Le jeudi 28
février 1946.
258> 395.1 – "Seigneur,
tu ne viendrais pas avec moi, avec moi seule, chez une mère
malheureuse ? C'est ce que je désire plus que toute autre chose"
dit Marie de Simon.
Elle se tient respectueusement en face de Jésus, alors qu'après le repas de
midi les apôtres se sont dispersés pour se reposer, avant de reprendre la
route dans la soirée. Jésus, de son côté, est à l'ombre des pommiers chargés
de pommes vertes qui commencent à mûrir. Il semble que Marie reprenne une
conversation déjà commencée.
"Oui, femme. Moi aussi, je désire rester avec toi, seuls dans ces
dernières heures, comme je l'ai été dans les premières. Allons."
Ils rentrent dans la maison, Jésus pour prendre son manteau, Marie pour
prendre son voile et son manteau.
Ils s'en vont par des chemins à travers les champs, parmi les pommiers et
d'autres arbres de haute futaie. Il fait encore chaud. Des champs de moissons
mûres arrivent des souffles brûlants. Mais le vent de la montagne tempère la
chaleur qui en plaine serait insupportable.
"Il me déplaît de te faire marcher par cette chaleur. Mais plus tard...
nous ne pourrions plus. Et j'ai tant désiré cette chose, sans jamais oser te
la demander. Tout à l'heure tu m'as dit : "Marie, pour te montrer
que je t'aime comme si tu étais pour Moi une mère, je te dis :
demande-moi ce que tu désires, et je te contenterai" et alors j'ai osé.
395.2 – Seigneur,
sais-tu où nous allons ?"
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259> "Non, femme."
"Nous allons chez celle qui devait être la belle-mère de Judas... (Marie
soupire douloureusement). Elle devait... Elle ne l'est pas et elle ne le sera
jamais car Judas a abandonné la jeune fille qui est morte de chagrin... et la
mère a de la rancœur pour moi et pour mon fils. Elle ne cesse de nous
maudire... Judas est tellement... est tellement... tellement faible devant le
Mal qu'il n'a besoin que des seules bénédictions !... Je voudrais que tu
lui parles... Tu peux la persuader... lui dire que cela a été une grâce qu'il
n'y ait pas eu les noces... lui dire que je n'y suis pour rien... lui dire
qu'elle meure sans rancœur; car la femme meurt lentement, l'âme étranglée. Je
voudrais qu'entre nous il y eût la paix... car moi, j'en ai souffert,
honteuse de ce qui est arrivé, et c'est avec douleur que je vois déchirée une
amitié avec une femme qui était pour moi une compagne depuis
le moment où je suis venue ici comme épouse. En somme tu sais,
Seigneur..."
"Oui, n'aie pas d'inquiétude. Ta demande est juste, et je me charge de
cette bonne démarche."
Après avoir franchi une petite vallée, ils montent sur une autre élévation de
terrain sur laquelle se trouve un village.
"Anne réside ici depuis la mort de sa fille, dans sa propriété. Avant,
elle était à Kérioth. Mais tant qu'elle y vivait et qu'on s'y rencontrait,
ses reproches me déchiraient le cœur."
395.3 – Ils
obliquent par un sentier peu avant le village et arrivent à une maison basse
au milieu des champs.
"Voilà ! Oh ! le cœur me tremble maintenant que je suis
ici ! Elle ne voudra pas me voir... elle me chassera... elle sera
fâchée, et son pauvre cœur souffrira davantage... Maître..."
"Oui. J'y vais, Moi. Reste jusqu'à ce que je t'appelle. Et prie pour
m'aider."
Jésus s'avance, seul, jusqu'à la porte grande ouverte de la maison où il
entre avec son doux salut.
Une femme accourt :
"Que veux-tu ? Qui es-tu ?"
"Je viens apporter du soulagement à ta maîtresse. Conduis-moi à
elle."
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260> "Un médecin ? Inutile ! Il n'y a plus
d'espoir, son cœur meurt."
"Il y a encore l'âme à soigner. Je suis le Rabbi."
"Inutile aussi à ce titre. Elle ne se repose pas sur l'Éternel et elle
ne veut pas entendre de sermons. Laisse-la tranquille."
"C'est parce qu'elle est dans cet état que je suis venu. Laisse-moi
passer et elle sera moins malheureuse dans ses derniers jours."
La femme hausse les épaules et elle dit :
"Entre !"
395.4 – Un
couloir à demi obscur et frais, des portes. Au fond, la dernière est
entrouverte, et il en sort des lamentations. La femme y va et entre en
disant :
"Maîtresse, c'est un rabbi qui veut te parler."
"Pourquoi ?... Pour me dire que je suis maudite ? Que je
n'aurai pas la paix même dans l'autre vie ?" dit-elle haletante,
fâchée.
"Non. Pour te dire que ta paix sera complète, pourvu que tu le veuilles
et tu seras heureuse avec ta Jeanne éternellement" dit Jésus en apparaissant sur le seuil.
La malade, jaune, enflée, haletante sur son lit, appuyée à de nombreux
oreillers, le regarde et dit :
"Oh ! Quelles paroles ! C'est la première fois qu'un rabbi ne
me fait pas de reproches... Quelle espérance !... Ma Jeanne... avec
moi... dans la béatitude... plus de douleur... la
douleur donnée par un maudit... que n'a pas empêché celle qui l'a engendré...
et qui m'a trahie... après m'avoir flattée... Ma pauvre fille..." et
elle halète de plus en plus fort.
"Tu le vois, tu la rends malade. Je le savais. Sors."
"Non. Va-t’en. Laisse-moi seul..."
La femme sort en secouant la tête. Jésus s'approche du lit lentement. Il
essuie avec bonté la sueur de la malade qui a du mal à le faire avec ses
mains invraisemblablement enflées, lui donne de l'air avec un éventail de
palmier. Il lui donne à boire, car elle cherche à se rafraîchir avec la
boisson qui est sur sa petite table. Il ressemble à un fils près de sa mère
malade. Puis il s'assied, doucement mais fermement décidé à accomplir sa
mission.
395.5 – La
femme l'observe tout en se calmant et, avec un sourire de souffrance, elle
Lui dit :
"Tu es beau et tu es bon. Qui es-tu, ô Rabbi?
Tu as la délicatesse de ma fille bien-aimée en me donnant du réconfort."
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261> "Je suis Jésus de Nazareth !"
"Toi ?! Toi ?!... Chez moi ?... Pourquoi ?..."
"Parce que je t'aime. J'ai une Mère, Moi aussi, et en toute mère, je
vois la mienne, et dans les larmes des mères, je vois celles de ma
Mère..."
"Pourquoi ? Ta Mère pleure ? Pourquoi ? Elle a perdu un
autre fils ?"
"Pas encore... Je suis son Fils unique et je vis encore. Mais elle
pleure déjà parce qu'elle sait que je dois mourir."
"Oh ! Oh ! La malheureuse ! Savoir à l'avance qu'un fils
va mourir ! Mais comment le sait-elle ? Tu es sain. Tu es fort. Tu
es bon. Moi, je me suis fait des illusions jusqu'à sa mort et elle était si
malade !... Comment ta Mère peut-elle savoir que tu dois
mourir ?"
"Parce que je suis le Fils de l'homme,
prédit par les prophètes. Je suis l'Homme des douleurs qu'a vu Isaïe, le
Messie chanté par David et décrit dans ses tortures de Rédempteur. Je suis le
Sauveur, le Rédempteur, ô femme. Et la mort m'attend, horrible... et ma Mère
y assistera... et ma Mère sait, depuis le moment où je suis né, que son cœur
sera ouvert comme le mien par la douleur... Ne pleure pas... Par ma mort j'ouvrirai à ta Jeanne
les portes du Paradis..."
"À moi aussi ! À moi aussi !"
"Oui. En son temps. Mais tu dois d'abord apprendre à aimer et à
pardonner. À revenir à l'amour, à être juste, et à pardonner... Autrement tu
ne pourras pas aller au Ciel, avec Jeanne, avec
Moi..."
La femme pleure angoissée. Elle gémit :
"Aimer... Aimer quand les hommes nous ont appris à haïr... quand Dieu a
cessé de nous aimer en manquant pour nous de pitié, c'est difficile...
Comment aimer quand les hommes nous ont torturées, et les amies blessées, et
quand Dieu nous a abandonnées ?..."
"Non. Pas abandonnées. Moi, je suis ici. Pour te dire les promesses
célestes. Pour te donner l'assurance que ta douleur finira en joie pourvu que
tu le veuilles.
395.6 – Anne,
écoute-moi... Tu pleures à cause des noces annulées, tu en fais la cause de
toute ta douleur, tu accuses d'assassinat un homme pour ce motif et de
complicité sa mère malheureuse. Ecoute, Anne. Il ne se passera que peu de
mois pour que tu voies que ce fut une grâce du Ciel que Jeanne n'ait pas été
l'épouse de Judas..."
"Ne le nomme pas !" crie la femme.
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262> "Je le nomme. Et pour te dire que tu dois remercier
le Seigneur et que tu le remercieras dans quelques mois..."
"Je serai bientôt morte..."
"Non. Tu seras vivante et tu te souviendras de Moi, et tu comprendras
qu'il y a des douleurs plus grandes que la tienne..."
"Plus grandes ? Ce n'est pas possible !"
"Et que sera celle de ma Mère qui me verra mourir en croix ?"
Jésus s'est levé. Il est imposant.
"Et celle de la mère de celui qui trahira Jésus Christ, le Fils de
Dieu ? Pense, ô femme, à cette mère... Toi... Kérioth toute entière, et
les campagnes et au-delà, ont eu compassion de ta douleur ! Tu as pu
t'en glorifier comme d'une couronne de martyre. Mais cette mère ! Comme
Caïn, mais étant Abel : la victime de son fils traître, meurtrier de
Dieu, sacrilège, maudit, elle ne pourra supporter un regard d'homme, car tout
regard sera comme une pierre pour la lapider, et en toute voix d'homme, en
toute parole, il lui semblera entendre une malédiction, une injure, et elle
ne trouvera pas de refuge sur la Terre, jamais, jusqu'à sa mort, jusqu'à ce
que Dieu qui est juste prenne avec Lui la martyre, en lui faisant oublier
qu'elle est la mère du meurtrier de Dieu, en lui donnant la possession de
Dieu... N'est-ce pas la plus grande douleur celle de cette
mère ?..."
"Oh ! douleur immense !..."
"Tu vois... Sois bonne, Anne. Reconnais que Dieu a été bon dans sa
manière d'agir..."
"Mais ma fille est morte ! Judas l'a faite mourir pour chercher une
plus grande dot... Sa mère l'a approuvé."
"Non. Cela, non. C'est Moi qui te le dis, Moi qui vois dans les cœurs.
Judas - c'est mon apôtre mais je le dis - il a mal
agi et en sera puni. Mais la mère est innocente. Elle t'aime, elle voudrait
que tu l'aimes... Anne, vous êtes deux mères malheureuses. Mais si toi, tu te
glorifies de ta fille morte, innocente, pure, que le monde célèbre avec
honneur... Marie de Simon ne peut se glorifier de son fils. Ses
actions sont blâmées par les hommes."
"C'est vrai. Mais s'il avait épousé Jeanne, il ne serait pas
blâmé."
"Mais d'ici peu tu aurais vu Jeanne mourir de chagrin, car Judas périra
de mort violente."
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263> "Que dis-tu ? Oh ! malheureuse
Marie ! Quand ? Comment ? Où ?"
"Bientôt. Et d'une manière horrible...
395.7 – Anne !
Anne ! Tu es bonne ! Tu es mère ! Tu sais ce que c'est que la
douleur d'une mère ! Anne, redeviens l'amie de Marie ! Que la
douleur vous unisse comme devait vous unir la joie. Permets-moi de partir
content de savoir qu'elle aura une amie, une seule, une au moins..."
"Seigneur... l'aimer... cela veut dire lui pardonner... C'est très
pénible... Il me semble ensevelir de nouveau ma fille... De la tuer, moi
aussi..."
"Ce sont des pensées qui viennent des Ténèbres ! Ne les écoute pas.
Écoute-moi, Moi qui suis la Lumière du monde. La
Lumière te dit que moins amer a été le sort de Jeanne mourant vierge que si
elle était morte veuve de Judas. Crois-moi, Anne. Et pense que plus
malheureuse que toi est Marie de Simon..."
La femme pense, pense, lutte, pleure, et dit :
"Mais moi, je l'ai maudite, elle et le fruit de ses entrailles !
J'ai péché..."
"Et Moi, je t'en absous. Et plus tu l'aimeras, plus le Ciel
t'absoudra."
"Mais si je suis son amie... je rencontrerai Judas. Je ne puis.
Seigneur, faire cela !..."
"Tu ne le rencontreras plus. Moi, je ne reviendrai plus jamais à Kérioth
et Judas non plus. Nous avons déjà salué les habitants..."
"Oh ! Tu as dit..."
"Que je ne reviendrai plus. Judas a dit qu'il ne pourra plus venir
jusqu'après mon élévation. Mais lui croit qu'il me verra monter sur un trône
et ce qui m'attend, au contraire, c'est la mort de la croix. Et il croit
devenir un de mes ministres. Au contraire, c'est la mort qui l'attend. Mais
toi, tu ne diras pas cela. Jamais. Que la mère ignore jusqu'à ce que
tout soit accompli. Tu l'as dit : "La malheureuse ! Savoir à
l'avance que le fils doit mourir". Mais si les souffrances de ma Mère,
même pour cela, tendent déjà à augmenter les mérites de mon
Sacrifice, pour Marie de Simon c'est de la pitié de se taire. Tu ne
parleras pas."
"Non, Seigneur. Je le jure au nom de ma Jeanne."
"Je veux une autre promesse ! Grande ! Sainte ! Tu es
bonne. Tu m'aimes déjà..."
"Oui. Tellement. Je suis en paix depuis que tu es ici..."
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264> "Quand Marie de Simon n'aura plus de fils, et que
le monde la couvrira de... mépris, toi, toi seule tu lui ouvriras ta maison
et ton cœur. Me le promets-tu ? Au nom de Dieu et de Jeanne. Elle, elle
l'aurait fait car Marie était toujours pour elle la mère de celui qu'elle
aimait toujours" continue Jésus.
"... Oui !" et elle pleure...
395.8 – "Que
Dieu te bénisse, ô femme, et te donne la paix... et la santé... Viens, allons
à la rencontre de Marie, pour lui donner le baiser de paix..."
"Mais... Seigneur... Moi, je ne peux pas marcher.
J'ai les jambes enflées et inertes. Tu vois ? Je suis ici, habillée,
mais je ne suis qu'un tronc..."
"Tu l'étais. Viens !" et il lui tend la main pour l'inviter.
La femme, les yeux dans les yeux de Jésus, déplace ses jambes, les sort du
lit. pose par terre ses pieds déchaussés, se lève, marche... Elle paraît
fascinée. Elle ne se rend même pas compte de la guérison qui est survenue...
Elle sort. la main toujours dans celle de Jésus, dans le couloir à moitié
obscur... Elle va vers la sortie. Elle y est presque arrivée quand elle
rencontre la servante d'auparavant qui pousse un cri de joie effrayée... Les
autres serviteurs accourent, craignant que ce ne soit signe de mort. Ils
voient leur maîtresse, tout à l'heure mourante et avec de la rancœur pour
Marie de Simon, qui court, les bras tendus, après avoir quitté Jésus, vers
Marie humiliée, elle l'appelle, l'accueille sur son cœur, et toutes les deux
pleurent...
395.9 – ...Pendant
le retour à sa maison, après l'adieu de paix, Marie de Simon remercie le
Seigneur et demande :
"Quand viendras-tu faire d'autres bienfaits ?"
"Jamais plus, ô femme. Je l'ai déjà dit aux habitants. Mais mon cœur
sera toujours avec toi. Rappelle-toi, rappelle-toi toujours que je t'ai aimée
et que je t'aime. Rappelle-toi que je sais que tu es bonne, et que Dieu
t'aime pour cela. Rappelle-le-toi toujours. Même au moment des heures
terribles. Que jamais l'idée ne te vienne que Dieu te juge coupable. À ses
yeux ton âme apparaîtra toujours comme ornée des pierres précieuses de tes
vertus et des perles de ta souffrance. Marie de Simon, mère
de Judas, je veux te bénir, je veux t'embrasser et te donner un baiser pour
que ton baiser maternel, sincère, fidèle, soit pour Moi une compensation de
tout autre... pour que mon baiser soit pour toi une compensation de toute
douleur. Viens, mère de Judas. Et merci, merci pour tout ce que tu m'as donné
d'amour et d'honneur"
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265> Et il l'embrasse et il la baise au front, comme il le
fait pour Marie d'Alphée.
"Mais, nous nous verrons encore ! Je viendrai à la Pâque..."
"Non. Ne viens pas. Je t'en prie. Veux-tu me faire plaisir ? Ne
viens pas. Les femmes à la Pâque prochaine, non !"
"Mais pourquoi ?..."
"Parce qu'il y aura un terrible soulèvement à Jérusalem, à la prochaine
Pâque. Ce ne sera pas la place des femmes ! Et même... Marie,
j'ordonnerai à ton parent de te rejoindre. Restez ensemble. Tu en as besoin
car... désormais Judas ne pourra plus t'aider, ni venir..."
"Je ferai comme tu dis... Donc jamais plus, jamais plus je ne verrai ton
visage où se reflète la paix du Ciel ? Quelle paix tu as déversé de tes
yeux dans mon cœur douloureux..." Marie pleure.
"Ne pleure pas. La vie est courte. Ensuite tu me verras pour toujours
dans mon Royaume."
"Alors tu penses que ton humble servante y entrera ?..."
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