Vision du vendredi 10
août 1945.
163> 249.1 – La
matinée calme et ensoleillée favorise la montée sur des collines toujours
orientées vers l'ouest, c'est-à-dire vers la mer.
"Nous avons bien fait d'arriver aux collines dans les premières heures
de la matinée. Nous n'aurions pas pu rester dans la plaine sous ce soleil.
Mais ici, il y a de l'ombre et de la fraîcheur. Je plains ceux qui suivent la
voie romaine, bonne pour l'hiver" dit Mathieu.
"Après ces collines, nous allons trouver le vent de la mer. L'air en est
toujours tempéré" dit Jésus.
"Nous mangerons là-haut. L'autre jour c'était tellement beau et d'ici ce
doit l'être encore d'avantage, car le Carmel est plus proche, et aussi la
mer" ajoute Jacques d'Alphée.
"Elle est pourtant belle, notre patrie !" s'exclame André.
"Oui. Il y a vraiment de tout : monts neigeux et collines aux
douces pentes, lacs, fleuves, arbres de toutes espèces, et il n'y manque pas
la mer. C'est vraiment le pays délicieux qu'ont célébré nos psalmistes, nos
prophètes, nos grands guerriers et nos poètes" dit le Thaddée.
"Dis-en quelque passage, toi qui sais tant de
choses" demande instamment Jacques de Zébédée.
"C'est avec la beauté du Paradis qu'Il a formé la terre de Juda .
Du sourire de ses anges Il a décoré la terre de Nephtali et avec les fleuves
de miel du ciel Il a donné leur saveur aux fruits de sa terre.
Toute la création se mire en toi, gemme de Dieu,
donnée par Dieu à son peuple saint.
Plus douce que les grappes serrées qui mûrissent sur les pentes de tes monts,
plus suave que le lait qui gonfle les mamelles de tes agnelles, plus
enivrante que le miel qui a le goût des fleurs qui te revêtent, terre
bienheureuse, est ta beauté pour le cœur de tes fils.
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164> Le ciel est descendu pour former un
fleuve qui unit deux gemmes, pour te faire sur ton vert vêtement des
pendentifs et une ceinture.
Ton Jourdain chante, la mer est souriante, et la seconde
rappelle que Dieu est terrible, pendant que les collines semblent danser vers
le soir comme de gaies fillettes dans un pré, et tes montagnes prient pendant
les aubes angéliques ou chantent l'alléluia sous les feux du soleil, ou
encore adorent en même temps que les étoiles, ta puissance, ô Dieu Très Haut.
Tu ne nous as pas renfermés dans des frontières resserrées, mais tu as laissé
devant nous la mer ouverte pour nous dire que le monde est à nous"
"C'est beau! Oh ! c'est vraiment beau ! Moi, je n'ai été que
sur le lac et à Jérusalem pendant des années et des années, je n'ai vu rien
d'autre. Ce n'est que maintenant que je connais la Palestine, mais je suis
certain qu'il n'y a rien de plus beau au monde" affirme Pierre, plein de
fierté pour son pays.
"Marie me disait que très belle aussi est la vallée du Nil" dit
Jean.
"Et l'homme d'Endor parle de Chypre comme d'un paradis" ajoute
Simon.
"Oh ! oui, mais notre terre !..."... Les apôtres, sauf
l'Iscariote et Thomas qui sont peu en avant avec Jésus, continuent à louer
les beautés de la Palestine.
Par derrière viennent les femmes qui ne peuvent se retenir de recueillir des
graines de fleurs pour les semer dans leurs parterres ou leurs jardins parce
qu'elles sont belles et que ce sera un souvenir de leur voyage.
249.2 – Des
aigles, de mer je crois, ou des vautours, font de larges cercles sur les
crêtes des collines, plongeant, de temps à autre, à la recherche d'une proie
et un duel commence entre deux vautours qui luttent, qui luttent, en perdant
leurs plumes, en un combat distingué et féroce qui se termine par la fuite du
vaincu. Sans doute il s'en va mourir sur un pic éloigné. C'est au moins le
jugement de tout le monde, tant son vol est pénible, épuisé.
"La goinfrerie lui a fait du mal" commente Thomas.
"La goinfrerie et l'obstination font toujours mal. Même ces trois
d'hier !... Miséricorde éternelle ! Quel sort terrible !"
dit Mathieu.
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165> "Ne guériront-ils
jamais ?" demande André.
"Demande-le au Maître."
Jésus, interrogé, répond :
"Il vaudrait mieux demander s'ils se convertiront. Car, en vérité, je
vous dis qu'il est préférable de mourir lépreux et saint que sain et pécheur.
La lèpre reste sur la terre, dans la tombe, mais le péché reste pour l'éternité."
249.3 – "Ton
discours d'hier soir m'a beaucoup plu, à moi" dit le Zélote.
"À moi, non. Il était très sévère pour beaucoup de gens en Israël"
dit l'Iscariote.
"Es-tu de ceux-là ?"
"Non, Maître."
"Mais alors, pourquoi te fâches-tu ?"
"Mais parce que cela peut te nuire."
"Devrais-je alors, pour éviter ces ennuis, pactiser avec les pécheurs et
être leur complice ?"
"Je ne dis pas cela. Tu ne pourrais pas le faire. Mais te taire, ne pas
dresser les grands contre Toi..."
"Se taire, c'est être d'accord. Moi, je ne suis pas d'accord avec les
fautes; ni des petits ni des grands."
"Mais tu vois ce qui est arrivé au Baptiste ?"
"Sa gloire."
"Sa gloire ? Il me semble sa ruine."
"Persécution et mort par fidélité à notre devoir sont gloire à 1'homme.
Le martyre est toujours glorieux."
"Mais la mort lui empêche d'être maître et donne de la douleur aux
disciples et à ceux de sa famille. Lui échappe à toute peine, mais il laisse
aux autres des peines bien plus grandes. Le Baptiste n'a pas de parents,
c'est vrai. Mais il a toujours des devoirs envers ses disciples."
"Même s'il eût des parents, c'était la même chose. La vocation est plus
que le sang."
"Et le quatrième commandement ?"
"Il vient après ceux qui concernent Dieu."
"Une mère, tu l'as vu hier comme elle souffre à cause de son
fils..."
"Mère ! Viens ici" dit Jésus.
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166> Marie accourt près de Jésus et
demande :
"Que veux-tu, mon Fils?"
"Mère, Judas de Kériot plaide ta cause parce qu'il t'aime et qu'il
m'aime."
"Ma cause ? En quoi ?"
"Il veut me décider à une plus grande prudence, pour que je ne sois pas
frappé comme notre parent, le Baptiste. Il me dit qu'il faut avoir pitié des
mères, en se ménageant pour elles, car ainsi le veut le quatrième
commandement. Toi, qu'en dis-tu ? Je te donne la parole, Mère, pour que
tu instruises avec douceur notre Judas."
249.4 – "Moi,
je dis que je n'aimerais plus mon Fils en tant que Dieu, que j'en arriverais
à me demander si je ne m'étais pas toujours trompée, de m'être toujours
méprise sur sa Nature si je le voyais transiger avec sa perfection, en
abaissant sa pensée à des considérations humaines, en perdant de vue les
considérations surhumaines : à savoir racheter, chercher à racheter les
hommes par amour pour eux et pour la gloire de Dieu, quitte à se créer des
peines et des rancœurs. Je l'aimerais encore comme un fils dévoyé par une
force malfaisante, par pitié, parce que c'est mon fils, parce que ce serait
un malheureux, mais plus avec cette plénitude d'amour dont je l'aime
maintenant que je le vois fidèle au Seigneur"
"À Lui-même, tu veux dire."
"Au Seigneur. Maintenant il est le Messie du Seigneur et il doit être
fidèle au Seigneur, comme tout autre et même plus que tout autre, parce que
Lui a une mission plus grande qu'il n'y en a jamais eu, comme il n'y en a pas
et comme il n'y en aura pas sur la Terre, et il a certainement de Dieu une
aide en rapport avec une si grande mission."
"Mais s'il Lui arrivait du mal, ne pleurerais-tu pas ?"
"Toutes les larmes de mes yeux. Mais je pleurerais des larmes et du sang
si je le voyais infidèle à Dieu."
"Cela diminuera beaucoup les fautes de ceux qui le persécuteront."
"Pourquoi ?"
"Parce que Lui, autant que toi, vous les justifiez en quelque
sorte."
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167> "Ne le pense pas. Ce seront
toujours les mêmes fautes aux yeux de Dieu, que nous jugions que cela est
inévitable ou que nous jugions qu'aucun homme d'Israël ne devrait être
coupable à l'égard du Messie."
"Pour un homme d'Israël? Et si c'était un gentil ce ne serait pas la
même chose?"
"Non, pour les gentils, ce ne serait qu'une faute à l'égard de l'un de
leurs semblables. Israël sait qui est Jésus."
"Une grande partie d'Israël ne le sait pas."
"Ne veut pas le savoir. Est consciemment incrédule. Au manque de
charité, elle joint donc l'incrédulité et elle nie l'espérance. Piétiner les
trois vertus principales n'est pas une petite faute, Judas. C'est grave,
spirituellement plus grave qu'un acte matériel contre mon Fils."
Judas, à court d'arguments, se baisse pour lacer une sandale, et reste en
arrière.
249.5 – On
a atteint le sommet ou plutôt une saillie du sommet qui s'avance comme si elle
voulait courir vers l'azur riant de la mer sans limites. Un bois épais de chênes verts produit une lumière d'émeraude claire,
marquée d'agréables déchirures de soleil sur cette crête montagneuse
agréable, aérée, ouverte sur la côte toute proche, en face de la chaîne
majestueuse du Carmel. En bas, au pied de la montagne dont l'avancée se
penche comme si elle voulait voler, après de petits champs à mi-pente, il y a une étroite vallée avec un torrent
profond, certainement puissant par la violence de son cours en temps de crue,
maintenant réduit à une écume d'argent au milieu de son lit. Le torrent court
vers la mer en rasant la bas~ du Carmel. Un chemin suit le torrent, surélevé
à droite du cours d'eau qui relie une ville située au milieu d'une baie aux villes
de l'intérieur peut-être de la Samarie si je m'oriente bien.
"Cette ville, c'est Sycaminon" dit Jésus. "Nous y serons ce
soir à la tombée de la nuit. Reposons-nous maintenant car la descente est
difficile, bien que fraîche et courte."
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