Au temps de la Vierge, tout Israël attend
Celui qui doit venir.
Lorsqu’elle était petite enfant, la Vierge Marie attendait au cœur de son
peuple Israël la venue du Messie, qui n’a pas été annoncé par un seul
prophète, mais par une longue série d’hommes, prédisant et complétant, au fur
et à mesure, leur prédiction, pendant des siècles. Elle attendait au cœur
d’un petit peuple, ballotté par l’histoire, qui a survécu à toutes les
confrontations avec les Empires voisins et qui sera finalement dans l’avenir
le seul peuple résistant à la dissolution du monde antique, en conservant
intacte son identité, et en gardant toujours la certitude inébranlable d’être
l’instrument d’un destin éternel, aux dimensions du monde.
Tous cherchaient dans l’Écriture le moment de la venue du Messie annoncé précisément
mais mystérieusement par les prophètes. Et l’attente de l’accomplissement des
temps était devenue tellement forte et précise, en cette période particulière
de l’histoire, qu’il y eut plus de 100 candidats Messie recensés par les
historiens. "Comme le peuple était dans l’attente" (Luc 3,15) quand
Jean-Baptiste paru, tous lui demandaient : "Es-tu Celui qui doit venir
ou devons-nous en attendre un autre ?" (Luc 7,19).
C’était une situation absolument unique et cet aspect caractéristique du
christianisme, à lui seul, est suffisant - c’est l’avis de maints
spécialistes - pour le situer tout à fait à part dans l’histoire religieuse
du monde.
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"Le sceptre ne l’éloignera pas de Juda,
avant que vienne Celui à qui il appartient".
La première des prophéties évoquant le moment de la venue du Messie se trouve
dans la Genèse, (Genèse 49,1-10), quand Jacob, né d’Isaac, bénit ses fils
avant de mourir. "Rassemblez-vous pour que je vous annonce ce qui vous
arrivera dans l’avenir". Et il poursuit : "Le sceptre ne s’écartera
pas de Juda, ni le bâton de commandement d’entre ses pieds jusqu’à ce que
vienne Celui auquel il appartient et à qui les peuples doivent
obéissance." Ce passage, qui a toujours été entendu par les exégètes
d’Israël en un sens messianique, prend une actualité nouvelle au temps de la
Vierge, après qu’Hérode Ier ait été nommé roi de Judée en mettant fin à la
dynastie hasmonéenne juive.
Les juifs d’Israël seront désormais régis par un roi édomite, fils d’une
nabatéenne, issue d’une tribu arabe, et ami des romains, même s’il est
officiellement converti au judaïsme. La Judée devient alors une province
vassale de Rome et elle le restera jusqu'à la destruction de Jérusalem en 70
après Jésus-Christ. Quand Octave confirme à Hérode Ier le titre de roi de
Judée, de Samarie, d’Idumée et de Galilée, en lui offrant aussi le plateau du
Golan et les villes côtières de la méditerranée qu’il avait dû rendre à
Cléopâtre précédemment, Jérusalem est secouée par un tremblement de terre qui
cause 10.000 victimes. Avec l’avènement d’Hérode Ier l’autorité passe aux
romains, et le signe messianique s’accomplit puisque le sceptre s’éloigne définitivement
de Juda. À tel point que les juifs pourront maintenant répondre très
justement à Pilate, lors du procès du Christ : "Nous n’avons pas d’autre
roi que César" (Jean 19,15).
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"Au temps de ces rois, le Dieu du Ciel
suscitera un royaume qui jamais ne sera détruit".
La seconde importante prophétie évoquant le moment de la venue du Messie se trouve
dans le dernier livre de l’Ancien Testament, celui de Daniel, qui, au temps
de la Vierge était composé et lu dans sa forme actuelle depuis déjà deux
siècles.
Le livre rapporte au chapitre 2 le songe de Nabuchondonosor, dans lequel le
roi voit une pierre qui brise une grande statue d’or, d’argent, de bronze, de
fer et d’argile mêlés. Le roi est troublé et empêché de dormir jusqu’à ce que
Daniel puisse lui donne la juste interprétation : "Après toi se dressera
un autre royaume, inférieur à toi, et un troisième royaume ensuite, de
bronze, qui dominera la terre entière. Et il y aura un quatrième royaume, dur
comme le fer, (…) il réduira en poudre et brisera tous ceux-là. (…) Il sera
divisé, partie fer, partie argile. (…) Au temps de ces rois, le Dieu du Ciel
dressera un royaume qui jamais ne sera détruit, et ce royaume ne passera pas
à un autre peuple. Il écrasera et anéantira tous ces royaumes, et lui-même
subsistera à jamais (…). Le Grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit
arriver. Tel est véritablement le songe, et sûre en est
l'interprétation." (Daniel 2,39-45).
Or, après Nabuchondonosor sont venus les perses aidés par les mèdes, puis les
grecs, qui ont dominé toute la terre avec Alexandre, puis les romains qui,
par le fer, ont réduit en poussière tous leurs adversaires, avant qu’Israël
ne soit au 1er siècle divisé entre le fer de Rome et l’argile d’Hérode. La
pierre qui brise la statue doit devenir une grande montagne qui remplira
toute la terre. L’humble Vierge du Seigneur pouvait peut-être imaginer la
modestie des débuts du règne messianique qui "jamais ne sera détruit et
subsistera éternellement" en méditant comme Blaise Pascal qui écrivait,
en considérant la prophétie de la petite pierre qui devient montagne :
"Il est prédit que Jésus-Christ serait petit en son commencement et
qu’il croîtrait ensuite".
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L’étonnante prophétie des Soixante-dix
septénaires.
Le prophète Daniel précisa ensuite de manière très étonnante le temps de
l’avènement du Messie par la prophétie des soixante-dix septénaires. Ce
fameux passage du chapitre 9 de Daniel commence ainsi : "Sont fixés 70
septénaires pour ton peuple et ta ville sainte, pour faire cesser la
perversité et mettre un terme au péché, absoudre la faute et amener la
justice éternelle, pour sceller vision et prophétie et pour oindre le Saint
des Saints." Le monde nouveau (l’iniquité qui cesse et est expiée, le
péché qui est "mis sous scellés", la justice éternelle qui règne)
adviendra donc quand le Christ aura "reçu l’onction". Et alors
prendront fin les visions des prophètes mêmes. Et tout cela se produira après
"70 septénaires".
Cette indication temporelle, la seule de tout l’Ancien Testament, n’a jamais
suscité de polémiques excessives parmi les interprètes. Il est clair qu’il
s’agit de septénaires, c’est-à-dire de périodes de sept ans, et qu’elle
désigne la venue du Messie au bout de 490 années. Mais à partir de quoi doit-on
commencer à les compter ? "Depuis le surgissement d’une parole en vue de
la reconstruction de Jérusalem" après l’exil à Babylone, selon le texte
biblique. Certains calculaient à partir du décret d’Artaxerxès, en 458 avant
Jésus-Christ, d’autres à partir de Cyrus, en 538, dès la libération d’Israël,
certains en années solaires, d’autres en années lunaires.
La découverte de parchemins du 1er siècle avant notre ère retrouvés à Qûmran
montrent que la communauté qui vivait là-bas se préoccupait beaucoup des
signes des temps et qu’ils s’appuyaient aussi sur la prophétie des "70
septénaires". Ils avaient calculé que les temps du Messie devaient
commencer en 26 avant Jésus-Christ et c’est à cause de cette attente qu’ils
se retiraient au désert. Il y avait encore une petite "erreur" de
20 ans dans leur calcul, mais comme le dit Hugh Schonfield, "nous voyons
bien aujourd’hui à quel point - presque à la lettre - Jésus pouvait proclamer
en inaugurant sa mission : "Les temps sont accomplis et le royaume de
Dieu est proche" (Marc 1,15).
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L’attente des romains.
Au temps de la Vierge, les juifs attendaient donc leur mystérieux Christ précisément
en ces années-là. Mais ce qui est plus surprenant encore, c’est de découvrir
que, en ce temps-là précisément, les autres peuples aussi vivaient dans
l’attente. Nous avons des témoignages indubitables et des plus précis sur
cette attente universelle de Quelqu’un qui devait venir de Judée.
C’est de deux des plus grands historiens latins, Tacite et Suétone, que nous
apprenons aussi comment les romains étaient en effervescence à l’approche du
siècle que nous, désormais, appelons "le premier après Jésus-Christ".
Tacite écrit dans les "Historiae" : "La plupart étaient
persuadés qu’il se trouvait écrit dans les anciens livres des prêtres, que,
vers ces temps, l’Orient grandirait en puissance. Et que de Judée viendraient
les dominateurs du monde." Et de même Suétone, dans la "Vie de
Vespasien" : "Par tout l’Orient, une idée gagnait les esprits :
l’opinion constante et fort ancienne selon laquelle il devait être écrit dans
le destin du monde que de la Judée viendraient en ce temps-là les dominateurs
du monde". Ces deux historiens écrivaient à la fin du premier siècle et
au début du second, sans pouvoir connaître le triomphe, encore à venir, de
Celui qui serait effectivement un jour le "dominateur" du monde
occidental.
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L’enfant merveilleux annoncé par la Sibylle
de Cumes.
Au temps de la Vierge, l’attente des romains pouvait aussi venir du grand
oracle rapporté par Virgile dans la 4ème Eglogue de ses
"Buccoliques" : "Voici les derniers temps marqués par l’oracle
de la Sibylle de Cumes : la longue série des siècles recommence. Voici venir
la Vierge, et le règne de Saturne. Voici descendre du ciel une race nouvelle.
Un enfant nouveau-né sous le règne de l’Empereur Auguste éliminera la
génération de fer et suscitera par tout le monde une génération d’or".
La Vierge Marie en qui descendra le Fils de Dieu ne devait certainement pas
connaître cet oracle, mais Jésus, qui est bien né sous le règne de l’Empereur
Auguste a effectivement transformé le fer de l’oppression, dans l’amour que
l’or symbolise. Et en plusieurs sanctuaires du monde (comme Longpont, Nogent
sous Coucy, Chartres), on vénérait de manière très étonnante, dès avant le
Christ, la "Virgini Pariturae" : la Vierge qui devait enfanter.
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L’attente des astrologues babyloniens.
Il semble désormais scientifiquement prouvé que les astrologues babyloniens
aussi attendaient la naissance du "dominateur du monde" à partir de
l’an 7 avant Jésus-Christ. Kepler, un des pères de l’astronomie moderne,
observa en décembre 1603 la conjonction très lumineuse (c’est-à-dire la
rencontre sur une ligne droite) de Jupiter et de Saturne dans la
constellation des Poissons. Il établit grâce à ses calculs que le même
phénomène (qui provoque une lumière intense et éclatante dans le ciel étoilé)
devait s’être produit également en 7 avant Jésus-Christ, puis découvrit
ensuite un ancien commentaire de l’Écriture, du rabbin Abarbanel, rappelant
que, selon une croyance des juifs, le Messie devait apparaître précisément
lorsque, dans la constellation des Poissons, la lumière de Jupiter et de
Saturne ne ferait plus qu’une.
Mais on n’attacha guère d’importance à la découverte de Kepler notamment
parce que la critique n’avait pas encore établi avec certitude que Jésus
était né avant la date traditionnelle, suite à l’erreur de Denys le Petit.
Plus de deux siècles après, la savant danois Münter découvre et déchiffre un
commentaire hébraïque médiéval des "soixante-dix septénaires" du
livre de Daniel qui indique la croyance rappelée par Kepler. En 1902, est
publiée ce qu’on appelle la Table planétaire, aujourd’hui conservée à Berlin
: un papyrus égyptien qui porte avec exactitude les mouvements des planètes de
17 avant J-C à 10 après J-C, qui rappelle qu’en 7 avant J-C ont avait
remarqué la conjonction entre Jupiter et Saturne, visible dans son plus bel
éclat sur toute l’étendue de la Méditerranée.
En 1925 enfin, on publie une description du Calendrier stellaire de Sippar :
une tablette en terre cuite avec des inscriptions cunéiformes provenant de
l’antique cité de Sippar, sur l’Euphrate, qui était le siège d’une importante
école d’astrologie babylonienne. Sur ce "calendrier" sont portés
tous les mouvements et conjonctions célestes de l’an 7 avant Jésus-Christ
justement. Pourquoi ? Parce que selon les astrologues babyloniens, cette
conjonction qui ne s’observe une seule fois que tous les 794 ans s’était
produite 3 fois en 7 avant J-C : le 29 mai, le 1er octobre et le 5 décembre.
Et ils considéraient Jupiter comme la planète des dominateurs du monde,
Saturne comme la planète des protecteurs d’Israël, et la constellation des
Poissons comme le signe de la fin des temps, c’est-à-dire du commencement de
l’ère messianique. (…)
Il est désormais certain, en effet, qu’entre le Tigre et l’Euphrate, non
seulement on attendait comme dans tout l’Orient, un Messie qui devait venir
d’Israël, mais que l’on avait également établi avec une sûreté stupéfiante
qu’il devait naître en un temps et un moment déterminés.
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Tous les temps sont désormais échus.
"Le temps de la venue du Messie a été prédit par l’état du peuple juif,
par l’état du peuple païen, par l’état du Temple, par le nombre des années :
il fallait que les quatre monarchies, le sceptre ôté de Juda et les
soixante-dix semaines arrivassent en même temps, et le tout avant que le
deuxième Temple ne fut détruit" (Blaise Pascal - Pensée 708 et 709).
Les païens bénéficiant aussi d’annonces complémentaires, il y a comme une
polarisation de l’attention, le sommet d’une attente jamais vue dans
l’histoire du monde, aux alentours précisément des années où Jésus apparut.
C’est un fait historique prouvé : tout inexplicable qu’elle semble,
l’attention du monde se concentre, au premier siècle, sur un seul point,
cette lointaine province romaine.
Cette attente unique est celle que Marie porte plus que tout autre en son
cœur, dans sa prière auprès du Saint des saints. Elle s’accomplira pour elle
et pour tous les chrétiens dans la venue du Sauveur, à la plénitude des temps
fixés. Mais pour ceux qui ne l’ont pas reconnu, le rendez-vous manqué posera
longtemps question. Comme l’observe le Talmud lui-même, "toutes les
dates qui ont été calculée pour la venue du Messie sont désormais
passées" (Traité Sanhédrin 97). Et sous le coup de la déception, les
docteurs d’Israël en viendront à tenter de réinterpréter l’attente du Messie.
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