Le vendredi 25 octobre 1946.
157> 518.1 - Jésus entre en ville par la
Porte d'Hérode, et prend la direction du Tyropéon et du faubourg d'Ophel.
«Nous allons au Temple ? demande Judas.
- Oui.
-Attention à ce que tu fais ! disent plusieurs pour l'avertir. -Je ne m'y
arrêterai que le temps de la prière.
- Ils vont te retenir.
- Non. Nous allons entrer par les portes du Septentrion et nous sortirons par
les portes du Midi : ainsi ils n'auront pas le temps de s'organiser pour
me nuire. À moins qu'il n'y ait toujours derrière moi quelqu'un qui me
surveille et me dénonce... »
Personne ne réplique, et Jésus se dirige vers le Temple. En haut de sa
colline, celui-ci ressemble à une sorte de spectre dans la lumière vert
jaunâtre d'un sombre matin d'hiver, où le soleil qui se lève, en cherchant à
se frayer un passage dans le lourd amas de nuages, n'est guère qu'un souvenir
qui s'obstine à rester présent. Vain effort ! La splendeur joyeuse de
l'aurore se réduit à un pâle reflet d'un jaune irréel qui ne se diffuse pas,
mais est taché de teintes de plomb veiné de vert. Sous cette lumière, les
marbres et les ors du Temple paraissent pâles, tristes, presque lugubres,
comme des ruines qui émergent d'une zone de mort.
Jésus le regarde intensément tout en montant vers l'enceinte. Il observe
également les visages des voyageurs matinaux. La plupart sont d'humbles
gens : jardiniers, bergers avec des animaux de boucherie, serviteurs ou
ménagères qui se rendent au marché. Tous ces gens marchent silencieusement,
enveloppés dans leurs manteaux, un peu penchés pour se défendre de l'air
piquant du matin.
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158> Même les visages semblent plus pâles que ne le sont d'ordinaire ceux des gens de cette race. C'est la lumière étrange
qui les rend ainsi verdâtres ou presque
couleur de perle dans l'encadrement des étoffes colorées des manteaux, dont
le vert, le violet vif, le jaune intense n'arrivent guère à apporter
quelques reflets rosés sur les joues. Certains saluent le Maître, mais sans
s'arrêter; ce n'est pas la bonne heure. Des mendiants, il n'y en a pas encore pour lancer leurs cris lamentables aux
carrefours ou sous les auvents qui
couvrent les rues à chaque pas. L'heure et la saison offrent à Jésus
la liberté de se déplacer sans obstacle.
Les voilà parvenus à l'enceinte: ils entrent et se dirigent vers la Cour des Juifs. Pendant qu'ils sont en
prière, un son de trompettes —
d'après leur timbre, je les crois en argent — annonce certainement quelque chose d'important en se
diffusant dans les collines. Il se répand en même temps un suave parfum
d'encens qui empêche de sentir les
autres odeurs, moins agréables, exhalées sur le sommet du mont Moriah:
je veux parler de la perpétuelle, je dirais
même la naturelle odeur des chairs égorgées et consumées par le feu,
une odeur mêlée de farine brûlée, d'huile enflammée qui stagne toujours
là-haut, plus ou moins forte, mais toujours présente à cause des holocaustes
continuels.
Ils s'éloignent dans une autre direction
et commencent à être remarqués par
les premiers qui accourent au Temple, par ceux qui lui appartiennent, par les changeurs et les
marchands qui sont en train de monter leurs comptoirs ou leurs enclos. Mais
ils sont trop peu nombreux, et
leur surprise est telle qu'ils ne savent comment réagir. Ils échangent
entre eux des paroles d'étonnement :
«Il est revenu !
- Il n'est pas allé en Galilée comme on le disait.
- Mais où était-il caché ? On ne le trouvait nulle part !
- Il veut vraiment les braver...
- Quel sot !
- Quel saint ! »
Et ainsi de suite selon l'état d'esprit de chacun.
518.2 - Mais Jésus est déjà sorti du Temple, et il prend la rue qui descend vers l'Ophel, quand, au croisement des
chemins qui mènent au mont Sion, il tombe sur l'aveugle-né, guéri
depuis peu, qui, chargé de
paniers pleins de pommes parfumées, marche allègrement en plaisantant avec d'autres jeunes également chargés, qui vont
dans un sens opposé au sien.
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159> Peut-être la
rencontre passerait-elle inaperçue pour le jeune homme, puisqu'il ignore les visages de Jésus et des apôtres. Mais Jésus, lui, n'ignore pas le visage du miraculé,
et il l'appelle. Sidonia, dit Bartolmaï, se retourne et observe d'un air interrogateur
cet homme de grande taille, majestueux malgré la simplicité de son vêtement,
qui le hèle par son nom en se dirigeant vers une ruelle.
«Viens ici» ordonne Jésus.
Le jeune homme s'approche, sans poser son
fardeau. Il regarde du coin de
l'œil Jésus et, croyant avoir à faire à un acheteur de pommes, il lui
dit :
«Mon patron les a déjà vendues, mais il en a encore, si tu en veux. Elles sont belles et bonnes, arrivées hier
des vergers de Saron. Et si tu en
achètes une grande quantité, tu auras une forte remise, car... »
Jésus lève la main droite en souriant pour
arrêter la faconde du jeune homme :
«Je ne t'ai pas appelé pour acheter des
pommes, mais pour me réjouir avec
toi et bénir avec toi le Très-Haut qui t'a fait une grâce.
- Oh ! Oui ! je ne cesse
de le faire, à la fois pour la lumière que je vois et pour le travail que je puis faire, pour aider mes parents.
J'ai fini par trouver un bon
patron. Il n'est pas hébreu, mais il est bon. Les Hébreux ne voulaient pas de moi car... car ils savent que j'ai été chassé de la synagogue, explique le jeune
homme en déposant ses paniers à terre.
- Ils t'ont chassé ? Pourquoi ? Qu'as-tu fait ?
- Moi, rien, je t'assure ! C'est le
Seigneur qui a agi. Un jour de sabbat, il m'a fait rencontrer cet
homme dont on dit qu'il est le Messie et lui m'a guéri, comme tu vois. Et
c'est pour cela qu'ils m'ont chassé.
-Alors celui qui t'a guéri ne t'a pas
vraiment rendu un bon service ! remarque
Jésus pour le tester.
- Ne dis pas cela, homme ! C'est un
blasphème de ta part ! Avant toute autre chose, il m'a montré que Dieu
m'aime, puis il m'a donné la vue...
Tu ne sais pas ce que c'est que "voir", car tu as toujours vu. Mais pour quelqu'un qui n'avait jamais vu...
Oh !... C'est... Ce sont
toutes les merveilles que l'on peut voir. Je peux t'affirmer que, lorsque j'ai vu, là-bas près de Siloé, j'ai ri
et fondu en larmes, mais de joie, hein ?
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160>
J'ai pleuré comme je n'avais jamais pleuré dans mon malheur. Car j'ai alors compris combien le
Très-Haut était grand et
bon. Et puis, je peux gagner ma vie, avec un travail convenable. Mais... il y a une chose que j'espère
plus que tout : que ce miracle me permette de
rencontrer l'homme qui se dit Messie et son disciple qui m'a...
- Et que ferais-tu, alors ?
- Je voudrais les bénir, lui et son disciple. Et je voudrais demander au Maître, qui doit vraiment venir de
Dieu, de me prendre pour son serviteur.
- Comment ? À cause de lui, tu es
anathème, tu as du mal à trouver du travail, tu peux même être puni
davantage, et tu veux le servir ?
Ignores-tu donc que les disciples de celui qui t'a guéri sont tous
persécutés ?
- Hé ! je le sais bien ! Mais
c'est le Fils de Dieu, comme on le dit entre nous. Bien que ceux de là-haut (et il désigne le Temple) ne
veulent pas qu'on l'appelle ainsi. Mais ne vaut-il pas la peine de tout
quitter pour le servir, lui ?
518.3 - Tu crois donc au Fils
de Dieu et à sa présence en Palestine ?
- J'y crois. Mais je voudrais le connaître, non seulement par l'intelligence, mais de tout mon être. Si tu
sais qui il est et où il se trouve,
dis-le-moi, pour que j'aille le trouver, que je le voie, que je croie
complètement en lui et que je le serve.
- Tu l'as déjà vu, et il n'est pas
nécessaire que tu le cherches. Celui
que tu vois en ce moment et qui te parle, c'est le Fils de Dieu.»
Je ne pourrais
l'affirmer avec certitude, mais il m'a semblé qu'en prononçant ces mots,
Jésus a eu une sorte de très brève transfiguration : il est devenu très beau, et même
resplendissant. Je dirais que, pour
récompenser l'humble homme qui croit en lui et le confirmer dans sa foi, il a, pendant la durée d'un
éclair, dévoilé sa future splendeur - je
veux parler de celle qu'il assumera après la Résurrection et qu'il conservera au Ciel, sa beauté
de créature humaine glorifiée, de
corps glorifié et uni à l'inexprimable majesté de la Perfection qui lui appartient. Un instant,
dis-je, un éclair. Mais
le recoin à demi obscur où ils se sont retirés pour parler, sous l'arcade de la ruelle, s'illumine étrangement d'une clarté qui se dégage de Jésus qui, je le
répète, devient très beau.
Puis
tout redevient comme avant, mais le jeune homme est maintenant par terre, la
figure dans la poussière, et il adore en disant :
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161> «Je crois, Seigneur,
mon Dieu !
- Lève-toi. Je suis venu dans le monde
pour apporter la lumière et la connaissance de Dieu et pour
éprouver les hommes et les juger. Mon temps est un temps de choix,
d'élection, et de sélection. Je suis venu pour que ceux qui sont purs de cœur
et d'intention, les humbles, les doux, ceux qui aiment la justice, la
miséricorde, la paix, pour que ceux
qui pleurent et ceux qui savent donner aux diverses richesses leur valeur
réelle et préférer les spirituelles aux matérielles,
trouvent ce à quoi leur âme aspire. Je suis aussi venu pour que ceux qui étaient aveugles — parce
que les hommes ont élevé
des murailles épaisses pour faire obstacle à la lumière, c'est-à-dire la connaissance de Dieu — voient clair, et pour que ceux
qui se croient voyants deviennent aveugles...
518.4 - Dans ce cas, tu détestes une grande partie
des hommes et tu n'es pas bon, comme tu
prétends l'être. Si tu l'étais, tu chercherais à ce que tous voient clair et que ceux qui y voient déjà ne deviennent
pas aveugles» interviennent des pharisiens, arrivés de la rue principale, qui se sont prudemment
approchés avec d'autres, derrière le groupe apostolique.
Jésus se retourne et les regarde. Il n'a
sûrement plus la transfiguration
d'une douce beauté, maintenant. C'est un Jésus bien sévère qui fixe sur ses persécuteurs ses
yeux de saphir et, lorsqu'il répond, sa voix n'a
plus la note dorée de la joie, mais celle du bronze, et, comme le son du
bronze, elle est incisive et sévère.
«Ce n'est pas moi qui désire que ceux qui aujourd'hui combattent la vérité ne la voient pas. Mais ce sont
eux-mêmes qui se bouchent les yeux
pour ne pas voir, et ils se rendent aveugles par leur libre volonté. Et le Père m'a envoyé pour
que le tri se fasse et que l'on
connaisse vraiment les fils de la Lumière et ceux des Ténèbres, ceux
qui veulent voir et ceux qui veulent se rendre aveugles.
- Nous sommes peut-être nous aussi de ces aveugles ?
- Si vous l'étiez et cherchiez à voir,
vous ne seriez pas fautifs. Mais
c'est parce que vous dites : "Nous y voyons", mais ne voulez pas voir, que vous péchez. Votre péché demeure
parce que vous ne cherchez pas à voir tout en étant aveugles.
- Et que devons-nous voir ?
- La Voie, la Vérité, la Vie. Un aveugle-né, comme l'était cet homme, peut toujours avec son bâton trouver la
porte de sa maison et y entrer parce qu'il la connaît. Mais si on
l'emmenait ailleurs, il ne pourrait passer
la porte de la nouvelle maison parce qu'il ne saurait pas où elle se trouve, et il se heurterait contre les murs.
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162>
518.5 - Le temps de la Loi nouvelle est venu. Tout se
renouvelle et un monde nouveau, un nouveau peuple, un nouveau royaume se
lèvent. Maintenant, ceux du temps passé ne connaissent pas tout cela. Eux
connaissent leur temps. Ils sont comme des aveugles conduits dans un nouveau
pays où se trouve la maison royale du Père, mais ils n'en connaissent pas
l'emplacement.
Je
suis venu pour les conduire, les y introduire et pour qu'ils voient. Je suis moi-même la Porte par laquelle on accède à la maison du Père, au Royaume de Dieu, à la
Lumière, au Chemin, à la Vérité,
à la Vie. Et je suis aussi celui qui est venu pour rassembler le troupeau resté sans guide et le mener
dans un unique bercail: celui
du Père. Je connais la porte du bercail, car je suis en même temps la Porte et le Berger; j'y entre et en sors comme et
quand je veux. J'y entre librement, en
passant par la porte, car je suis le vrai Berger.
Quand quelqu'un vient donner aux brebis de
Dieu d'autres indications, ou cherche à les dévoyer en les amenant à d'autres
demeures et par d'autres chemins,
ce n'est pas le bon Berger, mais un faux.
De même, celui qui n'entre pas par la porte du bercail, mais essaie d'y pénétrer par un autre endroit en
sautant par-dessus la clôture,
n'est pas le berger, mais un voleur et un assassin: car il a l'intention de voler et de tuer, pour que les
agneaux qu'il prend n'aient pas de
voix pour se plaindre et n'attirent pas l'attention des gardiens et du
berger. Même parmi les brebis du troupeau d'Israël, de faux bergers cherchent
à s'insinuer pour les faire sortir des
pâturages, loin du vrai Berger. Ils sont prêts à les arracher au troupeau par la violence, et à
l'occasion, ils sont même disposés à les
tuer et à les frapper de bien des manières, pour les empêcher de parler, de
raconter au Berger les ruses des faux bergers, et de crier vers Dieu de les protéger contre leurs adversaires et les
adversaires du Berger.
Je
suis le bon Berger et mes brebis me connaissent, tout comme ceux qui sont pour l'éternité les portiers
du vrai bercail. Eux m'ont connu,
moi et mon nom, et ils l'ont annoncé pour qu'il soit connu d'Israël. Ils m'ont décrit, et ils ont
préparé mes chemins.
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163>
Et quand ma voix s'est fait entendre, le dernier
d'entre eux m'a ouvert la porte en annonçant au troupeau qui attendait le
vrai Berger, au troupeau groupé autour de son bâton: "Voici celui dont
j'ai dit qu'il vient derrière moi. Il me précède parce qu'il existait avant moi et que moi, je ne le connaissais pas. C'est
précisément pour que vous soyez
prêts à le recevoir, que je suis venu baptiser avec de l'eau afin qu'il soit manifesté en Israël."
Et les bonnes brebis ont
entendu ma voix : quand je les ai appelées par leur nom, elles sont accourues et je les ai emmenées avec
moi, comme le fait un bon
berger, que les brebis reconnaissent à la voix et qu’elles suivent partout où il va. Et quand il les a
toutes fait sortir, il marche devant elles, et elles
le suivent, car elles aiment la voix du berger, alors qu'elles ne suivent pas un étranger, mais au contraire fuient loin de lui, parce qu'elles ne le connaissent
pas et le craignent. Moi aussi, je
marche devant mes brebis pour leur indiquer le chemin et pour affronter le premier les dangers et les
signaler au troupeau que je veux conduire en lieu sûr dans mon
Royaume.
518.6
- Israël ne serait-il plus le royaume de
Dieu?
- Israël est le lieu d'où le peuple de Dieu doit s'élever à la vraie Jérusalem et au Royaume de Dieu.
- Et le Messie promis, alors? Ce Messie que tu affirmes être, ne doit-il donc pas rendre Israël
triomphant, glorieux, maître du monde,
en assujettissant sous son sceptre tous les peuples et en se vengeant férocement de tous ceux qui l'ont assujetti
depuis qu'il est peuple ? Rien de cela n'est vrai, alors? Tu
nies les prophètes? Tu traites de sots nos
rabbis? Tu...
- Le Royaume du Messie n'est pas de ce
monde. C'est le Royaume de Dieu, fondé sur l'amour. Il n'est rien d'autre. Le Messie n'est pas le roi des peuples et des armées, mais le
roi des âmes. C'est du peuple élu
que viendra le Messie, de la race royale, et surtout de Dieu qui l'a engendré et envoyé. C'est par le peuple d'Israël qu'a commencé la fondation du Royaume de Dieu, la promulgation de la
Loi d'amour, l'annonce de la Bonne Nouvelle dont parle le prophète. Mais le Messie sera Roi du monde, Roi
des rois, et son Royaume n'aura pas de
limites ni de frontières, ni dans le temps, ni
dans l'espace. Ouvrez les yeux et acceptez la vérité.
—Nous n'avons rien compris à ton
radotage. Ce que tu dis n'a aucun
sens. Parle et réponds sans paraboles. Es-tu, oui ou non, le Messie ?
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164> - N'avez-vous
toujours pas compris? C'est pour cela que je me suis présenté comme la Porte et le Berger. Jusqu'à présent, personne n'a pu entrer dans le Royaume de Dieu
parce qu'il était muré et sans
issue, mais maintenant que je suis venu, la porte d'entrée est créée.
- Oh ! bien d'autres ont prétendu être le Messie, mais on a reconnu par la
suite qu'il s'agissait de voleurs et de rebelles, et la justice humaine a puni leur rébellion. Qui nous
assure que tu n'es pas comme
eux ? Nous sommes las de souffrir et de faire souffrir au peuple la rigueur de Rome, à cause de
menteurs qui se disent rois et qui poussent le peuple à la révolte !
-Non, votre jugement n'est pas exact. Vous ne voulez
pas souffrir, cela est vrai.
Mais que le peuple souffre vous indiffère. C'est si vrai, qu'à la rudesse de nos dominateurs, vous ajoutez votre
propre dureté, en opprimant le menu
peuple par des dîmes exagérées et
par bien d'autres outrances. Qu'est-ce qui vous assure que je ne suis pas un brigand? Mes actes. Ce n'est
pas moi qui rends lourde la main de
Rome, bien au contraire, puisqu'il m'arrive de la rendre plus légère en
conseillant l'humanité à nos dominateurs, et la patience à ceux qui
sont dominés. Au moins cela.»
C'est l'avis de beaucoup. En effet, l'auditoire a maintenant beaucoup
augmenté et ne cesse de croître au point que le trafic en est gêné sur la grande rue, et que les gens
refluent tous dans la ruelle, sous les voûtes de laquelle les voix se
répercutent. Ils approuvent Jésus :
«Bien dit pour les dîmes, c'est
vrai ! Lui nous conseille la soumission, et aux Romains la
pitié.»
518.7 - Les pharisiens, comme toujours,
s'aigrissent d'entendre les approbations de
la foule et c'est sur un ton encore plus mordant qu'ils s'adressent au
Christ :
«Réponds sans te perdre dans tant de
paroles, et prouve que tu es le Messie.
- En vérité, en vérité je vous dis que je le suis. C'est moi,
moi seul, qui suis la Porte du Bercail
des Cieux. Qui ne passe pas par moi
ne peut entrer. Certes, il y a eu bien des faux Messies et il y en aura encore. Mais l'unique et véritable
Messie, c'est moi. Combien sont venus jusqu'ici se prétendre tels,
qui en fait n'étaient rien d'autre que des
voleurs et des brigands ! Et pas seulement ceux qui se faisaient appeler Messie par un petit nombre
de personnes à la même mentalité,
mais d'autres encore qui, sans se donner ce nom, n'en exigent pas moins une
adoration qui n'est pas même accordée au véritable Messie.
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165> Que celui qui a des
oreilles pour entendre, entende.
Cependant remarquez : les brebis n'ont écouté ni les faux Messies, ni les faux bergers et maîtres, car
leur esprit sentait l'hypocrisie de
leur voix, qui voulait se montrer douce et était cruelle. Seuls les boucs les ont suivis pour devenir
leurs compagnons de scélératesse :
les boucs sauvages, indomptés, qui ne veulent pas entrer dans le Bercail de Dieu, sous le sceptre du
vrai Roi et Berger. Parce que c'est
aujourd'hui présent en Israël. Celui qui est le Roi des rois devient le
Berger du Troupeau, tandis qu'autrefois celui qui était berger de
troupeaux devint roi; et l'Un comme l'autre proviennent
d'une souche unique, celle d'Isaïe, comme c'est écrit dans les promesses et
les prophéties.
Les faux bergers n'ont pas parlé
sincèrement ni réconforté. Ils ont
dispersé et torturé le troupeau, ils l'ont abandonné aux loups, ou encore ils l'ont tué pour en tirer profit en
le vendant pour s'assurer la vie, ou lui ont enlevé les pâturages pour en
faire des maisons de plaisirs et des bosquets pour les idoles.
Savez-vous qui sont les loups? Ce sont
les passions mauvaises, les vices que les faux bergers eux-mêmes ont
enseigné au troupeau, en étant les
premiers à les pratiquer. Et savez-vous ce que sont les bosquets des idoles ? Ce sont les propres égoïsmes
devant lesquels trop de gens
brûlent de l'encens. Les deux autres mots n'ont pas besoin d'être expliqués, car leur sens n'en est que trop clair.
Mais que les faux bergers agissent ainsi, c'est logique. Ce ne sont que des voleurs qui viennent dérober,
tuer et détruire les brebis, pour les faire sortir du bercail et les
amener sur de faux pâturages, ou les
conduire dans de faux bercails qui ne sont que des abattoirs. Mais
celles qui viennent vers moi sont en sécurité,
et elles pourront sortir pour aller à mes pâturages ou rentrer pour venir à mes repos et devenir robustes et
grasses avec des sucs de sainteté
et de santé. Car je suis venu pour cela: pour que mon peuple, mes brebis,
jusqu'ici maigres et affligées, reçoivent la vie, et une vie abondante, une
vie de paix et de joie. Et c'est tellement ma volonté, que je suis venu pour donner ma vie, afin que mes brebis
aient la vie pleine et abondante des enfants de Dieu.
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de page.
166> 518.8 -
Je suis le bon Pasteur. Et un pasteur, quand il est bon, donne sa vie pour défendre son troupeau contre
les loups et les voleurs, tandis
que le mercenaire, qui n'aime pas les brebis, mais l'argent qu'il gagne pour les mener au pâturage,
ne se préoccupe que de se sauver lui-même avec
son pécule sur lui. Et quand il voit apparaître un loup ou un voleur, il
s'enfuit, quitte à revenir chercher plus
tard quelque brebis laissée à moitié morte par le loup ou égarée par le voleur. Il tuera la première pour la
manger, ou vendra la seconde comme lui appartenant pour grossir son
magot, et il affirmera ensuite à son
maître, avec des larmes mensongères, qu'il ne s'est pas sauvé une seule brebis. Peu importe au mercenaire que le loup saisisse et disperse les brebis, et que
le voleur en fasse une razzia pour les mener chez le boucher. A-t-il
peut-être veillé sur elles pendant
qu'elles grandissaient et s'est-il donné du mal pour les rendre
robustes? Mais le maître, qui sait combien coûte une brebis, combien d'heures de fatigue, combien de veilles, combien de
sacrifices il a fallu, lui, il aime ces brebis qui sont à lui, et il en prend
soin. Mais moi, je suis bien plus qu'un maître. Je suis le Sauveur de mon troupeau et je sais combien me
coûte le salut d'une seule âme, et
ainsi je suis prêt à tout pour en sauver une. Elle m'a été confiée par mon Père. Toutes les âmes
m'ont été confiées avec l'ordre
d'en sauver un nombre immense. Plus je réussirai à en arracher à la
mort spirituelle, plus mon Père sera glorifié. Et c'est pour cela que je
lutte pour les délivrer de tous leurs ennemis,
c'est-à-dire de leur moi, du monde, de la chair, du démon et de mes
adversaires qui me les disputent pour m'affliger. Moi, je fais cela parce que je connais la Pensée de mon
Père. Et mon Père m'a envoyé pour faire cela parce qu'il connaît mon
amour pour lui et pour les âmes. Les
brebis de mon troupeau, elles aussi, me connaissent, moi et mon amour, et elles sentent que je suis prêt à donner
ma vie pour leur plus grand bien.
J'ai quantité d'autres brebis, qui ne sont pas de
ce bercail. Aussi ne me connaissent-elles
pas, et presque toutes ignorent que j'existe
et qui je suis. À beaucoup d'entre vous, ces brebis semblent pires que des boucs sauvages ; vous les jugez
indignes de connaître la vérité et
d'obtenir la vie et le Royaume. Et pourtant, il n'en est pas ainsi. Le
Père les veut, elles aussi, et je dois donc les approcher, me faire connaître d'elles, faire connaître la Bonne Nouvelle, les conduire à mes pâturages, les rassembler.
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167>
Elles aussi écouteront ma voix, et elles
finiront par l'aimer. Et il y aura un seul Bercail sous un seul Pasteur, et le Royaume de Dieu sera
formé sur la terre, prêt à être
transporté et accueilli dans les Cieux, sous mon sceptre, mon signe et mon vrai Nom.
Mon vrai nom !
Il est connu de moi seulement ! Mais quand le nombre des élus sera complet et qu'au milieu des
hymnes d'allégresse ils prendront
place au grand repas de noces de l'Epoux avec l'Épouse, alors mon nom sera connu de mes élus qui,
par fidélité à lui, se seront
sanctifiés, même sans connaître toute l'étendue et toute la profondeur de ce
que c'est d'être marqués de mon nom et récompensés
de leur amour pour lui, ni quelle est la récompense... C'est cela que je veux donner à mes brebis
fidèles, ce qui fait ma joie même... »
518.9 -
Jésus tourne ses yeux extatiques brillants
de larmes sur les visages tournés vers lui
et un sourire tremble sur ses lèvres, un sourire
tellement spiritualisé dans un visage spiritualisé, qu'un frisson secoue la foule, qui se rend compte du
ravissement du Christ en une vision
béatifique et de son désir d'amour de la voir accomplie. Il se ressaisit, et ferme un instant les yeux
pour cacher le mystère que voit son esprit et que l'œil pourrait trop
trahir. Puis il reprend :
"C'est pour cela que le Père m'aime,
ô mon peuple, ô mon troupeau ! Parce que pour toi, pour ton bien
éternel, je donne la vie.
Plus tard, je la reprendrai. Mais d'abord, je la donnerai pour que tu aies la vie et ton Sauveur pour ta propre vie. Et je la donnerai de sorte que tu t'en repaisses, me
changeant de Pasteur en un
pâturage et en une source qui procureront nourriture et boisson, non pas pour quarante années comme pour
les Hébreux dans le désert, mais pour tout le temps de l'exil à travers les déserts de la
terre. Personne, en réalité, ne m'ôte la vie. Ni ceux qui, en m'aimant de tout leur être, méritent que je
m'immole pour eux, ni ceux qui me
l'enlèvent à cause d'une haine sans mesure et d'une sotte peur. Personne ne pourrait me la retirer
si je ne consentais pas moi-même à la donner et si le Père ne le permettait
pas, pris tous les deux d'un délire
d'amour pour l'humanité coupable. C'est de mon propre gré que je la donne, et j'ai le pouvoir de la reprendre quand je veux, car il n'est pas convenable que
la mort puisse l'emporter sur la vie. C'est pour cela que le Père m'a
confié ce pouvoir.
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168> Mieux,
il m'a ordonné de m'en servir. Et par ma vie, offerte et consumée, les peuples deviendront un
Peuple unique : le mien, le Peuple
céleste des enfants de Dieu, pour séparer dans les peuples les brebis des boucs, et pour que les
brebis suivent leur Pasteur dans le Royaume de la
vie éternelle. »
518.10 - Jésus,
qui jusqu'alors a parlé à haute voix, s'adresse maintenant à voix basse à Sidonia, dit
Bartolmaï, resté tout le temps devant lui, avec à ses
pieds son panier de pommes parfumées :
«Tu as tout oublié pour moi. Maintenant,
tu vas certainement être puni et perdre ta place. Tu vois ? Je
t'apporte toujours de la souffrance. Pour
moi, tu as perdu la synagogue, et maintenant tu vas perdre ton
maître...
- Et à quoi ça pourrait me servir, si je
te possède, toi ? Toi seul as
de la valeur à mes
yeux. Et je quitte tout pour te suivre, pourvu que tu me le permettes. Laisse-moi seulement porter
ces fruits à leur acheteur, et puis je suis à toi.
- Allons-y ensemble. Ensuite, nous irons
chez ton père, car tu as un père
et tu dois l'honorer en lui demandant sa bénédiction.
- Oui, Seigneur, tout ce que tu veux. Pourtant, instruis-moi beaucoup, car je ne sais rien, pas même lire et
écrire puisque j'étais aveugle.
- Ne t'en préoccupe pas. Ta bonne volonté
te servira d'école.»
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