| Le mardi 11
  décembre 1945 453>  357.1 - Les magnifiques étoiles d'une
  sereine nuit de mars resplendissent dans le ciel d'Orient, si visibles et si
  vives que le firmament semble s'être abaissé comme un baldaquin sur la
  terrasse de la maison qui a accueilli Jésus. C'est une maison très haute et
  située à un des endroits les plus élevés de la ville de sorte qu'un horizon
  infini s'ouvre devant et autour dans toutes les directions. Et si la terre
  disparaît. dans l'obscurité de la nuit que n'égaie pas encore la lune qui
  décroît, le ciel resplendit de mille et mille lumières. 
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 454> C'est vraiment la revanche du
  firmament qui présente victorieusement ses parterres d'astres, ses prairies
  de la Voie Lactée, ses planètes gigantesques, ses bosquets de constellations
  en face des éphémères végétations de la terre qui, même séculaires, ne sont
  toujours qu'une heure par rapport à ce que sont les étoiles
  depuis le moment où le Créateur a fait le firmament. Et quand on se perd en
  regardant là-haut, en promenant les regards à travers les routes splendides
  où les plantes sont les étoiles, il semble que l'on entend les voix, les
  chants de ces forêts de splendeurs, de cet orgue énorme de la plus sublime
  des cathédrales, où il me plaît d'imaginer que les soufflets et les registres
  sont les vents des courses des astres et que les voix sont les étoiles
  lancées sur leurs trajectoires. Cette impression s'impose d'autant plus à moi
  que le silence nocturne de Gadara endormie est absolu. Pas une fontaine qui
  chante, pas un chant d'oiseau. Le monde est endormi et aussi les créatures.
  Les hommes dorment, moins innocents que les autres créatures, leur sommeil
  plus ou moins tranquille dans leurs maisons enténébrées.
 
 
  357.2 - Mais de la porte qui donne sur la
  terrasse inférieure - car il y a une terrasse plus élevée au-dessus de la
  pièce plus haute - débouche une ombre grande, à peine visible dans la nuit
  mais où se devine la blancheur du visage et des mains qui ressort sur le
  vêtement sombre. Elle est suivie d'une autre plus petite. Ils marchent sur la
  pointe des pieds pour ne pas réveiller ceux qui peut-être dorment dans la
  pièce inférieure, et sur la pointe des pieds ils montent l'escalier extérieur
  qui va à la plus haute terrasse. 
 Puis ils se prennent par la main et ils vont ainsi s'asseoir sur un banc qui
  longe le parapet très haut entourant  la terrasse. À cause du banc très
  bas et du parapet très haut, tout disparaît à leurs yeux. Même s'il y avait
  le plus beau clair de lune, descendue pour éclairer le monde, pour eux ce
  serait comme rien. La ville est cachée toute entière par le parapet, et avec
  elle les ombres les plus sombres, dans l'obscurité de la nuit, des montagnes
  voisines. Seul le ciel se découvre à eux avec les constellations du printemps
  et les magnifiques étoiles d'Orion, de Rigel et de Bételgeuse, d'Aldébaran,
  de Persée, et d'Andromède et de Cassiopée, et les Pléiades unies comme des
  sœurs, et Vénus couleur de saphir et éclatante comme le diamant, et le pâle
  rubis de Mars et le topaze de Jupiter, sont les rois du peuple astral et
  palpitent, palpitent comme pour saluer le Seigneur, multipliant leurs
  palpitations de lumière en l'honneur de la Lumière du monde.
 
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 455> Jésus lève la tête
  pour les admirer en l'appuyant contre le haut muret et Jean
  l'imite en perdant ses regards là-haut où l'on peut ignorer le monde... Puis
  Jésus dit :
 
 "Et maintenant que nous nous sommes purifiés au spectacle des étoiles,
  prions." Il se lève et Jean l'imite. Une prière prolongée, silencieuse,
  pressante, toute âme, les bras en croix, le visage levé, tourné vers l'orient
  où s'annonce une première lueur lunaire. Et ensuite le "Pater"
  qu'ils disent ensemble, lentement, non pas une fois mais trois, et avec
  toujours plus d'insistance dans leur demande, que leur voix manifeste
  clairement. Une supplication qui sépare l'âme de la chair, si ardente qu'elle
  les laisse sur les chemins de l'Infini.
 
 Puis c'est le silence. Ils s'assoient où ils étaient avant, alors que la lune
  éclaire toujours plus la terre endormie.
 
 
  357.3 - Jésus
  passe un bras autour des épaules de Jean et il l'attire à Lui en
  disant : "Dis-moi donc les choses que tu sens devoir me dire.
  Quelles sont les choses que mon Jean a vues avec l'aide de la Lumière
  spirituelle dans l'âme ténébreuse du compagnon ?" 
 "Maître... je me suis repenti de t'avoir dit cela. Je ferais deux
  péchés..."
 
 "Pourquoi ?"
 
 "Parce que je te ferai souffrir en te révélant ce que tu ne sais pas,
  et... parce que... Maître, c'est un péché de dire le mal que nous voyons dans
  un autre ? Oui, n'est-ce pas ? Et alors comment pourrais-je dire
  cela, en blessant la charité !..." Jean est angoissé.
 
 Jésus éclaire son âme :
 
 "Écoute, Jean. Qu'est-ce qui compte le plus pour toi, le
  Maître ou le condisciple ?"
 
 "Le Maître, Seigneur. C'est Toi qui comptes le
  plus."
 
 "Et que suis-je pour toi ?"
 
 "Le Commencement et la Fin. Tu es Tout."
 
 "Crois-tu que Moi, puisque je suis Tout, je sais aussi tout ce qui
  existe ?"
 
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 456> "Oui, Seigneur. Et à cause de cela, je suis très
  embarrassé. Car je pense que tu sais et que tu souffres. Et parce que je me
  souviens que tu m'as dit un jour que parfois tu es l'Homme, seulement
  l'Homme, et que par conséquent le Père te fait connaître ce que c'est que
  d'être homme, un homme qui doit se conduire selon la raison. Et je pense
  aussi que Dieu, par pitié pour Toi, pourrait te cacher ces laides
  réalités..."
 
 "Tiens-toi à cette pensée, Jean, et parle. Avec confiance. Confier à
  Celui qui pour toi est "Tout", ce que tu sais, ce n'est pas un
  péché. Car le "Tout" ne se scandalise pas, ne médit pas et ne
  manquera pas de charité, pas même en pensée, à l'égard du malheureux. Ce
  serait un péché si tu disais ce que tu sais à quelqu'un qui ne peut être tout
  amour, à tes compagnons par exemple, qui seraient médisants et même
  attaqueraient le coupable sans miséricorde, nuisant ainsi à lui et à eux-mêmes.
  En effet, il faut avoir de la miséricorde, une miséricorde toujours d'autant
  plus grande que l'on se trouve devant une pauvre âme qui souffre de tous les
  maux. Un médecin, un infirmier compatissant, ou bien une mère, s'il s'agit
  d'un simple malaise s'impressionnent peu et ne se préoccupent pas de la
  guérison. Mais si l'enfant ou l'homme est très malade, en danger de mort,
  déjà gangrené et paralysé, comme ils luttent, en surmontant les répugnances
  et les fatigues, pour le guérir ! N'est-ce pas ainsi ?"
 
 "C'est ainsi, Maître" dit Jean qui a pris sa pose habituelle, le
  bras enlacé au cou de son Maître et la tête appuyée sur son épaule.
 
 
  "Eh
  bien, ce n'est pas tout le monde qui sait être miséricordieux pour les âmes
  malades. On doit donc être prudent pour révéler leurs maux, pour que le monde
  ne les fuie pas et ne leur nuise pas par son mépris. Un malade qui se voit
  méprisé s'assombrit et devient plus malade. Mais, au contraire, si on le
  soigne avec bonne humeur il peut guérir, car la bonne humeur confiante de
  celui qui l'assiste le pénètre et aide l'efficacité du remède. Mais tu sais
  que je suis la Miséricorde et que je ne mortifierai pas Judas. Parle donc sans scrupules. Tu n'es
  pas un espion. Tu es un fils qui confie à son père, avec une affectueuse
  anxiété, le mal découvert dans son frère pour que le père le soigne. Allons
  …" 
 
  357.4 - Jean pousse un profond soupir, puis
  il baisse encore plus la tête en la laissant glisser sur la poitrine de
  Jésus, et il dit : 
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 457> "Comme il est pénible de
  parler de corruption !... Seigneur... Judas est impur... et il cherche à
  m'amener à l'impureté. Que lui me méprise, cela ne m'importe pas. Mais je
  suis affligé qu'il vienne vers Toi, souillé par ses amours.
  Depuis
  son retour, il m'a tenté plusieurs fois. Quand le hasard nous laisse seuls -
  et il essaie de toutes manières que cela arrive - il ne fait que parler de
  femmes... et j'en éprouve le dégoût que j'aurais si on m'immergeait dans une
  pourriture qu'on essaierait de m'introduire dans la bouche..." 
 "Mais en es-tu troublé au plus profond de toi-même ?"
 
 "Troublé, comment ? Mon âme frémit. Ma raison crie contre ces
  tentations... Moi, je ne veux pas être corrompu..."
 
 "Mais ta chair, qu'éprouve-t-elle ?"
 
 "Elle frissonne d'horreur."
 
 "Cela seulement ?"
 
 "Oui, Maître. Et alors je pleure car il me semble que Judas ne pourrait
  faire une plus grande offense à quelqu'un qui s'est consacré à Dieu.
  Dis-moi : cela portera-t-il atteinte à mon offrande ?"
 
 "Non, pas plus qu'une poignée de boue jetée sur une plaque de diamant.
  Elle ne raie pas la plaque, elle ne la pénètre pas. Il suffit d'une coupe
  d'eau pure que l'on jette sur elle pour la rendre nette. Et elle est plus
  belle qu'auparavant."
 
 "Purifie-moi, alors."
 
 "Ta charité te purifie et aussi ton ange. Rien ne reste sur toi. Tu es
  un autel purifié sur lequel Dieu descend.
 
 
  357.5 - Et qu'est-ce que Judas fait
  d'autre ?" 
 "Seigneur, lui... Oh ! Seigneur !" La tête de Jean glisse
  encore plus bas.
 
 "Quoi ?"
 
 
  "Lui…
  Ce n'est pas vrai que c'est son argent qu'il te donne pour les pauvres. C'est
  de l'argent des pauvres qu'il dérobe pour lui, pour qu'on le loue d'une générosité
  qui n'est pas vraie. Tu l'as rendu furieux parce qu'au retour du Thabor tu
  lui as enlevé tout l'argent. Et il m'a dit : "Il y a des espions
  parmi nous". Je lui ai dit : "Pour espionner quoi ? Tu
  voles, peut-être ?" "Non" m'a-t-il répondu, "mais
  pourtant je suis prévoyant et j'ai deux bourses. Quelqu'un l'a dit au Maître
  et Lui m'a imposé de tout donner, il me l'a imposé si fortement que j'ai été
  pour ainsi dire obligé de le faire". Mais ce n'est pas vrai, Seigneur,
  qu'il fait cela par prévoyance. Il le fait pour avoir de l'argent. Je
  pourrais l'affirmer avec la quasi-certitude de dire la
  vérité." 
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 458>
  "Quasi-certitude ! Ce doute, oui, cela est une légère faute. Tu ne
  peux l'accuser d'être un voleur, si tu n'en es pas absolument certain. Les
  actions des hommes ont parfois une apparence fâcheuse, tout en étant
  bonnes."
 
 "C'est vrai, Maître. Je ne l'accuserai plus, pas même en pensée. Mais
  pourtant qu'il ait deux bourses et que celle qu'il dit lui appartenir et
  qu'il te donne est encore la tienne et qu'il le fait pour être loué, c'est
  vrai. Et moi je ne ferais pas cela. Je sens qu'il n'est pas bien de le
  faire."
 
 "Tu as raison.
 
 
  357.6 - Que
  dois-tu dire encore ?" 
 Jean lève un visage épouvanté, il est sur le point de parler mais puis se
  tait et il glisse à genoux en cachant son visage dans le vêtement de Jésus
  qui met une main sur ses cheveux.
 
 "Allons, donc ! Tu pourrais avoir mal vu. Je t'aiderai à bien voir.
  Tu dois aussi me dire ce que tu penses des causes probables du péché de
  Judas."
 
 
  "Seigneur,
  Judas se sent privé de la force qu'il voudrait pour faire des miracles... Tu le
  sais qu'il a toujours ambitionné... Tu te souviens d'Endor ? Et au
  contraire... c'est lui qui en fait le moins. Depuis qu'il est revenu, il ne
  réussit plus à rien. ..et la nuit même il s'en lamente en songe comme si
  c'était un cauchemar et... Maître, mon Maître !" 
 "Allons, parle. Va jusqu'au bout."
 
 "Et il lance des imprécations... et il fait de  la magie. Cela
  n'est ni mensonge ni doute. Moi je l'ai vu. Il m'a choisi comme compagnon
  parce que je dors profondément, ou plutôt parce que je dormais profondément.
  Maintenant, je l'avoue, je le surveille et mon sommeil est moins profond car,
  dès qu'il remue, je l'entends... J'ai mal fait, peut-être. Mais j'ai feint de
  dormir pour voir ce qu'il faisait. Et deux fois je l'ai vu et entendu faire
  des choses qui ne conviennent pas. Je ne m'y connais pas en magie, mais c'est
  bien cela dont il s'agit."
 
 "Seul ?"
 
 "Oui et non. À Tibériade, je l'ai suivi. Il est allé dans une maison.
  J'ai demandé par la suite qui est-ce qui y habite. C'est quelqu'un qui fait
  de la nécromancie avec d'autres. Et quand Judas est sorti, presque au matin,
  d'après les paroles échangées j'ai compris qu'ils se connaissent, et ils sont
  si nombreux... et pas tous des étrangers. Il demande au démon la force que tu
  ne lui donnes pas. C'est pour cela que j'ai fait au Père le sacrifice de la
  mienne, pour qu'Il la lui passe et qu'il ne soit plus pécheur."
 
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 459> "Tu devrais lui
  donner ton âme, mais cela ni le Père, ni Moi, ne le permettrions..."
 
 
  357.7 - Un
  long silence. Puis Jésus dit d'une voix fatiguée : "Allons, Jean. Descendons.
  Nous nous reposerons en attendant l'aube." 
 "Tu es plus triste qu'auparavant, Seigneur ! J'ai mal fait de
  parler !"
 
 "Non. Je le savais déjà. Mais toi, au moins, tu es soulagé... et c'est
  cela qui compte."
 
 "Seigneur, dois-je le fuir ?"
 
 "Non. Ne crains pas. Satan ne nuit pas aux Jean. Il les terrorise, mais
  il ne peut leur enlever la grâce que Dieu ne cesse de leur donner. Viens. Au
  matin je parlerai, et ensuite nous irons à Pella. Il faut faire vite, car le
  fleuve est déjà grossi par les neiges qui fondent et par la pluie des jours
  derniers. Il sera bientôt en crue, d'autant plus que le cercle autour de la
  lune annonce des pluies abondantes..."
 
 Ils descendent et disparaissent dans la pièce qui est au-dessous de la
  terrasse.
 
 
 
  357.8 - C'est
  le matin, un matin de mars. Aussi éclaircies et nuages se succèdent dans le
  ciel. Mais il y a plus de nuages que d'éclaircies et ils tendent à couvrir le
  ciel. Un air chaud souffle par à-coups syncopés et il rend l'atmosphère
  lourde en la voilant d'une poussière venue peut-être des régions du haut
  plateau. 
 "Si le vent ne change pas, ce sera de l'eau !" dit
  sentencieusement Pierre en sortant de la maison avec les autres.
 
 En dernier lieu sort Jésus qui a pris congé du maître de maison qui sort avec
  Lui. Ils se dirigent vers une place. Après quelques pas, ils sont arrêtés par
  un officier romain accompagné de soldats.
 
 "C'est Toi, Jésus de Nazareth ?"
 
 "Oui."
 
 "Que fais-tu ?"
 
 "Je parle aux foules."
 
 "Où ?"
 
 "Sur la place."
 
 "Des paroles séditieuses ?"
 
 "Non. Des préceptes de vertus."
 
 "Attention ! Ne mens pas. Rome en a assez de faux dieux."
 
 "Viens toi aussi. Tu verras que je ne mens pas."
 
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 460> L'homme qui a logé Jésus sent qu'il doit
  intervenir : "Mais depuis quand tant de
  questions à un rabbi ?"
 
 "Il est dénoncé comme séditieux."
 
 "Séditieux ? Lui ? Mais tu te trompes, Marius
  Sévère ! C'est l'homme le
  plus doux de la terre. C'est moi qui te le dis."
 
 L'officier hausse les épaules et répond : "Cela vaut mieux pour
  Lui. Mais c'est ainsi qu'on l'a dénoncé au centurion. Va, donc. Il est
  prévenu." Et il fait un demi-tour pour s'en aller avec ses subalternes.
 
 "Mais qui cela peut être ? Moi, je ne comprends pas !"
  disent plusieurs.
 
 "Ne cherchez pas à comprendre, répond Jésus. C'est inutile. Allons
  pendant qu'il y a beaucoup de monde sur  la place. Après nous partirons
  également d'ici."
 
 
  357.9 - Ce
  doit être une place plutôt commerciale. Ce n'est pas un marché mais presque,
  car elle est entourée de magasins où sont entre- posées des marchandises de
  toutes sortes. Et une foule de gens y viennent. Aussi il y a beaucoup de
  monde sur la place et quelqu'un fait signe que c'est Jésus et tout de suite
  le "Nazaréen" est entouré. Il y a des gens de toutes classes et de
  toutes nationalités. Certains venus par vénération, les autres par curiosité. 
 Jésus fait signe qu'il va parler.
 
 "Écoutons-le !" dit un romain qui sort d'un magasin.
 
 "Est-ce que ce sera pour entendre une lamentation ?" lui
  répond un camarade.
 
 "Ne le crois pas, Constance.
  Il est moins indigeste que l'un de nos rhéteurs habituels."
 
 "Paix à ceux qui m'écoutent ! Il est dit dans Esdras, dans la
  prière d'Esdras : "Et que dirons-nous maintenant, ô notre Dieu,
  après ce qui est arrivé ? Que, si nous avons abandonné tes
  commandements, ceux que Tu nous as intimés par l'intermédiaire de tes
  serviteurs..."
 
 "Arrête-toi, toi qui parles. Le sujet, c'est nous qui te le
  donnons" crient une poignée de pharisiens qui se fraient un chemin au
  milieu de la foule.
 
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 461> Presque aussitôt réapparaît
  l'escorte armée et elle s'arrête dans le coin le plus voisin. Les pharisiens
  sont maintenant en face de Jésus.
 
 "C'est Toi le Galiléen ? Jésus de Nazareth ?"
 
 "Oui !"
 
 "Loué soit Dieu que nous t'ayons trouvé !" Vraiment ils ont
  des visages si haineux qu'ils ne semblent pas heureux de la rencontre...
 
 Le plus âgé parle : "Nous te suivions depuis plusieurs jours, mais
  nous arrivions toujours après ton départ."
 
 "Pourquoi me suivez-vous ?"
 
 "Parce que tu es le Maître et que nous voulons être éclairés sur un
  point obscur de la Loi."
 
 "Il n'y a pas de points obscurs dans la Loi de Dieu."
 
 "En elle, non. Mais, hé ! hé !... Mais sur la Loi sont venues
  les "ajoutés" comme tu dis, hé ! hé !... et ils ont créé
  l'obscurité."
 
 "De la pénombre, tout au plus. Et il suffit de tourner son intelligence
  vers Dieu pour la dissiper."
 
 "Ce n'est pas tout le monde qui sait le faire. Nous, par exemple, nous
  restons dans la pénombre. Tu es le Rabbi, hé ! hé ! Aide-nous
  donc."
 
 
  357.10 - "Que voulez-vous
  savoir ?" 
 "Nous voulions savoir s'il est permis à l'homme de
  répudier pour un motif quelconque sa propre femme. C'est une chose qui arrive
  souvent, et chaque fois cela fait du bruit où cela arrive. Les gens
  s'adressent à nous pour savoir si cela est permis et nous répondons suivant
  les cas."
 
 "En approuvant le fait accompli quatre-vingt-dix fois sur cent. Pour les
  dix pour cent que vous n'approuvez pas, il s'agit des pauvres ou de vos
  ennemis."
 
 "Comment le sais-tu ?"
 
 "Parce qu'il en arrive ainsi dans toutes les choses humaines. Et
  j'ajoute une troisième classe : celle où si le divorce était permis, il
  se justifierait davantage, celle des cas pénibles, tels qu'une lèpre
  incurable, une condamnation à vie, ou une maladie honteuse..."
 
 "Alors, pour Toi, ce n'est jamais permis ?"
 
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 462> "Ni pour Moi, ni pour le Très-Haut,
  ni pour aucune âme droite. N'avez-vous pas lu que le Créateur, au
  commencement des jours, a créé l'homme et la femme ? Et qu'il les créa
  mâle et femelle.
  il n’avait pas besoin de le faire. S'il l'avait voulu, il aurait pu, pour le
  roi de la Création, fait à son image et à sa ressemblance, créer un autre
  mode de procréation et il aurait été également bon, tout en étant différent
  de tout autre moyen naturel.
  Et il dit : "C'est pour ce motif que l'homme quittera son père et
  sa mère et s'unira avec la femme, et les deux seront une seule chair".
  Dieu les a donc unis en une seule unité. ils ne sont donc plus
  "deux" chairs mais "une" seule.
  Ce que Dieu a uni, parce qu'il a vu que c'était "une chose bonne",
  que l'homme ne le sépare pas, parce que si cela arrivait, ce ne serait plus
  une chose bonne."
 
 
  357.11 - "Mais pourquoi alors Moïse
  a-t-il dit : "Si un homme a pris une femme mais qu'elle n'a pas
  trouvé grâce à ses yeux pour quelque chose de honteux, il
  lui écrira un libelle de répudiation, le lui remettra en mains propres et la
  renverra de sa maison" 
  ?" 
 "Il l'a dit à cause de la dureté de votre cœur. Pour éviter par un ordre
  des désordres trop graves : C'est pour cela qu'il vous a permis de
  répudier vos femmes. Mais au commencement il n'en a pas été ainsi. Car la
  femme est plus qu'une bête laquelle, selon les caprices de son maître ou les
  libres circonstances naturelles, est soumise à tel ou tel mâle, chair sans
  âme qui s'accouple pour  la reproduction. Vos femmes ont une âme comme
  vous, et il n'est pas juste que vous la piétinez sans compassion. S'il est
  dit dans sa condamnation : "Tu seras soumise au pouvoir de ton mari
  et lui te dominera" cela doit se produire selon la justice et non selon
  la tyrannie qui lèse les droits d'une âme qui est libre et digne de respect.
 
 Vous, en répudiant alors que ce n'est pas permis, vous offensez l'âme de
  votre compagne, la chair jumelle qui s'est unie à la vôtre, le tout qu'est la
  femme que vous avez épousée en exigeant son honnêteté, alors que vous,
  parjures, vous allez vers elle, déshonorés, diminués, parfois corrompus, et
  vous continuez de l'être en profitant de toute occasion pour la blesser et
  donner libre cours à vos passions insatiables. Vous faites de vos femmes des
  prostituées ! Pour aucun motif vous ne pouvez vous
  séparer de la femme qui vous est unie selon la Loi et  la Bénédiction.
  Ce n'est que dans le cas où la grâce vous touche, quand vous comprenez que la
  femme n'est pas un objet que l'on possède mais une âme et que par conséquent
  elle a des droits égaux aux vôtres d'être reconnue comme faisant partie
  intégrante de l'homme et non pas comme son objet de plaisir, et c'est
  seulement dans le cas où votre cœur est assez dur pour ne pas épouser une
  femme après en avoir joui comme d'une prostituée, seulement pour faire
  disparaître le scandale de deux personnes qui vivent ensemble sans la
  bénédiction de Dieu sur leur union que vous pouvez renvoyer une femme.
 
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 463> C'est qu'alors il ne s'agit pas d'union
  mais de fornication, et qui souvent n'est pas honorée par la venue des
  enfants supprimés contre nature ou éloignés comme déshonorants.
 
 Dans aucun autre cas, dans aucun autre. Car si vous avez des enfants
  illégitimes d'une concubine, vous avez le devoir de mettre fin au scandale en
  l'épousant si vous êtes libres. Je ne m'arrête pas à l'adultère consommé au
  détriment d'une femme ignorante. Pour lui, il y a les pierres de la
  lapidation et les flammes du Schéol. Mais pour celui qui renvoie sa propre
  épouse légitime parce qu'il en est las et qui en prend une autre, il n'y a
  qu'un jugement : c'est un adultère.
 
 Et aussi celui qui prend une femme répudiée car si l'homme s'est arrogé le
  droit de séparer ce que Dieu a uni, l'union matrimoniale continue aux yeux
  de Dieu et est maudit celui qui passe à une seconde femme sans être veuf. Et
  maudit celui qui, après avoir répudié sa femme, après l'avoir abandonnée aux
  craintes de l'existence qui la font consentir à de nouvelles noces pour avoir
  du pain, la reprend si elle reste veuve du second mari. Car bien qu'étant
  veuve, elle a été adultère par votre faute et vous redoubleriez son adultère.
 
 Avez-vous compris, ô pharisiens qui me tentez ?"
 
 Ceux-ci s'en vont penauds, sans répondre.
 
 
  357.12 - "L'homme est sévère. S'il était
  à Rome, il verrait pourtant fermenter une boue encore plus fétide" dit
  un romain. 
 Certains hommes de Gadara murmurent aussi : "C'est une chose
  difficile que d'être homme s'il faut être aussi chaste !..."
 
 Et certains disent plus haut : "Si telle est la situation de
  l'homme par rapport à la femme, il vaut mieux ne pas se marier."
 
 Et les apôtres aussi tiennent ce raisonnement alors qu'ils reprennent le
  chemin vers la campagne, après avoir quitté les gens de Gadara. Judas en
  parle d'un air méprisant. Jacques en parle avec respect et réflexion. Jésus
  répond à l'un et à l'autre :
 
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 464> "Ce n'est pas tous qui
  comprennent cela, ni qui le comprennent comme il faut.
  Certains, en effet, préfèrent le célibat
  pour être libres de satisfaire leurs vices. D'autres c'est pour éviter la
  possibilité de pécher, en n'étant pas de bons maris. Mais il y en a seulement
  quelques-uns auxquels il est accordé de comprendre la beauté d'être exempts
  de sensualité et même d'un désir honnête de  la femme. Et ce sont les
  plus saints, les plus libres, les plus angéliques sur  la terre. Je
  parle de ceux qui se font eunuques pour le Royaume de Dieu. Parmi les hommes,
  il y en a qui naissent tels; d'autres que l'on rend tels. Les premiers sont
  une monstruosité qui doit susciter la compassion, pour les seconds c'est un
  abus condamnable. Mais il y a enfin la troisième catégorie : celle des
  eunuques volontaires qui sans se faire violence, et par conséquent avec un
  double mérite, savent adhérer à la demande de Dieu et vivent comme des anges
  pour que l'autel délaissé de la terre ait encore des fleurs et de l'encens
  pour le Seigneur. Ces derniers refusent de satisfaire la partie inférieure de
  leur être pour faire grandir la partie supérieure, par laquelle ils
  fleurissent au Ciel dans les parterres les plus proches du trône du Roi. Et
  en vérité je vous dis que ce ne sont pas des mutilés, mais des êtres doués de
  ce qui manque à la plupart des hommes. Non pas les objets d'un mépris imbécile, mais plutôt d'une grande vénération.
  Que le comprenne celui qui doit le comprendre et le respecte, s'il le peut." 
 Ceux qui sont mariés parmi les apôtres
  chuchotent entre eux. "Qu'avez-vous ?" demande Jésus.
 
 "Et nous ?" dit Barthélemy
  au nom de tous. "Nous ne savions pas cela et nous avons pris femme. Mais
  il nous plairait d'être comme tu dis..."
 
 "Il ne vous est pas défendu de l'être désormais. Vivez dans la
  continence en voyant dans votre compagne une sœur, et vous en aurez grand
  mérite aux yeux de Dieu. Mais hâtez le pas pour être à Pella avant la pluie."
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