| Vision du dimanche 1er avril 1945 (jour de Pâques).
 238>  617.1 Je
  revois la joyeuse et puissante Résurrection du Christ . 
 Dans le jardin, tout n’est que silence et scintillement de la rosée.
  Au-dessus, le ciel devient d’un saphir de plus en plus clair, après avoir quitté
  sa couleur bleu-noir criblée d’étoiles qui, pendant toute la nuit, ont veillé
  sur le monde. L’aube repousse de l’orient vers l’occident les régions encore
  obscures, comme le fait l’eau, lors des marées hautes, qui avance toujours
  plus pour recouvrir la plage, et remplace le gris-noir du sable humide par le
  bleu des eaux marines.
 
 L’une ou l’autre étoile ne veut pas encore mourir et luit de plus en plus
  faiblement sous l’onde de lumière vert clair de l’aube, d’un blanc laiteux
  nuancé de gris, comme les feuillages des oliviers engourdis qui couronnent un
  coteau peu distant. Finalement, elle fait naufrage, submergée par l’onde de
  l’aube comme une terre que recouvre l’eau. Et puis en voilà une de moins...
  encore une … et une autre, et une autre. Le ciel perd ses troupeaux d’étoiles
  et ce n’est qu’à l’extrême occident que trois étoiles, puis deux, puis une,
  restent à regarder ce prodige quotidien qu’est l’aurore qui se lève.
 
 Quand, du côté de l’orient, un filet de rose trace une ligne sur la soie
  turquoise du ciel, un soupir de vent passe dans les feuillages et sur les
  herbes et avertit : "Réveillez-vous, le jour est revenu." Mais
  il ne réveille que les herbes et les feuillages qui frissonnent sous leurs
  diamants de rosée et ont un bruissement ténu, mêlé à l’arpège des gouttes qui
  tombent.
 
 Les oiseaux ne se réveillent pas encore dans les branches touffues d’un
  cyprès de grande taille qui semble dominer comme un seigneur dans son
  royaume, ni dans l’entrelacs confus d’une haie de lauriers qui abrite de la
  tramontane.
 
 
  617.2 C’est
  dans des poses variées que les gardes, transis de froid, gagnés par l’ennui
  et ensommeillés, veillent sur le tombeau ; la porte de pierre a été
  renforcée, sur ses bords, par une épaisse couche de chaux, comme si c’était
  un contrefort, sur le blanc opaque de laquelle se détachent les larges
  rosaces de cire rouge portant le sceau du Temple, imprimé avec d’autres,
  directement dans la chaux fraîche. 
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 239> Les
  gardes doivent avoir allumé du feu pendant la nuit, car on voit encore de la
  cendre et des tisons mal éteints sur le sol. Ils ont aussi joué et mangé, car
  je vois, répandus sur le sol, des restes de nourriture et des osselets bien
  polis qui ont servi certainement pour quelque jeu, comme notre jeu de domino
  ou nos billes ; ils ont pour cela utilisé un échiquier rudimentaire
  tracé sur le sentier. Puis ils ont tout laissé en plan par lassitude et
  essayé de trouver des positions plus ou moins commodes pour dormir ou
  veiller.
 
 
  617.3 À
  l'orient, une étendue rose s'agrandit de plus en plus dans le ciel serein,
  où, par ailleurs, il n'y a pas encore de rayon de soleil. C’est alors que
  surgit de profondeurs inconnues, un météore resplendissant qui descend, tel
  une boule de feu à l'éclat insoutenable, suivi d'un sillage rutilant qui
  peut-être n'est que le souvenir de son rayonnement sur notre rétine. Il
  descend à grande vitesse vers la terre, en répandant une lumière si intense,
  si fantasmagorique, à la beauté si effrayante, que la lumière rosée de
  l'aurore en est éclipsée et disparaît. 
 Surpris, les gardes lèvent la tête, parce que cette lumière s'accompagne d'un
  grondement puissant, harmonieux, solennel, qui remplit toute la Création. Il
  provient de profondeurs paradisiaques. C'est l'alléluia, la gloire angélique
  qui suit l'Esprit du Christ revenant dans sa chair glorieuse.
 
 Le météore s'abat contre l'inutile fermeture du tombeau, l'arrache, la jette
  par terre, foudroie de terreur et de bruit les gardes placés comme geôliers
  du Maître de l'univers en provoquant, avec son retour sur la terre, un
  nouveau tremblement de terre comme cet Esprit du Seigneur en avait produit en
  fuyant la terre .
  Il entre, éclaire le tombeau de sa lumière indescriptible, et pendant qu'il
  reste suspendu dans l'air immobile, l'Esprit se réinfuse dans le corps du
  Christ sans mouvement sous les bandes funèbres.
 
 Tout cela se passe, non en une minute, mais en une fraction de minute, tant
  l'apparition, la descente, la pénétration et la disparition de la Lumière de
  Dieu a été rapide...
 
 
  617.4 Le
  " Je le veux " du divin Esprit à sa chair froide n'a pas de son.
  L'ordre est donné par l'Essence à la matière immobile. Aucune parole n'est
  audible par l'oreille humaine. 
 La chair reçoit le commandement et lui obéit en poussant un profond soupir…
 
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 240> 
  Rien d’autre pendant quelques minutes.
 
 Sous le suaire et le linceul, la chair glorieuse se recompose en une beauté
  éternelle, se réveille du sommeil de la mort, revient du "rien" où
  elle était, vit après avoir été morte. Certainement. le cœur se réveille et
  se remet à battre, il pousse dans les veines le sang glacé qui reste et en
  crée d'un seul coup la quantité nécessaire dans les artères vides, dans les
  poumons immobiles, dans le cerveau obscurci, et il y ramène la chaleur, la
  santé, la force, la pensée.
 
 Un moment passe, et voilà que se produit un mouvement soudain sous le lourd
  linceul. C'est si soudain, depuis l'instant où Jésus bouge sûrement ses mains
  croisées, jusqu'au moment où il se tient debout, majestueux, splendide dans
  son vêtement de matière immatérielle, surnaturellement beau et imposant, avec
  une gravité qui le change et l'élève tout en le laissant lui-même, que l'œil
  n'a qu'à peine le temps d'en suivre le développement.
 
 Et maintenant, il l'admire : Jésus est fort différent de ce que la
  pensée peut rappeler, il est en pleine forme, sans blessures ni sang, mais
  seulement éblouissant de la lumière qui jaillit à flots des cinq plaies et
  sort par tous les pores de son épiderme.
 
 
  617.5 Il
  fait son premier pas : dans son mouvement, les rayons qui jaillissent
  des mains et des pieds l'auréolent de lames de lumière. depuis la tête nimbée
  d'un diadème composé des innombrables blessures de la couronne d'épines qui
  ne donnent plus de sang mais seulement de la splendeur, jusqu'au bord du
  vêtement quand, en ouvrant les bras qu'il a croisés sur sa poitrine, il
  découvre la zone de luminosité très vive qui filtre de son habit en lui
  donnant l'éclat d'un soleil à la hauteur du cœur .
  Alors, c'est réellement la "Lumière" qui a pris corps. 
 Il ne s'agit pas de la faible lumière de la terre, ni du pauvre éclat des
  astres ou du soleil. C'est la Lumière de Dieu : toute la splendeur
  paradisiaque se rassemble en un seul Être et lui donne un bleu azur
  inconcevable dans les yeux, des feux d'or en guise de cheveux, des blancs
  purs et angéliques pour vêtement et coloris et, ce qui est indescriptible par
  des mots humains, la suréminente ardeur de la très sainte Trinité, dont la
  puissance anéantit tout feux du Paradis en l'absorbant en elle-même, pour l'engendrer
  à nouveau à chaque instant du Temps éternel : c'est le cœur du Ciel qui
  attire et diffuse son sang, les innombrables gouttes de son sang
  incorporel : les bienheureux, les anges, tout ce qui constitue le
  Paradis : l'amour de Dieu, l'amour pour Dieu, voilà la Lumière qu'est le
  Christ ressuscité et qui lui donne forme.
 
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 240>
  617.6 Lorsqu'il se dirige vers la sortie, et
  dès que l'œil peut voir autre chose que son éclat, voici que m'apparaissent
  deux clartés très belles, mais semblables à des étoiles par rapport au
  soleil, chacune d'un côté du seuil, prosternées en adoration pour leur Dieu
  qui passe, enveloppé de sa lumière, avec un sourire qui béatifie. Il quitte
  la grotte funèbre et revient fouler la terre que la joie réveille et qui
  resplendit sous sa rosée, parmi les couleurs des herbes et des rosiers, sous
  les innombrables corolles des pommiers qui s'ouvrent par prodige aux premiers
  rayons du soleil qui les frappent, et au Soleil éternel qui avance sous eux. 
 Les gardes sont évanouis... Les forces corrompues de l'homme ne voient pas
  Dieu alors que les forces pures de l'univers : les fleurs, les herbes,
  les oiseaux admirent et vénèrent le Puissant qui passe, nimbé de sa propre
  Lumière et de celle du soleil.
 
 Devant son sourire, et sous son regard qui se pose sur les fleurs, sur les
  ramilles, puis s'élève vers le ciel serein, tout devient plus beau. Les
  millions de pétales qui forment une mousse fleurie au-dessus de la tête du
  Vainqueur prennent une teinte plus soyeuse, plus nuancée. Les diamants de
  rosée se font plus vifs. Et plus bleu est le ciel que réfléchissent ses yeux
  resplendissants, et plus joyeux le soleil qui peint de gaieté un petit nuage
  porté par un vent léger qui vient baiser son Roi avec des parfums enlevés aux
  jardins et des caresses de pétales soyeux.
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