que souffrir avec le Christ et dans le Christ
veut dire continuer la rédemption du Christ.
Ni vous, instruments choisis de manière spéciale, ni vous tous qui voulez vous dire chrétiens fervents, ne devez vous désoler des épreuves, des peines, des
angoisses en les prétendant injustes parce qu'imméritées.
L'Apôtre dit : "Lui qui n'a pas connu de péché et dont les lèvres n'ont
point connu le mensonge ; lui qui, outragé, ne rendait pas
l'outrage ; lui qui, maltraité, ne menaçait pas, mais s'en remettait au
juste Juge, il a lui-même porté vos péchés, dans son corps, sur la
croix."
Qui parmi les hommes peut en dire autant en ayant conscience de ne pas mentir
? Qui peut dire : "Je n'ai jamais péché, jamais menti, jamais
outragé, jamais éprouvé de rancœur à l'égard de ceux qui m'ont haï et, sans
réagir, je me suis remis entre les mains de mes bourreaux ?" Personne ne
peut le dire. Alors, pourquoi vous lamenter s'il ne s'est pas lamenté ?
Pourquoi réagissez-vous s'il n'a pas fait de résistance ?
N'avez-vous pas en
vous la clé du secret par lequel on peut souffrir avec joie, et donc la
volonté empressée de souffrir ? Voilà le secret : "Afin que, morts
au péché, les hommes puissent vivre dans la justice, guéris de leurs plaies
par les plaies (du Christ)."
Voilà ! L'amour, encore une fois l'amour, toujours l'amour parfait, donne
la clé de la joie de la souffrance. Ceux qui ont compris le Maître, qui ont
voulu imiter le Maître d'une façon totale, savent mourir afin que les hommes
vivent dans la justice et soient guéris des blessures de leurs péchés.
Pour tous leurs frères, Maria ! Pour tous leurs frères, vous les chrétiens,
sans ces pharisaïsmes qui maintiennent l'homme dans l'ancien Israël plein de
rigueur et annulent le christianisme, cette religion d'amour.
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91> Il ne faut donc
pas seulement souffrir pour ses frères catholiques, mais aussi pour les
frères "séparés", pour les brebis errantes, afin qu'ils puissent revenir au pasteur
et évêque institué par le Christ, en d'autres termes au successeur de Pierre,
lui-même agneau et chef des agneaux de l'Agneau éternel.
Je te confie aux bras du bon Pasteur, agnelle consumée, par amour de ta
souffrance d'aujourd'hui, de ta souffrance que je dépose dans les encensoirs
afin qu'elle brûle, unie à toutes les oraisons des saints , et parfume le trône de Dieu pour obtenir
miséricorde pour les "séparés" et la grâce du retour à l'unique
Bergerie.
Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit ! Alléluia !"
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