466> Je ne
vois ni le retour à Béthsur, ni les roseraies de Béther que j'ai tant désiré voir. Jésus est seul avec les
apôtres. Même Margziam n'est plus là. Il est
certainement resté avec la Madone et les femmes disciples. L'endroit est très
montagneux, mais avec encore une végétation très riche de bois de conifères,
ou plutôt d'arbres à pignons et l'odeur de la résine se répand partout,
balsamique et vivifiante. Et, par ces montagnes verdoyantes, Jésus chemine
avec les siens, tournant le dos à l'orient.
J'entends que l'on parle d'Élise qui a paru beaucoup changée et qui s'est
décidée à suivre Jeanne dans son domaine de Béther,
et aussi de la bonté de Jeanne. Ils parlent aussi d'un nouveau tour en
direction des plaines fertiles qui précèdent la côte. Et les noms des gloires
passées reviennent à la mémoire, donnant lieu à des récits, des questions,
des explications et des discussions courtoises.
"Quand nous serons au faîte de cette montagne, je vous montrerai de
là-haut toutes les régions qui vous intéressent. Vous pourrez en tirer des
pensées pour vos allocutions."
"Mais, comment allons-nous faire, mon Seigneur ? Moi, je ne suis
pas bon" gémit André, et à lui se joignent Pierre et Jacques. "Nous
sommes les plus malheureux, nous !"
"Oh ! pour cela ! Je ne vaux pas mieux. S'il s'agissait d'or
ou d'argent, je pourrais en parler, mais de ces choses..." dit Thomas.
"Et moi ? qu'est-ce que j'étais ?" demande Mathieu.
"Mais toi, tu n'as pas peur du public, tu sais parler" réplique
André.
"Mais sur d'autres choses..." répond Mathieu.
"Hé ! c'est vrai !... Mais... Enfin tu sais déjà ce que je
veux dire et fais comme si je te l'avais dit. Le fait est que tu vaux mieux
que nous" dit Pierre.
"Mais mes amis, il n'y a pas besoin
d'aller dans les hauteurs. Dites simplement ce que vous pensez, ce dont vous
êtes convaincus. Croyez que quand quelqu'un est convaincu il
persuade toujours" dit Jésus.
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467> Mais Judas de
Kériot dit, suppliant : "Donne-nous beaucoup d'idées, Toi. Une idée
bien présentée peut servir à beaucoup de choses, Ces endroits sont restés
sans renseignements à ton sujet, je crois, parce que personne ne manifeste
qu'il te connaît."
"C'est parce qu'ici il y a encore beaucoup de vent qui vient du Moriah... Et ce vent dessèche..." répond Pierre.
"C'est parce qu'on n'a pas ensemencé. Mais nous ferons les
semailles" réplique l'Iscariote, sûr de lui, heureux de ses premiers
succès, On a atteint le sommet de la montagne. Un large panorama s'ouvre à
cet endroit, et il est beau à contempler à l'ombre des arbres feuillus qui
couronnent la cime, un enchevêtrement de chaînes de montagnes si variées et
ensoleillées qui vont en tous sens comme les lames pétrifiées d'un océan
battu par des vents contraires et puis, comme dans une baie tranquille, tout
s'apaise dans une splendeur de lumière sans limite qui précède une vaste
plaine, où s'élève solitaire comme un phare à l'entrée d'un port, une petite
montagne.
"Voici. Ce pays qui s'étend ainsi sur la crête, comme pour jouir
pleinement du soleil, et où nous séjournerons, est comme le pivot d'un
éventail de lieux historiques. Venez ici. Là (au nord) Gerimot.
Vous souvenez-vous de Josué ? La défaite des rois qui voulurent
assaillir le camp d'Israël rendu puissant par l'alliance avec les Gabaonites. Et tout près, Betsames, la
cité sacerdotale de Juda, où les Philistins rendirent l'Arche avec les vœux
en or, imposés au peuple par les devins et les prêtres pour être libérés des
fléaux qui tourmentaient les Philistins coupables. Et voilà là-bas, toute ensoleillée, Saràa, la patrie de Samson et un peu plus à l'est Timnata, où il prit femme et où il fit tant de prouesses
et de sottises. Et là Azeco et Soco alors camp philistin, plus bas encore c'est Szanoé
une des cités de Judée. Et ici, tournez-vous, voici la Vallée du Térébinthe
où David battit Goliath. Et là, c'est Maceda, où
Josué défit les Amorrhéens. Tournez-vous encore.
Vous voyez cette montagne solitaire au milieu de la plaine qui autrefois
appartint aux Philistins? Là se trouve Get, patrie
de Goliath et lieu de refuge pour David près d'Achis
pour fuir la folle colère de Saül et où le sage roi fit le fou parce que le
monde défend les fous contre les sages. Cet horizon ouvert, ce sont les
plaines de la terre très fertile des Philistins. Nous irons par là jusqu'à Ramlé et maintenant entrons à Bétginna.
Toi, justement toi, Philippe, qui me regardes tellement suppliant, tu
iras avec André à travers le pays. Nous restons, pendant que vous y allez,
près de la fontaine ou sur la place du pays."
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468> "Oh !
Seigneur ! Ne nous envoie pas seuls ! Viens Toi aussi !"
disent les deux en le suppliant.
"Allez, je l'ai dit. L'obéissance vous apportera plus de secours que ma
présence muette."
...Philippe et André s'en vont donc, au hasard, à travers le pays jusqu'à ce
qu'ils trouvent une minuscule auberge, plutôt une gargote, à l'intérieur de
laquelle il y a des maquignons qui négocient des agneaux avec des bergers.
Ils entrent et s'arrêtent interdits au milieu de la cour entourée de
portiques très rustiques. L'hôtelier accourt : "Que
voulez-vous ? Un logement ?" Les deux se consultent du regard,
un regard très effrayé. Très probablement, de ce qu'ils avaient décidé de
dire, ils ne trouvent plus un seul mot. Mais c'est justement André qui se
ressaisit le premier et qui répond : "Oui, un logement pour nous et
pour le Rabbi d'Israël."
"Quel Rabbi ? Il y en a tant ! Mais ce sont de grands
seigneurs. Ils ne viennent pas dans des pays de pauvres apporter leur sagesse
aux pauvres. Ce sont les pauvres qui doivent aller les trouver et encore
c'est une grâce s'ils supportent notre voisinage !"
"Le Rabbi d'Israël est unique et il vient
justement apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres, et plus ils sont pauvres et
pécheurs, plus il les recherche et les approche" répond doucement André.
"Mais alors, il ne fera pas fortune !"
"Il ne recherche pas les richesses. Il est pauvre et bon. Sa journée est
bien remplie quand il a pu sauver une âme" répond encore André.
"Hum ! C'est la première fois que j'entends dire d'un rabbi qu'il
est bon et pauvre. Le Baptiste est pauvre, mais il est sévère. Tous les
autres sont sévères et riches, avides comme des sangsues. Avez-vous entendu,
vous ? Venez ici, vous qui parcourez le monde. Ces hommes disent qu'il y
a un maître pauvre, bon, qui vient chercher les pauvres et les pécheurs."
"Ah ! ce doit être celui qui est vêtu de blanc comme un essénien.
Je l'ai vu aussi, il y a quelque temps à Jéricho" dit un maquignon.
"Non. Celui-là est seul. Ce doit être celui dont parlait Thomas car il
s'était trouvé par hasard à parler de lui avec des bergers du Liban"
répond un grand berger musclé.
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469> "Oui, vraiment ! Et
il vient jusqu'ici s'il était sur le Liban ! Pour tes yeux de
chat !" s'exclame un autre.
Pendant que l'hôtelier s'entretient avec ses clients, les deux apôtres sont
restés là, plantés au milieu de la cour. Finalement un homme dit :
"Hé ! vous ! Venez ici ! Qui est-ce ? D'où vient-il
celui que vous dites ?"
"C'est Jésus de Joseph, de Nazareth" dit sérieusement Philippe et
il reste là, comme s'il attendait qu'on se moque de lui. Mais André
ajoute : "C'est le Messie annoncé. Je vous en conjure, pour votre
bien, écoutez-le. Vous avez nommé le Baptiste. Eh bien, j'étais avec lui et
lui nous montra Jésus qui passait, en disant : "Voici l'Agneau de
Dieu qui enlève les péchés du monde". Quand Jésus descendit au Jourdain
pour s'y faire baptiser, les Cieux s'ouvrirent et une Voix cria :
"Voici mon Fils bien-aimé, en qui Je me suis complu" et l'Amour de
Dieu descendit comme une colombe pour resplendir sur sa tête."
"Tu vois ? C'est bien le Nazaréen ! Mais dites un peu, vous
qui vous dites ses amis..."
"Amis non. Nous sommes apôtres, disciples et envoyés par Lui pour
annoncer son arrivée, afin que celui qui a besoin d'être sauvé aille à
Lui" corrige André.
"Bon, mais dites un peu. Est-il bien comme le disent certains, un saint,
plus saint que le Baptiste, ou bien un démon, comme disent les autres ?
Vous qui êtes avec lui puisque, si vous êtes des disciples, vous êtes
ensemble, dites un peu et sincèrement : est-il vrai qu'il est luxurieux
et débauché ? Qu'il aime les courtisanes et les publicains ? Qu'il
pratique la nécromancie et que la nuit il évoque les esprits pour savoir les
secrets des cœurs ?"
"Mais pourquoi demandes-tu cela à ces hommes ? Demande plutôt s'il
est vrai qu'il est bon. Ces deux vont le prendre mal et s'en iront dire au
Rabbi nos mauvaises raisons, et il nous maudira. On ne sait jamais !...
Qu'il soit Dieu ou diable, il vaut toujours mieux le bien traiter."
Cette fois, c'est Philippe qui parle : "Nous pouvons vous répondre
sincèrement car il n'y a rien de mauvais ni rien qu'il faille tenir caché.
Lui, notre Maître, est le Saint entre les saints. Sa journée se passe dans
les fatigues de l'enseignement. Infatigable, il va d'un endroit à l'autre à
la recherche des cœurs. Sa nuit, il la passe à prier pour nous. Il ne
dédaigne pas la table et l'amitié, mais ce n'est pas dans son propre intérêt
mais bien pour approcher ceux qu'il ne pourrait accoster autrement. Il ne
repousse pas les publicains et les courtisanes; mais c'est seulement pour
les racheter. Il marque sa route de miracles de rédemption et de miracles sur
les maladies. Les vents et la mer Lui obéissent, mais il n'a besoin de
personne pour opérer des prodiges, ni d'évoquer les esprits pour connaître
les cœurs."
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470> "Et, comment
le peut-il ? ...Tu as dit que les vents et la mer Lui obéissent, mais ce
sont des choses privées de raison. Comment peut-il leur
commander ?" demande l'hôtelier.
"Réponds-moi, homme; selon toi est-il plus difficile de commander au
vent et à la mer, ou à la mort ?"
"Hé ! Mais à la mort, on ne commande pas ! À la mer, on peut
lui jeter de l'huile, on peut lui opposer les voiles, on peut, sagement, ne
pas s'y embarquer. Au vent, on peut opposer les serrures. Mais à la mort on
ne commande pas. Il n'y a pas d’huile qui la calme et il n'est pas de voile
qui, montée sur notre petit bateau, le rend si rapide qu'il distance
la mort. Il n'y a pas de serrures pour elle. Quand elle veut venir elle
passe, même si on pousse les verrous. Hé ! personne ne commande à cette
reine !"
"Et pourtant notre Maître la commande. Non seulement quand elle est
proche, mais même quand elle a saisi sa proie. On allait mettre un jeune
homme de Naïm dans la bouche horrible du tombeau,
et il a dit : "Je te le dis : lève-toi !" et le
jeune homme est redevenu vivant. Naïm n'est pas
hyperboréen. Vous pouvez y aller et voir."
"Mais ainsi ? Devant tout le monde ?"
"Sur le chemin, devant tout Naïm."
L'hôtelier et les clients se regardent en silence. Puis l'hôtelier dit :
"Mais, il fera cela pour des amis ?"
"Non, homme. Pour tous ceux qui croient en Lui et pas seulement pour
eux. C'est la Pitié sur la terre, crois-le. Personne ne se tourne vers Lui
pour rien. :Écoutez, vous tous. N'y a-t-il pas quelqu'un
parmi vous qui souffre et qui pleure pour des maladies dans sa famille, pour
des doutes, pour des remords, pour des tentations, pour des ignorances ?
Adressez-vous à Jésus, le Messie de la Bonne Nouvelle. Il est ici
aujourd'hui. Demain, il sera ailleurs. Ne laissez pas passer sans en profiter
la Grâce du Seigneur qui passe" dit Philippe qui prend toujours plus
d'assurance.
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471> L'hôtelier se passe la main
dans les cheveux, il ouvre et ferme la bouche, il tourmente les franges de sa
ceinture... il dit enfin : "Je vais essayer !... J'ai une
fille. Jusqu'à l'été dernier elle était bien. Puis elle est devenue
lunatique. Elle reste muette comme une bête dans un coin,
elle est toujours là, et avec peine sa mère doit l'habiller et la faire
manger. Les médecins disent que le soleil lui a brûlé la cervelle, d'autres
que c'est un chagrin d'amour. Le peuple dit qu'elle est possédée. Mais
comment, si cette petite n'est jamais sortie d'ici ?! Où a-t-elle pris
ce démon ? Qu'en dit ton Maître ? Que le démon peut posséder même
un innocent ?"
Philippe, sûr de lui, répond : "Oui, pour tourmenter les parents et
les porter au désespoir."
"Et... Lui, il guérit les lunatiques ? Dois-je espérer ?"
"Tu dois croire" dit vivement André. Et il raconte le miracle des Géraséniens et ajoute en terminant : "Si ces
démons qui étaient une légion dans les cœurs des pécheurs ont ainsi pris la
fuite, comment ne s'enfuira-t-il pas celui qui a pénétré de force dans un
jeune cœur ? Je te le dis, homme : pour qui espère en Lui, l'impossible
devient facile comme la respiration. J'ai vu les oeuvres
de mon Seigneur et je témoigne de sa puissance."
"Oh ! alors, lequel de vous va l'appeler ?"
"Moi-même, homme. Attends-moi un moment." Et André y va promptement
pendant que Philippe reste à parler.
Quand André voit Jésus abrité sous un porche pour fuir le soleil implacable
qui remplit la petite place du pays, il court vers Lui en disant :
"Viens, viens, Maître. La fille de l'hôtelier est lunatique. Son père
implore de Toi sa guérison."
"Mais, il me connaissait ?"
"Non, Maître. Nous avons cherché à te faire connaître".
"Et vous y avez réussi. Quand quelqu'un
arrive à croire que je peux guérir un mal sans remèdes, il est déjà avancé dans
la foi. Et vous aviez peur de ne pas savoir faire. Qu'avez-vous
dit ?"
"Je ne saurais même pas te le dire. Nous avons dit ce que nous pensons
de Toi et de tes œuvres. Surtout, nous avons dit que tu es l'Amour et la
Pitié. Le monde te connaît si mal !!!"
"Mais vous, vous me connaissez bien. Et cela suffit." Ils arrivent
à la petite auberge. Tous les clients sont sur la porte, curieux, et au
milieu Philippe avec l'hôtelier qui continue son monologue. Quand il voit
Jésus, il court à sa rencontre : "Maître, Seigneur, Jésus... moi...
moi, je crois, je crois que tu es Toi, que tu sais tout, que tu vois tout,
que tu connais tout, que tu peux tout. Je le crois tellement que je te
dis : aie pitié de ma fille, bien que j'aie beaucoup de fautes sur le
cœur. Que ma créature ne soit pas châtiée parce que j'ai été malhonnête dans
mon métier. Je ne serai plus cupide, je le jure. Tu vois mon cœur avec son
passé et ce qu'il pense maintenant. Pardon et pitié, Maître. Je parlerai de Toi à tous ceux qui viennent ici dans ma
maison..." L'homme est à genoux.
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472> Jésus lui dit :
"Lève-toi et persévère dans tes sentiments de maintenant. Conduis-moi à
ta fille."
"Elle est dans une écurie, Seigneur. La grosse chaleur la rend encore
plus malade, et elle ne veut pas sortir."
"Peu importe. Je vais aller la trouver. Ce n'est pas la chaleur, mais le
démon qui me sent venir."
Ils entrent dans la cour et puis dans une écurie sombre, et tous les autres à
la suite. La petite, décoiffée, apeurée, s'agite dans le coin le plus obscur,
et quand elle voit Jésus, elle crie : "Arrière,
arrière ! Ne me dérange pas. Tu es le Christ du Seigneur et moi un de
ceux que tu poursuis. Laisse-moi. Pourquoi viens-tu toujours sur mes
traces ?"
"Sors de celle-ci. Va-t-en. Je le veux. Rends
à Dieu ta proie et tais-toi!" Un cri déchirant, une brusque détente, un
corps qui se couche sur la paille... et puis, calmes, tristes, étonnées, les
questions : "Où suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Qui sont
ces gens ?" et l'appel : "Maman !" de la jeune
fille qui a honte d'être sans voile avec un vêtement déchiré sous les yeux de
plusieurs étrangers.
"Oh ! Seigneur éternel ! Mais elle est guérie !..."
et il est étrange de voir sur le visage rubicond de l'hôtelier des pleurs
d'enfant. ..Il est heureux, et il pleure ne sachant que baiser les mains de
Jésus, pendant que la mère pleure, au milieu de ses petits
enfants étonnés, et elle baise son aînée délivrée du démon.
Les assistants crient tous ensemble et d'autres accourent pour voir le prodige.
La cour est pleine.
"Reste, Seigneur. La nuit va arriver. Reste sous mon toit."
"Nous sommes à treize, homme."
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