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Martyre d’Irène de Thessalonique (+304).

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Vision du 20 avril 1945
extraite des "Cahiers de 1945 à 1950"


 


Agapé, Chionia et Irène

******

RETOURS AUX FICHES

 Martyrs

 

54> Je vois avec insistance les restes d’un corps humain carbonisé. C’est quelque chose de pitoyable et d’effrayant à voir. Il est tellement rongé par les flammes qu’on dirait une informe statue de fer extraite du fond de la mer.       

55> On discerne encore la tête par les grands traits que constituent le nez, les pommettes et le menton, mais il y manque la rondeur des joues, la partie charnue du nez, les oreilles et les lèvres. Tout est desséché ou détruit. Il en va de même des extrémités, car celles des bras et des jambes ressemblent à des branches à demi brûlées: la chaleur a changé leur aspect, comme si de la cire en recouvrait les tendons, qui se sont déformés sous l’effet de la chaleur et ont contracté et tordu pieds et mains. Naturellement, il n’y a plus ni cheveux ni sourcils. Je ne saurais dire si ce pauvre être gisant renversé sur les restes d’un feu désormais éteint est un homme ou une femme, un jeune ou un adulte, s’il est brun ou blond. L’endroit semble se trouver à la périphérie d’une ville, là où commence la campagne, dans une zone désolée, caillouteuse, lugubre.

Je ne cesse de contempler ce pauvre corps abandonné à cet endroit et je demande aussitôt: « Mais qui es-tu ? »  

De longues heures durant, je n’obtiens aucune réponse. Mais maintenant, bien que je me retrouve au même endroit, je le vois animé de gens vêtus à l’antique qui travaillent à la construction d’un énorme bûcher de fagots mêlés à de robustes petits arbres, un bûcher solide, en mesure de bien flamber. Ensuite, je vois encore venir du côté de la ville un cortège de soldats et de population; j'ignore de quelle ville il s’agit, mais il est sûr qu’elle est près de la mer, qui scintille tout au fond sous le soleil de midi
[1].         

Une jeune fille, à peine plus âgée qu’une adolescente, est au milieu d’eux. Elle est menée au bûcher. C’est pour elle [qu’il était préparé]. Elle y monte, sereine, sûre d’elle-même, avec cette expression de paix suprême et rêveuse que j’ai toujours vue sur le visage des martyrs.

Une femme la suit jusqu’au pied de la pile de bois et, là, elle la salue. C’est une femme voilée et âgée, comme le révèlent ses formes plutôt épaisses et ce qu’on entrevoit d’elle quand elle soulève son voile pour embrasser la jeune fille. Elle ne lui dit pas un mot. Rien de plus que des baisers et des larmes. On veut la repousser et, avec rudesse, on la force à s’éloigner alors que les premières flammes lèchent déjà le bûcher et mettent le feu aux bruyères sèches des fagots. Mais, avec une dignité qui n’est pas sans hauteur, elle réplique à ceux qui lui disent : « Pourquoi t’intéresses-tu à cette rebelle ? Tu en es parente ? Va‑t-en. On ne peut rester là pour réconforter les ennemis de César.        

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56> « - Je suis Anastasia, dame romaine, sa sœur. C’est mon droit de rester auprès d’elle comme auprès des sœurs d’hier[2]. Laissez-moi, ou j’en appellerai à l’empereur »[3].      

On la laisse faire et elle regarde la petite jeune fille vers qui s’élèvent des langues de feu et des flots de fumée qui la cachent par moments. Elle la voit aussi sereine, souriant à son songe spirituel, insensible à la morsure des flammes; celles-ci s’en prennent tout d’abord aux cheveux, qui brûlent dans une langue de feu fumante, puis aux vêtements... jusqu’au moment où, prenant la place de son vêtement blanc brûlé par les flammes, l’instrument même de son martyre lui fait une splendide robe de feu vif qui la masque aux yeux de la foule.      

« Adieu, Irène. Souviens-toi de moi quand tu seras en paix », crie Anastasia. Alors, de derrière le voile du feu, la jeune voix tranquille répond : « Adieu. Je parle déjà de toi à... » L’on n’entend plus que le rugissement des flammes...           

Les soldats et les exécuteurs de la sentence s’éloignent lorsqu’ils comprennent que la mort est survenue, laissant le bûcher finir tout seul son œuvre de destruction.       

Anastasia ne bouge pas. Immobile entre la chaleur ardente du feu et celle du soleil - qui est fort dans cette région aride -, elle attend... jusqu’à ce que viennent les ombres du crépuscule au sein desquelles quelques lueurs restantes luisent faiblement entre les branchages du bûcher. On a l’impression qu’elles écrivent des paroles mystérieuses et racontent au soir les gloires de la jeune martyre.   

Alors Anastasia bouge. Elle ne se dirige pas vers le bûcher, mais vers une masure en ruine qui n’est guère éloignée, perdue dans cette compagne nue. Elle y entre avec assurance, à la clarté d’un premier rayon de lune, s’avance vers un petit jardin en friche, se penche sur un puits et appelle. Sa voix résonne comme du bronze dans la cavité du puits. Plusieurs voix lui répondent et, les unes après les autres, des ombres sortent du puits, qui doit être à sec.      

« Venez. Il n’y a plus personne. Venez, avant qu’on lui fasse quelque affront. Elle est morte comme elle a vécu, en ange. Je n’ai pas touché à ses cendres parce que... je lui ai tout donné comme le Père de mon âme me l’a ordonné. Mais... oh, c’est trop affreux de voir un jeune lys réduit en cendres!  

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57> « - Retire-toi. Nous agirons pour toi.       

« - Non. Je dois m’habituer à ce supplice. Il me l’a dit. Mais alors je ne serai pas seule. Elle et les sœurs seront à mon côté, avec les anges[4]. Soyez là maintenant, frères de Thessalonique ».

Ils s’approchent du bûcher définitivement éteint. Ce n’est plus qu’un tas de cendres éparses sur lequel repose le corps carbonisé que j’ai vu auparavant. Anastasia pleure doucement tandis que, à l’aide des chrétiens, il enveloppe d’un drap précieux le corps que la flamme a momifié. Ils la posent ensuite sur un brancard et le petit et triste cortège, longeant les contours de la ville, atteint une vaste demeure de belle apparence dans laquelle il pénètre. Ils déposent le corps dans un cimetière creusé dans le jardin tandis que l’un d’eux, un prêtre vraisemblablement, le bénit sous de lents cantiques chantés par les chrétiens présents.        

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[1] Il s’agit de Thessalonique au bord de la mer Egée. Les persécutions de Dioclétien, les dernières et les plus féroces, battent leur plein (vers 304). Sainte Irène est fêtée le 1er avril, date de sa mort.

[2] Probablement les sœurs d’Irène de Thessalonique : Agapè et Chionia.

[3] C’est l’époque de la Tétrarchie instaurée par Dioclétien. Il peut donc s’agir de Dioclétien lui-même ou de l’un des tétrarques, en l’occurrence Galère, viscéralement anti-chrétien qui commandait la partie orientale de l’empire.

[4] Selon la Légende Dorée, sainte Anastasie était issue d’une grande famille romaine. Son père était un sénateur païen. Sa mère, Faustine était chrétienne. Ce nom évoque peut-être cette homonyme lointaine, contemporaine du Christ. Anastasie avait comme servantes Irènée (Irène), Agapen (Agapé) et Chionée (Chiona) que la scène évoque. Elle fut emprisonnée avec 200 compagnes dans l’île de Palmarola, de l’archipel des Pontines au large de Rome. Elle y fut brûlée vers 304, soit peu de temps après le martyre d’Irène.