À cause de mon sacrifice caché de chaque instant, ô Père, donne-moi des
foules d'âmes à t'offrir..
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480> Comment, mais
comment tituber encore lorsque, avec l'âme qui fond de tendresse, nous lisons
les dernières prières de Jésus, après la cène[2]?
J'ai terminé, mon Père.
Un
écrivain français dit que toute vie qui se détache de la médiocrité de la
masse "est un rêve de jeunesse réalisé à l'âge mûr[3]". Je peux dire en fait qu'à l'âge
de ma maturité j'ai réalisé le rêve mystique de ma première jeunesse.
Cette
réalisation a été longue, douloureuse, et a subi des ralentissements et des
vides. Mais les plantes qui s'épanouissent le mieux en hauteur et en âge sont
celles qui, avant de s'étendre triomphalement vers le ciel, ont connu un
important développement souterrain. C'est seulement lorsque les racines sont
lentement et profondément enracinées sur des mètres et des mètres dans le
sol, qu'alors l'opulence de l'arbre devient manifeste. C'est pareil dans le
travail des âmes. Il est d'autant plus durable et fécond que le travail
intérieur a été une chose non pas superficielle mais profonde. Je peux dire
que durant les phases extérieures de ma floraison en Dieu j'ai été
littéralement transpercée par une intense activité intérieure. Si bien que
cette réalité de la maturité de ma vie est enracinée dans le rocher et ne
craint pas d'être déracinée par le moindre coup de vent.
Quiconque
lira ce que j'ai écrit ici pourra exprimer des jugements plus ou moins
gentils. Mais je ne me soucie pas de l'appréciation que porteront les hommes,
ni en ce qui concerne le style, ni pour ce que je peux paraître, ni pour
aucune autre raison. Dans ce récit, je me suis présentée telle que je suis;
on y trouve ma chair avec ses passions humaines, mon âme avec ses espérances
spirituelles, mon esprit avec son amour d'adoration. Je n'ai pas voulu faire
une œuvre littéraire. J'ai jeté sur le papier mes pensées, telles qu'elles me
venaient, les tirant du fond de mon cœur, sans me préoccuper de les embellir
ou de les rendre littéralement parfaites. Ce récit est le fruit de mon cœur,
plus que de mon cerveau.
Si
un critique profane y mettait le nez, il pourrait noter que le début du récit
a plus d'enthousiasme que la fin et à partir de là argumenter que je me suis
lassée en cours de route... Il commettrait une grave erreur. Ce qui pourrait
paraître de la fatigue est au contraire une plus haute élévation d'esprit en
Dieu.
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481> Après avoir dépassé tous les souvenirs
humains et être pénétrée dans la vaste mer où l'on vit seulement à deux,
l'âme avec Dieu, une paix surhumaine et une majesté ultraterrestre m'ont
envahi le cœur et donné un ton nouveau à mon chant.
Le
rossignol a trois sortes de chants qui sortent de sa gorge. Le premier,
harmonieux mais impatient, il le chante quand il est à la recherche de sa
compagne et va la chercher dans les taillis. Le second, plus amoureux et
dégagé, c'est quand, l'ayant trouvée, il lui parle d'amour. Le troisième est
le chant parfait, d'une mélodie solennelle, calme, que j'appellerai presque
religieuse, lorsque, bien droit près du nid, où sa compagne s'occupe de la
progéniture, il veille sur ses rêves devenus réalité et bénit la vie qui les
lui a concédés.
Mon
âme a suivi l'évolution du rossignol. Après avoir chanté l'agitation des
premiers temps et les ardeurs du second, elle s'élève solennelle et empreinte
d'une paix céleste, rendant à Dieu toute louange et toute bénédiction. Tout
réflexe humain est tombé, paroles et pensées planent dans le divin. Et le
divin ne connaît jamais d'exaltations, d'énervements, d'agitations. Il est la
Paix. Une paix que rien ne parvient à troubler. Et mon âme y est plongée.
Je
suis arrivée à cette rive après bien des souffrances. Mais si la souffrance a
été la rame et la voile qui m'ont permis d'arriver plus vite jusqu'à toi, mon
Dieu, qui es Paix, Miséricorde, Amour, alors, encore une fois, bénie soit la
souffrance ! Et si à cause de la souffrance, moi qui ne suis rien je
suis devenue quelqu'un à tes yeux, mon Dieu, que tu sois béni encore une fois
pour la souffrance que tu m'as donnée comme ton plus beau cadeau.
Mon âme te loue, ô Seigneur, et exulte en
toi qui as voulu poser un regard bienveillant sur le rien que je suis et en
faire un instrument de bien pour d'autres riens semblables à moi. Que tu sois
béni, Seigneur, mon Sauveur, qui m'as libérée de tous mes ennemis, m'as
recouverte de ta miséricorde, m'as nourrie de ton amour, m'as soutenue,
pardonnée, instruite, consolée, car tu t'es fait mon ami et mon parent, mon
maître et mon médecin.
Tu m'as concédé de te connaître pour ce que
véritablement tu es, seul vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé,
Jésus Christ, et pour cette grâce je désire te dire merci, de tous les
battements de mon cœur et pour toute l'éternité, mais cela ne sera jamais
assez, car te connaître et t'aimer, ô Dieu, est un tel bien qu’il n’existe
pas de gratitude adéquate.
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482> Tu m'as permis de parler de toi à un grand
nombre de créatures que tu m'as confiées, et à cause de cela aussi; merci mon
Dieu ! Pour ces personnes, pour tous ceux que j'ai aimés, connus,
conduits, et qui ont avec moi des liens de sang ou de simple fraternité
humaine, j'ai prié et souffert, ô Dieu, pour que tous puissent entrer là où,
confiant en ta miséricorde, j'ai foi d'entrer dans ton royaume éternel. Même
maintenant, tandis que je meurs, je prie pour eux et une fois encore je
t'offre ma vie. Toi, Père, préserve-les du danger de te perdre, toi qui es
l'unique vrai bien. Je te prie pour eux, Seigneur, et pour toutes les pauvres
âmes qui ne savent pas où se trouve la voie sûre, la voie véritable, la
lumière qui ne meurt jamais.
Oh !
Seigneur, je voudrais avoir des milliers et des milliers de vies pour toutes
te les offrir, Père saint, comme un bouquet d'holocaustes en faveur du bien
du monde.
Tu
le vois, ô Père, que c'est là un cri qui monte du fond de mon esprit et qui
monte comme un encens et une flèche jusqu'aux pieds de ton trône, ô mon Dieu.
Ne regarde pas, ô Seigneur, la bassesse de ta servante, mais regarde son
désir de t'aimer, regarde sa générosité de souffrir pour être une graine de
bien dans les cœurs devenus stériles. Multiplie les battements de mon cœur et
à chaque battement ajoute une souffrance et, avec la souffrance, la force de
souffrir. C'est à toi, Père saint, que je demande cette force, que toi seul
peux donner à nous, misérables créatures.
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