Le
samedi 14 juillet 1945.
460> 218.1 – L'aube, de son haleine
fraîche, réveille les dormeurs. Ils se lèvent de la couche de sable où ils
ont dormi à l'abri d'une dune parsemée de quelques herbes desséchées, et ils
grimpent à son sommet. Une profonde côte sableuse se trouve devant eux, alors
que tout près et un peu plus loin il y a des terrains qui portent de belles
cultures. Un torrent desséché fait ressortir avec ses pierres blanches la
couleur blonde du sable. Il s'en va, avec cette blancheur d'os desséchés
jusqu'à la mer qui scintille au loin, avec ses flots que gonfle la marée du
matin, mais surtout le léger mistral qui ride l'océan. Ils suivent le bord de
la dune jusqu'au torrent desséché, le passent, reprennent leur marche en
diagonale sur les dunes qui s'éboulent sous leurs pas et qui ainsi toutes
ondulées semblent continuer l'océan avec leurs vagues fixes et sèches, à la
place des flots agités.
Ils arrivent à la côte détrempée et marchent plus à leur aise. Jean est comme
hypnotisé par le spectacle de la mer sans fin qu'illuminent les premiers
rayons du soleil. Il semble boire cette beauté et son œil en devient plus
bleu. Pierre, plus pratique, se déchausse, relève son vêtement et patauge
dans les flaques de la rive en quête de quelque crabe ou de quelque
coquillage à sucer.
À deux bons kilomètres de distance, une belle ville
maritime s'étend le long de la rive sur une ligne de rochers en forme de
demi-lune au-delà de laquelle le vent et la tempête ont transporté le sable.
Et la barrière rocheuse, maintenant que l'eau se retire après la marée, se
découvre aussi à cet endroit, obligeant à revenir sur le sable sec pour ne
pas blesser les pieds nus sur les écueils.
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461> "Par où entrons-nous
Seigneur ? D'ici, on ne voit qu'une large muraille. Du côté de la mer,
on ne peut entrer. La ville est au point le plus profond de l'arc" dit
Philippe.
"Venez, dit Jésus. Je sais par où on entre."
"Tu y as déjà été ?"
"Une fois, quand j'étais tout petit et je ne m'en souviendrais
pas. Mais je sais par où on passe."
"Étrange ! Je l'ai remarqué tant de fois... Tu ne te trompes jamais
de route. Parfois nous te faisons tromper, mais Toi ! Il semble que tu
as toujours été dans le lieu où tu te déplaces" observe Jacques de
Zébédée.
Jésus sourit mais ne répond pas.
218.2 – Il
va, sûr de Lui, jusqu'à un petit faubourg rural où les maraîchers cultivent
des légumes pour la ville. Les petits champs et les jardins sont réguliers et
bien entretenus. Femmes et hommes les cultivent et sont en train d'arroser
les sillons en tirant l'eau des puits à la force des bras ou bien avec le
vieux et grinçant système de seaux soulevés par un pauvre ânon qui, les yeux
bandés, tourne autour du puits. Mais ils ne disent rien. Jésus salue :
"Paix à vous."
Mais les gens restent, sinon hostiles, du moins indifférents.
"Seigneur, ici on court le risque de
mourir de faim. Ils ne comprennent pas ton salut. Maintenant je vais essayer,
moi" dit Thomas.
Il aborde le premier maraîcher qu'il voit et lui dit :
"Ils coûtent chers tes légumes ?"
"Pas plus que ceux d'autres maraîchers. Chers ou bon marché, cela dépend
comme la bourse est garnie."
"C'est bien dit. Mais comme tu vois, je ne meurs pas de faim. Je suis
gras et j'ai de belles couleurs, même sans tes légumes. C'est signe que ma
bourse est bien garnie. Bref : nous sommes à treize et nous pouvons
acheter. Qu'est-ce que tu vends ?"
"Des œufs, des légumes, des amandes nouvelles et des pommes qui sont
ratatinées car ce n'est pas la saison, des olives... Tout ce que tu
veux."
"Donne-moi des œufs, des pommes et du pain pour tout le monde."
"Du pain, je n'en ai pas. Tu vas en trouver en ville."
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462> "C'est maintenant que j'ai
faim, pas dans une heure. Je ne crois pas que tu n'aies pas de pain."
"Je n'en ai pas. La femme est en train d'en faire. Mais, tu vois là-bas
ce vieux ? Lui en a toujours une grande quantité. Comme il est sur la
route, les pèlerins lui en demandent souvent. Va trouver Ananias et
demande-lui du pain. Maintenant je t'amène les œufs, mais remarque qu'ils
valent un denier
le couple."
"Voleur ! Ce sont des œufs d'or, peut-être que pondent tes
poules ?"
"Non. Mais ce n'est pas appétissant d'être au milieu de la puanteur des
poulets et cela se paie. Et puis, est-ce que vous n'êtes pas juifs ?
Payez."
"Garde-les. Ainsi tu es bien payé".
Et Thomas lui tourne le dos.
"Hé ! l'homme ! Viens. Je te les fais meilleur marché. Trois
pour un denier."
"Pas même quatre. Bois-les et qu'ils te restent dans la gorge."
"Viens, écoute. Combien veux-tu m'en donner ?"
Le maraîcher suit Thomas.
"Rien. Je n'en veux plus. Je voulais casser la croûte avant d'aller en
ville. Mais c'est mieux ainsi. Je ne perdrai pas ma voix et mon appétit pour
chanter les histoires du roi et faire un bon repas à l'hôtellerie."
"Je te les donne pour un didrachme le couple."
"Ouf ! tu es pire qu'un taon. Donne-les-moi tes œufs et qu'ils
soient frais autrement je reviens et je te fais le museau plus jaune qu'il ne
l'est"
Thomas y va et revient avec au moins deux douzaines d’œufs dans le pli de son
manteau.
"Tu as vu ? Les achats, c'est moi qui les fais à partir de
maintenant dans ce pays de voleurs. Je sais comment les prendre. Ils viennent
avec de l'argent plein les poches faire des achats chez nous pour leurs
femmes, et les bracelets ne sont jamais assez gros et ils marchandent à n'en
plus finir. Je me venge.
218.3 – Maintenant
allons trouver cet autre scorpion. Viens, Pierre, et toi, Jean, prends les
œufs."
Ils vont trouver le vieux qui a son terrain le long de la grand-route qui du
côté nord, en longeant les maisons du faubourg, conduit à la ville. C'est une
belle route, bien pavée, certainement faite par les Romains. La porte de la
ville, du côté de l'orient, est maintenant proche et au-delà on voit que la
route continue tout droit, avec un cachet artistique car elle se transforme
en un double portique ombragé soutenu par des colonnes de marbre.
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463> Les gens cheminent dans son ombre
fraîche, laissant le milieu de la route aux ânes, chameaux, chiens et
chevaux.
"Salut ! Tu nous vends du
pain ?" demande Thomas.
Le vieux, ou bien n'entend pas, ou bien ne veut pas entendre. Vraiment le
grincement de la noria est tel qu'on ne peut s'entendre.
Pierre perd patience et crie :
"Arrête ton Samson ! Laisse-le au moins souffler pour qu'il ne
meure pas sous mes yeux, et écoute-nous !"
L'homme arrête sa bourrique et regarde de travers son interlocuteur, mais
Pierre le désarme en disant :
"Hé ! est-ce que Samson n'est pas un nom approprié pour une
bourrique ? Si tu es philistin cela doit te plaire, car c'est une
insulte pour Samson. Si tu es d'Israël cela doit te plaire, car cela rappelle
une défaite des philistins.
Tu vois donc..."
"Je suis philistin et je m'en vante."
"Tu fais bien. Je te vanterai moi aussi si tu nous donnes du pain."
"Mais, n'es-tu pas juif ?"
"Je suis chrétien."
"Où cela se trouve-t-il ?"
"Ce n'est pas un endroit. C'est une personne. J'appartiens à cette
personne."
"Tu es son esclave ?"
"Je suis libre plus que n'importe qui, car celui qui appartient à cette
personne ne dépend plus que de Dieu."
"Tu dis vrai ? Pas même de César ?"
"Pouah ! Qu'est-ce César devant Celui que je suis, et auquel
j'appartiens, et au nom de qui je te demande du pain !"
"Mais, où est cet homme puissant ?"
"Cet homme là-bas qui nous regarde et sourit. C'est le Christ, le
Messie. Tu n'en as jamais entendu parler ?"
"Si, le roi d'Israël. Il vaincra Rome ?"
"Rome ? Mais le monde entier et même l'Enfer."
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464> "Et vous, vous êtes ses
généraux ? Habillés ainsi ? Peut-être pour fuir les persécutions des
juifs perfides ?"
"Oui et non, mais donne-moi du pain et, pendant que nous mangeons, je
t'expliquerai."
"Du pain ? Mais de l'eau aussi, et du vin et des sièges à l'ombre,
pour toi, ton compagnon et ton Messie. Appelle-le."
Et Pierre court vivement vers Jésus :
"Viens, viens. Il nous donne ce que nous voulons, ce vieux philistin. Je crois pourtant qu'il va
t'assaillir de questions... Je lui ai dit qui tu es... Je le lui ai dit en
gros. Mais il est bien disposé."
218.4 – Ils
vont tous dans le jardin où l'homme a déjà installé des bancs autour d'une
table grossière sous une tonnelle bien garnie de vigne.
"La paix à toi, Ananias. Que grâce à ta charité ta terre soit féconde et
te donne de beaux produits."
"Merci. Paix à Toi. Assieds-toi, assoyez-vous. Anibé !
Nubi ! Du pain, du vin, de l'eau. Tout de
suite" commande le vieux à deux femmes.
Ce sont sûrement des africaines car l'une est tout à fait noire avec des
lèvres épaisses et des cheveux crépus, l'autre a le teint très foncé, bien
qu'elle soit de type plus européen.
Et le vieux explique :
"Les filles des esclaves de ma femme. Elle est morte, et mortes aussi
celles qui étaient venues avec elle, mais les filles sont restées. Haut et
Bas Nil. Mon épouse était de là-bas. C'est défendu, hein ? Mais moi je
n'en ai cure. Je ne suis pas d'Israël, et les femmes de race inférieure sont
douces."
"Tu n'es pas d'Israël ?"
"Je le suis par force, car nous avons Israël sur le cou comme un joug.
Mais... Tu es israélite et cela t'offense, ce que je dis… ?"
"Non, je ne m'en offusque pas. Je voudrais seulement que tu écoutes la
voix de Dieu."
"Il ne nous parle pas à nous."
"C'est toi qui le dis. Moi, je te parle, et c'est sa voix."
"Mais, tu es le Roi d'Israël."
Les femmes qui arrivent avec le pain, l'eau et le vin et qui entendent parler
de "roi" s'arrêtent, interdites en regardant le jeune homme blond,
souriant, digne, que leur maître appelle "roi" et puis se retirent
se courbant presque jusqu'à terre, par respect.
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465> "Merci, femmes, et la paix
aussi à vous."
Puis, se tournant vers le vieil homme :
"Elles sont jeunes... Tu peux aussi continuer ton travail."
"Non. La terre est arrosée et elle peut attendre. Parle un peu. Anibé, détache l'âne et rentre-le. Et toi, Nubi, vide les derniers seaux et puis... Tu t'arrêtes,
Seigneur ?"
"Ne te dérange pas davantage. Il me suffit de prendre un peu de
nourriture, et après, j'entre à Ashqelôn."
"Non, cela ne me dérange pas. Oui, va en ville, mais viens ce soir. Nous
romprons le pain et nous partagerons le sel.
Dépêchez-vous ! Toi, au pain. Toi, appelle Geteo
pour qu'il tue un chevreau et prépare-le pour ce
soir. Allez."
Et les deux femmes s'en vont sans parler.
218.5 – "Alors,
tu es roi ? Mais tes armes ? Hérode est cruel, de toutes manières.
Il nous a reconstruit Ashqelôn, mais c'est pour sa gloire. Et
maintenant… ! Mais les hontes d'Israël, Toi, tu les connais mieux que
moi. Comment feras-tu ?"
"Je n'ai d'autre arme que celle qui me vient de Dieu."
"L'épée de David ?"
"L'épée de ma parole."
"Oh ! pauvre rêveur ! Elle s'épointera et perdra son fil sur
le bronze des cœurs."
"Tu crois ? Je ne vise pas à un royaume terrestre. Pour vous tous,
je vise au Royaume des Cieux."
"Nous tous ? Même moi, philistin ? Même mes
esclaves ?"
"Tous. Toi et elles et jusqu'au plus sauvage au centre des forêts
africaines."
"Tu veux faire un si grand royaume ? Pourquoi l'appelles-tu Royaume
des Cieux ? Tu pourrais l'appeler : Royaume de la Terre."
"Non, ne te méprends pas. Mon Royaume est le Royaume du vrai Dieu. Dieu
est au Ciel. Par conséquent, c'est le Royaume du Ciel. Tout homme est une âme
revêtue d'un corps, et l'âme ne peut vivre que dans les Cieux. Je veux vous
guérir l'âme, en enlever les erreurs et les rancœurs, la mener à Dieu par la
bonté et l'amour."
"Cela me plaît beaucoup. Les autres, moi, je ne vais pas à Jérusalem,
mais je sais que les autres d'Israël depuis toujours ne parlent pas ainsi.
Alors, tu ne nous hais pas ?"
"Je ne hais personne."
Le vieil homme réfléchit... et demande :
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466> "Et les deux esclaves ont
aussi leur âme, comme vous d'Israël ?"
"Certainement. Ce ne sont pas des bêtes qu'on a capturées. Ce sont des
créatures malheureuses qu'on doit aimer. Les aimes-tu ?"
"Je ne les traite pas mal. Je veux qu'elles obéissent, mais je n'emploie
pas le fouet et je les nourris bien. Une bête mal nourrie ne travaille pas,
dit-on. Mais même l'homme mal nourri n'est pas un bon travailleur. Et puis,
elles sont nées dans la maison. Je les ai vues toutes petites. Maintenant il
ne reste qu'elles parce que je suis très vieux, sais-tu ? Presque
quatre-vingt ans, Elles et Geteo c'est ce qui me
reste de ma maison d'autrefois. J'y suis attaché comme à mes meubles. Elles
me fermeront les yeux..."
"Et puis ?"
"Et puis... Mais ! Je ne sais pas. Elles entreront en service et la
maison se défera. Cela me déplaît. Elle est devenue riche, grâce à mon
travail. Cette terre redeviendra sableuse, stérile... Cette vigne... Nous
l'avons plantée, ma femme et moi. Et ce rosier... égyptien, Seigneur. C'est
l'odeur de mon épouse que je sens en lui... Il me semble que c'est un fils...
le fils unique qui est enterré, poussière désormais à ses pieds...
Douleurs... Il vaut mieux mourir jeune et ne pas voir cela et la mort qui arrive..."
"Ton fils n'est pas mort, ni ta femme. L'esprit survit. La chair est
morte. La mort ne doit pas effrayer. Elle est vie, la mort pour qui espère
en Dieu et vit en juste. Penses-y ...Je vais en ville. Je reviendrai ce
soir et je te demanderai ce portique pour dormir avec les miens."
"Non, Seigneur. J'ai plusieurs chambres vides. Je te les offre."
Judas met de l'argent sur la table.
"Non. Je n'en veux pas. Je suis de cette terre qui vous est odieuse,
mais je suis peut-être meilleur que ceux qui nous dominent. Adieu,
Seigneur."
"Paix à toi, Ananias."
Les deux esclaves sont accourues avec Geteo, un
homme robuste, ancien paysan, pour le voir partir :
"Paix aussi à vous. Soyez-bons. Adieu" et Jésus effleure les
cheveux crépus de Nubi et ceux luisants et raides
d'Anibé, il sourit à l'homme et s'en va.
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467> 218.6 – Peu après, ils entrent dans
Ashqelôn par la rue au double portique qui va tout droit au centre de la
ville et qui singe Rome avec ses bassins et ses fontaines, avec ses places
qui servent de Forum, avec ses tours le long de l'enceinte et partout le nom
d'Hérode mis par lui-même pour s'applaudir étant donné que les Ascalonites ne l'applaudissent pas. Il y a beaucoup de
circulation et elle augmente à mesure que l'heure avance et qu'on approche du
centre de la cité, ouverte, aérée, avec des échappées de lumière sur la mer
qui paraît enfermée comme une turquoise dans une tenaille de corail rose par
les maisons éparses le long de l'arc profond qui forme la côte, non pas un
golfe, mais un arc véritable, une portion de cercle que le soleil teint toute
entière d'un rose très pâle.
"Partageons-nous en quatre groupes. Je pars, ou plutôt je vous laisse
aller. Puis je choisirai. Allez. Après la neuvième heure, on se retrouve à la
Porte par où nous sommes entrés. Soyez prudents et patients."
Et Jésus les regarde partir, resté seul avec Judas Iscariote qui a déclaré
qu'il ne leur parlera pas parce qu'ils sont pires que des païens. Mais quand
il s'est rendu compte que Jésus veut aller çà et là sans parler, alors il
change d'avis et il dit :
"Te déplaît-il de rester seul ? Moi, j’irais avec Matthieu, Jacques
et André. Ce sont les moins capables..."
"Vas-y. Adieu."
Et Jésus seul, fait un tour dans la ville, se promenant en long et en large,
anonyme au milieu des gens occupés qui ne le remarquent même pas, Seuls deux
ou trois enfants curieux le dévisagent et une femme à la tenue provocante va
résolument à sa rencontre avec un sourire plein de sous-entendus. Mais Jésus
la regarde si sévèrement qu'elle devient rouge comme la pourpre et s'en va en
baissant les yeux. Au coin de la ruelle se retourne encore, et comme un homme
du peuple qui a observé la scène lui lance une plaisanterie mordante et
méprisante à cause de son peu de succès, alors elle s'enveloppe dans son
manteau et s'enfuit.
Les enfants, au contraire, tournent autour
de Jésus, le regardent, sourient en le voyant sourire. L'un d'eux plus hardi
Lui demande :
"Qui es-tu ?"
"Jésus" répond-il en le caressant.
"Que fais-tu ?"
"J'attends des amis."
"D'Ashqelôn ?"
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468> "Non, de mon pays et de la
Judée."
"Es-tu riche ? Moi, oui. Mon père a une belle maison et, à
l'intérieur, il fait des tapis. Viens voir. C'est tout près d'ici."
Et Jésus s'en va seul avec l'enfant. Il entre sous un porche très long qui
est comme un chemin couvert. Au fond, rendu plus vif par la pénombre du
porche, resplendit un coin de la mer, tout illuminé par le soleil.
218.7 – Ils rencontrent une fillette
chétive qui pleure.
"C'est Dina. Elle est pauvre, sais-tu ? Ma mère lui donne de la
nourriture. Sa mère ne peut plus gagner sa vie. Son père est mort en mer. Une
tempête, pendant qu'il allait de Gaza au port du Grand Fleuve
porter des marchandises et en prendre. Comme les marchandises
étaient à mon père et que le père de Dina menait notre bateau, maman
maintenant pense à eux. Mais ils sont si nombreux les enfants restés ainsi
sans père... Qu'en dis-tu, Toi ? Ce doit être dur de rester orphelins et
pauvres. Voici ma maison. Ne dis pas que j'étais dans la rue. Je devais être
à l'école, mais on m'a renvoyé parce que je faisais rire les camarades avec
cela..."
Et il sort de ses vêtements un pantin taillé dans le bois, dans un morceau de
bois tendre, très comique réellement, pourvu d'un menton en galoche et d'un nez très caricaturaux.
Jésus esquisse un sourire qui Lui tremble sur les lèvres, mais il le
refrène et dit :
"Ce n'est pas le maître, n'est-ce pas ? Ni non plus un
parent ? Ce n'est pas bien."
"Non. C'est le chef de la synagogue des juifs. Il est vieux et laid, et
nous nous moquons toujours de lui."
"Ce n'est pas bien non plus cela. Il est sûrement plus âgé que toi
et..."
"Oh ! c'est un vieux, à moitié bossu et presque aveugle et
tellement laid !... Ce n'est pas ma faute s'il est ainsi !"
"Non, mais tu es fautif de te moquer d'un vieillard. Toi aussi, devenu
vieux, tu deviendras laid car tu te voûteras, tu n'auras plus beaucoup de
cheveux, à moitié aveugle, tu marcheras avec un bâton. Tu auras ce visage. Et
alors ? Cela te plaira d'être alors ridiculisé par un enfant
irrespectueux ? Et puis, pourquoi fâcher le maître, distraire tes
camarades ? Ce n'est pas bien. Ton père, s'il le savait, te punirait. Ta
mère en souffrirait. Moi, je ne leur dirai rien. Mais toi, donne-moi tout de
suite deux choses : la promesse de ne plus faire de ces manquements et
ce fantoche. Qui l'a fait ?"
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469> "Moi, Seigneur..." dit
l'enfant mortifié, conscient maintenant de la gravité de ses... méfaits...
Et il ajoute :
"Cela me plaît tant de travailler le bois ! Parfois j'imite les
fleurs des tapis ou les animaux qui s'y trouvent. Sais-tu ? ...Les
dragons, les sphinx, et d'autres bêtes encore..."
"Cela, tu peux le faire. Il y a tant de belles choses sur la
terre ! Donc, tu me fais la promesse et tu me donnes ce fantoche ?
Sinon, nous ne sommes plus amis. Je le garderai en souvenir de toi et prierai
pour toi. Comment t'appelles-tu ?"
"Alexandre. Et Toi, qu'est-ce que tu me donnes ?" Jésus est
embarrassé. Il a toujours si peu de choses ! Mais ensuite il se rappelle
qu'il a une très belle boucle au col d'un vêtement. Il cherche dans son sac,
la trouve, la détache et la donne à l'enfant.
"Et maintenant, allons. Mais fais attention même si je pars, cela ne
m'empêche pas de tout savoir. Et si j'apprends que tu es méchant, je reviens
ici et je dis tout à ta maman."
Cela est convenu.
218.8 – Ils entrent dans la maison.
Après le vestibule, il y a une grande cour avec, sur trois côtés, des grandes
pièces où sont les métiers.
La servante qui a ouvert, étonnée de voir l'enfant avec un inconnu, prévient
sa maîtresse, et celle-ci, une femme de grande taille, à l'aspect plein de
douceur, accourt et demande :
"Mais l'enfant s'est peut-être senti mal ?"
"Non, femme. Il m'a amené pour voir tes tapis. Je suis étranger."
"Tu veux faire des achats ?"
"Non. Je n'ai pas d'argent, mais j'ai des amis qui aiment les belles
choses et qui sont riches."
La femme regarde avec curiosité cet homme qui avoue ainsi sa pauvreté, sans
faire de phrases, et elle dit :
"Je croyais que tu étais un seigneur. Tu as des manières et une mine de
grand seigneur."
"Pas du tout. Je suis simplement un rabbi galiléen : Jésus, le
Nazaréen."
"Nous, nous faisons du commerce et nous n'avons pas de préventions.
Viens et regarde."
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470> Elle l'amène voir ses-tapis
auxquels travaillent des jeunes filles sous la direction de la maîtresse. Les
tapis sont vraiment de grande valeur, pour leurs dessins et leurs couleurs.
Grands, souples, on dirait des parterres tout en fleurs ou un kaléidoscope de
pierres précieuses. D'autres ont, mêlées aux fleurs, des figures allégoriques
comme des hippogriffes, des sirènes, des dragons, ou bien des griffons
héraldiques semblables aux nôtres.
Jésus admire : "Tu es très habile. Je suis content d'avoir vu tout
cela. Et je suis content que tu sois bonne."
"Comment le sais-tu ?"
"Cela se voit sur ton visage. Et ton enfant m'a parlé de Dina. Dieu t'en
récompense. Même, sans le croire, tu es très proche de la Vérité car tu as la
charité en toi."
"Quelle vérité ?"
"Celle du Seigneur Très-Haut. Celui qui aime le prochain et qui dans sa
famille et chez les ouvriers exerce la charité et la déploie sur les
malheureux possède déjà en lui-même la Religion.
218.9 – Cette
petite, c'est Dina, n'est-ce pas ?"
"Oui, sa mère est mourante. Après je la prendrai, pas pour les tapis.
Elle est trop petite et trop grêle. Viens Dina, auprès de ce seigneur."
La fillette, qui a le visage triste des enfants malheureux, s'approche
timidement. Jésus la caresse et dit :
"Me conduis-tu chez ta mère ? Tu voudrais
bien qu'elle guérisse, n'est-ce pas ? Alors, emmène-moi chez elle.
Adieu, femme. Et adieu Alexandre, et sois bon."
Il sort en tenant la fillette par la main.
"Tu es seule ?" demande-t- il.
"J'ai trois petits frères. Le dernier n'a pas connu son père."
"Ne pleure pas. Es-tu capable de croire que Dieu peut guérir ta mère ? Tu sais, n'est-ce pas, qu'il existe un seul Dieu qui aime
les hommes que Lui a créés, et spécialement les enfants qui sont bons ?
Et qu'il peut tout ?"
"Je le sais, Seigneur. Auparavant, mon frère Tolmé allait à l'école, et
à l'école, ils sont avec les juifs. Par lui, on sait tant de choses. Je sais
qu'il existe et qu'il s'appelle Jéové
et qu'il nous a punis parce que les philistjns ont
été mauvais avec Lui.
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471> Les enfants hébreux nous le
reprocheront toujours. Mais en ce temps-là, je n'existais pas, ni maman ni
mon père. Pourquoi alors..."
Les larmes lui coupent la parole.
"Ne pleure pas. Dieu t'aime, toi aussi, et il m'a conduit ici pour toi
et pour ta maman. Tu sais que les israélites attendent le Messie qui doit
venir pour établir le Royaume des Cieux ? Le Royaume de Jésus,
Rédempteur et Sauveur du monde ?"
"Je le sais, Seigneur. Et ils nous menacent en disant :
"Alors, malheur à vous"
"Et sais-tu ce que fera le Messie ?"
"Il fera un grand peuple d'Israël et nous traitera très mal."
"Non. Il rachètera le monde, il enlèvera le péché, il apprendra à ne pas
pécher. Il aimera les pauvres, les malades, les affligés. Il ira vers eux. Il
apprendra aux riches, aux sains, aux heureux à les aimer. Il recommandera
d'être bons pour avoir la Vie éternelle et bienheureuse au Ciel. C'est cela
qu'il fera et il n'opprimera personne."
"Et comment comprendra-t-on que c'est Lui ?"
"Parce qu'il aimera tout le monde et guérira les malades qui croiront en
Lui, il rachètera les pécheurs et apprendra l'amour."
"Oh ! s'il était ici avant que maman ne meure ! Comme je
croirais, moi ! Comme je le prierais ! J'irais le chercher jusqu'à
ce que je le trouve et je lui dirais : "Je suis une pauvre enfant
sans père, ma mère se meurt. J'espère en Toi" et je suis sûre, bien
qu'étant philistine qu'il m'accueillerait."
Toute une foi, simple et forte vibre dans la voix de la fillette. Jésus
sourit en regardant la pauvre petite qui marche à côté de Lui. Elle ne voit
pas ce sourire qui brille, parce qu'elle regarde devant, du côté de la
maison, maintenant proche.
218.10 – Ils arrivent à une cabane bien
pauvre au fond d'une impasse.
"C'est ici, Seigneur, entre..."
Une pauvre chambrette, une paillasse avec dessus un corps épuisé. Trois
petits, de dix à trois ans, assis près de la paillasse. Partout un tableau de
misère et de faim.
"Paix à toi, femme. Ne t'agite pas. Ne te dérange pas. J'ai trouvé ta fillette et je sais que tu es malade. Je suis venu. Voudrais-tu
guérir ?"
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472 La femme n'a qu'un filet de voix
pour répondre :
"Oh ! Seigneur… ! Mais pour moi c'est fini… !"
Elle pleure.
"Ta fille est arrivée à croire que le Messie pourrait te guérir. Et
toi ?"
"Oh ! moi, je le croirais aussi, mais où est le Messie ?"
"C'est Moi, qui te parle"
Et Jésus qui était penché sur la paillasse, murmurant ses paroles près du
visage de la malade, se redresse et crie :
"Je le veux. Sois guérie."
Les petits ont presque peur de son air majestueux et ils restent trois
visages surpris, autour du grabat de la mère.
Dina serre ses mains contre sa petite poitrine. Une lueur d'espoir, de
béatitude brille sur son petit visage. Elle halète, pour ainsi dire, si
grande est son émotion. Elle a la bouche ouverte pour dire une parole que
déjà son cœur murmure, et quand elle voit sa mère auparavant cireuse et
abandonnée, comme si maintenant une force l’attirait et la pénétrait, qui se
dresse pour s'asseoir et puis, toujours avec ses yeux dans ceux du Sauveur,
qui se lève, Dina pousse un cri de joie : "Maman !" La
parole qui gonflait son cœur est dite !... Et puis une autre :
"Jésus !" Et, embrassant sa mère, elle l'oblige à
s'agenouiller en disant :
"Adore ! Adore ! C'est Lui, celui dont le maître de Tolmé
disait : le Messie annoncé par les Prophètes."
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